Intervention de Jérôme Tréhorel

Réunion du 11 septembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jérôme Tréhorel, directeur général du festival des Vieilles Charrues :

Les Vieilles Charrues sont souvent citées en exemple, mais c'est la première fois que nous sommes invités à l'Assemblée nationale : je vous remercie donc chaleureusement.

Au départ, les Vieilles Charrues, c'est une aventure humaine : une bande de copains étudiants, expatriés à Brest et qui, inspirés par la fête des vieux gréements, décident de revenir dans leur région, au centre de la Bretagne, et d'y faire une fête avec des jeux loufoques, en invitant simplement des amis. C'était en 1992, et il y avait 500 personnes. En quelques années, les Vieilles Charrues étaient devenues un festival de musique qui se tenait au centre-ville de Carhaix, sur trois jours : le but était de faire venir des artistes pour ceux qui ne pouvaient pas se déplacer à Brest, à Nantes ou à Rennes, voire à Paris. Le festival reposait alors sur le seul bénévolat et, chaque année, le public doublait. Les risques étaient aussi de plus en plus grands : il fallait nourrir et loger ce public, mais aussi sécuriser le matériel, etc. Assez rapidement, les fondateurs ont donc compris la nécessité de mieux structurer le festival et d'embaucher des salariés. Le festival, dont l'importance grandissait pour toute sa région, a aussi été déplacé vers la prairie de Kerampuilh.

Pour développer ce festival, c'est toute une région, le Centre Bretagne, qui s'est mobilisée : les Vieilles Charrues constituent maintenant pour les habitants une immense source de fierté. Depuis leur création, bien sûr, le cadre a changé du tout au tout : les entreprises privées se sont multipliées, et l'argent détermine souvent la programmation, dans un contexte de concurrence à l'échelle européenne. Il existe aujourd'hui de véritables rouleaux compresseurs européens… Et les cachets se sont envolés : il y a cinq ou six ans, notre budget de programmation s'élevait à 1,3 million d'euros ; aujourd'hui, c'est presque 4 millions. Le prix des billets est passé de 35 à 41 euros : il a certes augmenté, mais dans de moindres proportions.

Les retombées du festival sont énormes : faire venir 200 000 personnes dans une ville de 8 000 habitants, située dans cette région plutôt défavorisée, ce n'est pas rien. Notre but n'est pas de remplir au hasard une grille de programmation, mais bien de construire un projet culturel, de permettre à ceux qui n'ont pas beaucoup de moyens d'aller au concert dans leur région. Nous voulons développer l'accès de tous à la culture et à la musique. Nous proposons également, en plus du festival qui se tient en juillet, deux rendez-vous annuels. Notre programmation est aussi éclectique que possible – rock, variété, reggae, électronique… Le billet donne accès à une vingtaine de concerts par jour, avec toujours quelques têtes d'affiche – ce sont en effet les têtes d'affiche qui déclenchent l'achat, et nous devons absolument remplir notre site au maximum. Mais nous tenons beaucoup à proposer aussi des artistes moins connus, et des découvertes. Ainsi, cette année, nous avons accueilli Asaf Avidan, qui était déjà venu en 2011 : il était alors totalement inconnu.

Nous avons aussi mis en place les « jeunes charrues », qui nous permettent d'accompagner de jeunes artistes locaux : une dizaine de groupes ont déjà pu émerger par ce moyen.

Nous voulons aussi développer le territoire. Nous avons bien sûr des salariés, mais nous nous appuyons beaucoup sur des bénévoles : 5 000 à 6 000 personnes viennent « donner un coup de main » – j'insiste sur l'expression, car il ne s'agit pas d'éviter d'embaucher des salariés. Ce sont en fait le plus souvent des membres d'associations locales qui viennent nous aider pour trois tranches de quatre heures ; nous reversons ensuite 100 000 euros par an, quel que soit le bilan du festival, à ces associations, qui peuvent ainsi développer les projets qui leur tiennent à coeur. Chacun, dans toute la région, se sent ainsi un peu propriétaire des Vieilles Charrues – les bénévoles sont fiers de participer, et pour certains, qui ne pourraient pas se le permettre, ils peuvent tout simplement assister au festival. Nous travaillons aussi avec les collectivités territoriales, dans le cadre du nouveau centre des congrès de Carhaix, et nous avons participé à la réfection de la toiture du château de Kerampuilh.

L'une des spécificités auxquelles nous tenons beaucoup est d'essayer autant que possible de faire travailler – pour installer les sites, pour organiser la restauration… – des entreprises de Centre Bretagne ou de Bretagne. Une étude d'impact réalisée il y a deux ans a montré que les Vieilles Charrues apportent 4 à 5 millions d'euros au territoire.

Les Vieilles Charrues sont encore organisées sous la forme d'une association, et les éventuels bénéfices sont réinvestis, notamment dans le sens du développement durable et de la prévention des risques.

Notre budget est aujourd'hui d'environ 13 millions d'euros. Nous ne recevons aucune subvention : 80 % de nos recettes proviennent des festivaliers – 60 % de la billetterie, 20 % des recettes annexes – et 20 % des partenariats et du mécénat, que nous développons depuis plusieurs années pour augmenter nos recettes sans gonfler le prix du billet. Nous avons mis en place une charte du partenariat, pour respecter les valeurs du festival. Ceux-ci ne sont pas visibles sur les scènes ; nous ne faisons ni co-naming, ni co-branding ; nos partenaires, dont le nombre est limité, ont des stands qui proposent des animations ou des services, comme la recharge gratuite du téléphone portable – bien pratique pour les 40 000 personnes qui campent sur place pendant le festival. C'est une formule qui fonctionne bien, pour le public et pour nous comme pour les partenaires. Nous avons aussi développé le mécénat, par exemple en imaginant des offres « VIP » à destination des entreprises locales – cela reste invisible pour le public. Nos ressources issues des partenariats et du mécénat sont ainsi passées en quelques années de 400 000 à 2 millions d'euros il y a deux ans ; elles sont depuis restées stables malgré la crise, qui a frappé durement la Bretagne, notamment dans le secteur agroalimentaire. Sans ces recettes, le billet coûterait dix euros de plus, et nous le disons aux festivaliers : la pédagogie sur notre modèle économique – sur les dépenses liées aux cachets, mais aussi à la sécurité, par exemple – est très importante.

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