Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Réunion du 11 septembre 2013 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES ET DE L'ÉDUCATION

Mercredi 11 septembre 2013

La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.

(Présidence de M. Patrick Bloche, président de la Commission)

La Commission des affaires culturelles et de l'éducation organise une table ronde, ouverte à la presse, sur la place des festivals dans les pratiques culturelles des Français, réunissant Mme Bénédicte Dumeige, directrice de la Fédération française des festivals de musique et du spectacle vivant – France Festivals, M. Emmanuel Négrier, directeur de recherche – CNRS-CEPEL à l'Université de Montpellier I, et M. Jérôme Tréhorel, directeur général du festival des Vieilles Charrues.

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L'été permet chaque année de mesurer l'engouement pour les festivals. Ceux-ci contribuent à élargir l'accès de nos concitoyens à la culture sous toutes ses formes, mais ils ont aussi des retombées économiques incontestables : à l'heure où nous allons une fois encore devoir défendre le budget de la culture, il n'est pas inutile de le souligner. N'oublions pas que la culture représente en France autant d'emplois que l'industrie automobile ! Le financement public de la culture est assuré à 70 % par les collectivités territoriales, mais la contrainte budgétaire s'exerce sur celles-ci comme sur l'État : malgré leur succès, l'équilibre de nombreux festivals est donc fragile, voire précaire.

Nous recevons ce matin Mme Bénédicte Dumeige, directrice de la Fédération française des festivals de musique et du spectacle vivant – France Festivals, M. Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS-CEPEL (Université de Montpellier 1), et M. Jérôme Tréhorel, directeur général du festival des Vieilles Charrues.

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Bénédicte Dumeige, directrice de la Fédération française des festivals de musique et du spectacle vivantFrance Festivals

France Festivals est à l'origine des travaux d'Emmanuel Négrier sur ce sujet, notamment Les nouveaux territoires des festivals, écrit avec Marie-Thérèse Jourda et paru en 2007, qui détaille le fonctionnement d'un festival et, en co-direction avec Aurélien Djakouane et Marie Jourda, Les publics des festivals, paru en 2010. Une étude à grande échelle, portant sur près de 400 festivals de musique en Europe et au Québec, est en cours d'achèvement.

Je propose qu'il prenne la parole en premier pour présenter ces travaux.

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Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS-CEPEL, Université de Montpellier

J'ajoute que j'ai également publié une étude plus qualitative sur les Eurockéennes de Belfort, et que je viens d'achever une étude sur les publics de six festivals de musiques du monde.

La première leçon que je tire de ces travaux est qu'il faut oublier l'image d'une petite famille qui se retrouverait rituellement, chaque année, à un même festival, et viendrait de loin pour assister à presque tous les spectacles proposés. En réalité, les quelque 35 000 questionnaires que nous avons traités montrent que le public des festivals est aux deux tiers, voire aux trois quarts, issu de la région où se tient le festival ; lorsqu'il ne l'est pas, il vient souvent des régions limitrophes : ainsi, les Chorégies d'Orange accueillent beaucoup de festivaliers venus du Gard ou de la Drôme. Ce public se renouvelle aussi bien plus qu'on ne l'imagine : un quart des personnes interrogées assistaient pour la première fois au festival où nous les avons rencontrées. C'est un taux de renouvellement beaucoup plus fort que pour n'importe quelle institution permanente. Enfin, assister à la totalité ou la quasi-totalité des spectacles est une pratique devenue exceptionnelle : elle ne concerne que 5 % des festivaliers. Un quart d'entre eux n'assistent qu'à une seule représentation ; certains spectateurs n'ont même pas vraiment conscience que le spectacle qui les a attirés fait partie d'un festival. C'est en quelque sorte la rançon du succès.

D'un point de vue sociologique, les catégories supérieures et plus diplômées sont bien sûr mieux représentées parmi les festivaliers que les catégories populaires, même dans les festivals de rock, et même au Hellfest, par exemple. Mais il faut noter que tous les festivals n'ont pas le même public et le même degré d'ouverture aux catégories moins favorisées : leur action compte, notamment leur action locale et leur politique de tarification.

On constate presque partout que les festivals sont de petites entreprises mixtes : les subventions forment une partie importante de leurs ressources. Elles en constituent même une donnée structurelle, mais pas plus en France que dans la dizaine d'autres pays que nous étudions. La moitié des dépenses des festivals vont au domaine artistique, et 20 % à l'administration ; les budgets de communication sont très peu importants. Les ressources propres des festivals s'élèvent à un peu moins de la moitié de leurs ressources. Ce sont aussi des entreprises mixtes au sens où le bénévolat est un élément clé de la gestion des festivals, représentant souvent plus de la moitié de l'emploi total – même si certains refusent, par principe, d'y avoir recours. Le bénévolat est souvent compris d'ailleurs, plutôt que comme un emploi, comme une autre modalité de participation au festival.

Je n'entre pas dans le débat nourri sur les retombées économiques des festivals. En moyenne, on estime que 1 euro de subventions rapporte 6 euros, mais il faut manier ces chiffres avec prudence : on ne peut crier victoire au vu des seules retombées économiques, car elles sont de toute façon inférieures à celles d'autres investissements ou d'autres types de manifestations. De plus, retombées économiques et qualité artistique ne coïncident pas : les meilleurs festivals d'un point de vue artistique ne sont ni toujours les plus confidentiels, ni toujours les plus rentables. Il n'est donc pas possible de s'exonérer d'un débat sur le soutien public à la culture.

Enfin, les festivals contribuent à l'aménagement culturel du territoire. Y a-t-il trop de festivals ? Il est vrai qu'il existe aujourd'hui, dans certaines régions, des logiques de prédation, mais il y a aussi des zones de faiblesse. La compétition peut être extrêmement acérée. Lorsque les Eurockéennes de Belfort ont été créées, il y a vingt-cinq ans, c'était le seul festival de son espèce : il a aujourd'hui une cinquantaine de concurrents directs en Europe… On pourrait se contenter de cette situation. Mais je ne suis pas un darwiniste béat : la sélection naturelle pourrait aussi ne pas choisir les meilleurs, mais plutôt ceux qui se contentent de piocher dans les tournées européennes des artistes et donc de construire une programmation réduite à quelques têtes d'affiche, une programmation sans âme et sans lien avec le territoire – ceux qui attirent des audiences sans travailler des publics.

Il n'existe pas aujourd'hui de politique nationale en matière de festivals : les choix du ministère sont trop aléatoires, ou en tout cas trop difficiles à décrypter pour que l'on puisse parler de politique cohérente. Une telle politique devrait rechercher l'équilibre entre trois critères : le critère artistique, bien sûr, car les festivals doivent permettre de faire découvrir au public de nouveaux artistes ; un critère d'action culturelle, en lien avec les autres acteurs locaux, permanents ; enfin, un travail auprès des différents publics.

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Bénédicte Dumeige, directrice de la Fédération française des festivals de musique et du spectacle vivantFrance Festivals

France Festivals, que je dirige, est une fédération ancienne, puisqu'elle est née en 1959 : nous rassemblons quatre-vingt-une manifestations nationales, essentiellement dans le domaine de la musique dite classique ou savante ; mais l'expansion des champs artistiques, la multidisciplinarité et la transdisciplinarité sont des mouvements de fond : nous avons donc modifié nos statuts, l'année dernière, pour prendre en considération le spectacle vivant de façon beaucoup plus large. Nous représentons certains festivals très importants – le festival international d'art lyrique d'Aix-en-Provence, Jazz in Marciac, les Nuits de Fourvière – mais aussi d'autres beaucoup plus petits – Cordes en ballade en Ardèche, le festival de l'abbaye de Clairvaux, le festival Jean de La Fontaine à Château-Thierry… Certains n'ont qu'un budget de 100 000 euros, voire moins, mais tous réalisent un travail très intéressant.

Notre mission est l'accompagnement de tous ces festivals ; le maquis réglementaire dans lequel ils évoluent nécessite une professionnalisation toujours croissante, et nous leur proposons conseils et formations. Nous avons aussi pour tâche d'être les interlocuteurs des pouvoirs publics au nom de tous les festivals, grands ou petits, anciens ou récents, et quelle que soit la discipline.

Les festivals de danse, de théâtre, de musique, d'arts de la rue sont difficilement comparables, car ils ne fonctionnent pas de la même façon ; ainsi les musiques classiques n'ont pas besoin de sonorisation, alors que celle-ci est indispensable pour des festivals de pop-rock. Il existe néanmoins des tendances communes.

Dans l'ensemble, les festivals sont plébiscités par le public : ils forment une sorte de parenthèse enchantée dans le quotidien et permettent une véritable communion autour d'un projet artistique. La confiance accordée par le public au programmateur ou à la programmatrice permet une prise de risque artistique très importante : les festivals ont ainsi permis la renaissance de la musique baroque ; ils permettent d'entendre beaucoup de musique de chambre. Ils jouent également un rôle actif dans la production et la diffusion, permettant d'équilibrer le budget de nombreux projets artistiques et donc de renouveler les répertoires. Le rôle des festivals est déterminant pour l'emploi dans le domaine du spectacle vivant, notamment pour tous les intermittents du spectacle ; inversement, les festivals ont absolument besoin du statut d'intermittent. En se déplaçant et en allant au-devant des gens, beaucoup de festivals contribuent au renouvellement des publics et donc à la démocratisation de la culture. Ils effectuent aussi souvent un travail tout au long de l'année, très en profondeur ; beaucoup disposent d'une programmation à l'année et s'investissent dans la préservation du patrimoine.

Je vais essayer de dresser un tout premier bilan de la saison, mais il faut garder à l'esprit que 40 % des festivals n'ont pas lieu en été : pour nous, la saison court jusqu'en novembre pour recommencer dès la fin du mois de janvier avec la Folle Journée de Nantes. Les collectivités territoriales et les chambres de commerce apprécient d'ailleurs ces festivals qui se déroulent en automne, car ils contribuent grandement à renforcer l'attractivité des territoires.

Nous avons néanmoins déjà réalisé un sondage auprès de nos adhérents. La presse a largement parlé d'une baisse de fréquentation qui affecterait les festivals ; toutefois, les musiques actuelles ne sont pas forcément touchées de la même façon que les autres disciplines, beaucoup moins souvent évoquées par les médias. Il faut donc prendre tous les chiffres que vous entendez avec la plus grande prudence. De plus, des baisses de fréquentation ponctuelles ne sont pas forcément significatives : beaucoup de festivals ont en effet été créés au début des années 1980, avec la décentralisation et l'engagement des collectivités territoriales dans des politiques culturelles nouvelles ; ceux, nombreux, qui ont fêté leur trentième anniversaire en 2012 ont pu investir énormément l'an dernier, et connaître une fréquentation exceptionnelle, puis un retour à la normale cette année – donc une baisse par rapport à l'an dernier, jusqu'à 15 %. Certains, affectés par la diminution significative des subventions publiques, mais aussi du mécénat, ont pu décider de réduire l'ampleur du festival, en réduisant le nombre de spectacles et en se concentrant sur quelques formes de manifestations ; mécaniquement, le nombre de spectateurs diminue alors, mais cela ne veut pas dire que le festival sera déficitaire. Il ne faut pas oublier non plus les événements météorologiques exceptionnels que nous avons connus cet été. Enfin, la prise de risque dans la programmation et donc la possibilité d'un échec public ponctuel sont inhérentes à l'idée même de festival.

Vingt-sept festivals ont déjà répondu à nos questions. Ils ont connu une baisse moyenne de fréquentation de 3 % : c'est très loin d'être catastrophique, mais c'est nouveau. J'ajoute que la baisse a été supérieure pour les visiteurs gratuits ; celle des visiteurs payants n'est que de 2 %. Certains festivals éprouvent néanmoins de réelles difficultés.

Nous réclamons depuis longtemps la mise en place d'une politique nationale en matière de festivals. Ils sont soutenus, bien sûr, par les collectivités territoriales et par l'État, mais le ministère ne mène pas de réflexion de fond sur ce sujet. Parmi les problèmes rencontrés, il faut souligner que les festivals ne disposent d'aucune visibilité financière : les budgets publics sont annuels, et les décisions parfois très tardives, mais la programmation se fait très en amont – dans le domaine de l'art lyrique, les engagements sont signés trois ans avant le spectacle… En général, la programmation doit être bouclée à la fin de l'année précédant la tenue des spectacles, même si, dans le domaine pop-rock, elle est souvent assez tardive. Nous plaidons donc pour qu'il soit possible de signer des conventions pluriannuelles.

Nous nous sommes fortement mobilisés lorsque Bercy a voulu rendre moins favorable le régime fiscal applicable au mécénat, qui est une importante source de financement pour les festivals : il entre, en moyenne, pour 10 % dans les budgets, mais, pour certains festivals, peut monter jusqu'à 40 % ou 50 %.

Nous sommes également en négociations avec le ministère sur la question de la taxe sur les salaires.

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Jérôme Tréhorel, directeur général du festival des Vieilles Charrues

Les Vieilles Charrues sont souvent citées en exemple, mais c'est la première fois que nous sommes invités à l'Assemblée nationale : je vous remercie donc chaleureusement.

Au départ, les Vieilles Charrues, c'est une aventure humaine : une bande de copains étudiants, expatriés à Brest et qui, inspirés par la fête des vieux gréements, décident de revenir dans leur région, au centre de la Bretagne, et d'y faire une fête avec des jeux loufoques, en invitant simplement des amis. C'était en 1992, et il y avait 500 personnes. En quelques années, les Vieilles Charrues étaient devenues un festival de musique qui se tenait au centre-ville de Carhaix, sur trois jours : le but était de faire venir des artistes pour ceux qui ne pouvaient pas se déplacer à Brest, à Nantes ou à Rennes, voire à Paris. Le festival reposait alors sur le seul bénévolat et, chaque année, le public doublait. Les risques étaient aussi de plus en plus grands : il fallait nourrir et loger ce public, mais aussi sécuriser le matériel, etc. Assez rapidement, les fondateurs ont donc compris la nécessité de mieux structurer le festival et d'embaucher des salariés. Le festival, dont l'importance grandissait pour toute sa région, a aussi été déplacé vers la prairie de Kerampuilh.

Pour développer ce festival, c'est toute une région, le Centre Bretagne, qui s'est mobilisée : les Vieilles Charrues constituent maintenant pour les habitants une immense source de fierté. Depuis leur création, bien sûr, le cadre a changé du tout au tout : les entreprises privées se sont multipliées, et l'argent détermine souvent la programmation, dans un contexte de concurrence à l'échelle européenne. Il existe aujourd'hui de véritables rouleaux compresseurs européens… Et les cachets se sont envolés : il y a cinq ou six ans, notre budget de programmation s'élevait à 1,3 million d'euros ; aujourd'hui, c'est presque 4 millions. Le prix des billets est passé de 35 à 41 euros : il a certes augmenté, mais dans de moindres proportions.

Les retombées du festival sont énormes : faire venir 200 000 personnes dans une ville de 8 000 habitants, située dans cette région plutôt défavorisée, ce n'est pas rien. Notre but n'est pas de remplir au hasard une grille de programmation, mais bien de construire un projet culturel, de permettre à ceux qui n'ont pas beaucoup de moyens d'aller au concert dans leur région. Nous voulons développer l'accès de tous à la culture et à la musique. Nous proposons également, en plus du festival qui se tient en juillet, deux rendez-vous annuels. Notre programmation est aussi éclectique que possible – rock, variété, reggae, électronique… Le billet donne accès à une vingtaine de concerts par jour, avec toujours quelques têtes d'affiche – ce sont en effet les têtes d'affiche qui déclenchent l'achat, et nous devons absolument remplir notre site au maximum. Mais nous tenons beaucoup à proposer aussi des artistes moins connus, et des découvertes. Ainsi, cette année, nous avons accueilli Asaf Avidan, qui était déjà venu en 2011 : il était alors totalement inconnu.

Nous avons aussi mis en place les « jeunes charrues », qui nous permettent d'accompagner de jeunes artistes locaux : une dizaine de groupes ont déjà pu émerger par ce moyen.

Nous voulons aussi développer le territoire. Nous avons bien sûr des salariés, mais nous nous appuyons beaucoup sur des bénévoles : 5 000 à 6 000 personnes viennent « donner un coup de main » – j'insiste sur l'expression, car il ne s'agit pas d'éviter d'embaucher des salariés. Ce sont en fait le plus souvent des membres d'associations locales qui viennent nous aider pour trois tranches de quatre heures ; nous reversons ensuite 100 000 euros par an, quel que soit le bilan du festival, à ces associations, qui peuvent ainsi développer les projets qui leur tiennent à coeur. Chacun, dans toute la région, se sent ainsi un peu propriétaire des Vieilles Charrues – les bénévoles sont fiers de participer, et pour certains, qui ne pourraient pas se le permettre, ils peuvent tout simplement assister au festival. Nous travaillons aussi avec les collectivités territoriales, dans le cadre du nouveau centre des congrès de Carhaix, et nous avons participé à la réfection de la toiture du château de Kerampuilh.

L'une des spécificités auxquelles nous tenons beaucoup est d'essayer autant que possible de faire travailler – pour installer les sites, pour organiser la restauration… – des entreprises de Centre Bretagne ou de Bretagne. Une étude d'impact réalisée il y a deux ans a montré que les Vieilles Charrues apportent 4 à 5 millions d'euros au territoire.

Les Vieilles Charrues sont encore organisées sous la forme d'une association, et les éventuels bénéfices sont réinvestis, notamment dans le sens du développement durable et de la prévention des risques.

Notre budget est aujourd'hui d'environ 13 millions d'euros. Nous ne recevons aucune subvention : 80 % de nos recettes proviennent des festivaliers – 60 % de la billetterie, 20 % des recettes annexes – et 20 % des partenariats et du mécénat, que nous développons depuis plusieurs années pour augmenter nos recettes sans gonfler le prix du billet. Nous avons mis en place une charte du partenariat, pour respecter les valeurs du festival. Ceux-ci ne sont pas visibles sur les scènes ; nous ne faisons ni co-naming, ni co-branding ; nos partenaires, dont le nombre est limité, ont des stands qui proposent des animations ou des services, comme la recharge gratuite du téléphone portable – bien pratique pour les 40 000 personnes qui campent sur place pendant le festival. C'est une formule qui fonctionne bien, pour le public et pour nous comme pour les partenaires. Nous avons aussi développé le mécénat, par exemple en imaginant des offres « VIP » à destination des entreprises locales – cela reste invisible pour le public. Nos ressources issues des partenariats et du mécénat sont ainsi passées en quelques années de 400 000 à 2 millions d'euros il y a deux ans ; elles sont depuis restées stables malgré la crise, qui a frappé durement la Bretagne, notamment dans le secteur agroalimentaire. Sans ces recettes, le billet coûterait dix euros de plus, et nous le disons aux festivaliers : la pédagogie sur notre modèle économique – sur les dépenses liées aux cachets, mais aussi à la sécurité, par exemple – est très importante.

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Ces interventions passionnantes ont bien éclairé la diversité des enjeux des festivals, qui sont l'image même de ce que nous, politiques, voulons conserver, voire développer : vous nous avez parlé d'égalité, de démocratisation, d'excellence culturelle dans un contexte européen, de développement économique aussi.

Les festivals rencontrent aujourd'hui un large succès populaire, d'Aurillac à Arles, de Marseille à Lorient, de Paris à Avignon… La commission porte une grande attention à ces pratiques culturelles : une délégation s'est d'ailleurs rendue cet été au festival d'Avignon, où nous avons pu visiter une exposition remarquable, « Les Papesses ».

Les pratiques culturelles jouent un rôle capital dans le développement local : les festivals constituent un atout touristique, car ils permettent de mettre en valeur le patrimoine – je pense bien sûr, en tant que Gardoise, au festival de musiques actuelles du Pont du Gard, qui se déroule dans un écrin hors du commun. Les festivals constituent également un atout économique, car ils créent des emplois, directs et induits : la contribution de la culture à la création et à la sauvegarde de l'emploi oscillerait entre 3 % et 7 %.

Les festivals, au-delà de leur vocation initiale, représentent donc un enjeu de développement considérable pour nos territoires. Comment mesurer les performances socio-économiques du secteur culturel ? Quels outils peut-on développer pour appréhender le rôle de pratiques culturelles dans le développement économique et social, dans l'innovation, la création, le renforcement de la cohésion sociale ?

Les collectivités territoriales ont bien compris cet enjeu et consacrent à la culture des budgets importants, malgré la baisse de leurs ressources. Comment construire les politiques locales ? Comment passer de la programmation éphémère d'un festival au développement de pratiques pérennes, contribuant ainsi à l'amélioration du lien social et à l'élargissement de l'accès à la culture ? Si la contribution économique des festivals peut être quantifiable, comment et en quoi pouvons-nous évaluer les pratiques culturelles comme levier d'intégration sociale pour des individus ou des territoires en difficulté ?

Comment les festivals peuvent-ils se différencier et gagner en notoriété dans un contexte d'internationalisation et de concurrence européenne accrue ? Souvent, le festival fait partie intégrante de l'identité d'une ville : pensons à Avignon et au théâtre, à Arles ou Perpignan et à la photographie. Mais quelle est la réalité de l'accès de la population aux pratiques culturelles ? La culture est-elle moins élitiste, et les festivals contribuent-ils vraiment à une démocratisation ? Un quart des Français ne fréquentent aucun équipement culturel : comment démocratiser, ouvrir l'accès des lieux culturels à tous ? En valorisant le patrimoine naturel et culturel de la région où ils s'installent, en cultivant un lien avec tous les publics, les festivals ne pourraient-ils pas se développer davantage encore ? De même, la pérennité de certains festivals ne passe-t-elle pas par une offre diversifiée d'hébergement, afin de rendre les festivals plus accessibles, peut-être en lien avec d'autres activités, sportives par exemple, plus ancrées dans l'identité des régions ?

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Les nombreux festivals qui se déroulent en France contribuent à l'animation et au développement culturel de territoires qui, parfois, ne disposent pas d'atouts essentiels. Ils participent d'une dynamique qui modifie la perception de ces lieux et favorisent la diffusion de la culture qu'ils rendent plus accessible. Par ailleurs, leurs potentielles retombées économiques ne doivent pas être négligées.

S'ils ont souvent pour origine des initiatives prises par des bénévoles, on constate qu'il est difficile au fil du temps de maintenir l'implication de ces derniers et de pérenniser l'effet de manifestations par nature éphémères. Comment y parvenir ?

Les festivals se multiplient autour de thématiques semblables. Ne faudrait-il pas qu'ils construisent des identités multicritères qui leur permettraient de se différencier ?

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Pour compléter les informations qui nous ont été communiquées sur les publics, je souhaite savoir si les mêmes spectateurs fréquentent plusieurs festivals tout au long de la saison, et si le recul de la fréquentation constaté cette année peut être expliqué par la crise. Alors que les prix sont élevés, les étudiants, qui composent déjà une faible part du public, sont-ils plus nombreux à vouloir assister aux spectacles en échange d'actions de bénévolat ?

Dans ma circonscription, le petit festival Calvadose de Rock, à Bayeux, a disparu cette année du fait de l'existence de deux festivals plus gros, Beauregard et Papillons de nuit. Son budget de 125 000 euros – ceux de ses voisins dépassent les 2 millions – était financé à hauteur de 75 000 euros par la collectivité. Lorsque celle-ci a décidé d'utiliser son argent autrement, un désert culturel s'est créé dans le Bessin. Calvadose de Rock accueillait pourtant 6 000 à 7 000 participants pour 30 euros pour deux jours, prix sans commune mesure avec les tarifs de ses concurrents – jusqu'à 95 euros pour trois jours au festival de Beauregard. Certes, la programmation n'était pas la même, mais il faut savoir ce que l'on veut. La question de la répartition de l'offre culturelle sur le territoire est posée.

Monsieur Négrier, comment se financent les festivals chez nos voisins européens ? Sont-ils en mesure de se contenter de leurs ressources propres ou les collectivités locales interviennent-elles ? Qu'en est-il par exemple en Hongrie où se tient le plus gros festival culturel européen ? Quid des comportements culturels de nos voisins durant la période estivale ?

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Madame Dumeige, il est tout à l'honneur des lois de décentralisation d'avoir permis aux collectivités locales d'intervenir pour assurer l'équilibre culturel de leurs territoires et pour résoudre le problème des déserts culturels. Vous constatez que le ministère ne mène pas de politique nationale en faveur des festivals, mais qui donc serait mieux placé que les régions pour agir ?

De structures associatives, les festivals sont progressivement devenus des structures commerciales. Je suis surpris quand j'entends parler d'une association dont le budget s'élève à 13 millions d'euros, et qui compte sur 5 à 6 000 bénévoles. La question des statuts mérite manifestement d'être posée. Sans aucunement mettre en cause les Vieilles Charrues, il me semble que la loi de 1901 relative aux associations permet de cumuler plusieurs avantages : elle peut favoriser une opacité de gestion impossible sous le régime des sociétés, elle donne accès plus facilement à des subventions publiques et elle permet de faire intervenir des bénévoles. Il est pourtant clair, aujourd'hui, que certains festivals n'ont plus rien à voir avec des associations à but non lucratif. Ce sont des machines purement commerciales, qui entrent en concurrence directe avec les organisateurs privés de spectacles vivants et de concerts qui ne bénéficient pas de subventions. Monsieur Tréhorel, le festival des Vieilles Charrues a-t-il envisagé de changer de statut ?

Quelles leçons peut-on tirer du récent « rapport Lescure » concernant l'organisation d'un festival comme celui des Vieilles Charrues ?

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Monsieur Tréhorel, je me permets de vous rappeler que Carhaix s'est aussi fait connaître par la bataille solidaire menée pour sauver sa maternité. Cette action a donné lieu à la réalisation d'un très beau film, et nous savons que les militants et les bénévoles de cette région sont très mobilisés.

À l'opposé des idées reçues, l'intervention de M. Négrier nous montre que les festivals n'accueillent pas vraiment une population différente de celle qui fréquente les autres lieux de culture. Quelle part du public n'accède véritablement à la culture que par le festival ?

La démocratisation de la culture dépend évidemment des tarifs pratiqués : il ne faut pas oublier de multiplier le prix d'un billet, car on se rend souvent dans les festivals en famille. Elle s'appuie aussi sur l'action territoriale évoquée par M. Tréhorel. Comment élargir les publics en s'appuyant par exemple sur les réseaux scolaires ou associatifs ? Il faut aller chercher ceux qui ne connaissent pas les chemins qui mènent aux festivals et aux salles de spectacles.

Le phénomène de « commercialisation » décrit par M. Braillard risque de nuire à l'ouverture et à la vocation artistique et culturelle des festivals. Pour y répondre, j'estime qu'une politique nationale doit compléter et soutenir l'action des régions. Nos invités estiment-ils que la ministre de culture souhaite mener une telle politique ? Selon quels critères ? La signature de conventions pluriannuelles est-elle envisagée ?

Dans les nombreux festivals qui ne disposent pas de très gros moyens, les artistes sont traités de façon très inégale et parfois injuste, selon qu'ils sont amateurs ou professionnels. Le statut des artistes mérite d'être précisé.

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Je m'interroge sur le renouvellement et la diversification des publics. Il suffit de se promener à Avignon pendant le festival pour se poser la question du rajeunissement du public. Le problème concerne d'ailleurs toutes les disciplines classiques : théâtre, danse, musique classique… Monsieur Négrier, disposez-vous d'éléments sur les pratiques des publics des festivals tout au long de l'année ?

Il n'y a pas trop de festivals ! La France dispose d'un public extraordinaire. Il faut le faire venir au spectacle pour qu'il découvre la création contemporaine et notre patrimoine artistique.

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La culture, longtemps considérée comme un élément d'enrichissement personnel, est devenue un levier pour lutter contre la morosité économique et favoriser l'emploi et le commerce. Pour se convaincre de son importance, il suffit de se souvenir de l'annulation, en 2003, du festival d'Avignon à la suite du mouvement des intermittents, et de ses conséquences cruelles pour les restaurants et les hôtels de la ville, comme pour les artistes et les techniciens.

Afin d'éviter la saturation de l'offre qui contribuerait à la disparition de festivals dont les conséquences pourraient être graves, ne faut-il pas promouvoir un mouvement de fusion comme celui qui a eu lieu à Grenoble avec Les Détours de Babel, nés de la fusion des 38e Rugissants et du Grenoble Jazz Festival ?

La concurrence des scènes nationales ou des salles de musique actuelle qui n'hésitent pas à organiser des temps forts autour de quelques artistes constitue aussi un danger. Cette « festivalisation » de la vie culturelle ne constitue-t-elle pas une forme de concurrence qui peut se révéler mortelle pour les festivals ? L'attractivité territoriale ne risque-t-elle pas d'être touchée ?

Madame Dumeige, France Festivals est à l'origine d'une étude portant sur les festivals de musique dans divers pays européens. Ses résultats doivent être rendus publics en novembre prochain. Sans trahir de secrets, pouvez-vous d'ores et déjà nous en livrer quelques conclusions fortes ?

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Monsieur Négrier, en 2010, interrogé par la Gazette des Communes sur votre étude relative aux publics des festivals, vous indiquiez que la réforme des collectivités territoriales qui prévoyait la suppression de la clause de compétence générale constituait une source d'incertitude, 52 % des ressources provenant des subventions des départements et des régions. Trois ans après, les festivals ont-ils réussi à dépasser ces incertitudes ?

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Pour faire en sorte que les petits festivals en milieu rural soient portés par la population locale, il est essentiel que, tout au long de l'année, le temps hors festival ne soit pas un grand vide culturel. Il doit au contraire « donner envie » au public, et permettre de prendre conscience de l'impact de la vie culturelle sur la dynamique du territoire. Il faut passer d'un festival éphémère, parfois adressé à un public de passage, à un projet culturel de développement territorial construit sur mesure pour un lieu avec le soutien de toute la population. Avec un festival, il est possible d'entrer dans les écoles, dans les maisons de retraite ou dans les prisons, et d'aller à la rencontre de publics qui découvrent la culture parce qu'elle vient à eux.

En milieu rural, le festival permet aussi de rassurer les élus locaux qui peuvent craindre de mener une politique culturelle forte en faveur du développement de leur territoire. Il peut être l'outil d'une culture pour tous et partout.

M. Tréhorel a évoqué l'augmentation récente des cachets des artistes, comment l'expliquer ?

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Le festival est souvent réduit à un événement qui ne dure que quelques heures ou quelques jours, mais son succès n'est-il pas dû à son inscription dans un processus artistique, dans un projet interdisciplinaire adapté à un territoire et bénéficiant en amont et en aval d'une médiation culturelle ? Monsieur Négrier, vos travaux vous ont-ils permis de mesurer la réussite d'un festival à l'aune des actions artistiques et culturelles menées préalablement et postérieurement ?

Depuis quelques années, les subventions à la culture ont connu des baisses considérables. Les collectivités locales ont pris le relais de l'État tout en opérant des choix financiers souvent fondés sur l'existence de pratiques culturelles régulières sous forme de projets. Quels critères permettraient de reconnaître l'action des festivals ? Il pourrait par exemple s'agir de la découverte des nouveaux talents, ou de la diversification des publics, car les festivals et leur action en amont et en aval doivent être considérés comme le socle d'une éducation populaire. Aujourd'hui, la notion de festival semble vague. La création d'un label permettrait peut-être de leur assurer une reconnaissance nécessaire.

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Créé en 2011 par l'établissement public de coopération culturelle du Pont du Gard que je préside, le festival Lives au Pont se déroule pendant deux jours au début du mois de juillet avec cinq à six concerts quotidiens. Nous cherchons aujourd'hui à stabiliser le public grâce à la qualité de l'accueil, qui passe par la mise en valeur d'espaces de détente – la baignade dans le Gardon –, de mémoire et de culture. Entre 2011 et 2013, nous sommes passés de 13 000 à 25 000 spectateurs. En 2011, les recettes couvraient 40 % du budget ; aujourd'hui, ce ratio s'élève à 95 % : le festival est quasiment à l'équilibre.

Il nous appartient d'amener aux jeunes la culture à moindre coût – en prévente, le prix du billet pour Lives au Pont s'élève à 35 euros pour la journée, et à 55 euros pour les deux jours.

En tant qu'élu local, je puis aussi témoigner de l'importance des retombées économiques des festivals, même de petite taille. Mes collègues doivent en prendre conscience.

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La vitalité des festivals d'été constitue l'une des particularités de notre pays. Consacrés à une multitude de disciplines – musique, théâtre, arts de la rue, cultures traditionnelles, vieux métiers, photographie, bande dessinée… –, les festivals sont indéniablement des éléments d'attractivité des territoires, notamment en milieu rural. Les publics sont à la recherche de concerts de qualité, mais aussi d'une ambiance festive et d'un état d'esprit.

L'apparition rapide de festivals et, parfois, leur disparition – particulièrement dans le domaine des musiques actuelles – montrent la grande volatilité du public et les difficultés rencontrées pour le fidéliser, d'autant que, depuis quelques années, la concurrence entre événements s'est exacerbée. Comment inscrire durablement un festival dans le paysage culturel régional et national ?

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Je veux rendre hommage aux bénévoles qui organisent tous les ans en milieu rural, sur des territoires parfois reculés, des manifestations culturelles qui ne prennent pas le nom de festival. Il ne faut pas oublier ces événements qui ont le mérite d'exister.

Les structures festivalières consacrent-elles une attention et des moyens suffisants au développement d'une association culturelle « irrigante » pour les territoires ? Sont-elles suffisamment à l'écoute des besoins exprimés par la communauté éducative ?

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Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS-CEPEL, Université de Montpellier

Comment concilier le caractère éphémère d'un festival et sa pérennisation sur son territoire ?

L'étude comparative internationale que je viens de mener montre que les partenariats mis en place par les festivals sur leur territoire sont plus nombreux en France qu'à l'étranger. Cela s'explique sans doute par le maillage territorial préexistant dans notre pays : les festivals s'y créent rarement dans un désert culturel. De façon générale, les festivaliers ont d'autres pratiques culturelles, et 50 % d'entre eux se rendent dans plusieurs festivals, souvent dans la même région. Ceux qui n'ont pas d'autre pratique culturelle représentent en moyenne 10 % du total.

Plusieurs modèles sont susceptibles d'enraciner les festivals dans un territoire et de favoriser la démocratisation de la culture.

La délocalisation de spectacles depuis le lieu d'origine du festival à la rencontre des populations locales peut constituer une solution, sous réserve qu'elle soit préparée, car il n'y a pas de génération spontanée de publics.

La gratuité peut aussi permettre une ouverture aux classes populaires d'un territoire, habituellement moins présentes aux spectacles payants. Elle permet globalement une démocratisation, mais ne constitue pas une garantie en la matière. Ainsi, alors que le spectacle d'ouverture gratuit du Festival international de musique de Besançon accueille un public d'origine populaire beaucoup plus nombreux que pour les spectacles payants du reste de sa programmation, la gratuité de la quasi-totalité des spectacles du Festival de Radio France à Montpellier devient une aubaine pour des ménages dont les caractéristiques sociologiques laissent penser qu'ils pourraient très bien payer leurs billets.

Le partenariat avec les acteurs sociaux et éducatifs favorise également l'enracinement sur le territoire. Toutefois, les festivals ont souvent à leur tête des leaders qui estiment que leur charisme et leur vocation singulière les rendent légitimes pour diriger et insuffler une vision de long terme. Leur ego se heurte souvent à celui des directeurs de conservatoire dans des combats sans fin. Ainsi, les festivals de musique sont paradoxalement en retard en termes de partenariat avec les conservatoires.

L'analyse comparative que j'ai menée dans une dizaine de pays de l'est, du nord et du sud de l'Europe, mais aussi au Québec, montre une très forte convergence des systèmes festivaliers en termes de production et de dépenses. En revanche, les pays se différencient selon leurs traditions en termes de ressources, même si l'on observe que les petits pays mènent de grandes politiques nationales, et les gros pays, des petites politiques nationales – règle qui connaît des exceptions. Les facteurs institutionnels pèsent lourd. En Espagne, le financement régional est de beaucoup supérieur au financement national, ce niveau ne disposant pas de la légitimité qui lui est reconnue en France. Des facteurs historiques entrent aussi en ligne de compte : alors que le bénévolat s'inscrit en Norvège dans le cadre de solidarités rurales de voisinage qui remontent au Moyen-Âge, il a quasiment disparu en Espagne après que le franquisme a voulu l'encadrer dans les mouvements du régime et les mouvements catholiques – il est remplacé dans les festivals espagnols par une forme de micro-salariat débouchant sur un statut d'extrême précarité.

L'Espagne connaît aussi certaines des pratiques évoquées par Jérôme Tréhorel. L'ancien San Miguel Primavera Sound de Barcelone est ainsi devenu le Heineken Primavera Sound. Le pass coûte 160 euros pour trois jours, les scènes sont saturées par les marques, et des porteurs de bonbonnes de bières déguisés aux couleurs du brasseur vendent des demis pour 3,50 euros !

Monsieur Ménard, quand l'État finance un festival, il ne s'engage en moyenne que pour 25 % du budget global. En l'espèce, il est donc favorable au maintien de la clause de compétence générale, puisqu'il joue sur la multiplicité des intervenants. Ce modèle existe dans de nombreux pays : les festivals des pays scandinaves qui demandent un financement au comté ou à l'État doivent avoir préalablement obtenu un financement municipal. Il me semble sain que, en France, pays marqué par une administration directe de la culture, les opérateurs culturels ne se trouvent pas confrontés à un interlocuteur unique, qu'il soit public ou privé. C'est du bon sens, car la pluralité des partenariats joue en faveur de la diversité culturelle et artistique.

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Bénédicte Dumeige, directrice de la Fédération française des festivals de musique et du spectacle vivantFrance Festivals

Au-delà des grosses structures connues de tous, plusieurs d'entre vous ont évoqué les petits festivals parfois éloignés des centres urbains dont l'action est essentielle sur les territoires. France Festivals les accueille en son sein dans leur diversité et leur richesse. Nous luttons contre l'idée commune que les gros festivals mériteraient de grosses subventions et que celles versées aux plus petits pourraient se réduire à la portion congrue.

M. Allossery se demande si un label permettrait de mieux allouer les fonds disponibles. France Festivals est relativement réticent à cette idée, en raison d'un précédent datant du début des années 2000. Jean-Jacques Aillagon, alors ministre de la culture, avait souhaité la création d'un label national, mais nous avions constaté qu'il ne devait être attribué qu'à une vingtaine de manifestations majeures, toutes disciplines confondues, et que les multiples rendez-vous qui irriguent le territoire en auraient été les laissés-pour-compte. Le festival constitue pourtant une alchimie entre un projet artistique et un ancrage territorial dont il ne peut être dissocié.

Si le label nous semble devoir être utilisé avec de grandes précautions, nous n'y sommes toutefois pas définitivement hostiles. Lors des derniers Entretiens de Valois, nous avons sollicité l'ouverture d'un débat national avec le ministère de la culture, les collectivités territoriales, et d'autres partenaires comme les syndicats ou les organisations professionnelles, afin de réfléchir à l'élaboration de critères d'intervention, clefs d'une politique nationale. Le service rendu par le festival au territoire, notamment aux publics scolaires et à ceux qui sont les plus éloignés de la culture, en ferait partie, de même que la place accordée aux jeunes artistes et aux amateurs – même si Mme Buffet a eu raison de poser la question du statut de l'artiste amateur.

France Festivals défend la reconnaissance du statut des bénévoles, que l'on retrouve chez la plupart de nos adhérents. Nous les incitons à signer des conventions de bénévolat et à éviter toute pratique qui pourrait créer une suspicion de salariat. L'usage de cette ressource humaine reste donc extrêmement limité, et nous plaidons évidemment de façon générale pour le recrutement de professionnels. Pour ce qui concerne les artistes, nous avons constaté que certains de nos adhérents avaient pu solliciter ponctuellement quelques prestations d'artistes amateurs. En général, comme lors de l'engagement de chorales bénévoles, il s'agit de relayer des pratiques locales dans une démarche de pédagogie, d'insertion dans un territoire, et de circulation des pratiques culturelles. En tout état de cause, ces artistes amateurs doivent être identifiés et encadrés par des professionnels. Par ailleurs, nous veillons évidemment à l'application par nos adhérents de toutes les règles de droit les concernant, notamment de la convention collective du spectacle vivant.

Le phénomène des fusions, assez récent, est encore relativement peu répandu. Il s'explique sans doute par la difficulté à pérenniser une manifestation et à renouveler les cadres dirigeants, ainsi que par la baisse des subventions. D'autres facteurs mènent aussi à la disparition de certains festivals – mais je ne suis pas certaine que leur rythme ait augmenté. En tout état de cause, il est trop tôt pour savoir si les fusions vont se généraliser. Elles peuvent cependant constituer une solution quand les manifestations sont nombreuses sur un territoire. Encore faut-il que l'opération réussisse – à Dijon, récemment, la fusion de deux festivals de musique actuelle a donné lieu à un « divorce » après une année de « mariage ».

France Festivals assure la coordination internationale de l'étude comparative menée par Emmanuel Négrier. Elle sera rendue publique lors d'un colloque international qui se tiendra du 19 au 21 novembre prochain dans l'Eurométropole de Lille. Elle fera l'objet d'un ouvrage publié en français et en anglais.

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Jérôme Tréhorel, directeur général du festival des Vieilles Charrues

Il semble pertinent de se demander si les subventions publiques doivent aller plutôt aux festivals de forme associative ou à ceux qui se sont constitués sous forme d'entreprises privées. De nombreux paramètres doivent évidemment être pris en compte, et cette question n'a pas de réponse globale. L'intervention publique reste évidemment marginale quand une structure privée ne reçoit pas de subvention : la régulation est alors opérée par le seul public.

Le budget des Vieilles Charrues vous a marqué : 13 millions d'euros, ce n'est pas rien, d'autant que nous ne percevons aucune subvention et que, malgré le contexte de crise, nous prenons seuls un risque considérable. Cette année, pour parvenir à l'équilibre, il nous fallait vendre environ 185 000 billets !

L'existence d'un projet constitue la première condition de la pérennisation d'un festival. Ce projet peut être artistique ou culturel, il peut être lié au développement d'un territoire, mais il peut aussi être simplement commercial, et certains ont bien compris que le festival pouvait être un business. La régulation reste toutefois entre les mains du public qui choisit de se déplacer ou non. Il n'y a pas de formule magique pour pérenniser un festival. Tous les ans, il faut jouer à la roulette russe ; tous les ans, il faut attirer le public, obtenir des subventions ou persuader des mécènes. Rien n'est jamais joué à l'avance. Cette année, aux Vieilles Charrues, nombreux étaient ceux qui s'interrogeaient sur la venue de Carlos Santana ; finalement, son concert a connu l'un des plus gros succès de la saison.

Le public des Vieilles Charrues, qui vient à 70 % de Bretagne, est composé d'une majorité de jeunes de quinze à vingt-cinq ans, même si nous accueillons des personnes de tous les âges. Nos spectateurs fréquentent globalement peu les concerts durant l'année ; en revanche, ils « vont aux Charrues » en été.

Nous travaillons avec les artistes dans un cadre légal précis. Lorsque nous ne signons pas un contrat de cession avec un producteur, nous appliquons à la lettre les grilles des conventions collectives pour les artistes que nous embauchons – aucun bénévole n'intervient en matière artistique.

Les bénévoles font cependant partie de l'ADN des Vieilles Charrues. Ils portent le festival depuis l'origine, et leur action s'inscrit dans le projet de développement du territoire. Sans bénévoles, les Vieilles Charrues n'existeraient plus. Le festival respecte par ailleurs l'ensemble de la législation ; il est soumis aux mêmes contraintes qu'une entreprise et subit les contrôles du fisc, de l'inspection du travail, de l'URSSAF, des administrations chargées du respect des normes sanitaires alimentaires, des normes de sécurité… Une gestion rigoureuse dans l'ensemble de ces domaines constitue sans doute l'un des facteurs de pérennisation d'un festival.

La progression des cachets des artistes est en partie due à la crise du disque : les artistes gagnaient autrefois leur vie en vendant des disques, les tournées et concerts ayant une fonction promotionnelle. Ces données sont aujourd'hui inversées. Par ailleurs, certains promoteurs privés ont perturbé le marché, et la concurrence de pays étrangers a eu le même effet. Quand les Vieilles Charrues proposent 500 000 euros pour une tête d'affiche, certains festivals européens sont en mesure de proposer un cachet de 1,5 million ! Du fait de l'offre et de la demande, il y a aujourd'hui des artistes que nous ne pouvons plus nous payer.

Le modèle sur lequel sont construits les festivals français est fragile – c'est le cas des Vieilles Charrues. Nous continuons à prendre des risques, mais, si la crise dure, si le pouvoir d'achat des festivaliers baisse, si les entreprises ne peuvent plus nous aider, nous ne pourrons plus organiser un événement comme celui-là. Quel est notre avenir ? Il dépend aussi de certains de vos choix, car vous pouvez sans doute nous aider. En effet, les charges sociales progressent, de même que les taxes dues au Centre national de la chanson, des variétés et du jazz (CNV), auquel nous versons annuellement 300 000 euros, et à la SACEM, à laquelle nous versons 600 000 euros. Songez aussi que l'on nous demande d'être caution solidaire à hauteur de 100 000 euros d'une entreprise ayant travaillé pour nous, du fait qu'elle n'a pas payé de charges sociales !

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Je remercie vivement nos invités qui nous ont permis de mieux comprendre les festivals.

La séance est levée à douze heures dix.