Intervention de Emmanuel Négrier

Réunion du 11 septembre 2013 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Emmanuel Négrier, directeur de recherche au CNRS-CEPEL, Université de Montpellier :

Comment concilier le caractère éphémère d'un festival et sa pérennisation sur son territoire ?

L'étude comparative internationale que je viens de mener montre que les partenariats mis en place par les festivals sur leur territoire sont plus nombreux en France qu'à l'étranger. Cela s'explique sans doute par le maillage territorial préexistant dans notre pays : les festivals s'y créent rarement dans un désert culturel. De façon générale, les festivaliers ont d'autres pratiques culturelles, et 50 % d'entre eux se rendent dans plusieurs festivals, souvent dans la même région. Ceux qui n'ont pas d'autre pratique culturelle représentent en moyenne 10 % du total.

Plusieurs modèles sont susceptibles d'enraciner les festivals dans un territoire et de favoriser la démocratisation de la culture.

La délocalisation de spectacles depuis le lieu d'origine du festival à la rencontre des populations locales peut constituer une solution, sous réserve qu'elle soit préparée, car il n'y a pas de génération spontanée de publics.

La gratuité peut aussi permettre une ouverture aux classes populaires d'un territoire, habituellement moins présentes aux spectacles payants. Elle permet globalement une démocratisation, mais ne constitue pas une garantie en la matière. Ainsi, alors que le spectacle d'ouverture gratuit du Festival international de musique de Besançon accueille un public d'origine populaire beaucoup plus nombreux que pour les spectacles payants du reste de sa programmation, la gratuité de la quasi-totalité des spectacles du Festival de Radio France à Montpellier devient une aubaine pour des ménages dont les caractéristiques sociologiques laissent penser qu'ils pourraient très bien payer leurs billets.

Le partenariat avec les acteurs sociaux et éducatifs favorise également l'enracinement sur le territoire. Toutefois, les festivals ont souvent à leur tête des leaders qui estiment que leur charisme et leur vocation singulière les rendent légitimes pour diriger et insuffler une vision de long terme. Leur ego se heurte souvent à celui des directeurs de conservatoire dans des combats sans fin. Ainsi, les festivals de musique sont paradoxalement en retard en termes de partenariat avec les conservatoires.

L'analyse comparative que j'ai menée dans une dizaine de pays de l'est, du nord et du sud de l'Europe, mais aussi au Québec, montre une très forte convergence des systèmes festivaliers en termes de production et de dépenses. En revanche, les pays se différencient selon leurs traditions en termes de ressources, même si l'on observe que les petits pays mènent de grandes politiques nationales, et les gros pays, des petites politiques nationales – règle qui connaît des exceptions. Les facteurs institutionnels pèsent lourd. En Espagne, le financement régional est de beaucoup supérieur au financement national, ce niveau ne disposant pas de la légitimité qui lui est reconnue en France. Des facteurs historiques entrent aussi en ligne de compte : alors que le bénévolat s'inscrit en Norvège dans le cadre de solidarités rurales de voisinage qui remontent au Moyen-Âge, il a quasiment disparu en Espagne après que le franquisme a voulu l'encadrer dans les mouvements du régime et les mouvements catholiques – il est remplacé dans les festivals espagnols par une forme de micro-salariat débouchant sur un statut d'extrême précarité.

L'Espagne connaît aussi certaines des pratiques évoquées par Jérôme Tréhorel. L'ancien San Miguel Primavera Sound de Barcelone est ainsi devenu le Heineken Primavera Sound. Le pass coûte 160 euros pour trois jours, les scènes sont saturées par les marques, et des porteurs de bonbonnes de bières déguisés aux couleurs du brasseur vendent des demis pour 3,50 euros !

Monsieur Ménard, quand l'État finance un festival, il ne s'engage en moyenne que pour 25 % du budget global. En l'espèce, il est donc favorable au maintien de la clause de compétence générale, puisqu'il joue sur la multiplicité des intervenants. Ce modèle existe dans de nombreux pays : les festivals des pays scandinaves qui demandent un financement au comté ou à l'État doivent avoir préalablement obtenu un financement municipal. Il me semble sain que, en France, pays marqué par une administration directe de la culture, les opérateurs culturels ne se trouvent pas confrontés à un interlocuteur unique, qu'il soit public ou privé. C'est du bon sens, car la pluralité des partenariats joue en faveur de la diversité culturelle et artistique.

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