Intervention de Jean-Louis Malys

Réunion du 11 septembre 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites, CFDT :

La CFDT travaille de longue date sur le dossier des retraites. À partir de la réforme de 1993 – qui, je le rappelle à l'attention de certains, a créé l'écart entre salariés du privé et du public – et plus encore de 2003, la CFDT a défini sa doctrine sur les retraites. Nous sommes favorables à une évolution de notre système de retraite, fondée sur les réalités démographiques, à condition que les efforts demandés soient justes. Tel est notre leitmotiv depuis des années. Notre stratégie, arrêtée à l'issue d'intenses débats lors du Congrès de 2010, s'articule autour de plusieurs principes.

Dès lors qu'un effort est demandé, la durée de cotisation constitue la variable d'ajustement la plus juste à condition d'aider ceux qui ont des difficultés à valider les trimestres. L'augmentation de la durée de cotisation doit s'accompagner de mesures correctrices des inégalités d'un système bâti pendant les Trente Glorieuses. Ces inégalités touchent principalement les femmes, les jeunes et les salariés aux carrières longues et pénibles.

En matière de financement, il faut distinguer les mécanismes contributifs – dans lesquels les cotisations génèrent des droits, comme pour l'assurance chômage et l'assurance retraite – des mécanismes universels que sont les prestations familiales et l'assurance maladie. Un redéploiement financier doit être opéré entre les logiques assurantielles et solidaires même si les frontières entre les deux sont perméables.

Enfin, il faut rapprocher les divers régimes. Les différences ne sont pas supportables. Une réforme ne peut néanmoins pas être menée en stigmatisant certaines catégories. Je rappelle qu'en 2007, toutes les organisations représentatives des salariés avaient approuvé la réforme des régimes spéciaux.

La CFDT a pleinement pris part à la réforme, que ce soit au sein du Conseil d'orientation des retraites ou de la commission présidée par Mme Yannick Moreau. Nous essayons de juger le projet de loi à l'aune des objectifs que nous avons assignés à une réforme des retraites. Si la réforme proposée nécessite encore des améliorations, parfois importantes, elle répond à ces objectifs. Elle répartit ainsi l'effort à fournir entre tous les acteurs du système de retraites – actifs, retraités, entreprises. Toutefois, si les entreprises devaient être dispensées d'effort, nous demanderions à ce que les salariés soient également exonérés.

Une réforme plus globale de la protection sociale doit également être menée dans laquelle le pouvoir d'achat des salariés doit être préservé. Nous ne confondons pas la question du coût du travail, qui pose problème en France, et celle du niveau du salaire net. À cet égard, nous regrettons que le redéploiement du financement de la protection sociale n'ait pas abouti.

Le report de six mois de la revalorisation des pensions doit témoigner aussi d'un partage des efforts. Seuls les bénéficiaires du minimum vieillesse, soit un tiers des retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté qui s'établit à 964 euros, sont épargnés par la mesure. Il importe que toutes les petites retraites soient dispensées de l'effort demandé.

L'augmentation des cotisations doit s'articuler avec le financement de la protection sociale. Nous serons attentifs à ce que les efforts soient justement répartis.

Plusieurs mesures nouvelles et importantes méritent d'être soulignées. L'abaissement du seuil de 200 à 150 heures nécessaires pour acquérir un trimestre de cotisation contribue à diminuer la précarité que subissent essentiellement les femmes à temps partiel. Cette mesure participe de l'amélioration des mécanismes d'acquisition des droits. Il en va de même de la prise en compte de toutes les périodes de formation professionnelle pour la validation de trimestres alors que ces périodes donnaient précédemment droit à la validation d'un seul trimestre par an. Pour les carrières longues, les mesures consolident le dispositif existant, mis en place à l'initiative de la CFDT. Le minimum contributif est amélioré de même que la situation des personnes handicapées et des aidants familiaux. Ce sont autant de pas importants en termes d'équité et de justice.

La prise en compte de la pénibilité est le résultat d'un très long combat mené par la CFDT et d'autres. La pire inégalité est celle qui veut que certaines catégories de salariés, notamment les ouvriers, aient une retraite d'une durée inférieure des deux tiers et une espérance de vie inférieure de six ans à la moyenne. Il est inacceptable de ne pas tenir compte de cette inégalité majeure dans un système de retraite par répartition. La création du compte personnel de prévention de la pénibilité est une conquête sociale. Au-delà des mesures de financement permettant de pérenniser le système de retraite, cette partie de la réforme va marquer durablement le paysage social tant en matière de réparation que de prévention de la pénibilité.

Les dix critères de pénibilité retenus sont récents puisqu'ils ont été reconnus par les partenaires sociaux en 2008 mais ils ont été définis dès 2003 dans un rapport remis par M. Yves Struillou au Conseil d'orientation des retraites. Ces critères permettent de toucher tous les salariés, y compris les emplois tertiaires. Je ne partage pas l'avis de mon collègue selon lequel ces critères ne s'appliqueraient qu'aux emplois industriels.

Certaines dispositions méritent cependant d'être précisées. Les seuils d'exposition à la pénibilité doivent être raisonnables. L'une des divergences avec le MEDEF dans la négociation de 2008 portait sur la définition de ces seuils, ce dernier souhaitant que des seuils légaux d'exposition soient mis en oeuvre. Cela signifie que l'employeur devait être dans l'illégalité pour que la pénibilité soit reconnue… Aucun employeur ne l'aurait admis.

Nous serons attentifs à ces aspects. Nous considérons que la pénibilité ne peut être résumée aux dix critères retenus ; d'autres risques, notamment psychosociaux, existent mais ils ne doivent pas nécessairement être liés au régime de retraite. Par ailleurs, nous regrettons la non-rétroactivité du dispositif. La possibilité d'acquérir des droits à la retraite de manière accélérée sera ouverte aux salariés âgés de 59 ans et demi au 1er janvier 2015. Il faut sans doute permettre aux salariés de bénéficier du dispositif plus tôt.

Dans le mécanisme d'acquisition des droits en vitesse de croisière, le fait de consacrer obligatoirement les deux premiers trimestres acquis grâce au compte pénibilité à la formation professionnelle est utile car cela peut permettre à celles et ceux qui le veulent ou qui le peuvent de changer d'activité et donc de fuir la pénibilité. Mais cette franchise devrait être modulée en fonction de l'âge du salarié – il est trop tard à 58 ans pour envisager une formation professionnelle permettant de changer de métier.

D'autres mesures positives peuvent être améliorées.

En matière d'apprentissage, la validation de l'intégralité des trimestres travaillés – au lieu de huit ou neuf trimestres précédemment – est un signe important. Mais parallèlement, les périodes de stage étudiant devraient être mieux prises en compte, notamment au vu des abus constatés en la matière.

Quant à la refonte des droits familiaux, le système actuel est marqué par le modèle social et professionnel de la Libération – les droits sont attribués à l'homme puisque la femme n'a pas vocation à travailler. Or ce modèle n'est plus d'actualité. Malgré la progression des carrières féminines, le système de redistribution des avantages familiaux demeure aberrant. Ainsi, 70 % des avantages accordés aux familles ayant plus de trois enfants bénéficient encore à l'homme et aux familles aisées. Les règles actuelles interdisent à certaines femmes de prétendre à la majoration de pension pour enfant. Il est prévu de redéployer à compter de 2020 cette majoration en permettant notamment d'acquérir des droits dès le premier enfant. Il est selon nous souhaitable de ne pas attendre 2020 pour flécher davantage les avantages familiaux vers les femmes.

Le projet de loi apporte des solutions aux polypensionnés du secteur privé. En revanche, le problème des polypensionnés des secteurs privé et public reste entier. Le projet de loi n'y répond pas. Il faut pourtant favoriser une mobilité qui est aujourd'hui pénalisée par le système de retraite. Je rappelle que 40 % des personnes liquidant leur retraite sont poly-pensionnées.

Cette réforme comporte certes des limites mais aussi des avancées dont la moindre n'est pas de se dérouler sans heurts. La qualité d'une réforme ne se juge pas à l'émoi ou à la douleur qu'elle suscite. La justice sociale doit être au coeur d'une réforme intelligente en sollicitant des efforts justement répartis.

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