COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 11 septembre 2013
La séance est ouverte à neuf heures.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission remet son avis, en application de l'article L. 111.3 (D, 3°) du code de la sécurité sociale, sur la création d'un nouveau sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) retraçant les dépenses d'assurance maladie relatives au Fonds d'intervention régional (FIR).
Par un courrier en date du 4 septembre, la commission a été saisie par la ministre des affaires sociales et de la santé et le ministre délégué au budget, en application de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, pour émettre un avis sur la création d'un septième sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie retraçant les dépenses d'assurance maladie relatives au Fonds d'intervention régional (FIR). Cette consultation est une première.
Nous sommes favorables à la création de ce septième sous-objectif qui s'inscrit dans la logique de la création du FIR et des agences régionales de santé. Une question : la création de ce sous-objectif annonce-t-elle l'intention du Gouvernement de créer des objectifs régionaux de dépenses d'assurance maladie et d'attribuer des crédits spécifiques aux régions ?
Je ne peux pas répondre à la place du Gouvernement. Vous pourrez poser cette question aux ministres lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Je rappelle que si en 2012, le FIR était doté de 1,2 milliard d'euros, ce montant atteint en 2013 plus de 3 milliards d'euros. Compte tenu de cette évolution, il semble pertinent de s'assurer de l'efficience du fonds et du respect des objectifs fixés, notamment en matière de décloisonnement de l'offre de soins.
La création de ce sous-objectif est une bonne nouvelle. Elle apporte une garantie de transparence sur les dépenses et favorise un meilleur pilotage du FIR ainsi qu'une meilleure lisibilité en matière de décloisonnement de l'offre de soins. Elle s'inscrit pleinement dans la stratégie nationale de santé.
Je me réjouis également de cette proposition. L'augmentation des crédits du FIR est une satisfaction mais les marges de manoeuvre des agences régionales de santé (ARS) ont été faibles. La circulaire du 14 mai 2013 était très contraignante pour les ARS et la publication tardive de l'arrêté d'attribution de crédits a compliqué l'exercice 2013. L'objectif recherché avec le FIR – redonner une autonomie de gestion aux ARS – n'est donc pas encore atteint. Je voulais, madame la présidente, modérer votre enthousiasme que je partage en partie.
La commission émet un avis favorable à la création d'un nouveau sous-objectif de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie
Puis la Commission entend des représentants des salariés (CGT, CGT-FO, CFDT, CFTC et CFE-CGC) sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites a pour ambition de pérenniser un système de solidarité intergénérationnel et de gommer les inégalités existantes entre les hommes et les femmes ainsi qu'en matière de pénibilité. Je remercie les intervenants pour leur présence malgré un agenda chargé.
Nous partageons l'idée qu'une réforme était nécessaire. Mais je consacrerai plutôt mon propos à vous faire part de nos critiques tant il est vrai que peu de choses nous conviennent dans ce projet de réforme.
De manière habile, la réforme comprend, d'une part, des mesures prenant effet immédiatement et, d'autre part, des mesures applicables à compter de 2020 – si une nouvelle réforme n'intervient pas d'ici là puisque cette réforme est la quatrième en dix ans.
S'agissant des mesures à long terme, l'allongement de la durée de cotisation à 43 ans en 2035 est le principal instrument d'équilibre du système de retraite. Or cette mesure est profondément injuste. Les jeunes – les moins de quarante ans aujourd'hui – sont les grands perdants de la réforme. Alors que la génération âgée de trente ans aujourd'hui doit déjà cotiser trois années de plus que celle de ses parents, en augmentant encore la durée de cotisation, vous lui promettez une retraite à 67 ou 68 ans qui se traduira in fine par une retraite amputée tant l'objectif est inaccessible. Vous envoyez un signal négatif aux jeunes générations qu'il ne faut pourtant pas désespérer. C'est là le point le plus grave selon nous de cette réforme.
Nous souhaitons que l'allongement de la durée de cotisation s'accompagne d'une prise en compte de l'âge légal de départ à la retraite. Ce n'est pas la même chose de partir à la retraite avec 43 années de cotisation à 62 ou 67 ans, indépendamment des différences sociales, professionnelles ou sexuelles qui déterminent l'espérance de vie. Vous frappez les jeunes qui entrent tardivement sur le marché du travail et plus encore dans la vie active ainsi que les personnes aux carrières heurtées que sont souvent les femmes. Cela est profondément injuste.
À l'attention des jeunes, nous plaidons pour une prise en compte des années d'études par le biais d'un rachat d'une partie d'entre elles à un taux acceptable. Cette proposition est inspirée de la pratique belge qui permet ce rachat grâce à des cotisations sur la base du SMIC. Sur ce point, la mesure contenue dans la réforme est un leurre : la possibilité de racheter une année d'études avec un abattement modeste dans les cinq ou dix ans suivant la fin des études est inopérante et sera peu ou pas utilisée en pratique.
S'agissant du financement à court terme par l'augmentation des cotisations, les salariés seront les seuls à payer puisque la hausse de la part patronale sera compensée d'une manière ou d'une autre. Nous sommes opposés à une mesure qui ampute le pouvoir d'achat des salariés. En revanche, nous sommes favorables à l'instauration d'une cotisation sociale sur la consommation qui aurait vocation à financer, non pas les retraites – la retraite doit demeurer une prestation liée au salaire, financée à ce titre par les cotisations sociales –, mais la branche maladie ou la branche famille, qui, en tant que prestations universelles, doivent être financées par l'impôt.
Sur la question de la pénibilité qui n'a jusqu'à présent jamais trouvé de réponse satisfaisante, nous notons une petite avancée. Nous regrettons cependant que les critères retenus pour le compte personnel de prévention de la pénibilité correspondent aux dix critères du code du travail. Ces derniers sont en effet le reflet d'une société industrielle alors que le secteur tertiaire a aujourd'hui pris le pas sur l'industrie. Les effets des risques psychosociaux doivent être reconnus dans le code du travail et pris en considération au risque d'adopter une réforme déconnectée de la réalité du monde du travail.
Nous serons attentifs aux décrets d'application sur ce sujet comme sur les autres car chacun sait que le diable est dans les détails. Par exemple, à quel moment considère-t-on qu'un salarié est exposé à la pénibilité ? Malgré l'incertitude sur sa mise en oeuvre, le compte personnel de prévention de la pénibilité doit être expérimenté afin d'évaluer sa pertinence. Faute de temps, j'arrête là mon exposé liminaire mais je pourrai revenir sur d'autres points de la réforme en réponse aux questions.
La CFDT travaille de longue date sur le dossier des retraites. À partir de la réforme de 1993 – qui, je le rappelle à l'attention de certains, a créé l'écart entre salariés du privé et du public – et plus encore de 2003, la CFDT a défini sa doctrine sur les retraites. Nous sommes favorables à une évolution de notre système de retraite, fondée sur les réalités démographiques, à condition que les efforts demandés soient justes. Tel est notre leitmotiv depuis des années. Notre stratégie, arrêtée à l'issue d'intenses débats lors du Congrès de 2010, s'articule autour de plusieurs principes.
Dès lors qu'un effort est demandé, la durée de cotisation constitue la variable d'ajustement la plus juste à condition d'aider ceux qui ont des difficultés à valider les trimestres. L'augmentation de la durée de cotisation doit s'accompagner de mesures correctrices des inégalités d'un système bâti pendant les Trente Glorieuses. Ces inégalités touchent principalement les femmes, les jeunes et les salariés aux carrières longues et pénibles.
En matière de financement, il faut distinguer les mécanismes contributifs – dans lesquels les cotisations génèrent des droits, comme pour l'assurance chômage et l'assurance retraite – des mécanismes universels que sont les prestations familiales et l'assurance maladie. Un redéploiement financier doit être opéré entre les logiques assurantielles et solidaires même si les frontières entre les deux sont perméables.
Enfin, il faut rapprocher les divers régimes. Les différences ne sont pas supportables. Une réforme ne peut néanmoins pas être menée en stigmatisant certaines catégories. Je rappelle qu'en 2007, toutes les organisations représentatives des salariés avaient approuvé la réforme des régimes spéciaux.
La CFDT a pleinement pris part à la réforme, que ce soit au sein du Conseil d'orientation des retraites ou de la commission présidée par Mme Yannick Moreau. Nous essayons de juger le projet de loi à l'aune des objectifs que nous avons assignés à une réforme des retraites. Si la réforme proposée nécessite encore des améliorations, parfois importantes, elle répond à ces objectifs. Elle répartit ainsi l'effort à fournir entre tous les acteurs du système de retraites – actifs, retraités, entreprises. Toutefois, si les entreprises devaient être dispensées d'effort, nous demanderions à ce que les salariés soient également exonérés.
Une réforme plus globale de la protection sociale doit également être menée dans laquelle le pouvoir d'achat des salariés doit être préservé. Nous ne confondons pas la question du coût du travail, qui pose problème en France, et celle du niveau du salaire net. À cet égard, nous regrettons que le redéploiement du financement de la protection sociale n'ait pas abouti.
Le report de six mois de la revalorisation des pensions doit témoigner aussi d'un partage des efforts. Seuls les bénéficiaires du minimum vieillesse, soit un tiers des retraités vivant en dessous du seuil de pauvreté qui s'établit à 964 euros, sont épargnés par la mesure. Il importe que toutes les petites retraites soient dispensées de l'effort demandé.
L'augmentation des cotisations doit s'articuler avec le financement de la protection sociale. Nous serons attentifs à ce que les efforts soient justement répartis.
Plusieurs mesures nouvelles et importantes méritent d'être soulignées. L'abaissement du seuil de 200 à 150 heures nécessaires pour acquérir un trimestre de cotisation contribue à diminuer la précarité que subissent essentiellement les femmes à temps partiel. Cette mesure participe de l'amélioration des mécanismes d'acquisition des droits. Il en va de même de la prise en compte de toutes les périodes de formation professionnelle pour la validation de trimestres alors que ces périodes donnaient précédemment droit à la validation d'un seul trimestre par an. Pour les carrières longues, les mesures consolident le dispositif existant, mis en place à l'initiative de la CFDT. Le minimum contributif est amélioré de même que la situation des personnes handicapées et des aidants familiaux. Ce sont autant de pas importants en termes d'équité et de justice.
La prise en compte de la pénibilité est le résultat d'un très long combat mené par la CFDT et d'autres. La pire inégalité est celle qui veut que certaines catégories de salariés, notamment les ouvriers, aient une retraite d'une durée inférieure des deux tiers et une espérance de vie inférieure de six ans à la moyenne. Il est inacceptable de ne pas tenir compte de cette inégalité majeure dans un système de retraite par répartition. La création du compte personnel de prévention de la pénibilité est une conquête sociale. Au-delà des mesures de financement permettant de pérenniser le système de retraite, cette partie de la réforme va marquer durablement le paysage social tant en matière de réparation que de prévention de la pénibilité.
Les dix critères de pénibilité retenus sont récents puisqu'ils ont été reconnus par les partenaires sociaux en 2008 mais ils ont été définis dès 2003 dans un rapport remis par M. Yves Struillou au Conseil d'orientation des retraites. Ces critères permettent de toucher tous les salariés, y compris les emplois tertiaires. Je ne partage pas l'avis de mon collègue selon lequel ces critères ne s'appliqueraient qu'aux emplois industriels.
Certaines dispositions méritent cependant d'être précisées. Les seuils d'exposition à la pénibilité doivent être raisonnables. L'une des divergences avec le MEDEF dans la négociation de 2008 portait sur la définition de ces seuils, ce dernier souhaitant que des seuils légaux d'exposition soient mis en oeuvre. Cela signifie que l'employeur devait être dans l'illégalité pour que la pénibilité soit reconnue… Aucun employeur ne l'aurait admis.
Nous serons attentifs à ces aspects. Nous considérons que la pénibilité ne peut être résumée aux dix critères retenus ; d'autres risques, notamment psychosociaux, existent mais ils ne doivent pas nécessairement être liés au régime de retraite. Par ailleurs, nous regrettons la non-rétroactivité du dispositif. La possibilité d'acquérir des droits à la retraite de manière accélérée sera ouverte aux salariés âgés de 59 ans et demi au 1er janvier 2015. Il faut sans doute permettre aux salariés de bénéficier du dispositif plus tôt.
Dans le mécanisme d'acquisition des droits en vitesse de croisière, le fait de consacrer obligatoirement les deux premiers trimestres acquis grâce au compte pénibilité à la formation professionnelle est utile car cela peut permettre à celles et ceux qui le veulent ou qui le peuvent de changer d'activité et donc de fuir la pénibilité. Mais cette franchise devrait être modulée en fonction de l'âge du salarié – il est trop tard à 58 ans pour envisager une formation professionnelle permettant de changer de métier.
D'autres mesures positives peuvent être améliorées.
En matière d'apprentissage, la validation de l'intégralité des trimestres travaillés – au lieu de huit ou neuf trimestres précédemment – est un signe important. Mais parallèlement, les périodes de stage étudiant devraient être mieux prises en compte, notamment au vu des abus constatés en la matière.
Quant à la refonte des droits familiaux, le système actuel est marqué par le modèle social et professionnel de la Libération – les droits sont attribués à l'homme puisque la femme n'a pas vocation à travailler. Or ce modèle n'est plus d'actualité. Malgré la progression des carrières féminines, le système de redistribution des avantages familiaux demeure aberrant. Ainsi, 70 % des avantages accordés aux familles ayant plus de trois enfants bénéficient encore à l'homme et aux familles aisées. Les règles actuelles interdisent à certaines femmes de prétendre à la majoration de pension pour enfant. Il est prévu de redéployer à compter de 2020 cette majoration en permettant notamment d'acquérir des droits dès le premier enfant. Il est selon nous souhaitable de ne pas attendre 2020 pour flécher davantage les avantages familiaux vers les femmes.
Le projet de loi apporte des solutions aux polypensionnés du secteur privé. En revanche, le problème des polypensionnés des secteurs privé et public reste entier. Le projet de loi n'y répond pas. Il faut pourtant favoriser une mobilité qui est aujourd'hui pénalisée par le système de retraite. Je rappelle que 40 % des personnes liquidant leur retraite sont poly-pensionnées.
Cette réforme comporte certes des limites mais aussi des avancées dont la moindre n'est pas de se dérouler sans heurts. La qualité d'une réforme ne se juge pas à l'émoi ou à la douleur qu'elle suscite. La justice sociale doit être au coeur d'une réforme intelligente en sollicitant des efforts justement répartis.
La CFTC a salué le rapport remis par Mme Yannick Moreau. Écrire certaines choses a permis d'apaiser la concertation. Je pense aux idées reçues sur les différences entre le secteur public et le secteur privé –s'agissant notamment du taux de remplacement prétendument meilleur dans le public – aux inégalités de retraite entre les hommes et les femmes – leurs causes et leurs conséquences – et à la pénibilité. À cet égard, le rapport reconnaît la pénibilité subie par certains salariés et la lourde responsabilité des entreprises mais aussi la capacité de l'État à demander des comptes aux entreprises.
La CFTC a émis plusieurs voeux lors de la concertation. En premier lieu, elle souhaitait qu'aucun changement n'intervienne avant 2020 en matière de reconstitution de carrière afin de ne pas déstabiliser les salariés qui ont déjà organisé leur départ à la retraite.
En second lieu, la durée de cotisation ne devait pas être portée au-delà de 43 ans. Nous sommes donc satisfaits du choix fait dans le projet de loi. La CFTC souhaitait parallèlement que tous les trimestres soient considérés comme du temps travaillé et cotisé, prenant ainsi en compte les congés de maternité, le temps partiel et l'apprentissage. De manière plus générale, la CFTC est favorable à une « retraite à la carte choisie » permettant à chacun de partir à la retraite quand il le souhaite dès lors qu'il estime avoir rempli sa mission envers la société.
En troisième lieu, la CTFC souhaitait la réactivation du Fonds de réserve pour les retraites afin de protéger le système de retraite en cas de nouvelle crise. Elle se félicite d'avoir été entendue.
Entre 2010 et 2013, 200 000 retraités ne sont plus comptabilisés dans les chiffres sur les retraites mais ils apparaissent dans les chiffres de Pôle emploi – ce qui n'est pas leur place – ou des entreprises. Si l'on souhaite laisser la place aux jeunes, il faut leur permettre de partir rapidement à la retraite et dans de bonnes conditions.
Les adhérents de la CTFC consultés étaient favorables à un passage de 6,6 à 7,5 % de la CSG sur leurs pensions de retraite, à condition de déduire les 0,3 % de la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie. Malheureusement, cette mesure n'a pas été retenue dans le projet de loi.
En revanche, le report de la revalorisation des pensions du 1er avril au 1er octobre est une mauvaise surprise. Cette sous-indexation, qui ne dit pas son nom, n'a au surplus jamais été évoquée lors de la concertation.
Autre point négatif : l'imposition des majorations de pensions de 10 % des retraités ayant élevé trois enfants ou plus, aura pour conséquence de rendre imposable des personnes qui ne l'étaient pas jusqu'à présent, les privant ainsi de certaines prestations sociales. Nous saluons néanmoins l'exonération des bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).
Nous souhaitons que l'effort financier soit supporté par le plus grand nombre. À cet égard, les hausses de cotisations proposées nous conviennent. Toutefois, si une compensation devait être accordée aux entreprises, notre approbation serait conditionnée à l'octroi d'une compensation équivalente aux salariés.
La reconnaissance de la réalité de la pénibilité dans l'entreprise mais aussi du raccourcissement de la vie et du temps de retraite qu'elle occasionne tient à coeur à la CTFC. Nous avions proposé la mise en place d'un livret de santé pour tous les salariés. Nous soutenons le projet d'un compte personnel de prévention de la pénibilité qui n'est qu'un juste retour des choses. Mais tous les cas de pénibilité ne peuvent être traités de la même façon. Les points acquis doivent être différenciés selon les facteurs de pénibilité.
Depuis des années, nous citons ce chiffre effrayant : un tiers des femmes retraitées vivent en dessous du seuil de pauvreté. Comme je l'ai dit au Premier ministre, je ne sais plus quels mots employer pour faire comprendre ce que cela signifie. Le Gouvernement a complété récemment l'article 13 du projet de loi afin de prévoir la remise d'un rapport dans six mois sur la réforme des droits familiaux. Ce choix nous a inquiétés voire blessés. Cette question mérite mieux qu'un ajout de dernière minute dans une loi si importante. Nous espérons que ce rapport proposera des solutions avant 2020. Mais nous avons tant attendu que nous pouvons peut-être supporter dix années supplémentaires... Les femmes attendent mieux du Gouvernement et méritent mieux.
Il n'est pas normal que la société soit mise à contribution pour réparer les injustices créées par les entreprises, qu'elles concernent la pénibilité ou les femmes. Pourquoi préférer la sollicitation de la société à la sanction des entreprises ? Ne pourrait-on pas imaginer une surcotisation des entreprises qui abonderait un fonds social permettant de compléter les retraites des personnes victimes d'injustices ?
Les salariés demandent tous une meilleure lisibilité et visibilité du système de retraite, particulièrement les polypensionnés qui sont dans l'impossibilité de se projeter dans l'avenir.
Les modalités de pilotage prévues par le texte permettent de mesurer l'évolution du système qui, nous l'espérons, connaîtra des améliorations grâce à l'infléchissement de la courbe du chômage et à une plus grande place des jeunes dans l'entreprise. Ces modalités nous laissent également espérer qu'il sera possible d'alerter en temps utile et d'éviter que chaque élection nationale soit l'occasion de revenir sur les retraites au terme d'un débat imparfait. J'espère que ce pilotage permettra aussi de corriger le plus grand nombre d'injustices.
La CFTC continuera son combat sur la pénibilité et en faveur des femmes. Elle organise le 23 octobre sa journée de la femme avec pour thème la retraite au féminin afin de dénoncer l'inacceptable.
Nous sommes attachés à la retraite par répartition qui est le reflet de la carrière active. On ne peut pas faire jouer à ce système un rôle qui n'est pas le sien : les inégalités dans le monde du travail se retrouvent malheureusement dans les retraites. Heureusement, environ 25 % de ces inégalités sont corrigées.
La mesure emblématique de cette réforme qui a justifié notre mobilisation est l'augmentation de la durée de cotisation. Elle fait fi de ce qu'un salarié sur deux, n'étant plus sur le marché du travail lors de la liquidation, n'est pas acteur de sa retraite.
Cet allongement de la durée de cotisation n'est pas admissible. Le Gouvernement adresse là un très mauvais message aux jeunes générations. À cet égard, les revendications de FO n'ont pas varié au gré des changements de majorité. En 1993 et plus encore en 2003, nous étions opposés à l'augmentation de la durée de cotisation. Nous le sommes encore.
L'utilisation de ce levier n'est pas nouvelle. Au début des années soixante-dix, la durée de cotisation du régime de base était de 120 trimestres et le taux de liquidation de 40 % du plafond. Ensuite, la durée est passée à 150 trimestres et le taux a été porté à 50 %. Déjà, l'exécutif et le législateur, conscients que nombre de salariés ne parviendraient pas à valider les 150 trimestres nécessaires, ont créé, pour les y aider, des majorations de durée d'activité. C'était le cas pour les femmes salariées auxquelles étaient attribués huit trimestres par enfant.
Aujourd'hui, la réforme obéit à la même logique schizophrénique : la durée d'activité augmente mais, face à l'impossibilité de l'atteindre, des trimestres gratuits sont attribués. Il serait plus simple d'arrêter d'allonger la durée de cotisation !
Quant au financement, nous assumons une hausse des cotisations salariales. En revanche, nous désapprouvons toute compensation de la hausse des cotisations patronales qui aurait pour conséquence de faire supporter aux seuls salariés le coût de la réforme.
Nous saluons les intentions affichées en matière de pénibilité. L'idée de substituer à l'approche individuelle et médicalisée de 2010 une approche collective et par métiers est intéressante. Nous suivrons avec attention les travaux parlementaires et les décrets d'application sur cette question.
S'agissant des femmes, nous sommes favorables à l'abaissement à 150 heures du seuil nécessaire pour valider un trimestre de cotisation. Néanmoins, il faut prendre garde à ne pas créer une trappe à précarité : 150 heures par trimestre, cela correspond à un contrat de travail de 12 heures par semaine. L'accord national interprofessionnel et sa traduction législative prévoient des dérogations pour autoriser de tels contrats. Nous devrons être vigilants. La mesure est bonne si le temps partiel est choisi, mais nous savons qu'il l'est rarement. En outre, même avec quatre trimestres validés par an grâce à ce dispositif, la faiblesse du salaire annuel moyen aura des conséquences sur le montant de la pension.
Nous sommes très déçus car la réforme ne comporte aucune mesure sur les majorations familiales. En guise de rattrapage, le projet rectificatif du Gouvernement prévoit la remise d'un rapport dans six mois. Il me semblait pourtant que le rapport remis par Mme Yannick Moreau proposait des solutions intéressantes et intelligentes – consistant à attribuer une majoration forfaitaire dès le premier enfant – qui pouvaient servir de base à une discussion…
Cela conforte notre analyse politique du projet : l'augmentation de la durée de cotisation n'est qu'un affichage en direction de la Commission européenne qui ne s'en satisfait d'ailleurs même pas.
Pour les jeunes, la mesure, au demeurant bienvenue, permettant aux apprentis de valider autant de trimestres de cotisation que de trimestres de formation n'est pas financée. Nous sommes réservés sur la possibilité offerte aux étudiants de racheter des années d'étude. À trente ans, la génération de 1974 a validé en moyenne douze trimestres de moins que la génération de 1950 – précisément, seize trimestres pour les salariés n'ayant pas fait d'études et huit pour ceux qui en ont fait. En dépit d'une intention généreuse, cette mesure favorise l'inégalité entre diplômés et non diplômés.
En matière de pilotage, il est heureux que le politique conserve la main sur les décisions : ce n'est là que la traduction des règles élémentaires de la démocratie. Le comité de surveillance des retraites peut néanmoins émettre des préconisations sur le taux de cotisation dans une limite fixée par décret.
Cette nouveauté risque d'introduire un changement majeur dans notre système de retraite par répartition en faisant d'un système à prestations définies – 50 % du salaire annuel moyen limité au plafond dans le régime général – un système à cotisations définies. Dans ce dernier, on s'interdit de modifier le taux de cotisation au profit d'un ajustement de la durée de cotisation ou du niveau des pensions. Cela n'est pas admissible pour nous. En outre, le comité de surveillance est compétent pour le régime obligatoire, c'est-à-dire pour le régime de base et le régime complémentaire. Cela préfigure une mise sous tutelle de l'ARRCO et de l'AGIRC que nous ne pouvons, non plus, accepter.
Si vous ajoutez au comité de surveillance en amont, l'union des institutions et services de retraite en aval – dont nous découvrons la création –, vous vous rapprochez d'un service universel et d'un régime de retraite unique que FO combat.
Enfin, FO souhaite attirer votre attention sur le besoin de stabilité du système de retraite par répartition. Une retraite dure 70 ans : quarante ans de cotisations, vingt ans de droits propres et dix ans de droits dérivés. Or, 70 ans, cela représente quatorze campagnes présidentielles mais combien de gages de stabilité ?
Mon propos s'inscrit dans la critique constructive. Vous aurez peut-être noté que nous avons engagé un mouvement social. Nous sommes aussi au début des travaux parlementaires pour lesquels nous regrettons le recours à la procédure d'urgence qui laisse peu de temps au débat public.
Pour la CGT, la réforme des retraites doit tenir compte de la réalité de la situation de l'emploi et des politiques des entreprises. Or ce projet de réforme semble en décalage avec cette réalité.
La hausse de la durée de cotisation est le coeur de la réforme. Cette méthode, utilisée par les gouvernements précédents, est selon nous anti-jeunes et source d'injustice. L'objectif de quarante-trois années est inatteignable pour nombre de salariés. Il l'est pour la génération 1973 qui ne pourra bénéficier d'une retraite pleine avant 65 ans et demi, bien loin de l'âge légal de départ en retraite, comme l'ont souligné les organisations de jeunesse. Cette mesure est d'autant plus inacceptable au vu de la carrière de ces jeunes qui se caractérise par une entrée tardive sur le marché du travail et une stabilité de l'emploi qui l'est encore plus. Leur retraite s'en trouvera inévitablement amputée par l'application de décotes.
La première conséquence de l'allongement de la durée de cotisation est donc la baisse du niveau des pensions. Je vois une contradiction dans les propos du Premier ministre lorsqu'il affirme dans le même temps ne pas vouloir baisser le niveau de pensions mais vouloir allonger la durée de cotisation. Je rappelle que le faible niveau des pensions pose déjà problème ; selon le Conseil d'orientation des retraites, la moyenne s'établit à 1 246 euros.
Notre discours est constant quelles que soient les majorités politiques. La réforme de 2010 était selon nous injuste car elle était essentiellement supportée par les salariés. De la même manière, nous considérons que le financement de la réforme d'aujourd'hui repose exclusivement sur les salariés et les retraités. Mme Marisol Touraine prétend déconnecter la question des retraites et celle de la protection sociale tandis que dans le même temps, M. Pierre Moscovici annonce à l'université d'été du MEDEF le transfert des cotisations famille pour compenser la hausse des cotisations patronales pour les retraites. Cette perspective est inacceptable.
Le Premier ministre réfute une sous-indexation des retraites alors que le report de six mois de la revalorisation des pensions en est une. Cette mesure permettra d'économiser 1,4 milliard d'euros à l'horizon 2020. Elle ne sera donc pas neutre pour les retraités. Nous rejetons ce véritable tour de passe-passe, même si les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ne sont pas visés. Il faut arrêter de penser que les retraités ont un niveau de vie confortable. Une pension supérieure à 780 euros ne garantit pas aux retraités un revenu suffisant pour leur épargner des difficultés financières.
En matière de pénibilité, nous approuvons l'abandon de l'approche médicale du dispositif précédent. Sur les risques psychosociaux, je ne partage pas l'avis de mon collègue. Les travaux du Centre de recherches sur l'expérience, l'âge et les populations au travail, notamment de M. Serge Volkoff, montrent que trois types de pénibilité doivent être distingués appelant des solutions différentes. À titre d'exemple, pour les enseignants, la réponse au stress au travail ne peut pas être un départ anticipé puisque leur espérance de vie est plus longue. Le départ anticipé est en revanche approprié pour permettre aux travailleurs usés par leurs conditions de travail de bénéficier d'une retraite d'une durée équivalente aux autres salariés.
J'ai rencontré de nombreux directeurs des ressources humaines qui m'ont fait part de leurs difficultés. En l'absence de dispositif adapté pour les seniors usés prématurément, ils ont recours à la rupture conventionnelle. Cette lacune peut expliquer partiellement l'explosion du nombre de ruptures conventionnelles. Il convient d'encadrer la rupture conventionnelle et d'autoriser ces salariés à prendre une retraite anticipée.
Le dispositif sur la pénibilité appelle deux reproches : le premier, il oppose prévention et réparation de la pénibilité. Réserver vingt des cent points du compte personnel de prévention de la pénibilité à la formation est insuffisant pour quitter un métier pénible. J'insiste sur l'importance de la prévention et de la formation qui ne doit pas être une alternative à la possibilité de bénéficier d'un départ anticipé ou d'un aménagement de fin de carrière. Le salarié ne doit pas avoir à choisir entre les deux versants de la prise en charge de la pénibilité.
Second reproche, la question du « stock » n'est pas réglée. Aucune solution n'est proposée aux salariés qui ne peuvent plus aujourd'hui exercer leur métier. Les bonifications permettant un départ en retraite anticipé ne seront accordées qu'aux salariés âgés de 59 ans et demi au 1er janvier 2015 : c'est insuffisant. Cela ne tient pas compte du fait que la moitié des retraités ne sont plus en activité au moment de la liquidation de leur retraite. Nombre des salariés usés prématurément sont au chômage, en arrêt maladie ou en situation d'invalidité. Nous savons que le décrochage se produit à partir de 55 ans. La CGT demande que certains salariés puissent à partir de cet âge quitter leur activité pour réparer les dommages de la pénibilité.
Quant aux jeunes, le projet de loi ne répond pas à leur revendication d'une prise en compte des années d'études. Il permet le rachat de quatre trimestres seulement – une goutte d'eau au regard du nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein – à un coût très élevé de surcroît. Chacun sait que les jeunes peinent déjà à rembourser les emprunts contractés pour financer leurs études. Ils auront donc les plus grandes difficultés à racheter des trimestres même si cette possibilité leur est offerte pendant dix ans au lieu de cinq. La mesure proposée est illusoire.
Pour les femmes, notre appréciation est mitigée sur l'abaissement du seuil d'heures nécessaires pour valider un trimestre. La mesure peut apparaître comme une réponse positive mais elle revient à admettre que la précarité est une réalité. Or, il faut combattre la précarité et les inégalités entre les hommes et les femmes. La CGT propose de parvenir à l'égalité à l'horizon 2 023. La Caisse nationale d'assurance vieillesse en a estimé le gain pour les caisses de retraite à cinq milliards en 2015 et dix milliards en 2020 couvrant ainsi largement les besoins de financement estimés par le rapport remis par Mme Moreau à 7 milliards pour le régime général. Il nous semble préférable de combattre la précarité galopante dans la vie active plutôt que de corriger ces méfaits au moment de la retraite.
Il faut absolument compenser les écarts de pensions liées aux carrières pénalisantes que connaissent les femmes. Dès lors que les carrières et les traitements ne sont pas identiques, les compensations sont légitimes. Nous sommes satisfaits que le débat soit ouvert. Cependant, la forfaitisation envisagée de la majoration de 10 % pour les ménages de trois enfants et plus constitue une dénaturation du dispositif. Initialement, celui-ci avait pour objet de compenser le fait que ces familles ont plus de difficultés à constituer un patrimoine que les autres. La mesure envisagée en fait un instrument de compensation de l'inégalité entre hommes et femmes. Ce changement de nature n'est pas acceptable. C'est pourquoi nous sommes opposés à la forfaitisation de cette majoration. Il faut malgré tout améliorer la situation des familles avec un ou deux enfants.
La CGT propose une remise à plat du financement de la protection sociale qui s'appuierait sur les outils suivants : à court terme, l'égalité salariale entre hommes et femmes ; à long terme la contribution des revenus financiers des entreprises, la modulation des cotisations en fonction de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée – les grandes entreprises et les PME ne peuvent pas être traitées de manière similaire – ainsi que l'élargissement de l'assiette des cotisations.
La CGT met en garde contre le pilotage proposé qui apparaît comme les prémices d'une réforme systémique. Elle est très attachée au système de retraite par répartition auquel elle assigne deux exigences supplémentaires : la solidarité et la garantie de prestations définies. Le pilotage proposé risque de nous conduire vers un régime à cotisations définies que nous désapprouvons.
En Suède, l'évolution vers un système à cotisations définies a fortement fait chuter le niveau des pensions, à tel point que le Gouvernement a dû intervenir. Dans ce système, le niveau des pensions varie en fonction de l'espérance de vie de la génération à laquelle on appartient. On ne sait jamais avec quelle pension et à quel âge on partira à la retraite. Cette incertitude qui caractérise une réforme systémique est contraire à l'objectif recherché de donner confiance aux jeunes.
Enfin, il n'appartient pas aux experts de faire la politique en matière de retraites en France. Il faut redonner leur place aux représentants des salariés et des assurés. C'est pourquoi la CGT propose la création d'une maison commune des régimes de retraite qui permettrait une coordination des régimes qui fait cruellement défaut aujourd'hui.
Je remercie l'ensemble des intervenants. Je relève un point d'accord dans les différentes interventions, la nécessité d'une réforme puisque la réforme de 2010 a fait long feu.
Je salue la méthode employée par le Gouvernement qui a choisi de réformer en douceur. Il n'est pas besoin de brutalité. On nous avait annoncé de la violence mais il n'en est rien à ce stade. Le rapport du Conseil d'orientation de retraites, le rapport de la commission présidée par Mme Yannick Moreau et la concertation permanente – aucun des partenaires sociaux n'a quitté la table – ont créé les conditions d'une réforme dans la sérénité retrouvée.
Sur le contenu de la réforme, vous faites état de nettes divergences d'appréciation. Sur l'augmentation des cotisations ou sur l'allongement de la durée de cotisation, vous exprimez des idées assez tranchées qui doivent être respectées.
La solution retenue par le Gouvernement est dans un premier temps une hausse des cotisations. Cet effort partagé par tous les Français est une nécessité pour rebâtir notre système sur des bases solides. Les employeurs et les actifs sont sollicités à parts égales. L'effort est modéré : 7 milliards d'euros au regard des 300 milliards versés annuellement par l'assurance vieillesse. Dans un second temps, l'allongement limité de la durée de cotisation prend le relais pour équilibrer le financement des retraites. Ces deux paramètres sont utilisés avec modération et permettent de préserver le montant des retraites qui est aujourd'hui convenable, bien que peu élevé, avec une moyenne de 1 256 euros.
La réforme contient des avancées sociales sans précédent. Contrairement aux réformes précédentes qui s'en tenaient à des mesures brutales avec un seul objectif, le recul de l'âge de départ à la retraite, elle fait la part belle aux mesures sociales : elle s'intéresse à la pénibilité, aux polypensionnés, aux femmes, aux jeunes, aux handicapés, aux retraités agricoles et aux aidant familiaux afin que la durée de cotisation puisse être atteinte plus facilement en cas de carrière heurtée.
Il s'agit d'une réforme progressiste, soucieuse de l'humain et attentive aux catégories particulièrement maltraitées par les réformes précédentes.
En matière de pilotage, un examen annuel de l'évolution du régime me paraît plus sage que de prétendre, chacun à son tour, avoir réalisé la réforme ultime. Enfin, le guichet unique contribue à la lisibilité du système.
En conclusion, je souhaiterais connaître votre avis sur le système unique, qui ne figure pas dans le projet de loi mais qui sera inévitablement débattu un jour.
Je comprends les inquiétudes que suscite l'allongement de la durée de cotisation à 43 ans. On vous avait en effet promis lors de la campagne présidentielle, et même avant, de revenir sur l'allongement de la durée de cotisation décidé dans le cadre de la réforme Fillon et de rétablir la retraite à 60 ans pour tous les Français. Votre déception est donc compréhensible.
Ce projet de loi, car je me refuse à parler de réforme, est l'une des plus grandes supercheries du quinquennat de François Hollande. Il ne répond en aucun cas aux véritables enjeux. Alors que le COR et le rapport Moreau ont fait état d'un besoin de financement de 20 milliards d'euros en 2020, tous régimes confondus, le projet se concentre sur les 7,5 milliards dont a besoin le régime général. Il ne vise qu'à ouvrir de nouveaux droits, dont certains sont d'ailleurs justifiés : je pense aux femmes, aux polypensionnés, à la prévention et à la prise en compte de la pénibilité – même si pour ma part, je préfère parler de métiers physiques. Cela conduit à poser la question du financement. Sur ce point, j'estime comme vous que l'allongement de la durée de cotisation est une mesure hypocrite si elle ne s'accompagne pas d'un recul de l'âge du départ à la retraite : elle désavantage les jeunes générations, dont je fais partie, et entraînera inévitablement une baisse des pensions, puisque beaucoup partiront à la retraite sans pouvoir bénéficier d'une pension à taux plein.
Ce projet est aussi un choc fiscal déguisé. Les retraités, qui ont déjà été ponctionnés par le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2013, verront leur pouvoir d'achat diminuer ; les salariés et les entreprises, qui l'ont été pour financer le décret de 2012 sur le retour de la retraite à soixante ans – qui a un impact majeur sur les finances de la CNAV, puisque la réforme de 2010 permettait d'assurer, comme nous l'a précisé M. Rivière, un retour à l'équilibre des régimes de base – sont mis à contribution.
Nous ne vous avons pas entendus sur l'enjeu majeur que sont les pistes de financement, ni sur la réforme structurelle – qui ne permettra certes pas de régler le problème financier, mais au moins d'assurer plus d'équité entre les Français. Nous souhaitons voir s'accélérer la convergence entre régimes engagée en 2003 et la réforme des régimes spéciaux.
J'en viens à la réforme systémique. Vous dénoncez le régime par points en vous référant à l'expérience suédoise, monsieur Aubin. Il semble cependant possible de mettre en place une réforme systémique et un régime par points à la française. Vous vous accommodez du reste très bien des régimes de retraite complémentaire par points de l'AGIRC et de l'ARRCO. Le projet ne traite pas de ces régimes, dont les besoins de financement pour les années à venir sont considérables.
C'est pour moi un plaisir de revoir les représentants des salariés, que le groupe UDI a déjà rencontrés dans la perspective de cette réforme.
En dépit de l'autosatisfaction dont a fait preuve notre collègue Issindou, cette audition n'a pas vocation à être le lieu du débat politique. Il s'agit pour les partenaires sociaux de nous faire part de leurs attentes par rapport à la réforme des retraites. Pour notre part, nous avons déjà eu l'occasion de leur exposer la position de notre famille politique lors de l'échange que j'ai évoqué.
Vous dénoncez régulièrement « l'obsession » de la baisse du coût du travail, monsieur Aubin, pour lui opposer la nécessité d'une baisse de la rémunération du capital. Mais le déficit des régimes de retraite devrait atteindre 20 milliards d'euros en 2020. Quelles sont donc les pistes de financement envisageables ? Quelle appréciation portez-vous d'autre part sur la non-rétroactivité du compte personnel de prévention de la pénibilité ? Faut-il étendre ce dispositif à la fonction publique ?
Force ouvrière s'est montré critique vis-à-vis de l'allongement de la durée de cotisation proposée par le Gouvernement, allant jusqu'à qualifier le projet de « réforme anti-jeune ». La possibilité de rachat de trimestres d'études à un tarif préférentiel pour les jeunes entrant dans la vie active est-elle selon vous de nature à compenser l'effort demandé aux futures générations ?
Ne regrettez-vous pas que les 20 premiers points du compte pénibilité doivent obligatoirement être consacrés à la formation ? Les politiques de formation sont-elles suffisamment efficaces pour accompagner la pénibilité ?
La CFDT a évoqué à plusieurs reprises la désindexation, autrement dit la baisse des retraites. À nos yeux, l'essentiel est de maintenir le pouvoir d'achat. Vous me permettrez donc d'évoquer le report de la date de revalorisation des retraites du 1er avril au 1er octobre – même s'il y a eu un pas de deux du Gouvernement, puisque, à l'origine, les petites retraites et le minimum vieillesse étaient également concernés par cette mesure inacceptable. Faut-il en rester là, ou continuer à défendre le retour à une revalorisation au 1er avril ?
La CFTC s'est inquiétée de l'absence de mesures significatives en faveur des femmes dans le projet. Bien que nous ne partagions pas cet avis, pouvez-vous nous dire quelles mesures vous préconisez pour améliorer encore davantage le sort des femmes ?
La CFE-CGC est opposée à la réforme. Quelles sont donc ses préconisations en matière de financement ? Les mesures d'allongement de la durée de cotisation – qui sera portée à 43 années en 2035 – vous semblent-elles adaptées aux données démographiques et à l'espérance de vie ? Quels choix aurait-il fallu faire pour parvenir à cet équilibre ? Pour nous, la réalisation de l'équilibre financier le plus rapidement possible est le meilleur gage qui puisse être donné aux générations arrivant sur le marché du travail. Le drame de cette réforme est qu'elle ne permet pas de pérenniser le financement des retraites. La confiance vis-à-vis des dirigeants politiques s'en trouve sérieusement entamée.
J'évoquerai d'abord le financement. Le choix de l'allongement de la durée de cotisation comme principal levier de la réforme a fait l'objet de nombreuses critiques. Alors qu'une véritable réflexion sur la répartition du temps de travail devrait être menée, la mesure phare du projet est l'allongement de ce temps de travail en termes d'annuités. M. Jean-Claude Mailly a annoncé qu'il s'efforcerait de peser dans le débat parlementaire pour revenir sur cette mesure. Quelles sont les propositions alternatives de Force ouvrière pour assurer la pérennité du système par répartition sans peser davantage sur les carrières des travailleurs ?
Les écologistes ne peuvent que souscrire à l'objectif affiché de réduire les inégalités entre les femmes et les hommes, et se féliciter que le Gouvernement manifeste sa volonté de se saisir de cette injustice. Les mesures proposées paraissent néanmoins bien faibles. La validation de tous les trimestres d'interruption au titre du congé de maternité va dans le bon sens, mais l'impact et le nombre de bénéficiaires de cette mesure seront assez réduits. Quant à l'abaissement du seuil de validation des trimestres de cotisation, il ne touchera que 4,4 % des femmes. Nous pourrions être plus ambitieux. La prise en compte des 100 meilleurs trimestres – au lieu des 25 meilleures années – ne serait-elle pas une avancée significative pour le calcul des pensions des femmes ? Avez-vous d'autres propositions sur le sujet ? Comment financer de nouvelles avancées sans remettre en question l'équilibre du système ? Quels leviers choisir ?
La création du compte personnel de prévention de la pénibilité est une mesure innovante et intelligente. Néanmoins, il appartiendra à l'employeur de gérer et transmettre les fiches personnelles donnant droit à des points de pénibilité. N'y a-t-il pas là un risque ? Certes, les employés recevront leur fiche personnelle chaque mois, et il existe une possibilité de protester auprès de l'employeur ; mais auront-ils réellement la capacité de le faire ? Comment concevez-vous votre rôle dans ce contexte ?
J'aimerais également vous interroger sur la possibilité de l'employeur de refuser un passage à temps partiel pour des raisons économiques. Le pré-projet de loi précise que « l'employeur peut refuser de faire droit à la demande du salarié » et que « ce refus doit être justifié par une impossibilité due à l'activité économique de l'entreprise. » Cette disposition vous paraît-elle suffisante pour éviter des refus dans le cas où la survie financière de l'entreprise ne serait pas menacée ?
Le groupe RRDP se réjouit de cette rencontre qui nous permettra de progresser dans notre réflexion. Nous sommes désormais au pied du mur. Le dossier des retraites ne pourra cependant être réglé du jour au lendemain, et nous devrons y revenir régulièrement. Il n'y a d'ailleurs rien d'anormal à cela.
Notre groupe prendra bien sûr toute sa part dans le débat sur ce projet.
Le Gouvernement a écarté – et nous nous en félicitons – plusieurs suggestions du rapport Moreau, ainsi que celles de l'UMP – qui nous proposait avant tout du sang et des larmes.
Le groupe RRDP approuve un certain nombre de dispositions qui permettent un progrès social – qu'il s'agisse du compte pénibilité ou du sort des femmes. Mais le débat achoppe sur l'allongement de la durée de cotisation ; la question du financement est donc bien la clé du débat.
Trois des cinq syndicats que nous venons d'entendre semblent hostiles à la réforme, notamment à l'allongement de la durée de cotisation ; un autre est perplexe ; le dernier soutient le projet.
Au vu des masses concernées, à savoir plusieurs centaines de milliards d'euros chaque année, pensez-vous qu'il soit possible de faire une réforme des retraites et de sécuriser notre système par répartition sans modifier ses recettes ? Quelles sont vos propositions pour améliorer son financement, y compris – peut-être – en élargissant l'assiette des cotisations ? La question qui nous est posée est en effet celle du rapport entre financement public et financement privé des retraites. À terme, c'est une financiarisation croissante de notre système de retraites qui est à redouter. La question des pensions ne concerne d'ailleurs pas que la France ; le système par répartition a été mis en place dans nombre de pays occidentaux suite au krach de 1929, et consolidé au sortir de la guerre : il est inévitable que nos sociétés s'interrogent aujourd'hui sur son avenir.
Je m'associe bien sûr à la question centrale que vient de soulever M. Carpentier. Le groupe GDR reste préoccupé par le contenu de la réforme, même si compte tenu des propositions du rapport Moreau, elle aurait pu être pire. Je me félicite que le texte comporte un certain nombre d'avancées, de la prise en compte de la pénibilité à l'égalité salariale entre les hommes et les femmes, en passant par le sort des jeunes et des apprentis, même s'il mérite d'être sensiblement précisé et amélioré.
Le texte pèche gravement sur au moins deux aspects. Tout d'abord, il est injuste que l'effort soit supporté par les seuls salariés et retraités, puisque celui des entreprises sera intégralement compensé, donc supporté par nos concitoyens. Que dire par ailleurs du projet de transfert des cotisations familiales patronales vers l'impôt des ménages, qui paieront donc deux fois ?
Ensuite, il ne modifie pas l'assiette des cotisations, alors même que certains revenus – notamment les revenus de placements financiers – ne contribuent pas du tout. Que pensez-vous de cette anomalie ?
Les représentants des salariés avaient obtenu que la question de l'emploi et des salaires – dont découle le financement de notre protection sociale – soit à l'ordre du jour de la dernière Conférence sociale. Estimez-vous avoir été entendus sur ce sujet essentiel ?
Concernant la méthode, il n'est pas anodin que la concertation ait remplacé la négociation. S'agit-il pour vous d'une minimisation du rôle des syndicats ?
Notre collègue Issindou nous assure qu'il veillera à protéger le montant des retraites. Mais l'allongement de la durée de cotisation ne revient-elle pas à accepter – de fait – une baisse des pensions ? Il faut parler franchement à nos concitoyens !
La réforme du régime général passe par la recherche d'un compromis social. Nous en mesurons tous la difficulté en cette période de crise économique et sociale, mais nous nous y attachons dans un souci de progrès, en rupture avec la réforme de 2010, en particulier par la recherche opiniâtre de mesures d'équité et de justice.
Le temps du débat parlementaire doit être un temps de dialogue. Je tiens donc à redire à l'ensemble des partenaires sociaux, et singulièrement aux organisations syndicales, que nous sommes tout disposés à améliorer ce texte, notamment les mesures de justice qui demandent à être approfondies. Je pense bien sûr aux petites pensions, et pas seulement aux bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA).
Au-delà de la question de l'allongement de la durée du travail, la réforme doit permettre de mieux « personnaliser » les réponses en termes de retraite, que ce soit au début de la vie professionnelle, tout au long de celle-ci, notamment dans les phases de précarité et de chômage, ou par la prise en compte de la pénibilité, qui permettra un départ anticipé pouvant aller jusqu'à deux ans. Nous serons également attentifs au partage de l'effort. Le texte propose une hausse des cotisations salariales et patronales.
J'insiste par ailleurs sur la nécessité de ne pas « préempter » trop vite le débat sur l'avenir du financement de la protection sociale. À ce stade, nous n'avons pas de doctrine en la matière.
Enfin, nous avons tous le souci du sort des jeunes générations. J'ai entendu un certain nombre d'interrogations, voire de critiques sur le dispositif de rachat des trimestres d'études proposé par le texte. Quelles sont vos propositions sur ce point ?
Ce projet n'est pas une réforme. Il se borne à donner de nouveaux droits, que nous approuvons pour certains – je pense notamment aux polypensionnés, aux apprentis ou aux jeunes en alternance. Or la vraie question reste celle du financement, qui n'est pas abordée. Il faudra donc y revenir d'ici deux ou trois ans.
Permettez-moi d'observer que la réforme de 2010 a tout de même permis que toutes les retraites soient versées pour le montant promis et au jour promis, malgré la crise économique. Cela n'a pas été le cas dans les autres pays. Cette réforme avait prévu des clauses de rendez-vous en 2018 et en 2013, afin entre autres de s'interroger sur l'opportunité d'une réforme systémique. Il aurait donc été opportun de débattre de la protection sociale avant de discuter de la santé et des retraites. Tout projet relatif aux retraites a besoin de lisibilité et de visibilité à long terme.
J'observe par ailleurs que l'inégalité des retraites entre les hommes et les femmes n'est que la conséquence des inégalités observées durant la vie professionnelle.
Quant au problème de la pénibilité, il renvoie à celui de la santé au travail, et donc de la prévention. Sa définition est particulièrement délicate.
Enfin, je fais mienne la question de Michel Issindou sur la convergence des régimes.
En tant que rapporteur pour avis du texte au nom de la commission des finances et ancien membre du Conseil d'orientation des retraites (COR), je note que le projet du Gouvernement se fonde sur un diagnostic largement partagé par les organisations syndicales et sur un dialogue qui a été conduit dans la sérénité. Je tiens d'autant plus à le dire que j'ai vécu les réformes de 2003 et 2010, qui ont abouti – surtout la seconde – à des injustices flagrantes, dénoncées comme telles par les organisations syndicales. Je pense au problème des carrières longues, qui a été réglé par le décret de juillet 2012, mais aussi aux avancées du texte concernant les femmes ou la prise en compte de la pénibilité. Nous aurons l'occasion de les approfondir d'ici à quelques semaines, notamment pour ce qui concerne les jeunes.
Le texte n'a cependant pas vocation à résoudre tous les problèmes. Un dialogue va être engagé sur la formation professionnelle dans les mois à venir ; vous aurez vraisemblablement à négocier avec Mme Lebranchu sur la fonction publique, sachant que le texte ne traite de la pénibilité que pour le secteur privé.
Il n'aborde pas davantage la question du financement de notre protection sociale. Sur ce point, les positions des uns et des autres sont contradictoires. Pour certains, il s'agit d'aller vers une fiscalisation de la protection sociale et un financement des retraites par des revenus du capital, donc de changer de paradigme. À titre personnel, je pense qu'il faudra un jour financer les retraites par de la fiscalité. J'aimerais donc vous entendre sur les avantages non contributifs. Pensez-vous qu'ils puissent être financés par la fiscalité ?
J'évoquerai brièvement les positions qui sont celles des radicaux de gauche sur la réforme des retraites. Au lieu de repousser l'âge de la retraite, pourquoi ne pas raisonner en termes de temps choisi d'activité et de retraite ? Dans cette hypothèse, le maintien de l'âge légal de la retraite à 62 ans paraît possible. Dans les faits, l'âge du départ à la retraite à taux plein est désormais de 67 ans pour les personnes nées à partir de 1955. Le maintien de l'âge légal à 62 ans éviterait de pénaliser les personnes ayant commencé à travailler tôt, qui seront contraintes de travailler plus longtemps que les autres. Un système d'incitation à travailler plus longtemps nous semblerait plus juste et plus efficace que les mesures autoritaires. Nous proposons donc d'encourager ceux qui souhaiteraient librement travailler après l'âge légal de la retraite, avec un système de bonus progressif permettant d'améliorer leurs droits. Il s'agirait de créer un système pour tous les jeunes qui commencent à travailler dès 16 ans, aussi bien pour des périodes de stage ou d'apprentissage que pour des périodes de formation longue.
Pour mieux prendre en compte la pénibilité du travail dans les secteurs public et privé, un tableau de la pénibilité pourrait être établi et revu tous les sept à dix ans. L'âge de la retraite n'a pas le même sens selon les activités exercées, puisque celles-ci entraînent des inégalités en termes d'espérance de vie.
La réforme des retraites ne doit-elle pas s'inscrire dans une politique de protection et de cohésion sociale tout au long de la vie ? N'est-elle pas indissociable d'une réflexion sur l'égalité entre les hommes et les femmes, l'entrée des jeunes dans la vie active, et l'allongement de la durée de vie ?
Vous avez salué les dispositions positives du projet, notamment les mesures de justice qu'il contient, sans pour autant dissimuler vos inquiétudes en ce qui concerne l'allongement de la durée de cotisation. Le débat parlementaire nous offrira bien sûr l'occasion d'apporter de nouvelles améliorations au texte.
Vous avez tous évoqué les jeunes, que la situation du marché du travail et l'allongement de la durée de cotisation confrontent à une difficile équation. Vous avez également souligné les insuffisances du dispositif de rachat de trimestres d'études prévu par le projet. Avez-vous des propositions précises à nous faire pour mieux prendre en compte les périodes de chômage et les parcours chaotiques que connaissent les jeunes dans leur insertion professionnelle ?
Ma seconde question concerne le pilotage du système. Le texte prévoit la remise d'un rapport annuel par le Comité de surveillance des retraites qu'il met en place. Quels indicateurs ce rapport annuel doit-il comporter pour être utile ? Doit-il faire des recommandations sur les choix à faire en termes de ressources nouvelles ?
Enfin, je vous remercie de nous avoir rappelé que la réforme des retraites doit nécessairement être abordée à travers le prisme global du financement de la protection sociale dans son ensemble. Les choix faits en la matière ne doivent pas avoir pour conséquence une diminution de la participation des entreprises à la solidarité nationale.
Cette réforme intelligente, qui tranche avec les réformes purement comptables du passé, s'attache non seulement à assurer la pérennité du système de retraite par répartition, mais aussi à lutter contre les inégalités, sans pour autant perdre de vue la problématique de l'emploi. Je me bornerai donc à interroger M. Malys sur les petites retraites, car il ne s'est pas exprimé sur ce point.
Chacun s'est félicité de l'avancée que constitue la création du compte pénibilité, que beaucoup d'organisations syndicales réclamaient de longue date. Nous sommes passés d'une logique restrictive de réparation médicale dans la loi de 2010 à une logique plus équilibrée de prévention et de réparation. Comment les organisations syndicales interviendront-elles aux côtés des salariés pour définir avec les employeurs ce qui devra être inscrit sur ce compte ? Nous pourrions par exemple nous référer au document d'évaluation des risques professionnels prévu par le code du travail.
En ce qui concerne les bonifications, qui ne prétendent pas traiter rétroactivement l'ensemble des salariés actifs en situation de pénibilité, quel seuil d'âge et quelles modalités vous paraîtraient les plus pertinents ?
L'article 23 du texte traite de l'accès à la retraite pour les travailleurs handicapés. La possibilité de liquider leur pension à taux plein leur est aujourd'hui offerte sous condition d'avoir un taux d'incapacité permanente de 80 % ou d'avoir obtenu la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH). Ce critère est remplacé par l'abaissement à 50 % du taux d'incapacité permanente requis, sans qu'il soit fait référence au RQTH. Or le nombre de personnes concernées est très différent dans les deux cas. Quel est votre avis sur cette disposition ?
C'est parce que les majorités précédentes ont su engager des réformes sur les retraites et faire oeuvre de pédagogie que les Français ont aujourd'hui conscience qu'il va falloir travailler plus longtemps et qu'il existe un problème de financement, monsieur Issindou. L'ouvrage n'en devra pas moins être remis régulièrement sur le métier.
Il ne faut pas attendre la fin de carrière pour traiter de la pénibilité, mais bien prévenir cette dernière. Quelles propositions concrètes pouvez-vous nous faire en faveur de la prévention dans l'entreprise ?
La pénibilité est extrêmement difficile à définir. L'un des intervenants a d'ailleurs évoqué trois niveaux de pénibilité. Comment sortir de cette difficulté de définition ?
Entre 150 000 et 300 000 offres d'emplois ne sont aujourd'hui pas pourvues dans notre pays, un certain nombre des emplois concernés étant considérés comme pénibles. Je pense en particulier aux métiers de l'industrie et du bâtiment, qui s'efforcent pourtant depuis des années d'améliorer les conditions de travail. Ne prend-on pas le risque de les pénaliser en mettant l'accent sur la pénibilité ?
Enfin, la médecine du travail manque de moyens. Comment la faire évoluer – alors même que sa réforme n'est pas si ancienne – pour l'adapter à la problématique de la pénibilité ?
Au-delà des divergences qui se sont exprimées, un point fait consensus, y compris parmi les parlementaires : la nécessité d'améliorer le texte. Tous les parlementaires, et surtout ceux de la majorité, doivent donc s'en emparer. Contrairement à la loi sur la sécurisation de l'emploi, ce texte ne fait pas suite à un accord entre les partenaires sociaux : les prérogatives du Parlement pourront donc pleinement s'exercer. Pour la transparence du débat, je souhaite d'ailleurs que tous les membres de notre commission puissent connaître les propositions d'amendements qui seront rédigées par les organisations syndicales.
Un point me pose problème : l'allongement de la durée de cotisation. L'article 2 du texte prévoit un allongement automatique d'un trimestre tous les trois ans, prolongeant ainsi les modes de calcul de la réforme Fillon. Avez-vous des propositions alternatives ? Pensez-vous que le Comité de surveillance des retraites devrait pouvoir revenir sur ce caractère automatique en cas de besoin ?
Les questions que vous soulevez mériteraient un grand débat public, car la protection sociale intéresse l'ensemble des Français.
En ce qui concerne la méthode, nous aurions préféré la tenue de réunions plénières, qui nous aurait permis de négocier sur certains points. Ce n'est pas le choix qui a été fait : nous en prenons acte.
Nous sommes en effet en désaccord avec l'idée que seule la baisse du coût du travail permettrait de renforcer la compétitivité des entreprises. Celle-ci peut être améliorée en jouant sur la compétitivité hors coût, et notamment la qualification et la formation des salariés. Selon un rapport de la Cour des comptes, les entreprises allemandes restent compétitives dans un certain nombre de secteurs alors même que le coût du travail y est supérieur de 20 % à 30 %. C'est par exemple le cas de l'automobile. Il s'agit donc d'un faux problème.
Il convient en revanche de s'intéresser au coût du capital – dont on ne parle jamais. Or quand les salaires sont multipliés par deux, les dividendes sont multipliés par treize ! Il faut donc rééquilibrer ce rapport pour faire payer le capital. Nous souhaitons un débat sur ce point.
Nous avons beaucoup travaillé sur la question de la pénibilité. Il faut certes se féliciter qu'elle ne soit plus abordée sous le seul angle de la réparation médicale, mais bien des progrès restent à faire. Nous ne saurions en effet nous satisfaire du fait que seuls les employeurs définissent les salariés concernés : ces derniers ont leur mot à dire. Pourquoi ne pas donner un rôle aux comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ? Par ailleurs, le délai de deux ans prévu pour contester la décision de l'employeur est trop court.
Vous vous interrogez sur l'âge à partir duquel les salariés pourraient bénéficier du dispositif. Selon nos études, c'est dès 55 ans qu'un décrochage s'observe dans le BTP. Il faut donc faire en sorte qu'à partir de cet âge, les salariés puissent finir leur carrière dans de bonnes conditions, voire partir de façon anticipée.
La question de la pénibilité doit en effet être traitée dès l'entrée dans le poste. Selon un rapport du Docteur Lasfargues, les usures apparaissent dès 40 ans dans le BTP. Pour que les salariés puissent continuer à exercer leur métier jusqu'à l'âge de la retraite, il faut y oeuvrer dès l'entrée dans la vie active. La prévention est donc une question essentielle. Le dispositif prévu pour le compte pénibilité, qui prévoit que les 20 premiers points seront obligatoirement utilisés pour la formation, nous semble à cet égard très insuffisant.
En ce qui concerne la définition de la pénibilité, nous sommes tous d'accord sur celle qui avait été élaborée dans le cadre des négociations de 2005-2008 : il s'agit des conditions de travail ayant des effets irréversibles sur la santé au travail et des conséquences sur l'espérance de vie. Je rappelle qu'il existe des mesures de prise en compte de la pénibilité dans la fonction publique. Elles ont été supprimées dans la fonction publique hospitalière ; il serait souhaitable d'en rediscuter pour ce secteur, mais aussi pour l'ensemble des contractuels de la fonction publique.
S'agissant de la non-rétroactivité du compte, je réitère ce que j'ai dit lors de mon intervention liminaire : il faut absolument que le stock puisse être pris en compte.
Je terminerai par le financement. La CGT a fait des propositions concernant les 7 milliards d'euros à trouver d'ici à 2020, c'est-à-dire à court terme. Plusieurs dizaines des 200 milliards d'aides octroyés chaque année aux entreprises n'ont aucun effet sur l'emploi. M. Gattaz l'a lui-même reconnu dans un entretien avec M. Lepaon. De même, quelques milliards d'euros pourraient être trouvés en intensifiant la lutte contre la fraude fiscale. Enfin, le respect de l'égalité salariale entre les femmes et les hommes suffirait à lui seul à faire rentrer quelque 10 milliards dans les caisses à l'horizon 2020.
Dans la mesure où nous défendons un financement assis sur les richesses créées dans l'entreprise, nous estimons que leurs revenus financiers – qui représentent 250 milliards – doivent être mis à contribution. Je vous renvoie à notre site internet pour plus de détails : les mesures que nous proposons permettraient à la fois d'assurer l'équilibre des régimes de retraite sur le long terme et de revenir sur les mesures injustes des précédentes réformes.
Vous redoutez une confusion entre concertation et négociation, madame Fraysse. Lorsque Mme Touraine a annoncé – lors de la grande Conférence sociale de 2012 – qu'un projet de loi sur les retraites serait discuté fin 2013, elle nous a indiqué qu'il donnerait lieu à une concertation renforcée, qui ne serait pas une négociation. Pour nous, qui sommes viscéralement républicains, il était de toute façon exclu de négocier avec le Gouvernement sur un tel sujet. Les syndicats défendent les salariés, tandis que le législateur a en charge l'intérêt général : chacun est dans son rôle. C'est dans cet esprit que nous avons participé à la concertation, et nous nous en félicitons, puisque nous avons pu – grâce à un dialogue constructif – faire avancer les choses sur un certain nombre de points.
S'agissant du financement, nous avions demandé – lorsque nous avons été consultés par le cabinet de Mme Touraine sur la feuille de route de la commission pour l'avenir des retraites présidée par Mme Moreau – que tous les mécanismes de financement du système soient mis à plat. Cela ne rapportera rien, mais cela permettra de dire qui paye quoi pour qui. Prenons un exemple. Lorsque la compensation démographique a été mise en place en 1974, il s'agissait d'aller vers un régime sinon unique, du moins unifié. Les quatre premières années, de 1974 à 1978, elle a donc été financée par l'État. Depuis 1978, elle est à la charge des régimes. Je n'en déduis pas qu'il ne faut pas aider les exploitants agricoles – qui sont très directement concernés – mais je pose la question : est-il toujours raisonnable, en 2013, de faire financer la compensation démographique des exploitants agricoles par les seuls salariés ? Il nous semble que c'est à la Nation – donc à l'impôt – de faire cet effort. Vous l'aurez compris, Force ouvrière est favorable à une séparation claire entre le contributif, financé par les cotisations, dont relève à notre sens la retraite, et la solidarité nationale, qui doit être financée par l'impôt – qu'il s'agisse de la CSG, de la TVA ou d'une autre imposition.
En ce qui concerne le coût du travail, nous partageons largement l'analyse de la CGT. Je rappelle que vous avez instauré il y a peu le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui doit contribuer à alléger le coût du travail.
Au sujet du Haut conseil du financement de la protection sociale, nous avons dit au Gouvernement – pour faire court – que son prédécesseur avait mis en place l'ancien conseil pour nous faire accepter la TVA sociale, et qu'il s'agissait cette fois-ci de nous faire accepter un financement par la CSG. Nous ne voulons ni de l'un ni de l'autre. En revanche, nous sommes prêts à discuter du financement des allocations familiales par la solidarité nationale, celles-ci étant désormais – depuis 1978 – une prestation universelle. Nous avons eu l'occasion de le dire dans les négociations sur le financement de l'AGIRC et de l'ARRCO, qui manquent cruellement de ressources. Si on peut concevoir que les allocations familiales ne soient plus financées par les cotisations patronales, il est hors de question que ce « bonus » devienne un bonus de compétitivité pour les employeurs. Il devra être dévolu à l'AGIRC et à l'ARRCO, mais bien plus encore à l'assurance chômage.
Sur la pénibilité, je ne reviens pas sur les dix critères qui avaient été définis en 2008, avant que la négociation achoppe sur le problème du financement, le patronat n'ayant pas voulu sortir le porte-monnaie !
S'agissant de la convergence, vous aurez compris que Force ouvrière ne souhaite pas aller vers un système unique de retraite. La retraite par répartition est le fruit de l'histoire. Or même si nous sommes prêts à des adaptations, la sociologie n'a pas évolué au point que l'on puisse supprimer les régimes des trois fonctions publiques et les régimes spéciaux. En outre, ces derniers sont en train d'être réformés : en 2020, la durée d'activité devrait être la même pour tous. Il faut cesser d'entretenir le fantasme d'une prétendue possibilité de partir à la retraite à 52 ans !
Nous ne sommes pas opposés au dispositif de rachat de trimestres d'études prévu pour les jeunes. Mais nous craignons qu'à partir d'une idée généreuse, on ne crée de nouvelles injustices entre diplômés et non diplômés. Je profite de l'occasion pour préciser notre position sur les stages : il ne peut y avoir de stages que dans le cursus universitaire. Autrement, il s'agit de travail à bon compte – ce que nous refusons.
Le Comité de surveillance des retraites est un comité d'experts. Nous n'y siégerons pas. Nous tenons à insister sur le fait qu'il a vocation à éclairer la représentation nationale, et non à se substituer à elle pour prendre les décisions. C'est une question de démocratie.
Pour la CFTC, la période ne se prête pas à une réforme systémique. La première préoccupation des salariés est aujourd'hui de garder leur emploi, et il y a suffisamment d'anxiété en France pour ne pas ajouter une grande réforme du système de retraite à la négociation sur l'UNEDIC. Cette réforme pourra avoir lieu plus tard, mais il faut se donner le temps de la négociation.
De même, il serait dangereux d'instaurer dès maintenant un système unique. En tant qu'organisation syndicale représentant à la fois des salariés du secteur privé et des fonctionnaires sous statut, nous ne pouvons que constater que les mentalités n'y sont pas prêtes. Beaucoup de fausses idées et de mensonges ont circulé dans les six derniers mois. Il faudra donc faire oeuvre de pédagogie avant d'envisager un régime unique. En revanche, nous ne sommes pas opposés à l'idée d'un guichet unique.
En ce qui concerne la concertation et la négociation, je rejoins mon collègue de Force ouvrière : à chacun son rôle. Il était clair que cette réforme donnait lieu à une concertation et non à une négociation, ce qui nous permet d'aller plus loin dans les propositions.
S'agissant du financement, nous estimons que le contributif doit impérativement relever de la cotisation, et la solidarité nationale de l'impôt. Nous réclamons depuis 2010 une véritable conférence sociale sur ce sujet, qui permette d'en discuter sans tabou. On peut ainsi s'interroger sur les 200 milliards d'aides octroyés aux entreprises, qui n'ont pas eu les résultats escomptés en termes d'emplois.
L'emploi reste le meilleur – et le plus pérenne – des financements pour la protection sociale. C'est pourquoi nous demandons au Gouvernement de mettre en oeuvre une stratégie offensive sur ce front, notamment dans les métiers d'avenir tels que l'isolation des logements dans le bâtiment.
J'en viens à la pénibilité. Il est vrai que de nombreux emplois ne sont pas ou peu proposés aux jeunes car ils font peur. C'est par exemple le cas dans le BTP. Pour notre part, nous estimons qu'il faut adapter l'emploi à l'homme, et non le contraire. Cela relève de la responsabilité des entreprises, mais aussi du Gouvernement, qui doit exiger que les métiers et les outils soient adaptés aux individus, et non l'inverse. Avec de la volonté, il doit être possible de créer des emplois dans de bonnes conditions.
Nous devons veiller à ce que le compte pénibilité ne serve pas de prétexte aux entreprises pour renoncer à améliorer les conditions de travail. Il faut tenir compte des salariés qui travaillent aujourd'hui dans des conditions pénibles, et tout faire pour que celles-ci ne perdurent pas. C'est de la responsabilité des entreprises.
Comment promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes ? Nous essayons depuis longtemps de faire évoluer les mentalités, mais il n'est pas dit que nous y parviendrons un jour ! Néanmoins, les textes existent. Les entreprises peuvent désormais se voir infliger des sanctions équivalant à 1 % de leur masse salariale lorsqu'elles ne règlent pas les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Mais si 300 entreprises se sont fait « épingler » depuis le début de l'année, seules 40 d'entre elles se sont vu infliger une telle sanction. Bref, il ne suffit pas de coller des affiches et d'annoncer des plans d'action ! Le Gouvernement doit faire en sorte que le droit s'applique et que les sanctions tombent.
La proposition de retenir les 100 meilleurs trimestres pour les femmes avait été faite par la CFTC. Il semble que la législation européenne s'y oppose. Mais les discriminations salariales envers les femmes n'ont jamais posé problème !
Pour en revenir à la pénibilité, nous nous inquiétons nous aussi que la déclaration du salarié en situation de pénibilité soit à la main des entreprises. Nous allons donc former nos militants syndicaux sur cette question, qu'il est possible de démystifier avec les entreprises, et pas nécessairement contre elles.
Enfin, les mesures qui touchent à la famille intéressent particulièrement la CFTC. J'espère donc que la suppression des cotisations familiales des employeurs ne se traduira pas par une augmentation de la CSG des familles. Il ne serait pas admissible de donner d'une main pour reprendre de l'autre.
La CFDT n'a jamais revendiqué un « big bang » des retraites. La réforme systémique consiste d'abord à rapprocher les différents régimes. Ce rapprochement doit rester un cap, sans pour autant stigmatiser les salariés qui bénéficient de régimes spéciaux hérités de l'histoire. L'alignement brutal de ces régimes spéciaux aboutirait d'ailleurs à créer d'autres inégalités en leur sein.
La réforme systémique a une deuxième dimension : il s'agit d'aller au coeur du système de retraite, et de ne pas se contenter d'agir sur les principaux paramètres – financement, âge de départ à la retraite, durée de cotisation – sans tenir compte de l'impact des mesures. Jusqu'à présent, les réformes ont été faites sans s'inquiéter de leurs effets sur les différents types de populations que sont par exemple les femmes, les salariés employés à des travaux pénibles ou ceux ayant eu des carrières longues. Or un certain nombre des points qui ont été discutés ont cette dimension systémique. Cela n'empêche pas qu'il faille également réfléchir à l'architecture du système.
J'en viens au pilotage de notre système de retraite. Nous ne sommes pas condamnés à des rendez-vous traumatisants : il faut trouver des règles de gouvernance qui ne s'inspirent pas d'une vision catastrophiste qui n'est pas vraiment justifiée, puisque, au-delà de 2030, les perspectives sont plutôt favorables. Il faut bien sûr un pilotage année après année, avec des indicateurs qualitatifs : il ne s'agit pas seulement d'équilibre financier, mais de savoir si les mesures prises produisent des effets sur l'égalité entre les hommes et les femmes, la pénibilité ou les validations de durées de cotisation, en particulier dans les premières années. On entend souvent observer qu'entre 1950 et 1970, la durée de cotisation a augmenté de 11 trimestres. Mais la première génération pour laquelle l'âge de la fin de la scolarité obligatoire a été porté de 14 à 16 ans est la génération née en 1953. Cela suffit à expliquer 8 des 11 trimestres d'allongement de la durée de cotisation !
S'agissant des jeunes, il convient de ne pas véhiculer d'idées nocives pour notre système de retraite. Certes, certains jeunes n'accèdent à un emploi stable qu'à 25 ou 26 ans ; mais l'âge moyen du premier emploi reste de 21 ou 22 ans, chiffre qui n'a pratiquement pas bougé depuis dix ou quinze ans. Ce monde où l'on fait des études jusqu'à 27 ans n'est pas celui que je connais. Il y a des gens qui font de longues études, mais il y en a d'autres qui se retrouvent très jeunes sur le marché du travail. Or les périodes de chômage indemnisées sont validées, et il suffit d'avoir travaillé 5 mois dans l'année – et bientôt 3 avec la réforme – pour valider quatre trimestres. Notre système comporte donc déjà des mécanismes de solidarité envers les jeunes.
Quant aux rachats des années d'études, je partage l'analyse de Philippe Pihet. La valeur d'un trimestre n'étant pas la même pour un salarié au SMIC et pour un salarié ayant effectué une brillante carrière, on aboutira tout bonnement à une redistribution à l'envers : c'est donner des primes aux seconds sur le dos des premiers. Bref, c'est une aberration.
L'idée d'une gestion des temps tout au long de la vie et d'une « retraite à la carte » a été abordée à plusieurs reprises. Nous vivons dans un système très stratifié : trente années d'éducation et de formation, une carrière professionnelle finalement très courte, menée sous pression, puis de longues années de retraite. On doit pouvoir « respirer » à certains moments de cette carrière sans que cela pénalise notre système de retraite. Il y a sans doute d'autres mécanismes à imaginer que la terrible « segmentation » qui est aujourd'hui de règle.
Mme Iborra m'a interrogé sur les petites retraites : 25 % des retraités touchant 50 % de la masse des retraites servies, 75 % des retraités en touchent 50 %. Il est donc possible de prendre des mesures de protection des petites pensions – au-delà de la seule allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – sans plomber l'ensemble du système.
Pour les carrières précaires, l'idée de la trimestrialisation est bonne. Mais plutôt que de retenir les 100 meilleurs trimestres, il nous semble préférable d'effacer les trimestres non validés des années qui en comportent pour calculer les moyennes. Dans une année ne comportant que trois trimestres validés, on diviserait ainsi par trois et non par quatre. Cela pourrait constituer une mesure complémentaire en faveur des personnes en situation précaire et des femmes.
La pénibilité doit être renvoyée à la responsabilité de l'employeur, puisque c'est lui qui expose les salariés à ces conditions de travail. Le système sera complexe à mettre en place, et nécessitera sans doute quelques adaptations. Cela ne doit pas nous décourager : il est possible de trouver des systèmes intelligents. Il ne s'agit évidemment ni de plomber les entreprises, ni d'inciter les salariés à occuper des emplois pénibles. Tout cela devra donc être encadré. Quoi qu'il en soit, cela va constituer un excellent outil de prévention, même si la démarche est déjà entamée puisque nous avons signé des accords sur le sujet avec le MEDEF il y a quelques années.
J'en viens à l'articulation entre loi, négociation et concertation. L'accord national interprofessionnel (ANI) relevait de notre coeur de métier. Il était donc légitime que nous vous fassions des propositions et que l'esprit de l'ANI soit respecté – mais vous avez tout de même eu le dernier mot !
En revanche, le vieillissement de la population et les décisions qu'il appelle en matière de retraites sont de la responsabilité du Gouvernement, même si nous avons notre mot à dire. Contrairement à mon camarade de Force ouvrière, je n'opposerai cependant pas l'intérêt des salariés et l'intérêt général. Défendre l'intérêt des salariés sans avoir de vision général peut être contre-productif, y compris pour les salariés.
Je terminerai sur le financement de la protection sociale. Si l'assurance maladie relève principalement d'un régime contributif alors que le risque maladie est un risque universel, c'est parce qu'à l'origine, les indemnités journalières représentaient 80 % des dépenses de l'assurance maladie. Depuis, le rapport s'est inversé : les soins ont pris le pas sur les indemnités journalières, qui représentent désormais moins de 10 % des dépenses de l'assurance maladie. Dès lors, il est normal d'élargir sa base de financement. C'est pourquoi nous étions favorables dès l'origine à la CSG. Il est tout de même paradoxal de s'opposer à un financement par le CSG si l'on souhaite que tous les revenus – et pas seulement les revenus du travail – contribuent. Certes, 85 % de la CSG est payée par les salariés ; mais le travail représente 85 % des ressources d'un pays.
Nous sommes donc favorables à une mise à plat du financement de la protection sociale, qui permette de distinguer ce qui est du domaine du contributif et ce qui est du domaine de la solidarité. À terme, il faudra sans doute transférer le financement de la branche famille sur une assiette plus large : il n'est pas juste qu'il pèse sur les seules entreprises. Mais cela doit rester neutre pour les salariés. Des propositions précises ont été faites en ce sens.
Le système de retraites, il est marqué par une grande confusion dans les financements. Par exemple, les avantages familiaux sont pour partie financés par la branche famille. Il faut impérativement améliorer la lisibilité et la cohérence de ses modes de financement.
Permettez-moi d'observer que ce n'est pas parce qu'il n'y avait pas autant de monde dans la rue hier que les organisateurs l'auraient souhaité qu'il n'y a pas de mécontentement ! Une note commandée par la Fondation Jean Jaurès fait d'ailleurs état des inquiétudes et du mécontentement persistants des Français sur la question des retraites. Nous ne devons pas minimiser ces inquiétudes, notamment en ce qui concerne la durée de cotisation. Je note d'ailleurs que ce sont les jeunes et les catégories populaires qui sont les plus hostiles à l'allongement de la durée de cotisation, qui suppose des départs à la retraite à un âge avancé. Ils ont bien compris qu'il ne serait plus possible de prendre sa retraite à 62 ans !
Pour la CFE-CGC, l'allongement de la durée de cotisation doit se concilier avec le maintien d'un âge de départ à la retraite décent. Le rapport Moreau comporte une proposition qui permet d'y parvenir ; elle peut être adaptée.
En ce qui concerne le rachat des années d'études, il faut être clair avec les jeunes : soit on leur dit qu'ils partiront à la retraite à 68 ans, sauf à accepter une décote, soit on imagine une solution de rachat leur permettant de partir un peu plus tôt. Nous sommes favorables à la seconde solution ; ils semblent que les autres intervenants préfèrent la première. Le législateur doit donc trancher. En tout cas, ne nous moquons pas des jeunes : le dispositif proposé par le texte, qui consiste à racheter ces années à un prix très élevé et dans un délai très court, ne pourra être utilisé par personne. Pour notre part, nous avons fait des propositions ; nous pouvons vous les transmettre.
S'agissant du financement, nous estimons nous aussi qu'il faut distinguer ce qui relève du contributif et ce qui est universel. La retraite est typiquement une prestation contributive. Si fiscalisation de la protection sociale il y a, ce qui nous paraît inévitable, elle doit donc porter sur la maladie et sur la famille. Reste à savoir sur quel impôt – CSG ou taxe sur la consommation – asseoir ce financement. Aucune de ces perspectives n'est plaisante. Nous avions choisi la seconde dans notre proposition, d'une part parce qu'elle nous semblait moins néfaste pour les salariés, sachant que nous demandons à ce que la compensation se fasse non pas seulement sur les cotisations patronales, mais aussi sur les cotisations salariales, et d'autre part parce qu'elle ne déboucherait que sur une augmentation modérée des prix. Mais dans les deux cas, ce sont les salariés qui payeront.
Les modalités de mise en oeuvre du compte pénibilité seront en effet déterminantes. Il me semble que l'on pourrait y associer le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le médecin du travail.
Quant au Comité de surveillance des retraites, il doit conserver un rôle consultatif.
Madame, messieurs, nous vous remercions d'avoir bien voulu répondre aux questions des membres de la Commission.
La séance est levée à douze heures cinq.