Intervention de Eric Aubin

Réunion du 11 septembre 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Eric Aubin, secrétaire confédéral en charge des retraites, CGT :

Mon propos s'inscrit dans la critique constructive. Vous aurez peut-être noté que nous avons engagé un mouvement social. Nous sommes aussi au début des travaux parlementaires pour lesquels nous regrettons le recours à la procédure d'urgence qui laisse peu de temps au débat public.

Pour la CGT, la réforme des retraites doit tenir compte de la réalité de la situation de l'emploi et des politiques des entreprises. Or ce projet de réforme semble en décalage avec cette réalité.

La hausse de la durée de cotisation est le coeur de la réforme. Cette méthode, utilisée par les gouvernements précédents, est selon nous anti-jeunes et source d'injustice. L'objectif de quarante-trois années est inatteignable pour nombre de salariés. Il l'est pour la génération 1973 qui ne pourra bénéficier d'une retraite pleine avant 65 ans et demi, bien loin de l'âge légal de départ en retraite, comme l'ont souligné les organisations de jeunesse. Cette mesure est d'autant plus inacceptable au vu de la carrière de ces jeunes qui se caractérise par une entrée tardive sur le marché du travail et une stabilité de l'emploi qui l'est encore plus. Leur retraite s'en trouvera inévitablement amputée par l'application de décotes.

La première conséquence de l'allongement de la durée de cotisation est donc la baisse du niveau des pensions. Je vois une contradiction dans les propos du Premier ministre lorsqu'il affirme dans le même temps ne pas vouloir baisser le niveau de pensions mais vouloir allonger la durée de cotisation. Je rappelle que le faible niveau des pensions pose déjà problème ; selon le Conseil d'orientation des retraites, la moyenne s'établit à 1 246 euros.

Notre discours est constant quelles que soient les majorités politiques. La réforme de 2010 était selon nous injuste car elle était essentiellement supportée par les salariés. De la même manière, nous considérons que le financement de la réforme d'aujourd'hui repose exclusivement sur les salariés et les retraités. Mme Marisol Touraine prétend déconnecter la question des retraites et celle de la protection sociale tandis que dans le même temps, M. Pierre Moscovici annonce à l'université d'été du MEDEF le transfert des cotisations famille pour compenser la hausse des cotisations patronales pour les retraites. Cette perspective est inacceptable.

Le Premier ministre réfute une sous-indexation des retraites alors que le report de six mois de la revalorisation des pensions en est une. Cette mesure permettra d'économiser 1,4 milliard d'euros à l'horizon 2020. Elle ne sera donc pas neutre pour les retraités. Nous rejetons ce véritable tour de passe-passe, même si les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) ne sont pas visés. Il faut arrêter de penser que les retraités ont un niveau de vie confortable. Une pension supérieure à 780 euros ne garantit pas aux retraités un revenu suffisant pour leur épargner des difficultés financières.

En matière de pénibilité, nous approuvons l'abandon de l'approche médicale du dispositif précédent. Sur les risques psychosociaux, je ne partage pas l'avis de mon collègue. Les travaux du Centre de recherches sur l'expérience, l'âge et les populations au travail, notamment de M. Serge Volkoff, montrent que trois types de pénibilité doivent être distingués appelant des solutions différentes. À titre d'exemple, pour les enseignants, la réponse au stress au travail ne peut pas être un départ anticipé puisque leur espérance de vie est plus longue. Le départ anticipé est en revanche approprié pour permettre aux travailleurs usés par leurs conditions de travail de bénéficier d'une retraite d'une durée équivalente aux autres salariés.

J'ai rencontré de nombreux directeurs des ressources humaines qui m'ont fait part de leurs difficultés. En l'absence de dispositif adapté pour les seniors usés prématurément, ils ont recours à la rupture conventionnelle. Cette lacune peut expliquer partiellement l'explosion du nombre de ruptures conventionnelles. Il convient d'encadrer la rupture conventionnelle et d'autoriser ces salariés à prendre une retraite anticipée.

Le dispositif sur la pénibilité appelle deux reproches : le premier, il oppose prévention et réparation de la pénibilité. Réserver vingt des cent points du compte personnel de prévention de la pénibilité à la formation est insuffisant pour quitter un métier pénible. J'insiste sur l'importance de la prévention et de la formation qui ne doit pas être une alternative à la possibilité de bénéficier d'un départ anticipé ou d'un aménagement de fin de carrière. Le salarié ne doit pas avoir à choisir entre les deux versants de la prise en charge de la pénibilité.

Second reproche, la question du « stock » n'est pas réglée. Aucune solution n'est proposée aux salariés qui ne peuvent plus aujourd'hui exercer leur métier. Les bonifications permettant un départ en retraite anticipé ne seront accordées qu'aux salariés âgés de 59 ans et demi au 1er janvier 2015 : c'est insuffisant. Cela ne tient pas compte du fait que la moitié des retraités ne sont plus en activité au moment de la liquidation de leur retraite. Nombre des salariés usés prématurément sont au chômage, en arrêt maladie ou en situation d'invalidité. Nous savons que le décrochage se produit à partir de 55 ans. La CGT demande que certains salariés puissent à partir de cet âge quitter leur activité pour réparer les dommages de la pénibilité.

Quant aux jeunes, le projet de loi ne répond pas à leur revendication d'une prise en compte des années d'études. Il permet le rachat de quatre trimestres seulement – une goutte d'eau au regard du nombre de trimestres nécessaires pour bénéficier d'une retraite à taux plein – à un coût très élevé de surcroît. Chacun sait que les jeunes peinent déjà à rembourser les emprunts contractés pour financer leurs études. Ils auront donc les plus grandes difficultés à racheter des trimestres même si cette possibilité leur est offerte pendant dix ans au lieu de cinq. La mesure proposée est illusoire.

Pour les femmes, notre appréciation est mitigée sur l'abaissement du seuil d'heures nécessaires pour valider un trimestre. La mesure peut apparaître comme une réponse positive mais elle revient à admettre que la précarité est une réalité. Or, il faut combattre la précarité et les inégalités entre les hommes et les femmes. La CGT propose de parvenir à l'égalité à l'horizon 2 023. La Caisse nationale d'assurance vieillesse en a estimé le gain pour les caisses de retraite à cinq milliards en 2015 et dix milliards en 2020 couvrant ainsi largement les besoins de financement estimés par le rapport remis par Mme Moreau à 7 milliards pour le régime général. Il nous semble préférable de combattre la précarité galopante dans la vie active plutôt que de corriger ces méfaits au moment de la retraite.

Il faut absolument compenser les écarts de pensions liées aux carrières pénalisantes que connaissent les femmes. Dès lors que les carrières et les traitements ne sont pas identiques, les compensations sont légitimes. Nous sommes satisfaits que le débat soit ouvert. Cependant, la forfaitisation envisagée de la majoration de 10 % pour les ménages de trois enfants et plus constitue une dénaturation du dispositif. Initialement, celui-ci avait pour objet de compenser le fait que ces familles ont plus de difficultés à constituer un patrimoine que les autres. La mesure envisagée en fait un instrument de compensation de l'inégalité entre hommes et femmes. Ce changement de nature n'est pas acceptable. C'est pourquoi nous sommes opposés à la forfaitisation de cette majoration. Il faut malgré tout améliorer la situation des familles avec un ou deux enfants.

La CGT propose une remise à plat du financement de la protection sociale qui s'appuierait sur les outils suivants : à court terme, l'égalité salariale entre hommes et femmes ; à long terme la contribution des revenus financiers des entreprises, la modulation des cotisations en fonction de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée – les grandes entreprises et les PME ne peuvent pas être traitées de manière similaire – ainsi que l'élargissement de l'assiette des cotisations.

La CGT met en garde contre le pilotage proposé qui apparaît comme les prémices d'une réforme systémique. Elle est très attachée au système de retraite par répartition auquel elle assigne deux exigences supplémentaires : la solidarité et la garantie de prestations définies. Le pilotage proposé risque de nous conduire vers un régime à cotisations définies que nous désapprouvons.

En Suède, l'évolution vers un système à cotisations définies a fortement fait chuter le niveau des pensions, à tel point que le Gouvernement a dû intervenir. Dans ce système, le niveau des pensions varie en fonction de l'espérance de vie de la génération à laquelle on appartient. On ne sait jamais avec quelle pension et à quel âge on partira à la retraite. Cette incertitude qui caractérise une réforme systémique est contraire à l'objectif recherché de donner confiance aux jeunes.

Enfin, il n'appartient pas aux experts de faire la politique en matière de retraites en France. Il faut redonner leur place aux représentants des salariés et des assurés. C'est pourquoi la CGT propose la création d'une maison commune des régimes de retraite qui permettrait une coordination des régimes qui fait cruellement défaut aujourd'hui.

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