Vous redoutez une confusion entre concertation et négociation, madame Fraysse. Lorsque Mme Touraine a annoncé – lors de la grande Conférence sociale de 2012 – qu'un projet de loi sur les retraites serait discuté fin 2013, elle nous a indiqué qu'il donnerait lieu à une concertation renforcée, qui ne serait pas une négociation. Pour nous, qui sommes viscéralement républicains, il était de toute façon exclu de négocier avec le Gouvernement sur un tel sujet. Les syndicats défendent les salariés, tandis que le législateur a en charge l'intérêt général : chacun est dans son rôle. C'est dans cet esprit que nous avons participé à la concertation, et nous nous en félicitons, puisque nous avons pu – grâce à un dialogue constructif – faire avancer les choses sur un certain nombre de points.
S'agissant du financement, nous avions demandé – lorsque nous avons été consultés par le cabinet de Mme Touraine sur la feuille de route de la commission pour l'avenir des retraites présidée par Mme Moreau – que tous les mécanismes de financement du système soient mis à plat. Cela ne rapportera rien, mais cela permettra de dire qui paye quoi pour qui. Prenons un exemple. Lorsque la compensation démographique a été mise en place en 1974, il s'agissait d'aller vers un régime sinon unique, du moins unifié. Les quatre premières années, de 1974 à 1978, elle a donc été financée par l'État. Depuis 1978, elle est à la charge des régimes. Je n'en déduis pas qu'il ne faut pas aider les exploitants agricoles – qui sont très directement concernés – mais je pose la question : est-il toujours raisonnable, en 2013, de faire financer la compensation démographique des exploitants agricoles par les seuls salariés ? Il nous semble que c'est à la Nation – donc à l'impôt – de faire cet effort. Vous l'aurez compris, Force ouvrière est favorable à une séparation claire entre le contributif, financé par les cotisations, dont relève à notre sens la retraite, et la solidarité nationale, qui doit être financée par l'impôt – qu'il s'agisse de la CSG, de la TVA ou d'une autre imposition.
En ce qui concerne le coût du travail, nous partageons largement l'analyse de la CGT. Je rappelle que vous avez instauré il y a peu le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE), qui doit contribuer à alléger le coût du travail.
Au sujet du Haut conseil du financement de la protection sociale, nous avons dit au Gouvernement – pour faire court – que son prédécesseur avait mis en place l'ancien conseil pour nous faire accepter la TVA sociale, et qu'il s'agissait cette fois-ci de nous faire accepter un financement par la CSG. Nous ne voulons ni de l'un ni de l'autre. En revanche, nous sommes prêts à discuter du financement des allocations familiales par la solidarité nationale, celles-ci étant désormais – depuis 1978 – une prestation universelle. Nous avons eu l'occasion de le dire dans les négociations sur le financement de l'AGIRC et de l'ARRCO, qui manquent cruellement de ressources. Si on peut concevoir que les allocations familiales ne soient plus financées par les cotisations patronales, il est hors de question que ce « bonus » devienne un bonus de compétitivité pour les employeurs. Il devra être dévolu à l'AGIRC et à l'ARRCO, mais bien plus encore à l'assurance chômage.
Sur la pénibilité, je ne reviens pas sur les dix critères qui avaient été définis en 2008, avant que la négociation achoppe sur le problème du financement, le patronat n'ayant pas voulu sortir le porte-monnaie !
S'agissant de la convergence, vous aurez compris que Force ouvrière ne souhaite pas aller vers un système unique de retraite. La retraite par répartition est le fruit de l'histoire. Or même si nous sommes prêts à des adaptations, la sociologie n'a pas évolué au point que l'on puisse supprimer les régimes des trois fonctions publiques et les régimes spéciaux. En outre, ces derniers sont en train d'être réformés : en 2020, la durée d'activité devrait être la même pour tous. Il faut cesser d'entretenir le fantasme d'une prétendue possibilité de partir à la retraite à 52 ans !
Nous ne sommes pas opposés au dispositif de rachat de trimestres d'études prévu pour les jeunes. Mais nous craignons qu'à partir d'une idée généreuse, on ne crée de nouvelles injustices entre diplômés et non diplômés. Je profite de l'occasion pour préciser notre position sur les stages : il ne peut y avoir de stages que dans le cursus universitaire. Autrement, il s'agit de travail à bon compte – ce que nous refusons.
Le Comité de surveillance des retraites est un comité d'experts. Nous n'y siégerons pas. Nous tenons à insister sur le fait qu'il a vocation à éclairer la représentation nationale, et non à se substituer à elle pour prendre les décisions. C'est une question de démocratie.