Intervention de Jean-Louis Malys

Réunion du 11 septembre 2013 à 9h00
Commission des affaires sociales

Jean-Louis Malys, secrétaire national en charge des retraites, CFDT :

La CFDT n'a jamais revendiqué un « big bang » des retraites. La réforme systémique consiste d'abord à rapprocher les différents régimes. Ce rapprochement doit rester un cap, sans pour autant stigmatiser les salariés qui bénéficient de régimes spéciaux hérités de l'histoire. L'alignement brutal de ces régimes spéciaux aboutirait d'ailleurs à créer d'autres inégalités en leur sein.

La réforme systémique a une deuxième dimension : il s'agit d'aller au coeur du système de retraite, et de ne pas se contenter d'agir sur les principaux paramètres – financement, âge de départ à la retraite, durée de cotisation – sans tenir compte de l'impact des mesures. Jusqu'à présent, les réformes ont été faites sans s'inquiéter de leurs effets sur les différents types de populations que sont par exemple les femmes, les salariés employés à des travaux pénibles ou ceux ayant eu des carrières longues. Or un certain nombre des points qui ont été discutés ont cette dimension systémique. Cela n'empêche pas qu'il faille également réfléchir à l'architecture du système.

J'en viens au pilotage de notre système de retraite. Nous ne sommes pas condamnés à des rendez-vous traumatisants : il faut trouver des règles de gouvernance qui ne s'inspirent pas d'une vision catastrophiste qui n'est pas vraiment justifiée, puisque, au-delà de 2030, les perspectives sont plutôt favorables. Il faut bien sûr un pilotage année après année, avec des indicateurs qualitatifs : il ne s'agit pas seulement d'équilibre financier, mais de savoir si les mesures prises produisent des effets sur l'égalité entre les hommes et les femmes, la pénibilité ou les validations de durées de cotisation, en particulier dans les premières années. On entend souvent observer qu'entre 1950 et 1970, la durée de cotisation a augmenté de 11 trimestres. Mais la première génération pour laquelle l'âge de la fin de la scolarité obligatoire a été porté de 14 à 16 ans est la génération née en 1953. Cela suffit à expliquer 8 des 11 trimestres d'allongement de la durée de cotisation !

S'agissant des jeunes, il convient de ne pas véhiculer d'idées nocives pour notre système de retraite. Certes, certains jeunes n'accèdent à un emploi stable qu'à 25 ou 26 ans ; mais l'âge moyen du premier emploi reste de 21 ou 22 ans, chiffre qui n'a pratiquement pas bougé depuis dix ou quinze ans. Ce monde où l'on fait des études jusqu'à 27 ans n'est pas celui que je connais. Il y a des gens qui font de longues études, mais il y en a d'autres qui se retrouvent très jeunes sur le marché du travail. Or les périodes de chômage indemnisées sont validées, et il suffit d'avoir travaillé 5 mois dans l'année – et bientôt 3 avec la réforme – pour valider quatre trimestres. Notre système comporte donc déjà des mécanismes de solidarité envers les jeunes.

Quant aux rachats des années d'études, je partage l'analyse de Philippe Pihet. La valeur d'un trimestre n'étant pas la même pour un salarié au SMIC et pour un salarié ayant effectué une brillante carrière, on aboutira tout bonnement à une redistribution à l'envers : c'est donner des primes aux seconds sur le dos des premiers. Bref, c'est une aberration.

L'idée d'une gestion des temps tout au long de la vie et d'une « retraite à la carte » a été abordée à plusieurs reprises. Nous vivons dans un système très stratifié : trente années d'éducation et de formation, une carrière professionnelle finalement très courte, menée sous pression, puis de longues années de retraite. On doit pouvoir « respirer » à certains moments de cette carrière sans que cela pénalise notre système de retraite. Il y a sans doute d'autres mécanismes à imaginer que la terrible « segmentation » qui est aujourd'hui de règle.

Mme Iborra m'a interrogé sur les petites retraites : 25 % des retraités touchant 50 % de la masse des retraites servies, 75 % des retraités en touchent 50 %. Il est donc possible de prendre des mesures de protection des petites pensions – au-delà de la seule allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – sans plomber l'ensemble du système.

Pour les carrières précaires, l'idée de la trimestrialisation est bonne. Mais plutôt que de retenir les 100 meilleurs trimestres, il nous semble préférable d'effacer les trimestres non validés des années qui en comportent pour calculer les moyennes. Dans une année ne comportant que trois trimestres validés, on diviserait ainsi par trois et non par quatre. Cela pourrait constituer une mesure complémentaire en faveur des personnes en situation précaire et des femmes.

La pénibilité doit être renvoyée à la responsabilité de l'employeur, puisque c'est lui qui expose les salariés à ces conditions de travail. Le système sera complexe à mettre en place, et nécessitera sans doute quelques adaptations. Cela ne doit pas nous décourager : il est possible de trouver des systèmes intelligents. Il ne s'agit évidemment ni de plomber les entreprises, ni d'inciter les salariés à occuper des emplois pénibles. Tout cela devra donc être encadré. Quoi qu'il en soit, cela va constituer un excellent outil de prévention, même si la démarche est déjà entamée puisque nous avons signé des accords sur le sujet avec le MEDEF il y a quelques années.

J'en viens à l'articulation entre loi, négociation et concertation. L'accord national interprofessionnel (ANI) relevait de notre coeur de métier. Il était donc légitime que nous vous fassions des propositions et que l'esprit de l'ANI soit respecté – mais vous avez tout de même eu le dernier mot !

En revanche, le vieillissement de la population et les décisions qu'il appelle en matière de retraites sont de la responsabilité du Gouvernement, même si nous avons notre mot à dire. Contrairement à mon camarade de Force ouvrière, je n'opposerai cependant pas l'intérêt des salariés et l'intérêt général. Défendre l'intérêt des salariés sans avoir de vision général peut être contre-productif, y compris pour les salariés.

Je terminerai sur le financement de la protection sociale. Si l'assurance maladie relève principalement d'un régime contributif alors que le risque maladie est un risque universel, c'est parce qu'à l'origine, les indemnités journalières représentaient 80 % des dépenses de l'assurance maladie. Depuis, le rapport s'est inversé : les soins ont pris le pas sur les indemnités journalières, qui représentent désormais moins de 10 % des dépenses de l'assurance maladie. Dès lors, il est normal d'élargir sa base de financement. C'est pourquoi nous étions favorables dès l'origine à la CSG. Il est tout de même paradoxal de s'opposer à un financement par le CSG si l'on souhaite que tous les revenus – et pas seulement les revenus du travail – contribuent. Certes, 85 % de la CSG est payée par les salariés ; mais le travail représente 85 % des ressources d'un pays.

Nous sommes donc favorables à une mise à plat du financement de la protection sociale, qui permette de distinguer ce qui est du domaine du contributif et ce qui est du domaine de la solidarité. À terme, il faudra sans doute transférer le financement de la branche famille sur une assiette plus large : il n'est pas juste qu'il pèse sur les seules entreprises. Mais cela doit rester neutre pour les salariés. Des propositions précises ont été faites en ce sens.

Le système de retraites, il est marqué par une grande confusion dans les financements. Par exemple, les avantages familiaux sont pour partie financés par la branche famille. Il faut impérativement améliorer la lisibilité et la cohérence de ses modes de financement.

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