Intervention de éric Trappier

Réunion du 11 septembre 2013 à 18h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviatio :

La tribune que j'ai publiée avec six autres chefs d'entreprise faisait suite à l'appel lancé en début d'année au Président de la République à propos de l'élaboration du budget de la défense. Elle se voulait un commentaire positif, à la veille des universités d'été de la défense. Nous nous réjouissons, en effet, à l'idée que puisse être adoptée une version plutôt optimiste de la loi de programmation militaire, contrairement à ce que laissaient entendre certains bruits de couloir. Nos inquiétudes ont visiblement été prises en compte par le Président de la République et le ministre de la Défense, mais aussi par les commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat.

Nos commentaires ne s'adressaient donc pas au gouvernement actuel. Mais sous tous les gouvernements précédents, on a vu une application incomplète des lois de programmation militaire – en disant cela, je ne formule pas une critique, mais une inquiétude. Dès lors, l'introduction d'une clause de sauvegarde, afin de vérifier certaines hypothèses, de prendre en compte certains aléas après un ou deux ans d'application, est selon nous une bonne décision.

Notre remarque était motivée par la longueur de notre cycle industriel. Il ne s'agit pas de défiance à l'égard de l'État, mais les calendriers politique et industriel peuvent être différents. Dans l'industrie, nous dressons des plans sur dix ans, pour déterminer où doit être investi l'argent, quelles usines doivent se doter d'outils plus modernes, s'il faut acheter des terrains ou construire… S'agissant du monde civil, tout cela est notre affaire. Mais en matière militaire, nous devons aussi savoir où nous allons. Il faut donc établir un contrat moral – à défaut d'être écrit – et de long terme avec l'État. Cette préoccupation est bien entendu indépendante de la couleur politique, la défense étant un secteur trop important pour pouvoir subir des changements au gré des alternances. Ce n'est d'ailleurs pas le cas : la continuité est réelle.

Il est vrai que des aléas surviennent. Il en est ainsi sur le plan budgétaire : nous ne nions pas la nécessité de désendetter la France. Mais la pratique du « pompage » – comme on dit dans le jargon aéronautique – coûte cher et entre en contradiction avec les intérêts à long terme de l'industrie. Telle est la raison de la tribune publiée par les industriels de la défense : nous avons été entendus dans un contexte budgétaire difficile, mais nous resterons vigilants lors de l'exécution de la LPM. Si elle n'est pas appliquée complètement, en effet, certains programmes pourraient couler. Cela ne signifie pas que des sociétés vont disparaître, mais celles qui produisent à la fois pour les mondes civil et militaire devront sans doute réorienter leurs activités.

Or nous devons être vigilants, car les compétences mobilisées ne sont pas les mêmes pour les deux secteurs – même si nous tentons d'établir une synergie maximale entre eux. Par exemple, la furtivité n'est d'aucune utilité pour des avions civils. Si ces compétences ne sont pas mises à contribution dans le cadre de contrats passés avec le ministère de la Défense, il faut les consacrer à d'autres domaines, ne serait-ce que pour préserver la motivation des ingénieurs.

Plus généralement, nous sommes confrontés à un problème dont nous avons commencé à parler au sein du groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales : alors qu'il y a une dizaine d'années, le militaire attirait encore les meilleures compétences, aujourd'hui, les jeunes qui entrent dans l'industrie préfèrent le civil, où de nouveaux programmes sont lancés tous les jours. C'est d'autant plus vrai que la fin du service national a rendu la société civile moins sensible aux questions de défense.

C'est d'ailleurs aussi l'intérêt du nEUROn, un véritable challenge d'ingénieur. Nous sommes les seuls au monde, en dehors des Américains, à savoir faire voler un avion furtif et sans pilote de la taille d'un Mirage 2000. Dans un tel programme, on peut placer les meilleurs, d'autant que le résultat est tangible – ça vole. C'est donc mobilisateur. De même, la coopération avec les Britanniques permettrait de motiver les jeunes. Mais il en va autrement si on tergiverse ou si les projets sont modifiés en cours d'exécution. Le projet de LPM, dans la mesure où il prend en compte les besoins des bureaux d'études, me semble donc positif en ce sens.

J'en viens à la crise syrienne, dont je ne pense pas qu'elle puisse avoir à court terme des retombées, positives ou négatives, sur l'exportation du Rafale. Je prendrai l'exemple de nos deux prospects principaux, l'Inde et le Qatar. En Inde, le besoin de rénovation de sa flotte de combat est réel. Après une compétition dure entre six candidats, un choix a été opéré, sur le plan opérationnel tout d'abord, budgétaire ensuite : le Rafale a été déclaré gagnant, et nous sommes entrés dans la phase de négociation commerciale. Dans un tel contexte, la position de la France s'agissant de la Syrie n'a pas, à ma connaissance, de conséquence.

En ce qui concerne le Qatar, les Émirats ou l'Arabie saoudite, je n'ai pas suffisamment connaissance de l'état précis de nos relations avec ces pays – c'est l'affaire des politiques – pour évaluer l'impact de la crise syrienne. De toute façon, même si Dassault vend des Falcon à l'Arabie saoudite, notre société y a perdu le marché des avions de combat – face au Tornado.

En revanche, les opérations au Mali ont eu un impact sur le Qatar et les EAU. La capacité de la France à intervenir en premier, avec des matériels capables de traiter les cibles de manière précise – bien plus qu'en envoyant une centaine de Tomahawk dans la nature –, et d'y effectuer des missions longues – directement entre Saint-Dizier et le Mali – a été appréciée. Non seulement elle l'a été sur le plan politique – car n'importe quel pays n'a pas une telle capacité d'intervention –, mais elle l'a été aussi sur le plan des moyens matériels et de la faculté à opérer parfaitement les manoeuvres. Cela s'est vu un peu partout dans le monde. L'opération au Mali a donc eu une influence positive sur l'image du Rafale, comme avant celle effectuée en Libye.

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