Intervention de éric Trappier

Réunion du 11 septembre 2013 à 18h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

éric Trappier, président-directeur général de Dassault Aviatio :

Pour l'instant, les Russes sont des concurrents sur le plan général, mais on les voit peu sur nos marchés, qui concernent des pays avec lesquels la France entretient une relation politique fondée sur une compréhension particulière et s'inscrivant dans un cadre stratégique. L'Inde – où 90 % de la flotte est d'origine russe, le reste étant fourni par la France – fait figure d'exception. Mais ce pays a fait le choix de maintenir une double source d'approvisionnement : elle a acheté des Sukhoï SU-30 et réfléchit au développement avec les Russes d'un nouvel avion de combat, mais elle se prépare aussi à acheter des Rafale, s'inscrivant ainsi dans une longue tradition d'achat à la France, de l'Ouragan jusqu'au Mirage 2000. Nous ne sommes donc pas vraiment en concurrence, même si le Mig 35 faisait partie de la dernière compétition – il a été éliminé dès le premier tour.

Dans les autres pays, les Russes ne sont pas nos concurrents : ils ont été écartés de la compétition au Brésil, au Moyen Orient, en Malaisie. Les pays dans lesquels ils sont présents font partie de leur sphère traditionnelle d'influence.

Nos concurrents sont d'abord les Américains, qui bénéficient de l'effet de masse que représentent les milliards de dollars investis par l'État fédéral. En termes de dépenses budgétaires, le F-35 n'a en effet rien à voir avec le Rafale : la force des Américains est d'avoir commencé par évoquer un avion à bas prix utilisable par les trois armes, pour finir par présenter un appareil dont la conception aura coûté très cher au contribuable. Cela fait partie de la politique économique des États-Unis : en matière d'avions de combat, plus ils en dépensent, mieux c'est pour l'économie américaine, quels que soient les dérapages en termes de coût. Il faut bien comprendre que l'industrie de la défense n'est pas qu'un consommateur de crédits. Elle a un effet vertueux, puisqu'elle permet de développer des technologies utiles dans d'autres domaines. En outre, elle recourt peu à l'externalisation : en France chaque euro dépensé l'est sur le territoire national. Enfin, lorsque l'on parvient à conclure des contrats à l'export, elle contribue favorablement à l'équilibre de la balance commerciale.

Les Américains ont bien compris cela : un rapport de la Maison blanche souligne qu'un avion de combat met en jeu 17 technologies stratégiques sur les 22 qui concourent au développement d'un pays. C'est pourquoi ils n'hésitent pas à dépenser beaucoup en ce domaine, même s'ils ont réduit légèrement leur budget, ce qui les rend encore plus agressifs d'un point de vue commercial.

À l'export, ils bénéficient de nombreux avantages. Tout d'abord, nous parlons des États-Unis d'Amérique : pas un amiral, pas un général ne visite un pays sans dire « Achetez nos avions ! ». C'est un véritable rouleau compresseur. Même en Inde, où ils ont perdu la compétition, il ne se passe pas une semaine sans qu'un officier américain ne délivre un tel message. Aucun refus ne les arrête.

Par ailleurs, ils se font payer en dollars. Or, quelles que soient les difficultés économiques rencontrées en Europe, l'euro reste fort, ce qui leur donne un avantage concurrentiel.

De plus, les coûts de main-d'oeuvre n'y sont pas du tout les mêmes. Je vois la différence entre l'usine que Dassault détient aux États-Unis, et qui emploie 2 500 personnes, et celle située dans la région de Bordeaux.

Enfin, le format des séries est bien plus élevé aux États-Unis, d'autant qu'en France, il a plutôt tendance à baisser. Et ce n'est pas parce que l'on nous avait promis une commande de 320 appareils il y a vingt ans que nous pouvons envoyer une facture à l'État lorsque ce dernier nous annonce qu'il n'en achètera – peut-être – que 225 ! Tout cela se fait à budget identique.

S'agissant de la concurrence européenne, nous battons systématiquement l'Eurofighter Typhoon lorsque nous sommes en compétition, soit en finale – en Inde, par exemple –, soit en demi-finale – en Corée, ou à Singapour. Quant au Gripen, les Suisses, en l'achetant, admettent eux-mêmes qu'ils se déclassent en division d'honneur. Leur choix stratégique est de faire semblant d'avoir une aviation de combat tout en achetant le modèle le moins cher. Tant que l'on ne fait pas la guerre, ce n'est pas très grave.

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