En matière militaire, la notion de modèle économique n'a pas grand sens. On peut se comparer à d'autres, mais il n'existe pas vraiment de business plan. Nous connaissons maintenant les conditions de développement d'un drone MALE ; les questions sont plutôt de savoir s'il faut réaliser seulement ce drone, s'il faut prévoir un nouveau radar, ou adapter au drone les radars utilisés pour la surveillance maritime, etc.
Certes, on ne peut pas envisager la construction de centaines de drones MALE. Il en allait de même, d'ailleurs, lorsque le programme Reaper a été lancé, même s'il a depuis bénéficié de la puissance américaine. De la même façon, les Israéliens, en développant leur filière de drone, n'ont pas recherché la quantité, mais la réponse à un besoin opérationnel. Cela étant, si un programme militaire vise à développer une capacité à opérer, il relève aussi de la politique industrielle.
En tout état de cause, nous avons les compétences pour réaliser un drone MALE en Europe. Le développement du porteur n'est pas la partie la plus difficile. La fabrication et l'intégration des liaisons sont plus compliquées, s'agissant d'une machine devant opérer à distance : il faut éviter que le drone soit intercepté par la force adverse, ce qui met en jeu une problématique de cybersécurité. Enfin, si l'appareil emporte des armes – pour un tir d'opportunité dans le cas du drone de surveillance –, il faut s'assurer de pouvoir bien tirer. Mais toutes ces exigences sont indépendantes d'un modèle économique.
La question est donc de savoir si la France, l'Allemagne et l'Italie ont la volonté de lancer ce programme. Nous sommes en tout cas demandeurs, car nous en avons besoin pour maintenir et développer nos compétences. Alors que l'Europe est déjà très en retard en matière de drones, nous ne devons pas manquer cette opportunité, au risque de devoir s'en remettre exclusivement aux Américains.
Il est vrai que du seul point de vue économique, il ne serait pas injustifié de s'adresser aux États-Unis, voire, demain, à la Chine. C'est ce que j'avais dit à un Britannique qui se targuait d'acheter « sur étagère » en choisissant le modèle le moins cher : dans ces conditions, autant acheter Chinois ! « Ce n'est pas possible, m'a-t-il répondu : la Chine est notre ennemi. » Cela prouve que les critères économiques ne sont pas les seuls en jeu lors de l'achat d'une arme. Il convient de savoir qui la fabrique et qui la tient. Une Europe qui se veut puissance militaire doit donc s'organiser afin de produire ses propres armements. Et les Américains, si soucieux de se désengager de leur flanc est, devraient nous y encourager plutôt que de chercher à nous concurrencer. Quoi qu'il en soit, les industriels sont prêts à s'organiser et à faire des propositions.
S'agissant du nEUROn, nous avons validé un concept technologique, mais aussi un mode de coopération, ce qui n'est pas rien. Le but est en effet de parvenir à coopérer efficacement pour multiplier les financements sans que le surcoût, par rapport à un programme développé par un seul industriel, ne soit supérieur à un certain coefficient. Rappelons que dans le cas de l'Eurofighter, chaque État a fini par payer plus cher son avion de combat que s'il l'avait développé tout seul. L'efficacité, en ce domaine, passe par le respect d'un certain nombre de règles, telles que le choix d'un sous-traitant pour ses compétences et non pour des raisons politiques, par exemple.
La suite, selon nous, réside dans la coopération franco-britannique. En effet, seuls deux pays ont la capacité de développer un tel programme et ont la volonté d'y consacrer un certain budget. L'Allemagne n'en a pas fortement les compétences, et manque de toute façon d'allant. Il convient donc de démarrer avec ces deux pays, quitte à ce que d'autres les rejoignent plus tard.
En ce qui concerne la supply chain pour la livraison de Rafale en Inde, je prendrai votre question dans l'autre sens. De nombreux sous-traitants me disent : « si nous emportons le marché en Inde, ne pourriez-vous pas faire tout fabriquer là-bas, de façon à nous débarrasser de la production de Rafale ? ». C'est vous dire à quel point la sous-traitance est démotivée. En effet, alors qu'à l'origine on lui a parlé de 320 avions, elle voit, tous les quatre ou cinq ans, les décisions systématiquement remises en question. De son côté, Airbus produit entre 50 et 100 avions par mois ! C'est un problème d'intérêt national : voulons-nous garder notre capacité à produire le Rafale ? J'y suis prêt, mais je ne suis pas tout seul : il faut également proposer des perspectives de long terme à la sous-traitance.
Quoi qu'il en soit, les contrats français m'imposent de fabriquer en France les Rafale, pour des raisons liées à la sécurité nationale. Si, demain, j'ai l'autorisation de la DGA de fabriquer tout en Inde, y compris les appareils destinés à l'armée française, je le ferai : je n'ai pas d'états d'âme. Mais tous les sous-traitants n'en feront pas autant.
Nous avons donc besoin d'une plus grande visibilité, car elle est aujourd'hui trop limitée. J'espère en tout cas que nous obtiendrons des résultats à l'export : cela remontra le moral de tout le monde.