Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 18 septembre 2013 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément, rapporteur :

Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, ce projet de loi a pour objet d'habiliter le Gouvernement à prendre par ordonnances diverses mesures de simplification et de sécurisation des entreprises. Il concrétise la volonté du président de la République que le Gouvernement engage rapidement un véritable « choc de simplification » dans les relations entre l'administration et les citoyens ainsi qu'entre l'administration et les entreprises. Il est issu d'une large concertation avec les entreprises et a été préparé avec notre collègue Thierry Mandon, nommé parlementaire en mission auprès du Premier ministre à cette fin et qui a remis son rapport en juillet dernier. Même si certaines des mesures proposées peuvent sembler techniques, les enjeux économiques sont considérables : selon la Commission européenne, une réduction de 25 % des charges des entreprises augmenterait de 0,8 % le PIB à court terme, et de 1,4 % à plus long terme. En France, cela représenterait quinze milliards d'économies pour les entreprises !

Je souhaiterais, avant d'aborder le contenu de ce texte, dire quelques mots du recours aux ordonnances et du calendrier d'examen de ce projet de loi.

Le Gouvernement a choisi de recourir aux ordonnances prévues par l'article 38 de notre Constitution, au motif qu'il est urgent d'améliorer l'environnement réglementaire des entreprises. C'est le troisième texte de la législature faisant usage de cette procédure, après la loi du 1er juillet 2013 habilitant le Gouvernement à adopter des mesures de nature législative pour accélérer les constructions de logements et le projet de loi, en cours d'examen, habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens.

Je ne suis pas hostile, par principe, au recours aux ordonnances de l'article 38. Cela permet de gagner plusieurs mois, ce qui est beaucoup lorsqu'il y a urgence à réformer notre droit. Cependant, au cours de la période récente, le recours aux ordonnances s'est intensifié de façon préoccupante : entre 2004 et 2011, 304 ordonnances ont été publiées sur le fondement de l'article 38, soit près de deux fois plus qu'entre 1984 et 2003 ! Afin d'éviter toute dérive, il convient de soumettre ce recours au respect de certaines conditions, et d'abord à celles posées par la Constitution.

Celle-ci impose au Gouvernement d'indiquer avec précision la finalité des mesures qu'il se propose de prendre par voie d'ordonnances. En outre, l'habilitation est encadrée par un délai déterminé. Enfin le projet de loi d'habilitation détermine dans quel délai le Gouvernement devra déposer devant le Parlement un projet de loi de ratification des ordonnances, sous peine de caducité.

Ces conditions sont parfaitement respectées par le présent projet de loi.

À cela s'ajoutent d'autres conditions, d'ordre politique plutôt que juridique. Le recours aux ordonnances doit ainsi être justifié par l'urgence des mesures à adopter et par leur technicité. C'est là une condition plus subjective que les précédentes. La plupart des dispositions proposées me semblent y satisfaire. On peut cependant s'interroger sur le caractère d'urgence de dispositions pour lesquelles le projet de loi prévoit un délai d'habilitation de douze mois, ce qui est le cas pour l'article 12.

S'agissant du calendrier, je ne peux que déplorer le peu de temps qui m'a été imparti pour examiner ce texte, qui a été déposé le 4 septembre. Même s'il s'agit d'un projet de loi d'habilitation, le champ et la portée des habilitations sollicitées par le Gouvernement n'en requièrent pas moins un examen attentif du Parlement.

Le délai accordé est d'autant plus insuffisant que les dispositions de ce texte, contrairement aux deux lois d'habilitation que j'ai évoquées tout à l'heure, souffrent d'une très grande hétérogénéité. Celles-ci relèvent en effet de domaines très variés : droit des sociétés, droit du travail, droit bancaire et financier, droit du sport, de l'environnement, des professions juridiques réglementées, etc. Si la plupart visent bien à simplifier et sécuriser la vie juridique des entreprises, certaines ont un autre objet, tel que la transposition des directives récemment adoptées par l'Union européenne en matière bancaire et financière, ou la société du Grand Paris ou encore l'État actionnaire.

Pour remédier à ces difficultés, je me permettrai de faire deux suggestions au Gouvernement, si notre Commission et, en particulier, son président, en sont d'accord.

S'agissant de futurs projets de loi d'habilitation, je lui suggère de consulter en amont les présidents des assemblées ainsi que ceux des commissions concernées sur le champ de l'habilitation que le Gouvernement envisage de solliciter. À ma connaissance, cela n'a pas été fait pour le présent projet de loi, même si le texte a été préparé pour partie avec un parlementaire en mission. Pourtant cette méthode avait été suivie en 2004 pour la transposition de directives européennes : les présidents des assemblées et des commissions compétentes avaient été consultés sur la liste des directives à transposer par ordonnances, et des avant-projets d'ordonnances avaient également été transmis avec le projet de loi d'habilitation. Le Gouvernement gagnerait à s'inspirer de cette « bonne pratique », dans le respect, naturellement, de l'article 38 de la Constitution.

Ma seconde suggestion vise à améliorer le suivi de l'habilitation par le Parlement. Il serait souhaitable que le Parlement soit tenu informé de l'état d'avancement des ordonnances que le Gouvernement a été autorisé à adopter. Le Gouvernement pourrait ainsi adresser aux présidents des commissions saisies au fond et pour avis les avant-projets d'ordonnance, qui seraient soumis par ailleurs à la consultation des parties intéressées. Il pourrait également intégrer des parlementaires aux groupes de travail chargés de préparer ces ordonnances. À titre d'exemple, la réforme du droit des entreprises en difficulté, autorisée par l'article 2, intéresse nombre de nos collègues, en particulier ceux qui ont été membres de la mission d'information sur le rôle de la justice en matière commerciale, dont fait partie votre rapporteur. Je relève d'ailleurs que la ministre de la Réforme de l'État, de la décentralisation et de la fonction publique s'est engagée, lors de l'examen du projet de loi de simplification des relations entre l'administration et les citoyens, à associer à la rédaction des ordonnances un groupe de travail associant des élus et des chefs d'entreprise et à revenir devant la commission des Lois à mi-parcours.

Le contenu du texte ayant été excellemment exposé par Mme la ministre, il n'appellera de ma part qu'un rapide commentaire.

Ces mesures visent pour l'essentiel à simplifier et à sécuriser la vie des entreprises. Parmi les plus significatives, je citerai l'allégement des obligations comptables des petites et très petites entreprises, le développement de la facturation électronique entre, d'une part, l'État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics respectifs et, d'autre part, leurs fournisseurs, ou encore la suppression de certaines obligations administratives et l'allégement du régime des conventions réglementées, prévues par les articles 1er et 3. Signalons également l'assouplissement de l'obligation de reporting social et environnemental pesant sur les mutuelles et les établissements de crédit, lorsqu'ils ne dépassent pas certains seuils – c'est l'article 9.

L'article 2 vise à habiliter le Gouvernement à réformer le droit des entreprises en difficulté, sans remettre en cause l'architecture générale des procédures collectives.

En matière de droit des entreprises en difficulté, ce ne sont pas tant les différentes procédures elles-mêmes qui sont en cause que leur mise en oeuvre. Procéder par ordonnance en la matière revient à légiférer en faisant l'économie d'une étude approfondie des dysfonctionnements dénoncés, qui ont des conséquences lourdes sur notre économie et sur les chefs d'entreprise mis en liquidation, notamment.

Plusieurs dispositions concernent les professions juridiques réglementées. L'article 4 vise à faciliter l'accès au statut de notaire salarié, en assouplissant la règle du « 1 pour 1 », qui limite leur nombre à un par notaire titulaire d'office ou associé. L'article 5 autorise la création du statut d'avocat aux Conseils salarié. L'article 6 autorise le Gouvernement à modifier la réglementation applicable aux experts-comptables.

Les dispositions suivantes sont plus diverses. Elles concernent les obligations déclaratives des établissements où sont pratiquées des activités sportives – c'est l'article 7 –, la société du Grand Paris – article 8 –, l'État actionnaire – article 10 –, la transposition de directives et l'adaptation de notre législation à des règlements adoptés récemment par l'Union européenne en matière bancaire et financière – article 11 et 12. D'autres visent à moderniser le droit de l'environnement et à mettre en place, à titre expérimental, des procédures simplifiées et innovantes pour la réalisation de projets d'activités économique – articles 13 et 14. Le rapporteur de la commission du Développement durable nous apportera l'éclairage de cette commission sur ces innovations.

L'article 16, qui n'est pas d'habilitation, vise par ailleurs à reporter du 1er janvier 2012 au 1er janvier 2015 l'obligation de mettre en place une signalétique commune sur les produits recyclables soumis à un dispositif de responsabilité élargie des producteurs, afin d'informer les consommateurs que ce produit relève d'une consigne de tri. De nombreux amendements portent sur cette disposition.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter le projet de loi dont nous sommes saisis, sous réserve des amendements que je vous proposerai et qui sont pour la plupart rédactionnels.

Je vous serais par ailleurs reconnaissant, madame la ministre déléguée, de nous faire connaître l'avis du Gouvernement sur mes suggestions de consultation du Parlement en amont sur le champ de l'habilitation, et de son information en aval sur l'état d'avancement de la rédaction des ordonnances.

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