Intervention de Annie Genevard

Séance en hémicycle du 10 septembre 2013 à 21h45
Accès au logement et urbanisme rénové — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnie Genevard :

Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je souhaite aborder deux points de cette loi si dense qui ont à voir entre autres choses avec la compétence qu’exercent aujourd’hui les maires en matière de logement, sujet à propos duquel ils sont sollicités quotidiennement par des habitants qui recherchent ou quittent un logement, construisent, rénovent ou agrandissent. Il en va de même pour l’urbanisme qui implique d’aménager, de zoner, de protéger, de valoriser, de réglementer. Tout cela absorbe une grande part de l’énergie des maires et, bien souvent, les passionne. Il y a peu de compétences qui exigent autant d’eux que le logement et l’urbanisme.

Qu’ils soient à la tête de petites ou de grandes communes, comportant des services dédiés ou non, la plupart des maires passent un temps fou à analyser finement les projets qu’on leur soumet ou qui émanent de leur conseil municipal. Un maire d’une commune de 1 500 habitants – rappelons que 87 % des communes comptent moins de 2000 habitants – m’a ainsi avoué qu’il y consacrait la moitié de son temps.

C’est que la chose est importante. On le sait, les maires sont des bâtisseurs. Ils sont aussi les meilleurs connaisseurs qui soient de leur territoire. Ce sont eux qui façonnent son visage et en forgent l’identité, compétences qui leur procurent une légitime fierté malgré les efforts consentis pour examiner les projets et débusquer les problèmes, notamment au plan de la réglementation et de l’acceptation du voisinage. Les maires ont ainsi le sentiment de faire oeuvre utile quand le résultat est satisfaisant.

La gestion harmonieuse de l’espace communal est la première des responsabilités d’un maire. Comme le résume joliment l’orateur de notre groupe sur ce projet de loi, Jean-Marie Tetart, un PLU, ça se mérite.

Dans certaines communes rurales qui ont beaucoup perdu – écoles, services, commerces – ou beaucoup délégué à l’intercommunalité, l’urbanisme est l’une des dernières compétences qui donne aux maires le sentiment d’agir pour la commune et ses habitants. C’est pourquoi son transfert de plein droit aux intercommunalités suscite chez eux un tel rejet. Elle est vécue comme un signe de défiance et même de mépris à l’égard de la fonction de premier magistrat, beau terme que vous contribuez à vider de sa substance.

L’idée de ne penser l’urbanisme qu’à la seule échelle communale n’est pas non plus acceptable, j’en conviens. Les bassins de vie se sont dilatés, on vit ici, on travaille là. Envisager l’espace de façon plus large a sa pertinence, sur le plan des mobilités par exemple. Mais l’imposer autoritairement comme vous le faites n’est pas acceptable. Cela suscite des interrogations sur le plan du droit. Les communes sont des collectivités, pas les intercommunalités. Elles s’administrent librement. Toucher au droit du sol, c’est toucher à une compétence maîtresse.

Pour moi, le principe de l’intercommunalité consiste à faire mieux ensemble que ce que l’on ferait moins bien isolément. Est-on sûr que les choses seront mieux pensées et mieux organisées à l’échelon intercommunal ? Comme le souligne l’Association des maires de France, ce transfert obligatoire repose sur un dogme selon lequel l’intercommunalité serait nécessairement vertueuse à la différence de ses communes membres prises isolément, ce qu’aucune étude ne vient confirmer.

Vous avez, madame la ministre, justifié par les économies réalisées ce transfert automatique de la compétence liée aux PLU aux communautés. Un seul PLUI dégagerait des moyens pour exercer ces compétences. Permettez-moi d’exprimer le plus grand scepticisme.

Cet argument financier ne résiste par à l’analyse. Le coût d’un PLU, certes élevé, est aussi fonction du périmètre de l’étude. Un PLUI est nécessairement plus coûteux et plus complexe car il ne saurait consister en une addition de plusieurs PLU.

Vous affirmez que cela dégagera des moyens pour exercer cette compétence. Là on touche au fonctionnement, à des emplois qualifiés, donc coûteux et pérennes, quand la réalisation d’un PLU est ponctuelle et imputable à l’investissement. L’argument financier ne tient pas.

Vous affirmez par cette loi vouloir innover. J’aurais trouvé beaucoup plus innovant que vous suiviez le conseil du président de l’ordre national des architectes, Lionel Carli : il appelle à la prudence pour ne pas répéter les erreurs du passé grâce à un « diagnostic urbain, architectural et paysager ». Cet aspect est trop absent de votre projet de loi.

Le deuxième sujet que je souhaite évoquer concerne le rôle des maires en matière de logement social. Là encore, plusieurs dispositions inquiètent. Je trouve choquant l’éviction des communes. Les maires, simplement consultés pour avis, ne participent pas à l’élaboration du plan partenarial de gestion de la demande de logements sociaux. Ils sont exclus aussi du dispositif du comité d’orientation lié au système d’enregistrement de la demande. Les EPCI sont désignés compétents en matière d’habitat comme premier échelon de rattachement des offices publics de l’habitat.

Mais quand les problèmes surgissent dans des immeubles sociaux – problèmes techniques quand ceux-ci sont vétustes ou dégradés, problème de voisinage –, qui croyez-vous que l’on va chercher ? Le maire, madame la ministre, au titre des pouvoirs que la loi lui laisse encore. Comment voulez-vous que les maires acceptent d’être exclus de la programmation tout en se voyant attribuer la part congrue, la plus compliquée, de la gestion ?

Quant à l’amélioration des droits du demandeur, le dossier unique, la gestion centralisée sont des avancées. Mais méfions-nous du dogme de la transparence qui frappe à nouveau. Vous avez une vision trop technocratique d’une gestion informatisée qui placera le demandeur en situation permanente d’exiger ce sur quoi il sera informé en temps réel. Le maire, bon connaisseur de sa population, garant de l’équilibre souvent fragile des peuplements, doit avoir son mot à dire. Bien sûr, il est présent dans les commissions d’attribution, mais j’aurais souhaité que sa place soit renforcée tant son rôle est important.

Il sait apprécier la complexité des situations. Vous en avez convenu, madame la rapporteure, lorsque vous avez rejeté en commission un amendement relatif à l’anonymat du demandeur, qui serait l’étape ultime d’une gestion en aveugle infiniment dangereuse en ce sens que l’on substituerait des numéros de dossier aux personnes et aux situations humaines. Qui mieux que le maire tant de fois appelé à réparer des liens sociaux dégradés, fin connaisseur de la ville et de ses habitants, peut préserver la paix sociale ?

Cette loi, mes chers collègues, s’inscrit dans une liste qui s’allonge de textes portant atteinte aux communes, qui sont souvent les derniers services de proximité dans nos territoires. Par cette loi, vous dépossédez le maire d’une compétence qu’il exerce scrupuleusement et avec un dévouement exemplaire. Notre territoire y gagnera-t-il en qualité ? Rien n’est moins sûr. On a le sentiment que vous avez décidé de liquider un ordre ancien. Votre postulat est qu’un nouveau monde doit advenir dans lequel n’ont plus leur place les cantons à taille humaine, les communes, cellules de base de la société, privées progressivement de moyens financiers et de députés-maires ou de sénateurs-maires, seuls mandats pour lesquels les cumuls sont interdits quand à peu près tous les autres sont permis, notamment s’agissant des activités privées lucratives.

L’Association des maires de France dénonce l’accumulation de mesures visant à la suppression des communes. Les maires sauront sans doute vous le faire savoir, madame la ministre, lors de leur prochain congrès.

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