Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 18 septembre 2013 à 13h00
Commission des affaires sociales

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé :

Je suis très heureuse de pouvoir engager avec votre Commission le travail parlementaire qui va nous occuper jusqu'à l'adoption définitive de la loi. Et nous aurons bien sûr l'occasion de nous revoir pour débattre de façon plus précise encore de chacune des dispositions que comporte ce texte.

Comme vous l'avez dit, madame la présidente, le Gouvernement a eu la volonté d'engager une concertation approfondie. Lorsque le texte qui vous est présenté avait été annoncé, dès la campagne présidentielle et la conférence sociale de juin-juillet 2012, une double exigence avait d'emblée été posée : tout d'abord, celle de réparer rapidement les injustices les plus fortes résultant de la loi portant réforme des retraites, adoptée en 2010 et qui faisait reposer l'essentiel de l'effort sur les jeunes générations. Nous nous y sommes employés dès notre arrivée aux responsabilités en publiant le décret dit « soixante ans » qui permet à ceux qui ont commencé à travailler avant l'âge de vingt ans et qui ont déjà cotisé pendant une durée suffisante de partir à la retraite dès l'âge de soixante ans – donc sans attendre le nouvel âge légal de soixante-deux ans. Ensuite, il avait été indiqué que nous devrions aller au-delà de la loi de 2010 puisque, contrairement à ce qui nous avait été annoncé, nous nous trouvions confrontés à une urgence financière – mais aussi à une exigence sociale : pour le Gouvernement, en effet, la question des retraites est étroitement liée à celle du travail et on ne saurait par conséquent la réduire à un enjeu strictement comptable et financier.

L'ensemble des organisations syndicales et patronales reconnaissent que la concertation a eu lieu – concertation, et non négociation, car il ne leur était pas demandé d'apposer leur signature au bas d'un document mais bien de participer à un travail d'échange et d'élaboration. Ainsi, même celles qui ont marqué leurs distances à l'égard de ce texte – avant même qu'il soit connu, d'ailleurs – reconnaissent qu'il comporte des avancées sociales importantes.

Notre projet vise à relever un triple défi : le défi financier, tout d'abord, puisque la réforme de 2010, dont l'objectif était le « zéro déficit » en 2020, est un échec. Or nous ne pouvons accepter de financer nos pensions par l'emprunt, ce qui reviendrait à faire peser l'effort sur les générations futures. Nous affirmons donc cette exigence de responsabilité financière. Le deuxième défi est démographique : nous allons en effet devoir verser des retraites à des générations plus nombreuses et qui vivront plus longtemps. L'espérance de vie s'allonge et l'arrivée à la retraite des générations du baby boom provoque de fortes tensions. J'insiste cependant sur l'atout remarquable que constitue la démographie pour notre pays. Certains nous comparent volontiers à l'Allemagne et sans doute celle-ci se trouve-t-elle aujourd'hui dans une situation plus aisée que la France pour financer les retraites, mais elle aura demain des difficultés plus grandes en raison d'une natalité qui est loin d'avoir le dynamisme de la nôtre. Le troisième défi consiste à combattre des injustices que nous ne saurions continuer à accepter : elles sont liées au niveau de pension des femmes, à la pénibilité au travail et à la pauvreté subie dans des secteurs comme l'agriculture.

C'est en ayant à l'esprit cette triple exigence que nous vous proposons aujourd'hui un texte de progrès, assurant le financement du système par répartition dans la durée tout en en réparant de nombreuses injustices.

Destinées à assurer un équilibre durable de nos régimes, les mesures de financement qu'il comporte répondent à une réelle urgence et visent à empêcher la privatisation rampante de notre système de solidarité. Nous souhaitons ainsi ériger un rempart contre cette privatisation, qui serait inéluctable si nous n'intervenions pas maintenant pour garantir aux générations futures qu'elles pourront continuer à compter sur une retraite par répartition.

Nous avons retenu un principe d'effort équilibré, c'est-à-dire équitablement réparti et proportionné. Chacun devant participer à cet effort – les entreprises, les actifs et les retraités –, les cotisations patronales et salariales augmenteront de manière modérée et progressive à partir de 2014 et jusqu'en 2017, pour répondre à notre besoin de financement à moyen terme – à l'horizon 2020 –, et ce, contrairement à ce qu'on a pu dire, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Cet effort sera mesuré : en 2014, la hausse de 0,15 % des cotisations se montera à 2,15 euros par mois pour une personne rémunérée au SMIC et à 3,75 euros par mois pour un salarié gagnant 2 500 euros par mois.

Je souhaite également lever toute ambiguïté au sujet des cotisations patronales : les entreprises contribueront bien à l'équilibre du système et à la prise en compte de la pénibilité. Les Français n'auraient pas compris qu'il en aille autrement car la sauvegarde de notre pacte social exige la mobilisation de tous.

Nous avons également demandé un effort aux retraités. Alors que des voix s'étaient élevées pour affirmer que la baisse des pensions était inévitable, nous l'avons refusée, tant il nous paraît nécessaire de garantir aux retraités le niveau de leur pension dans la durée. Pour autant, la solidarité entre les générations est indispensable car, jusqu'à présent, ce sont les actifs qui ont toujours supporté l'essentiel de l'effort exigé pour financer nos régimes de retraite. Dès lors qu'il s'agit de sauvegarder un élément du lien entre les générations, il est normal d'exiger de celles qui sont déjà à la retraite d'y contribuer de manière modérée.

Puisque nous avons refusé la baisse des pensions, celles-ci resteront indexées sur l'inflation mais, au lieu d'être revalorisées au 1er avril, elles le seront au 1er octobre. Cette mesure ne concernera cependant pas les bénéficiaires de l'allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), l'ex-minimum vieillesse. Cet effort représentera six euros par mois pendant six mois pour une retraite de 1 500 euros – un effort réel mais mesuré et ponctuel, puisqu'il ne sera pas redemandé les années suivantes. D'autre part, la majoration de pension de 10 % dont bénéficient les retraités ayant eu trois enfants et plus sera fiscalisée. À partir de 2020, le relais sera pris par l'allongement de leur durée de cotisation.

En effet, afin de ne pas perturber les plans de ceux qui s'apprêtent à partir à la retraite, nous n'avons pas souhaité accélérer immédiatement l'allongement de la durée de cotisation. Cet allongement se poursuivra donc au rythme prévu jusqu'en 2020, puis, à compter de cette date, au rythme – inscrit dans la loi – d'un trimestre tous les trois ans, ce qui portera la durée de cotisation exigée à quarante-trois annuités à partir de 2035, soit pour les générations nées en 1973 et au-delà. Cet effort en termes de durée de cotisation est réel. Cela étant, l'allongement de l'espérance de vie l'est également. C'est pourquoi il nous paraît plus juste de retenir le critère de la durée de cotisation plutôt que celui de l'âge légal de départ à la retraite, qui était au coeur de la réforme de 2010 et que nous avons résolument écarté. En effet, tout en ayant cotisé quarante-trois annuités, les jeunes qui ont 25 ans aujourd'hui vivront en moyenne deux années de plus à la retraite que ceux qui s'apprêtent à partir dans les mois à venir, et ceux qui ont 35 ans, une année de plus. L'allongement de la durée de cotisation ne se fait donc pas au détriment du temps laissé à la retraite pour nos concitoyens.

Cependant, il est également nécessaire de moduler cette durée de cotisation afin de tenir compte de la réalité des situations et des parcours professionnels des salariés. En effet, nous ne sommes pas égaux en termes d'espérance de vie, du fait de la diversité des conditions de travail dont nous ne pouvons par conséquent faire abstraction lorsque nous traitons des retraites. Nous avons donc été amenés à instituer des droits nouveaux et à réparer des injustices.

Notre volonté de corriger les injustices nous a d'abord conduits à reconnaître la pénibilité au travail – les partenaires sociaux en avaient affirmé la nécessité dès 2008 sans parvenir pour autant à s'accorder sur les conséquences à en tirer en termes de prévention ou de réparation. La notion de conditions de travail pénibles renvoie à des situations concrètes telles que le travail de nuit – qui concerne beaucoup de femmes –, le port de charges lourdes ou encore l'exposition à des substances cancérigènes. Dix facteurs ont ainsi été identifiés. Un compte pénibilité sera mis en place pour chaque Français à partir du 1er janvier 2015 et chaque exposition à une situation pénible donnera droit à un point. Ces points seront doublés pendant la période transitoire afin que ceux qui s'apprêtent à partir à la retraite puissent bénéficier de ce nouveau dispositif favorable. Ces points pourront être convertis en trimestres de formation, en retraite anticipée ou en temps partiel.

La deuxième injustice à laquelle le projet de loi vise à remédier est celle qui touche les femmes. Le système de retraites ne peut corriger les inégalités de salaire ou les disparités de parcours professionnel, mais il ne doit ni les entretenir ni a fortiori les amplifier. C'est pourquoi nous proposons de prendre en compte l'ensemble des trimestres correspondant au congé de maternité et d'engager une réflexion sur l'affectation des majorations de pension, cela afin d'aboutir à une meilleure répartition des sommes aujourd'hui versées à tous les parents d'au moins trois enfants, à proportion de leur pension. Comme il n'existe pas de solution simple, le projet de loi ne comporte pas encore de dispositions précises à ce sujet, étant cependant entendu qu'il faudra faire en sorte que les femmes bénéficient davantage de ces majorations. Enfin, nous avons souhaité mieux prendre en compte le travail à temps partiel, qui touche essentiellement les femmes. À compter du 1er janvier 2014, il suffira d'avoir cotisé 150 heures rémunérées au SMIC pour valider un trimestre, contre 200 actuellement.

Une troisième avancée sera faite en faveur des jeunes. En effet, ceux pour qui la fin de la vie active est proche savent pouvoir compter sur une retraite même s'ils s'interrogent sur son niveau, mais les plus jeunes se demandent si, pour s'assurer une pension, ils ne seront pas réduits à cotiser à des systèmes par capitalisation. De cela, nous ne voulons pas car ce recours ne serait accessible qu'aux mieux rémunérés et nous proposons donc des mécanismes pour mieux prendre en compte les débuts dans la vie professionnelle. Ainsi l'ensemble des périodes d'apprentissage pourront-elles être validées pour la retraite – on dénombre actuellement quelque 400 000 apprentis – et les jeunes qui auront poursuivi leurs études après le baccalauréat auront la possibilité de racheter jusqu'à quatre trimestres de cotisations en bénéficiant d'une aide se montant à 1 000 euros par trimestre, à condition que ce rachat intervienne dans un délai que nous proposons de fixer à cinq ans après la fin de leurs études. Enfin, les « petits boulots », les emplois précaires et le chômage des jeunes seront mieux pris en compte ; les jeunes qui alternent contrats courts et périodes de chômage non indemnisées pourront valider ces dernières. Enfin, la règle des 150 heures rémunérées au SMIC, au lieu de 200, nécessaires pour faire valider un trimestre s'appliquera aussi à ceux qui exercent un emploi pendant un mois d'été.

La quatrième injustice que nous tentons de réparer concerne les pensions trop faibles : nous allons ainsi relever le seuil de versement du minimum contributif, actuellement fixé à 1 028 euros, pour le porter à 1 120 euros. Pour ceux qui ont eu une carrière précaire ou heurtée, à compter du 1er janvier 2015, toutes les périodes de formation professionnelle pourront être comptabilisées dans le calcul de la retraite. Conformément à l'engagement du Président de la République, nous avons aussi prévu des mesures en faveur des agriculteurs : nous leur garantirons une pension minimale égale à 75 % du SMIC s'ils ont accompli une carrière complète et nous accorderons des droits nouveaux à leurs conjoints et aides familiaux. Enfin, nous avons également prévu des mesures en faveur des travailleurs handicapés et des aidants familiaux. Pour les premiers, le taux d'incapacité requis pour bénéficier de la retraite anticipée à 55 ans sera abaissé à 50 % et nous supprimons le critère de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, qui s'est révélé inadapté. Par dérogation, le droit à une retraite à taux plein sera ouvert dès l'âge de soixante-deux ans, au lieu de soixante-cinq, aux personnes handicapées dont le taux d'incapacité est supérieur à 50 %. Pour les aidants familiaux, nous souhaitons assouplir les conditions d'affiliation à l'allocation vieillesse des parents au foyer en supprimant la condition de ressources. Nous instaurerons également une majoration de la durée d'assurance en faveur des aidants d'adultes handicapés.

Le troisième et dernier défi consiste à rendre notre système de retraite plus simple et plus lisible. D'aucuns ont défendu l'idée selon laquelle il serait nécessaire de s'orienter vers un régime unique par points : si, chez certains, il s'agissait d'une position ancienne et constante, d'autres ne l'ont adoptée que récemment – ils n'en soufflaient mot lors des débats de 2010. Quoi qu'il en soit, contrairement à ce que tous ceux-là imaginent, ce n'est pas en changeant l'architecture du système que nous résoudrons le problème de son financement. On peut toujours modifier la forme des thermomètres mais, lorsque la fièvre est là, l'important est de la faire baisser.

Le grand avantage des systèmes uniques est celui d'être lisibles et compréhensibles pour les usagers. Nous voulons donc introduire de la lisibilité et de la simplicité dans nos régimes en commençant par mettre un terme à des réformes à répétition qui sont sources d'angoisse. À cette fin, nous instituerons un comité de pilotage qui fera chaque année le point sur la situation et émettra des recommandations publiques, transmises au Parlement, ce qui permettra des ajustements en fonction de la conjoncture. La publicité du débat en garantira la transparence et contraindra les gouvernements successifs.

Afin de simplifier la vie des Français, en particulier celle des polypensionnés, nous créerons un compte retraite unique permettant à chacun de nos concitoyens de disposer, avant la liquidation de sa retraite, de l'ensemble des informations relatives à sa future pension – c'est-à-dire des informations provenant de tous les régimes auxquels il aura contribué, y compris les régimes complémentaires – alors qu'aujourd'hui, c'est à lui qu'il appartient d'aller chercher ces informations auprès des différentes caisses. Au moment de la liquidation, il lui sera possible de s'adresser à un guichet unique pour demander le versement de sa pension à l'aide d'une déclaration préremplie. La pension des polypensionnés des régimes alignés fera l'objet d'un calcul unique. Enfin, nous instaurerons un paiement simplifié des pensions.

Telles sont l'ambition et l'architecture de cette réforme, que nous voulons inscrire dans la durée. Si nous souhaitons prendre à bras-le-corps les enjeux financiers, ceux-ci ne sauraient être dissociés des enjeux sociaux. Un système de retraite doit en effet apporter une garantie de revenu pour la dernière période de la vie tout en prenant en considération l'évolution de la société et des conditions de travail. Or le nôtre a été conçu à un moment où l'enjeu était d'assurer par une règle unique une garantie unique à l'ensemble de nos concitoyens. Soixante-dix ans plus tard, nous sommes confrontés à la nécessité de davantage prendre en compte la spécificité de tout parcours professionnel. Cette réforme vise donc à adapter les conditions de départ à la retraite à la singularité de chaque carrière.

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