COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
Mercredi 18 septembre 2013
La séance est ouverte à treize heures.
(Présidence de Mme Catherine Lemorton, présidente de la Commission)
La Commission des affaires sociales entend Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites
Nous auditionnons aujourd'hui Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, qui a été présenté ce matin en conseil des ministres. Je ne ferai aucun commentaire sur le fond de ce texte mais uniquement sur la méthode retenue pour sa préparation, une méthode que n'a cessé d'utiliser François Hollande depuis le début de ce quinquennat : celle du dialogue avec les partenaires sociaux. Aussi ces derniers n'ont-ils pas été surpris lorsque le projet de loi a été rendu public, quelque appréciation qu'ils puissent porter par ailleurs sur ce texte. Nous les avons d'ailleurs auditionnés nous-mêmes le mercredi 11 septembre dernier – les organisations représentatives des salariés le matin, les syndicats patronaux l'après-midi – et s'ils ont parfois exprimé leur désaccord sur certains points, ils n'ont pas critiqué la méthode retenue par le Gouvernement, évoquant bien une « concertation ». Attendu ou non, ce rendez-vous était en tout cas indispensable pour pérenniser notre système de retraites.
Je suis très heureuse de pouvoir engager avec votre Commission le travail parlementaire qui va nous occuper jusqu'à l'adoption définitive de la loi. Et nous aurons bien sûr l'occasion de nous revoir pour débattre de façon plus précise encore de chacune des dispositions que comporte ce texte.
Comme vous l'avez dit, madame la présidente, le Gouvernement a eu la volonté d'engager une concertation approfondie. Lorsque le texte qui vous est présenté avait été annoncé, dès la campagne présidentielle et la conférence sociale de juin-juillet 2012, une double exigence avait d'emblée été posée : tout d'abord, celle de réparer rapidement les injustices les plus fortes résultant de la loi portant réforme des retraites, adoptée en 2010 et qui faisait reposer l'essentiel de l'effort sur les jeunes générations. Nous nous y sommes employés dès notre arrivée aux responsabilités en publiant le décret dit « soixante ans » qui permet à ceux qui ont commencé à travailler avant l'âge de vingt ans et qui ont déjà cotisé pendant une durée suffisante de partir à la retraite dès l'âge de soixante ans – donc sans attendre le nouvel âge légal de soixante-deux ans. Ensuite, il avait été indiqué que nous devrions aller au-delà de la loi de 2010 puisque, contrairement à ce qui nous avait été annoncé, nous nous trouvions confrontés à une urgence financière – mais aussi à une exigence sociale : pour le Gouvernement, en effet, la question des retraites est étroitement liée à celle du travail et on ne saurait par conséquent la réduire à un enjeu strictement comptable et financier.
L'ensemble des organisations syndicales et patronales reconnaissent que la concertation a eu lieu – concertation, et non négociation, car il ne leur était pas demandé d'apposer leur signature au bas d'un document mais bien de participer à un travail d'échange et d'élaboration. Ainsi, même celles qui ont marqué leurs distances à l'égard de ce texte – avant même qu'il soit connu, d'ailleurs – reconnaissent qu'il comporte des avancées sociales importantes.
Notre projet vise à relever un triple défi : le défi financier, tout d'abord, puisque la réforme de 2010, dont l'objectif était le « zéro déficit » en 2020, est un échec. Or nous ne pouvons accepter de financer nos pensions par l'emprunt, ce qui reviendrait à faire peser l'effort sur les générations futures. Nous affirmons donc cette exigence de responsabilité financière. Le deuxième défi est démographique : nous allons en effet devoir verser des retraites à des générations plus nombreuses et qui vivront plus longtemps. L'espérance de vie s'allonge et l'arrivée à la retraite des générations du baby boom provoque de fortes tensions. J'insiste cependant sur l'atout remarquable que constitue la démographie pour notre pays. Certains nous comparent volontiers à l'Allemagne et sans doute celle-ci se trouve-t-elle aujourd'hui dans une situation plus aisée que la France pour financer les retraites, mais elle aura demain des difficultés plus grandes en raison d'une natalité qui est loin d'avoir le dynamisme de la nôtre. Le troisième défi consiste à combattre des injustices que nous ne saurions continuer à accepter : elles sont liées au niveau de pension des femmes, à la pénibilité au travail et à la pauvreté subie dans des secteurs comme l'agriculture.
C'est en ayant à l'esprit cette triple exigence que nous vous proposons aujourd'hui un texte de progrès, assurant le financement du système par répartition dans la durée tout en en réparant de nombreuses injustices.
Destinées à assurer un équilibre durable de nos régimes, les mesures de financement qu'il comporte répondent à une réelle urgence et visent à empêcher la privatisation rampante de notre système de solidarité. Nous souhaitons ainsi ériger un rempart contre cette privatisation, qui serait inéluctable si nous n'intervenions pas maintenant pour garantir aux générations futures qu'elles pourront continuer à compter sur une retraite par répartition.
Nous avons retenu un principe d'effort équilibré, c'est-à-dire équitablement réparti et proportionné. Chacun devant participer à cet effort – les entreprises, les actifs et les retraités –, les cotisations patronales et salariales augmenteront de manière modérée et progressive à partir de 2014 et jusqu'en 2017, pour répondre à notre besoin de financement à moyen terme – à l'horizon 2020 –, et ce, contrairement à ce qu'on a pu dire, dans le secteur public comme dans le secteur privé. Cet effort sera mesuré : en 2014, la hausse de 0,15 % des cotisations se montera à 2,15 euros par mois pour une personne rémunérée au SMIC et à 3,75 euros par mois pour un salarié gagnant 2 500 euros par mois.
Je souhaite également lever toute ambiguïté au sujet des cotisations patronales : les entreprises contribueront bien à l'équilibre du système et à la prise en compte de la pénibilité. Les Français n'auraient pas compris qu'il en aille autrement car la sauvegarde de notre pacte social exige la mobilisation de tous.
Nous avons également demandé un effort aux retraités. Alors que des voix s'étaient élevées pour affirmer que la baisse des pensions était inévitable, nous l'avons refusée, tant il nous paraît nécessaire de garantir aux retraités le niveau de leur pension dans la durée. Pour autant, la solidarité entre les générations est indispensable car, jusqu'à présent, ce sont les actifs qui ont toujours supporté l'essentiel de l'effort exigé pour financer nos régimes de retraite. Dès lors qu'il s'agit de sauvegarder un élément du lien entre les générations, il est normal d'exiger de celles qui sont déjà à la retraite d'y contribuer de manière modérée.
Puisque nous avons refusé la baisse des pensions, celles-ci resteront indexées sur l'inflation mais, au lieu d'être revalorisées au 1er avril, elles le seront au 1er octobre. Cette mesure ne concernera cependant pas les bénéficiaires de l'allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), l'ex-minimum vieillesse. Cet effort représentera six euros par mois pendant six mois pour une retraite de 1 500 euros – un effort réel mais mesuré et ponctuel, puisqu'il ne sera pas redemandé les années suivantes. D'autre part, la majoration de pension de 10 % dont bénéficient les retraités ayant eu trois enfants et plus sera fiscalisée. À partir de 2020, le relais sera pris par l'allongement de leur durée de cotisation.
En effet, afin de ne pas perturber les plans de ceux qui s'apprêtent à partir à la retraite, nous n'avons pas souhaité accélérer immédiatement l'allongement de la durée de cotisation. Cet allongement se poursuivra donc au rythme prévu jusqu'en 2020, puis, à compter de cette date, au rythme – inscrit dans la loi – d'un trimestre tous les trois ans, ce qui portera la durée de cotisation exigée à quarante-trois annuités à partir de 2035, soit pour les générations nées en 1973 et au-delà. Cet effort en termes de durée de cotisation est réel. Cela étant, l'allongement de l'espérance de vie l'est également. C'est pourquoi il nous paraît plus juste de retenir le critère de la durée de cotisation plutôt que celui de l'âge légal de départ à la retraite, qui était au coeur de la réforme de 2010 et que nous avons résolument écarté. En effet, tout en ayant cotisé quarante-trois annuités, les jeunes qui ont 25 ans aujourd'hui vivront en moyenne deux années de plus à la retraite que ceux qui s'apprêtent à partir dans les mois à venir, et ceux qui ont 35 ans, une année de plus. L'allongement de la durée de cotisation ne se fait donc pas au détriment du temps laissé à la retraite pour nos concitoyens.
Cependant, il est également nécessaire de moduler cette durée de cotisation afin de tenir compte de la réalité des situations et des parcours professionnels des salariés. En effet, nous ne sommes pas égaux en termes d'espérance de vie, du fait de la diversité des conditions de travail dont nous ne pouvons par conséquent faire abstraction lorsque nous traitons des retraites. Nous avons donc été amenés à instituer des droits nouveaux et à réparer des injustices.
Notre volonté de corriger les injustices nous a d'abord conduits à reconnaître la pénibilité au travail – les partenaires sociaux en avaient affirmé la nécessité dès 2008 sans parvenir pour autant à s'accorder sur les conséquences à en tirer en termes de prévention ou de réparation. La notion de conditions de travail pénibles renvoie à des situations concrètes telles que le travail de nuit – qui concerne beaucoup de femmes –, le port de charges lourdes ou encore l'exposition à des substances cancérigènes. Dix facteurs ont ainsi été identifiés. Un compte pénibilité sera mis en place pour chaque Français à partir du 1er janvier 2015 et chaque exposition à une situation pénible donnera droit à un point. Ces points seront doublés pendant la période transitoire afin que ceux qui s'apprêtent à partir à la retraite puissent bénéficier de ce nouveau dispositif favorable. Ces points pourront être convertis en trimestres de formation, en retraite anticipée ou en temps partiel.
La deuxième injustice à laquelle le projet de loi vise à remédier est celle qui touche les femmes. Le système de retraites ne peut corriger les inégalités de salaire ou les disparités de parcours professionnel, mais il ne doit ni les entretenir ni a fortiori les amplifier. C'est pourquoi nous proposons de prendre en compte l'ensemble des trimestres correspondant au congé de maternité et d'engager une réflexion sur l'affectation des majorations de pension, cela afin d'aboutir à une meilleure répartition des sommes aujourd'hui versées à tous les parents d'au moins trois enfants, à proportion de leur pension. Comme il n'existe pas de solution simple, le projet de loi ne comporte pas encore de dispositions précises à ce sujet, étant cependant entendu qu'il faudra faire en sorte que les femmes bénéficient davantage de ces majorations. Enfin, nous avons souhaité mieux prendre en compte le travail à temps partiel, qui touche essentiellement les femmes. À compter du 1er janvier 2014, il suffira d'avoir cotisé 150 heures rémunérées au SMIC pour valider un trimestre, contre 200 actuellement.
Une troisième avancée sera faite en faveur des jeunes. En effet, ceux pour qui la fin de la vie active est proche savent pouvoir compter sur une retraite même s'ils s'interrogent sur son niveau, mais les plus jeunes se demandent si, pour s'assurer une pension, ils ne seront pas réduits à cotiser à des systèmes par capitalisation. De cela, nous ne voulons pas car ce recours ne serait accessible qu'aux mieux rémunérés et nous proposons donc des mécanismes pour mieux prendre en compte les débuts dans la vie professionnelle. Ainsi l'ensemble des périodes d'apprentissage pourront-elles être validées pour la retraite – on dénombre actuellement quelque 400 000 apprentis – et les jeunes qui auront poursuivi leurs études après le baccalauréat auront la possibilité de racheter jusqu'à quatre trimestres de cotisations en bénéficiant d'une aide se montant à 1 000 euros par trimestre, à condition que ce rachat intervienne dans un délai que nous proposons de fixer à cinq ans après la fin de leurs études. Enfin, les « petits boulots », les emplois précaires et le chômage des jeunes seront mieux pris en compte ; les jeunes qui alternent contrats courts et périodes de chômage non indemnisées pourront valider ces dernières. Enfin, la règle des 150 heures rémunérées au SMIC, au lieu de 200, nécessaires pour faire valider un trimestre s'appliquera aussi à ceux qui exercent un emploi pendant un mois d'été.
La quatrième injustice que nous tentons de réparer concerne les pensions trop faibles : nous allons ainsi relever le seuil de versement du minimum contributif, actuellement fixé à 1 028 euros, pour le porter à 1 120 euros. Pour ceux qui ont eu une carrière précaire ou heurtée, à compter du 1er janvier 2015, toutes les périodes de formation professionnelle pourront être comptabilisées dans le calcul de la retraite. Conformément à l'engagement du Président de la République, nous avons aussi prévu des mesures en faveur des agriculteurs : nous leur garantirons une pension minimale égale à 75 % du SMIC s'ils ont accompli une carrière complète et nous accorderons des droits nouveaux à leurs conjoints et aides familiaux. Enfin, nous avons également prévu des mesures en faveur des travailleurs handicapés et des aidants familiaux. Pour les premiers, le taux d'incapacité requis pour bénéficier de la retraite anticipée à 55 ans sera abaissé à 50 % et nous supprimons le critère de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, qui s'est révélé inadapté. Par dérogation, le droit à une retraite à taux plein sera ouvert dès l'âge de soixante-deux ans, au lieu de soixante-cinq, aux personnes handicapées dont le taux d'incapacité est supérieur à 50 %. Pour les aidants familiaux, nous souhaitons assouplir les conditions d'affiliation à l'allocation vieillesse des parents au foyer en supprimant la condition de ressources. Nous instaurerons également une majoration de la durée d'assurance en faveur des aidants d'adultes handicapés.
Le troisième et dernier défi consiste à rendre notre système de retraite plus simple et plus lisible. D'aucuns ont défendu l'idée selon laquelle il serait nécessaire de s'orienter vers un régime unique par points : si, chez certains, il s'agissait d'une position ancienne et constante, d'autres ne l'ont adoptée que récemment – ils n'en soufflaient mot lors des débats de 2010. Quoi qu'il en soit, contrairement à ce que tous ceux-là imaginent, ce n'est pas en changeant l'architecture du système que nous résoudrons le problème de son financement. On peut toujours modifier la forme des thermomètres mais, lorsque la fièvre est là, l'important est de la faire baisser.
Le grand avantage des systèmes uniques est celui d'être lisibles et compréhensibles pour les usagers. Nous voulons donc introduire de la lisibilité et de la simplicité dans nos régimes en commençant par mettre un terme à des réformes à répétition qui sont sources d'angoisse. À cette fin, nous instituerons un comité de pilotage qui fera chaque année le point sur la situation et émettra des recommandations publiques, transmises au Parlement, ce qui permettra des ajustements en fonction de la conjoncture. La publicité du débat en garantira la transparence et contraindra les gouvernements successifs.
Afin de simplifier la vie des Français, en particulier celle des polypensionnés, nous créerons un compte retraite unique permettant à chacun de nos concitoyens de disposer, avant la liquidation de sa retraite, de l'ensemble des informations relatives à sa future pension – c'est-à-dire des informations provenant de tous les régimes auxquels il aura contribué, y compris les régimes complémentaires – alors qu'aujourd'hui, c'est à lui qu'il appartient d'aller chercher ces informations auprès des différentes caisses. Au moment de la liquidation, il lui sera possible de s'adresser à un guichet unique pour demander le versement de sa pension à l'aide d'une déclaration préremplie. La pension des polypensionnés des régimes alignés fera l'objet d'un calcul unique. Enfin, nous instaurerons un paiement simplifié des pensions.
Telles sont l'ambition et l'architecture de cette réforme, que nous voulons inscrire dans la durée. Si nous souhaitons prendre à bras-le-corps les enjeux financiers, ceux-ci ne sauraient être dissociés des enjeux sociaux. Un système de retraite doit en effet apporter une garantie de revenu pour la dernière période de la vie tout en prenant en considération l'évolution de la société et des conditions de travail. Or le nôtre a été conçu à un moment où l'enjeu était d'assurer par une règle unique une garantie unique à l'ensemble de nos concitoyens. Soixante-dix ans plus tard, nous sommes confrontés à la nécessité de davantage prendre en compte la spécificité de tout parcours professionnel. Cette réforme vise donc à adapter les conditions de départ à la retraite à la singularité de chaque carrière.
Madame la ministre, nous vous remercions pour cette présentation très complète. Réparer des injustices et rassurer les jeunes comme leurs aînés tout en garantissant la pérennité du système de retraites : toutes ces ambitions n'étaient pas faciles à concilier, mais il me semble que ce projet y parvient.
Je trouve de grandes vertus à ce texte. Tout d'abord en raison de la méthode utilisée, unanimement saluée et qui nous change de ce que nous avons connu sous la précédente législature : cette réforme a été anticipée et particulièrement bien menée depuis un an, selon une chronologie structurée et efficace. Ainsi la première feuille de route a-t-elle été définie en juillet 2012. Puis le Conseil d'orientation des retraites (COR) a établi un diagnostic, évaluant à 20 milliards d'euros notre besoin de financement à l'horizon de 2020. Ensuite, après la publication du rapport Moreau, est venue une phase de concertation avec les organisations syndicales. Si celles-ci maintiennent chacune sa position et ont parfois rejeté certains aspects du texte, aucune cependant n'a quitté la concertation. Cela montre que tout au long de cette année, les choses ont été dites clairement mais tranquillement. Ces organisations poursuivent d'ailleurs le débat avec les parlementaires : nous avons reçu ce matin quatre d'entre elles parmi les plus représentatives.
Cette réforme est absolument nécessaire. Certains se demandent si le moment est bien choisi, jugeant que les 7 milliards d'euros de déficit du régime général sont bien peu de chose au regard des 280 milliards d'euros versés chaque année, mais, dans la période actuelle, ces déficits sont insupportables. Et force est de constater que la réforme de 2010, comme la précédente, a été inefficace et insuffisante, comme en attestent les chiffres moins de trois ans plus tard. La crise économique n'excuse pas tout à cet égard : demeure, tenant en particulier à l'allongement de l'espérance de vie, un déficit structurel qui préexistait. Mais si nous avons combattu cette réforme, c'est aussi parce qu'elle repoussait l'âge légal de départ à la retraite et, surtout, parce que ce report brutal ne s'accompagnait pas des mesures sociales qui auraient pu la rendre plus acceptable – notamment de mesures tenant compte de la pénibilité.
S'il est par conséquent nécessaire de revenir sur la réforme de 2010, c'est de manière juste, équilibrée et sans brutalité excessive que vous le faites et nous ne pouvons que souscrire aux mesures que vous proposez. Parmi les trois éléments communément cités sur lesquels on peut jouer pour rétablir l'équilibre, vous avez immédiatement exclu la baisse des pensions. Vous avez donc décidé d'agir, de manière progressive et modérée, sur les deux autres, soit la hausse des cotisations et l'augmentation de la durée de cotisation. Les cotisations augmenteront ainsi de 0,3 % d'ici à 2017 et la durée de cotisation passera à quarante-trois annuités en 2035. Cette progression lente et mesurée permettra de préserver le pouvoir d'achat des actifs et des retraités. Un effort équilibré est en outre demandé à peu près à parts égales aux trois catégories parties prenantes du système : les actifs, les entreprises et les retraités.
Il s'agit donc d'une réforme de fond dont les mesures concernent chaque actif et dont les futurs retraités percevront tous les effets au moment de la liquidation de leur pension.
Nous revenons de loin ! C'est bien parce qu'en 2010, nous avions dénoncé le manque cruel de financements et l'injustice de la réforme proposée que nous sommes réunis en commission ce matin pour réformer nos retraites.
Manque de financements : tout le monde s'accorde aujourd'hui pour dire que la loi de 2010 s'est soldée par un véritable échec, puisque les régimes de retraite sont aujourd'hui largement déficitaires.
Injustice : le gouvernement précédent a négligé quantité de questions, justifiant aujourd'hui des mesures correctrices, qu'elles concernent la pénibilité, la situation des jeunes, l'égalité entre les hommes et les femmes ou encore la situation des travailleurs pauvres ayant accompli une carrière longue.
Je salue moi aussi la méthode retenue par le Gouvernement. C'est en effet dans la sérénité que ce travail a été mené. Tout d'abord, les travaux du COR, qui nous éclaire depuis de nombreuses années, ont permis à tous – patrons, salariés, experts et élus – de partager un diagnostic. Ces travaux ont ensuite été complétés à votre demande, madame la ministre, par le rapport de Mme Yannick Moreau. Celle-ci nous a indiqué hier qu'elle en retrouvait parfaitement les grandes orientations dans ce projet de loi, notamment en ceci que cette réforme est structurante. En effet, non seulement elle corrige plusieurs inégalités, mais elle s'inscrit dans la durée : même si des clauses de revoyure sont indispensables, nous pouvons ainsi savoir comment évolueront les durées de cotisation au cours des trente prochaines années. Enfin, la loi institue un comité de surveillance des retraites qui permettra de recourir à des stabilisateurs liés aux trois grands paramètres que sont l'allongement de la durée de cotisation, l'augmentation du montant de ces cotisations et le niveau des pensions. Ce comité pourra également éclairer la représentation nationale et le Gouvernement afin de corriger les éventuelles dérives.
Le texte m'apparaît donc tout à fait positif et équilibré. Deux points me paraissent cependant mériter des ajustements.
Le premier concerne l'article 32. Les professions libérales admettent la nécessité de faire converger leurs régimes et sont prêtes à conclure des contrats d'objectifs et de gestion. Il conviendrait donc de rassurer les sections de ces professions et de leur rappeler qu'il ne s'agit pas pour l'État de récupérer de l'argent, mais bien au contraire d'assurer la solvabilité de ces régimes en ménageant une possibilité de fongibilité entre ces régimes en cas de besoin.
Il conviendrait en second lieu de mieux prendre en compte les stages. Certes, des efforts considérables seront fournis en faveur des étudiants, qui pourront désormais racheter des années d'études et faire valider leurs années d'apprentissage, ou encore un trimestre sur la base de 150 heures de travail seulement. On pourrait cependant faire évoluer ce dispositif de rachat d'années d'études en transformant le système de financement par subvention unique en un mécanisme de financement sous forme de primes ou par prélèvements mensualisés, de telle sorte que la quote-part versée par les étudiants soit la plus faible possible.
J'apprécie beaucoup que ce projet de loi comporte des mesures spécifiques en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes. Selon l'étude d'impact annexée au texte, qui résume parfaitement les problèmes posés à cet égard, « les projections réalisées par le Conseil d'orientation des retraites montrent que les écarts de niveau de pensions entre hommes et femmes ne se résorberont pas spontanément à politique inchangée : ils resteront de 20 % pour les générations nées dans les années 1970 », c'est-à-dire au moins jusqu'en 2040. En d'autres termes, sans une politique volontariste, nous ne réparerons pas cette inégalité majeure.
En matière de droits familiaux, la bonification de 10 % du montant des pensions pour le troisième enfant est plus favorable au père qu'à la mère, puisqu'elle est proportionnelle au salaire. Il s'agit là d'une mesure injuste puisqu'elle ne permet pas de corriger l'inégalité entre les femmes et les hommes. Or, s'il ne vous a pas été possible de la modifier dans ce projet de loi, le Gouvernement entend réviser ces droits familiaux d'ici juillet 2014. Dans quelles conditions le Parlement pourrait-il être associé à cette réflexion ? En ce qui concerne le temps très partiel, la diminution du nombre d'heures nécessaires pour valider un trimestre constitue une avancée, mais cette mesure ne peut-elle encore faire l'objet d'ajustements ?
S'agissant du compte pénibilité, nous cherchons aujourd'hui à faire valoir le principe selon lequel « à travail égal valeur égale ». Or, dans les conventions collectives, le travail dit « féminin » n'est pas comptabilisé de la même manière que le travail majoritairement masculin. Et si, selon le Conseil d'orientation des retraites, « les hommes sont plus exposés aux conditions de travail pénibles que les femmes », tout dépend en réalité de la manière dont on définit la pénibilité. Nous constatons en effet que les femmes subissent davantage d'accidents du travail et de maladies professionnelles que les hommes. Il conviendrait donc de mieux prendre en compte certains métiers dans la définition des dix facteurs de pénibilité. Ainsi considère-t-on par exemple qu'un homme qui soulève des sacs de sable ou de ciment d'une trentaine de kilos exerce un travail pénible, mais pas une aide-soignante qui soulève des malades de quatre-vingts kilos ou plus.
J'entends ceux qui déplorent ne pas disposer de l'étude d'impact, je le regrette, comme vous. Mais vous la recevrez très bientôt.
Il nous a paru que cette étude pouvait être modifiée, ne serait-ce que dans sa présentation, jusqu'à ce que le conseil des ministres ait délibéré du projet de loi. C'est d'ailleurs après cette délibération que sont diffusés les documents liés aux textes examinés et je ne crois pas que, sur ce point, notre pratique diffère beaucoup de celle qui avait cours auparavant. Cela étant, cette étude d'impact devrait normalement vous être parvenue à l'heure qu'il est.
Le groupe socialiste, républicain et citoyen partage avec le Gouvernement la conviction que cette réforme était nécessaire, pour des raisons que nous avons déjà exposées en 2010 et qui tiennent au fait que l'actuel système français de retraites est à la fois mal assuré financièrement et chroniquement injuste.
Nous connaissons aujourd'hui les termes dans lesquels se pose la question du financement, grâce aux rapports du COR et de Yannick Moreau. Il nous fallait trouver 20 milliards d'euros, dont un peu plus de 7 milliards pour le régime général. Les efforts à réaliser sont certes importants mais non hors de portée. J'observe d'ailleurs que ceux qui dramatisent le plus la situation sont justement ceux qui n'ont pas assuré la sécurité financière du système. Pour notre part, comme le Gouvernement, nous évaluons les besoins sans les dramatiser et entendons y répondre sérieusement.
Ce système est aussi source d'injustice chronique. Des générations ont été cassées par le travail sans qu'il leur soit possible de bénéficier d'avantages particuliers au moment de la retraite. Pour les femmes, les inégalités salariales se répercutent sur le niveau des pensions.
Nous saluons donc la volonté d'élaborer une réforme soutenable, acceptable, équitable et sans brutalité. Le temps est fini où l'on mesurait la qualité ou la pertinence d'une réforme à l'aune des protestations qu'elle suscitait. Et nous estimons comme vous que le courage n'est pas dans le saccage de la protection sociale.
Nous notons également que l'effort financier a été également réparti entre les salariés et les entreprises. Nous ne sommes guère favorables à une logique de compensation pour les entreprises de l'augmentation des cotisations et, si nous savons qu'il conviendra de trouver des équilibres dans le cadre d'une réforme globale du financement de la protection sociale, nous comprenons que ce projet traite avant tout du financement des retraites.
Nous saluons enfin la volonté de justice qui inspire et marque cette réforme réellement progressiste car, même par temps de crise, le progrès est possible. Rendre la justice effective n'est pas un problème philosophique, mais un problème très concret : comment assurer à la fois une plus grande égalité et des solutions plus personnalisées, plus adaptées à chacun ? C'est d'ailleurs la marque de fabrique de cette réforme que de prendre en compte la réalité de la vie au travail, le temps d'apprentissage ou d'études, le caractère souvent discontinu des carrières et la pénibilité.
Le travail parlementaire permettra d'améliorer encore ce projet de loi, car un bon texte appelle sans doute, encore plus qu'un autre, le débat. Nous veillerons en particulier à rendre réellement opérationnel le dispositif proposé en matière de pénibilité et à mieux prendre en compte la situation des salariés qui se trouvent à quelques années de la retraite. Feront également débat la question des petites pensions, celle des jeunes – sur laquelle les points de vue divergent –, celle des personnes en situation de handicap, celle du sort réservé aux avantages familiaux et enfin celle du pilotage du système, très importante pour l'avenir. Il nous faudra d'ailleurs, à ce dernier sujet, bien faire la part des mesures liées à la conjoncture économique, qui ne doivent pas être irréversibles. Au terme de ce travail, je suis convaincu que nous aurons, non pas une réforme « a minima », comme certains l'ont parfois dit trop rapidement ou par paresse, mais une réforme qui aura sa place dans l'histoire de la protection sociale de ce pays.
Nous avons bien du mal à qualifier ce projet de loi, car il ne s'agit pas pour nous d'une réforme – ne serait-ce qu'une réforme « Canada Dry » – mais de l'une des plus grandes supercheries du quinquennat de François Hollande. Il est loin le temps où vous promettiez à vos électeurs l'abrogation de la loi Fillon allongeant la durée de cotisation et le retour à soixante ans de l'âge légal de départ à la retraite ! En revanche, on pourrait à bon droit parler à propos de ce texte d'un bric-à-brac fiscal. Vous y réussissez l'exploit d'un triple alourdissement de la charge supportée par nos concitoyens : vous relevez les cotisations des salariés, vous relevez celles des entreprises, au détriment de leur compétitivité, et vous augmentez l'impôt des retraités – cela sans parler de la remise en cause des avantages accordés aux familles. Aussi je comprends votre gêne, madame la ministre, lorsque ce matin, sur un plateau de télévision, vous disiez les yeux dans les yeux au présentateur de l'émission qu'il n'y aurait pas d'augmentation d'impôts en 2014. Mais quelle différence cela fait-il pour les Français que vous augmentiez les impôts, les cotisations ou les taxes ? L'argent sort du même porte-monnaie !
Pour autant, votre projet de loi est sous-calibré par rapport aux enjeux. En effet, si les rapports du Conseil d'orientation des retraites et de Yannick Moreau évaluent notre besoin de financement, tous régimes confondus, à 20 milliards d'euros à l'horizon 2020, vous ne vous préoccupez ici que des 7,5 milliards d'euros nécessaires au financement du régime général.
Ce texte est en outre placé sous le signe de l'inégalité. Vous ne prenez pas la moindre mesure pour tirer de leur situation critique les régimes complémentaires AGIRC et ARRCO, dont l'équilibre est menacé à court terme. Rien non plus pour poursuivre le mouvement de convergence entre public et privé que nous avons amorcé dès 2003 en relevant le taux de cotisation dans la fonction publique ; rien sur les régimes spéciaux dont nous avons engagé la réforme en 2008, ni sur le fameux régime unique dont nous attendons avec impatience la création, prévue par la loi du 9 novembre 2010 grâce à un amendement déposé à l'Assemblée nationale puis adopté par le Sénat. Vous vous attaquez en revanche au régime des professions libérales, et ce sans concertation ni dialogue puisque c'est par la presse que les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL) ont découvert l'article 32 du projet de loi, qui revient à une étatisation de leur système de retraite.
Il s'agit également d'une réforme hypocrite car, en refusant de modifier l'âge de départ et en jouant uniquement sur la durée de cotisation, vous allez provoquer une baisse des pensions : les jeunes générations, qui commencent à travailler plus tard que leurs aînés, subiront une décote lors de leur départ à la retraite.
La réforme de 2010, dont vous mettez le prétendu échec en avant, a permis de réduire nos déficits de 30 milliards d'euros : sans elle, ce sont 50 milliards d'euros de déficit que nous aurions eus à l'horizon de 2020. Et les 20 milliards d'euros restant à trouver sont bien sûr dus à l'aggravation de la situation économique, à laquelle l'action du Gouvernement contribue grandement, et à l'impact financier du fameux décret ramenant l'âge légal de départ à la retraite à soixante ans.
Au cours du débat, nous aurons l'occasion de défendre nos conceptions et de formuler des propositions de nature à garantir, elles, la pérennité du système par répartition. Pour l'heure, je me bornerai à vous interroger sur deux points.
Certes, le projet de loi ouvre de nouveaux droits justifiés, que ce soit pour les polypensionnés, les agriculteurs ou les femmes. Mais ces droits ont un coût. Dès lors, atteint-on véritablement l'objectif de la réforme, qui est d'assurer l'équilibre financier du système ? Je ne le crois pas. Vous ouvrez en réalité la boîte de Pandore !
La question de la pénibilité avait été abordée dès 2003, avec la création du dispositif « carrières longues ». Puis, en 2010, un mécanisme de départ anticipé avait été mis en place pour les personnes ayant commencé à travailler avant dix-huit ans. Comment les mesures que vous prévoyez ici, aboutissant de fait à la création d'un nouveau régime spécial, vont-elles s'articuler avec celles que nous avons prises, et combien de salariés concerneront-elles ?
Au-delà de son aspect comptable, la réforme proposée comporte des dispositions intéressantes comme la mise en place d'un guichet unique pour faciliter l'accès des assurés à leurs droits et plusieurs avancées sociales, en faveur de l'égalité femmes-hommes, des jeunes, des travailleurs soumis à la pénibilité et de ceux qui ont eu des carrières heurtées. Les écologistes souscrivent aux objectifs ainsi poursuivis : ces mesures vont pour la plupart dans le sens de combats qu'ils mènent de longue date.
La création du compte personnel de prévention de la pénibilité, en particulier, est une excellente initiative. Mais quels aménagements y aura-t-il pour les travailleurs exposés à la pénibilité qui, parce qu'ils sont proches de l'âge de la retraite, ne pourront accumuler suffisamment de points ? Le texte prévoit certes un doublement des points à partir de 59 ans et demi, mais quels avantages concrets les intéressés peuvent-ils en escompter à deux ans et demi de l'âge légal de départ ? Et qu'en sera-t-il pour les autres quinquagénaires ?
La prise en compte effective des trimestres d'apprentissage dans le calcul des pensions est également une très bonne proposition et une mesure de justice à l'égard des jeunes. Nous soutenons donc pleinement ces deux dispositions, de même que l'abaissement à 150 heures rémunérées au SMIC du temps de travail requis pour valider un trimestre et la prise en compte de tous les trimestres de congé maternité dans le dispositif « carrières longues ».
En revanche, pour les jeunes, le rachat de trimestres d'études ne nous paraît pas une bonne option. Cette mesure favorisera ceux qui ont eu la chance de faire des études longues, ce qui leur permet déjà de s'assurer un meilleur salaire. Les jeunes plus défavorisés n'auront pas les moyens, même avec une aide, de racheter un nombre significatif de trimestres. Bref, on aidera surtout ceux qui sont appelés à toucher de meilleures pensions, leurs études leur ayant permis d'occuper des emplois plus rémunérateurs ! Il faut améliorer le texte sur ce point.
Quant aux avancées en matière d'égalité femmes-hommes, elles se limitent pour l'instant à la prise en compte des trimestres de congé maternité dans le dispositif « carrières longues » et à l'abaissement du seuil exigé pour valider un trimestre – cette dernière disposition ne concernant d'ailleurs pas seulement les femmes. Combien ces dernières seront-elles à bénéficier de ces deux mesures, d'après l'étude d'impact ?
Si vos intentions sont louables, il nous faudra donc enrichir le texte pour que l'objectif d'égalité femmes-hommes, je l'espère partagé par tous, et l'objectif de justice sociale soient pleinement atteints.
En revanche, les modalités de financement prévues sont difficilement acceptables pour les écologistes, qui défendent une réduction du temps de travail et un meilleur équilibre entre temps de travail et temps de loisir. Nous ne vous demandons pas ici d'instaurer la semaine de 32 heures, mais de ne pas allonger la durée de cotisation requise pour percevoir une retraite à taux plein. On nous explique que l'allongement à quarante-trois annuités est rendu nécessaire par l'augmentation de l'espérance de vie, mais ce seul angle d'analyse est insuffisant : il faut aussi prendre en compte l'impact sur le taux de chômage des jeunes et des seniors. Socialement injuste, la mesure est de surcroît économiquement inefficace puisqu'elle ne commencera de produire ses effets qu'à partir de 2020.
Vous proposez de faire contribuer les retraités. On pourrait l'admettre si n'étaient concernés que les retraités les plus aisés, mais tel n'est pas le cas. Est-il envisageable, à tout le moins, que le report du 1er avril au 1er octobre de la revalorisation des pensions ne s'applique pas au million de retraités dont le montant de la pension, pour supérieur qu'il soit à celui de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, ne leur permet néanmoins pas de vivre au-dessus du seuil de pauvreté ?
Pour toutes ces raisons, le groupe Écologiste n'a pas encore arrêté sa position sur ce projet de loi, qu'il essaiera d'améliorer par ses amendements, sa décision dépendant de ce que sera le texte final.
Madame la ministre, vous jugez cette réforme juste et équilibrée. Nous ne partageons pas cette appréciation. En effet, l'allongement de la durée de cotisation privera un nombre important de nos concitoyens d'une retraite à taux plein et abaissera donc le niveau moyen des retraites perçues. De surcroît, cette mesure pénalisera les catégories déjà les plus en difficulté, en particulier les femmes, plus nombreuses à travailler à temps partiel ou à percevoir de bas salaires. À quand une égalité salariale effective entre les femmes et les hommes ? Des mesures contraignantes s'imposent. Ce serait là la politique volontariste que notre collègue Catherine Coutelle appelle de ses voeux. L'allongement de la durée de cotisation pénalisera également les jeunes, les salariés exerçant les métiers les plus exposés et les ouvriers, dont l'espérance de vie est pourtant inférieure de sept ans à celle des cadres.
Votre texte comporte certes quelques mesures pour atténuer ces injustices. Je pense à la prise en compte de la pénibilité, dont nous nous félicitons qu'elle soit désormais inscrite dans la loi même si nous nous interrogeons sur la portée réelle de ce dispositif. À ce sujet, accepterez-vous que les salariés participent à l'évaluation des facteurs de pénibilité dans les entreprises, comme le demande l'ensemble des syndicats ? La prise en compte des trimestres de congé maternité dans le calcul de la retraite des femmes et celle des trimestres de stage et d'apprentissage sont d'autres mesures intéressantes. Pour autant, beaucoup d'incertitudes demeurent quant à leur application. Espérons que le débat permettra de les dissiper et que des amendements seront adoptés pour améliorer le texte sur tous ces points.
L'allongement de la durée de cotisation obligera beaucoup de salariés à travailler bien au-delà de 62 ans, et ce alors même que le taux d'emploi des seniors n'est que de 37 % entre 55 et 64 ans. Beaucoup ne perçoivent plus que les minima sociaux lorsqu'ils liquident leur retraite. Ne craignez-vous pas d'aggraver cette situation ?
Quant aux modalités de financement prévues, elles aussi sont porteuses d'injustice. En effet, seuls les salariés et les retraités seront effectivement mis à contribution puisqu'il a déjà été annoncé que l'effort demandé aux entreprises leur serait intégralement compensé au nom de la compétitivité – argument déjà invoqué pour justifier les exonérations de cotisations sociales patronales, qui n'ont cessé d'augmenter au cours des trente dernières années jusqu'à atteindre près de trente milliards d'euros par an, ou encore le crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) pour vingt autres milliards, le tout accordé sans contrôle ni contrepartie. Ces dispositions n'ont pourtant pas empêché les délocalisations et les fermetures d'usine de continuer – Sanofi, Mittal à Florange, Petroplus, Waterman, Reynolds…, j'arrête ici une liste qui serait encore longue – ni le chômage de progresser. Pourquoi, madame la ministre, continuez-vous dans cette voie, sans infléchir une politique qui ne règle rien et que vous dénonciez d'ailleurs, à juste titre, sous le précédent gouvernement ?
Il est évident que des moyens nouveaux sont nécessaires, vous l'avez dit vous-même. Or, tous les rapports le confirment, une part croissante de la richesse produite part en dividendes et alimente la spéculation, au détriment de la protection sociale, des salaires et de l'investissement. Pourquoi ne commencez-vous pas de corriger cette injustice flagrante, qui s'aggrave ? En même temps que cela handicape notre économie, il en résulte un manque à gagner considérable pour notre protection sociale.
Dans un esprit constructif, nous formulerons des propositions visant à dégager les moyens nouveaux qui seraient nécessaires. Je ne citerai ici que la modulation des cotisations sociales patronales en fonction de la priorité donnée par l'entreprise aux salaires et à l'investissement, ainsi que la suppression des exonérations de cotisations sociales accordées à l'aveugle. Êtes-vous prête, madame la ministre, à étudier ces propositions sérieusement et sans a priori ?
Qu'il y a loin de votre présentation de ce texte, madame la ministre, aux déclarations enflammées de la campagne présidentielle ! Le 14 octobre 2011, vous déclariez à Libération : « François Hollande s'est engagé à revenir à la retraite à 60 ans et il le fera. »
Plusieurs commissaires socialistes. Et il l'a fait !
Non. Sauf pour les 40 000 personnes ayant commencé à travailler tôt, vous ne remettez pas en question l'âge légal de départ fixé en 2010. Bien vous en prend d'ailleurs car le rapport du Conseil d'orientation des retraites établit que, sans cette réforme, le déficit se monterait non pas à vingt milliards d'euros, mais à quarante milliards.
Votre réforme est juste, dites-vous. Est-il juste de ponctionner le pouvoir d'achat des salariés en augmentant leurs cotisations sociales de 0,15 % ? Est-il juste d'aller chercher 0,15 % de plus du côté des entreprises ? Cette augmentation de charges sera-t-elle ou non compensée ? Le MEDEF s'interroge : en effet, la promesse faite sur le perron de Matignon ne semble pas suivie d'effet. Avec le niveau des cotisations, il en va pourtant de la compétitivité des entreprises, et donc de l'emploi. La somme en jeu est considérable : 2,2 milliards d'euros en année pleine, tant pour les salariés que pour les entreprises.
Alors que le besoin de financement doit atteindre 20 milliards d'euros à l'horizon 2020 et que le déficit du régime général est déjà de 7,6 milliards, cette réforme ne procurera que 7,3 milliards, pas davantage !
Vous avez préservé le niveau des retraites, dites-vous. Mais reporter du 1er avril au 1er octobre la revalorisation des pensions, ce qui fait économiser près d'un milliard d'euros, cela ne revient-il pas à les baisser ?
Pourquoi avoir d'emblée écarté l'hypothèse d'accélérer l'entrée en vigueur de la réforme de 2010 ? Le COR explique que si, en novembre 2011, on avait eu le courage d'augmenter d'un an et neuf mois la durée de cotisation, l'équilibre aurait pu être atteint.
Pourquoi passer sous silence le problème de la convergence entre public et privé ? D'importantes disparités demeurent, tant pour ce qui est du niveau des pensions que de l'âge d'ouverture des droits. En moyenne, les salariés du public partent en retraite quatre ans plus tôt que ceux du privé.
Pourquoi ne pas dire un seul mot, non plus, des régimes spéciaux ? En 2014, sept milliards d'euros devront pourtant être prélevés sur le budget général pour équilibrer leurs comptes, qui dérivent.
La pénibilité, sur les critères de laquelle les partenaires sociaux se sont accordés en 2008, sera prise en compte. Mais pourquoi, là encore, mettre en place un régime pour le privé différent de celui du public ? Enfin, pourquoi exiger que le salarié ait été exposé durant cinq ans au moins à des facteurs de pénibilité pour que cela lui ouvre droit à une formation ou à l'aménagement de son temps de travail ou de son départ en retraite ? Pour nous, la pénibilité s'apprécie et doit être prévenue pendant la vie de travail. Sa prise en compte ne doit pas avoir seulement une visée réparatrice.
Si votre texte comporte des avancées au profit des femmes, comme la prise en compte des trimestres de congé maternité, pourquoi pénaliser de suite les parents de trois enfants et plus en fiscalisant les majorations de retraite pour enfants et attendre 2020 pour engager la refonte du dispositif, en sorte que la future majoration forfaitaire par enfant bénéficie principalement aux femmes ? On aurait pu s'engager dans cette voie dès 2014 si vous aviez accéléré la mise en oeuvre de la réforme de 2010 et suivi les préconisations du COR. Mais il eût fallu du courage !
Une dernière remarque sur la méthode. En 2010, le ministre, Éric Woerth, avait reçu tous les groupes parlementaires. Pourquoi cela n'a-t-il pas été le cas cette fois-ci, alors que le groupe UDI, par exemple, a auditionné l'ensemble des partenaires sociaux ?
Je salue tout particulièrement les dispositions en faveur des personnes en situation de handicap et, même si des améliorations sont encore possibles pour ces derniers, des aidants familiaux. Conformément à la circulaire du Premier ministre du 4 septembre 2012 qui prévoit qu'il en soit désormais ainsi de chaque texte, ce projet de loi comporte donc bien un volet handicap.
Les mesures prévues sont particulièrement nécessaires car les personnes en situation de handicap rencontrent d'importantes difficultés aussi bien pour accéder à l'emploi que pour s'y maintenir. En 2011, seulement mille d'entre elles ont pu bénéficier d'une retraite anticipée, ce qui montre que les trois conditions à réunir pour en bénéficier sont trop contraignantes. L'abaissement de 80 % à 50 % du taux d'incapacité permanente exigé pour prétendre à une retraite dès 55 ans constitue donc un grand pas en avant. La suppression prévue du critère de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH), introduit par la loi du 9 novembre 2010 et dont finalement peu ont demandé le bénéfice pendant leur vie professionnelle, serait toutefois perçue par elles comme un recul, puisqu'elles peuvent en effet avoir compté sur ce critère pour partir en retraite anticipée. Des avancées seront-elles possibles sur ce point ?
Enfin, quelles mesures pourrait-on envisager pour les personnes dont le handicap ou l'invalidité est survenu en cours de carrière et qui ne peuvent bénéficier d'une retraite anticipée faute de satisfaire aux conditions cumulatives d'âge et de handicap ?
Si certains, à commencer par le rapporteur, voient dans ce projet de loi une réforme, vous vous êtes bien gardée, vous, madame la ministre, d'employer ce terme, ne parlant à juste titre que de « texte ». Pourquoi cette divergence d'appréciation entre vous et le rapporteur ?
Lors de la réforme de 2010, porte-parole du groupe socialiste, vous n'avez cessé, madame la ministre, de répéter qu'aussitôt gagnées les élections présidentielle et législatives – vous sembliez certaine que tel serait le cas ! –, votre parti balaierait notre loi et rétablirait la retraite à 60 ans. Pourquoi ne tenez-vous pas aujourd'hui vos promesses d'alors ?
Votre texte prévoit la création d'un comité de surveillance des retraites, dont le rôle se superpose en grande partie à celui du COR, créé en son temps par Lionel Jospin – ce qui fut une excellente initiative. Pourriez-vous nous apporter des éclaircissements sur le rôle de ce comité ?
Ce projet de loi comporte plusieurs avancées, au premier rang desquelles la création du compte personnel de prévention de la pénibilité. Lisible par tous, le nouveau dispositif rompt avec celui de 2010, qui n'instituait qu'une réparation très restrictive de l'exposition à la pénibilité, en raison de l'obligation de satisfaire à des critères médicaux. D'ailleurs, six mille dossiers seulement ont à ce jour été validés à ce titre. Ce projet de loi, comme celui de 2010, s'appuie sur les dix facteurs de pénibilité sur lesquels se sont accordés les partenaires sociaux. Mais ce socle n'a, semble-t-il, plus la même finalité, et c'est heureux. Il nous faut bien entendu continuer à lutter pour améliorer les conditions de travail en prenant en compte de nouveaux facteurs, en particulier, comme le demandent les partenaires sociaux, les risques psychosociaux.
Les points accumulés sur le compte pénibilité pourraient-ils être utilisés pour passer à temps partiel avant la cessation d'activité ? D'autre part, ne pensez-vous pas qu'il conviendrait de revenir sur la possibilité donnée à l'employeur d'opposer un refus sec en invoquant « une impossibilité due à l'activité économique de l'entreprise » ?
Enfin, la future cotisation pénibilité additionnelle sera-t-elle modulée en fonction des efforts que l'entreprise aura ou non engagés en vue de réduire la pénibilité, sur le modèle de ce qui se pratique en matière d'accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) ?
Cette réforme est importante, avant tout en raison de son objet premier qui est de sauvegarder notre système de retraite par répartition. N'oublions pas que certains, aujourd'hui dans l'opposition, ont voulu par le passé y introduire une dose de capitalisation.
Les écologistes demeurent convaincus que c'est par la relance de l'emploi, grâce à la création de nouvelles filières et à un meilleur partage du travail, que l'on parviendra à équilibrer nos régimes de retraite.
Le financement de ceux-ci repose aujourd'hui exclusivement sur les salaires. Pourquoi ne pas en élargir l'assiette à d'autres revenus, comme les dividendes dont le montant ne cesse de progresser ? Ne pourrait-on au moins prévoir qu'une prochaine conférence sociale en débatte ? C'est en effet aux partenaires sociaux, et non à nous, qu'il revient de se saisir de cette question et de la trancher.
Le présent projet de loi comporte des avancées notables, en particulier la prise en compte de la pénibilité. C'est pourquoi nous espérons pouvoir, à l'issue du travail parlementaire, nous y retrouver.
Dans son allocution du 24 janvier dernier, le Premier ministre a annoncé le rétablissement partiel de l'allocation équivalent retraite (AER) sous la forme d'une allocation transitoire de solidarité (ATS) à laquelle peuvent désormais prétendre tous ceux qui, nés en 1952 et 1953, étaient inscrits à Pôle emploi au 31 décembre 2010 et justifient de toutes leurs annuités. Cependant, bien qu'ils remplissent ces trois conditions, certains ne peuvent aujourd'hui bénéficier de l'ATS. En effet, un décret du 4 mars 2013 exige d'avoir validé tous ses trimestres à la date d'expiration des droits à l'allocation chômage, clause limitative qui n'avait pas été mentionnée en janvier. Ainsi une personne justifiant des 165 trimestres exigés, voire de plus, mais ayant « basculé » sur les minima sociaux alors qu'elle n'en avait que 164, peut se voir refuser le bénéfice de l'ATS pour ce seul trimestre manquant. Dans un souci de cohérence mais aussi de respect de la parole donnée, il conviendrait, dans le cadre de la présente réforme, de revoir ce décret de mars 2013.
Je serai bref, notre collègue Arnaud Robinet ayant parfaitement exposé la position de notre groupe.
Pour résorber d'ici à 2020 le déficit de 7,6 milliards d'euros du régime général, il est prévu de relever les cotisations vieillesse, salariales et patronales, de 0,15 point en 2014 puis de 0,05 point les trois années suivantes. Cette hausse doit être compensée pour les employeurs par une baisse du même ordre des cotisations famille. Mais comment sera assuré le financement de la branche famille si ses recettes sont ainsi amputées ?
L'article 32 du projet modifie la gouvernance de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales (CNAVPL), que vous prévoyez en quelque sorte d'étatiser. L'autonomie et la pérennité des caisses professionnelles sont ainsi remises en question, au risque de dysfonctionnements dans le service rendu aux assurés. Inquiets, les professionnels libéraux attendent une réponse sur le sujet et souhaitent que cet article soit totalement revu.
Le texte comporte des avancées majeures au profit des femmes, des personnes dont le parcours professionnel a été haché, des personnes en situation de handicap, des agriculteurs ainsi que des jeunes – des titulaires de petites retraites, en général. Cependant, je m'inquiète du nombre de personnes qui ne demandent pas à bénéficier de l'ASPA alors que le faible niveau de leurs pensions les rend éligibles à ce mécanisme de solidarité : comment pourrait-on modifier les choses dans ce domaine ?
Il a été décidé de ne pas décaler du 1er avril au 1er octobre la revalorisation de l'ASPA, ce dont il faut se féliciter. Serait-il possible de renoncer également à ce décalage pour toutes les retraites inférieures au seuil de pauvreté – qui est supérieur au montant de l'ASPA ?
Des mesures intéressantes sont prévues pour les retraités agricoles. Mais d'après des représentants du secteur qui ont rencontré votre collègue ministre de l'agriculture, il semblerait que diverses restrictions limiteraient fortement le nombre de bénéficiaires potentiels. Pourriez-vous nous éclairer sur ce point ?
Nous ne doutons pas de votre volontarisme, madame la ministre. Nous nous attendions donc à une réforme d'envergure. Celle que vous nous présentez est, hélas, bien éloignée des recommandations du rapport Moreau. Elle ne s'attache en effet qu'à combler le besoin de financement de 7,5 milliards d'euros du régime général alors qu'il aurait fallu bâtir un scénario macro-économique autrement plus vaste de manière à combler le déficit de 20 milliards d'euros tous régimes confondus. Déjà, des recettes s'émoussent et les syndicats réclament la compensation de la hausse des cotisations des actifs. Quant au plan de financement de l'important et coûteux « paquet social » que contient la réforme, il demeure flou.
La réforme prévue me paraît placée sous le signe de l'inégalité. Rien sur la situation, pourtant critique, de l'AGIRC et de l'ARCCO, rien sur les régimes spéciaux ni sur la convergence public-privé. Toutes les inégalités actuelles perdurent.
Vous choisissez hypocritement d'allonger la durée de cotisation plutôt que de relever l'âge légal de départ à la retraite. C'est faire le choix d'une baisse des pensions puisque les départs en retraite avec décote se multiplieront. C'est aussi désavantager les jeunes.
Cette réforme, enfin, se traduira par un choc fiscal car elle entraînera l'augmentation des cotisations des actifs ainsi que de l'impôt des retraités. On ne peut que s'inquiéter de la baisse du pouvoir d'achat et de la moindre compétitivité de nos entreprises qui en résultera.
Je terminerai par une question : comment seront financées les mesures annoncées au bénéfice des retraités agricoles ? Il semble qu'elles le seraient par la suppression ou la réduction de certains avantages dont bénéficiaient jusqu'à présent certains agriculteurs. Ne s'agit-il donc pas d'un tour de passe-passe ? Nous nous inquiétons donc aussi de l'incidence de ces mesures, si nécessaires qu'elles soient.
Je me réjouis que, pour la première fois, une réforme des retraites – car, n'en déplaise à certains, il s'agit bien d'une réforme – ne se limite pas à des mesures comptables et de gestion, mais vise vraiment à améliorer le système.
L'article 6 dispose que « les salariés des employeurs de droit privé ainsi que le personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé » pourront acquérir des droits au titre du compte personnel de prévention de la pénibilité. Qu'entend-on exactement par « personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé » ? S'agit-il des contractuels – mais à mes yeux, les contractuels sont employés dans les conditions du droit public puisqu'ils possèdent un contrat de droit public – ou d'une partie seulement d'entre eux ? Il faut éclaircir ce point.
Sauf erreur de ma part et à moins que des évolutions n'aient eu lieu depuis l'avant-projet, il ne semble pas prévu que les institutions représentatives du personnel – délégués du personnel, comités d'entreprise, comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – et, plus largement, les syndicats jouent un rôle dans la mise en oeuvre des mesures relatives à la pénibilité ? Quelle pourrait être leur contribution ?
Ce texte, que vous qualifiez de réforme mais qui en réalité n'en est pas une, appelle trois critiques majeures. Il alourdira les prélèvements ; au mieux il ne comblera pas, au pire il aggravera le déficit des différents régimes de retraite ; enfin, il créera de nouvelles injustices en suscitant de nouveaux régimes spéciaux.
Sans courage, sans cohérence avec vos prises de position passées, sans crédibilité, il ne répond pas aux enjeux. Justice, dites-vous : pourtant, aucune mesure de convergence entre le privé et le public n'est prévue. Et même la hausse des cotisations, certes identique pour tous, s'appliquera plus rapidement pour le privé. Le commissaire européen Olli Rehn, vice-président de la Commission, juge « décevante » cette prétendue réforme. « Plutôt qu'une augmentation des contributions, j'aurais préféré une augmentation plus rapide du nombre d'années de contribution ou un relèvement de l'âge de départ en retraite, qui est en France l'un des plus bas d'Europe, et une rationalisation des régimes spéciaux », a-t-il déclaré. Peut-on faire abstraction de l'avis de la Commission européenne qui, qu'on le veuille ou non, joue désormais un rôle clé dans les procédures budgétaires nationales, et a accordé un délai supplémentaire de deux ans à notre pays pour réduire son déficit et engager de véritables réformes ?
Bref, l'ouvrage devra être rapidement remis sur le métier. Les hypothèses retenues reposent sur des scénarios économiques trop optimistes. Seul le régime général devrait être renfloué, à hauteur de 7,6 milliards d'euros. L'État va donc devoir continuer d'éponger quelque huit milliards de déficit des régimes du secteur public, et les partenaires sociaux trouver quatre milliards pour les régimes complémentaires. Pourquoi n'avoir pas pris exemple sur vos amis politiques suédois, qui ont réussi leur réforme des retraites ? À bientôt donc, madame la ministre, pour une vraie réforme !
Ce projet de loi a le double mérite d'assurer l'équilibre de notre système de retraite et de réparer des injustices. J'ai toutefois quelques interrogations.
Tout d'abord, si j'applaudis des deux mains à la prise en compte de la pénibilité au travail, je relève une crainte de la part des entreprises : elles redoutent que le recueil des données, dont les modalités seront fixées par décret, ne s'apparente à une usine à gaz.
En ce qui concerne les retraites des femmes, le Gouvernement entend refondre le système des majorations de pension pour enfants. Il faut s'en féliciter car, comme l'a montré le rapport Moreau, le système actuel favorise ceux qui ont les plus hauts revenus et, en définitive, plutôt les hommes. Pourquoi dès lors attendre 2020 pour instituer la majoration forfaitaire par enfant ?
Côté recettes, le Gouvernement propose de fiscaliser la majoration de 10 % des pensions dont bénéficient les parents de trois enfants ou plus, mais non d'aligner le taux de CSG appliqué aux retraités alors que, toujours selon le rapport Moreau, cela aurait rapporté davantage et que les associations n'étaient pas foncièrement hostiles à cette mesure. Cette piste pourrait-elle être de nouveau étudiée dans le cadre de la loi à venir sur l'adaptation de notre société au vieillissement, afin que les retraités les plus aisés participent au financement de la perte d'autonomie, comme le mouvement en a été amorcé l'an passé avec la contribution additionnelle de solidarité pour l'autonomie (CASA) ?
Il est à l'honneur du Gouvernement de proposer, conformément aux engagements du Président de la République, de revaloriser les pensions agricoles et d'ouvrir de nouveaux droits. Mais le financement de ces mesures reposera-t-il sur la solidarité nationale ou sur la suppression de certaines niches fiscales et sociales dont bénéficie la profession ?
Tout l'enjeu est de préserver notre système de retraite par répartition, auquel nous sommes pour la plupart fortement attachés, et de rétablir la confiance des salariés, en particulier celle des jeunes générations. C'est sur ce point que votre projet de loi achoppe. Augmenter le nombre d'annuités requises sans toucher à l'âge légal de départ en retraite revient à protéger ceux qui ont aujourd'hui entre 58 et 63 ans. C'est un mauvais signal adressé aux jeunes qui devront cotiser quarante-deux, puis quarante-trois ans et qui, lorsqu'ils auront suivi des études longues, devront travailler jusqu'à 68 ou 70 ans pour percevoir une retraite leur permettant de vivre convenablement.
Votre texte n'est pas à la hauteur des enjeux. Le temps qui m'est imparti ne me permet hélas pas de développer plus avant ce point. Je me limiterai à deux questions.
L'article 32 modifie profondément la gouvernance des caisses de retraite des professions libérales. Pourquoi cette décision qui risque de compromettre la qualité du service rendu aux affiliés et surtout le paiement intégral des pensions pour lesquelles les professionnels libéraux ont cotisé ?
L'engagement du Président de la République de porter à 75 % du SMIC le montant des retraites agricoles déjà liquidées et à 85 % celui des futures retraites sera tenu, nous dit-on. À quelle date ? Vu la situation financière de nos agriculteurs, il serait inacceptable que ces mesures soient financées, comme on l'entend dire, par des charges nouvelles pesant sur les exploitations. Pourriez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?
Je m'associe à l'ensemble des remarques formulées par les collègues qui m'ont précédée sur les avancées que comporte ce texte, qu'il s'agisse de l'ouverture de nouveaux droits ou du rétablissement de droits dans la justice. À la suite de Martine Carrillon-Couvreur, je souhaite aborder le cas des personnes en situation de handicap. En 2011, seulement mille d'entre elles ont pu bénéficier d'une retraite à 55 ans, tant sont difficiles à remplir les conditions exigées. Cela tient aussi à la disparité des modalités d'évaluation sur le territoire, les caisses d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) et les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ne se fondant pas toutes sur les mêmes critères pour l'ouverture des droits.
Il faut saluer la nouvelle possibilité ouverte aux étudiants de racheter des trimestres d'études. Mais certains stages, dont la durée peut aller jusqu'à six mois et qui peuvent être rétribués jusqu'à 2 600 euros, ne sont pas pris en compte au titre de la retraite, alors qu'il suffit d'avoir perçu une rémunération de 1 008 euros pour valider un trimestre. Pourrait-on remédier à cette différence de traitement et rassurer les jeunes, qui sont les plus inquiets de l'avenir des retraites ?
Ce projet de loi, dites-vous, madame la ministre, constituerait un rempart contre la privatisation de notre système par répartition, auquel nous sommes attachés. Pourrait-on envisager d'autres modes de financement des retraites ? Lesquels ? Quels seraient leurs inconvénients et leurs avantages respectifs ?
Après vous avoir entendue, madame la ministre, on a vraiment le sentiment d'un rendez-vous manqué. Pour la première réforme des retraites issue de la gauche, qui a toujours voté contre les précédentes au motif qu'elles étaient conduites par la droite, nous attendions un texte d'envergure. En promettant une réforme systémique juste, équilibrée, durable, vous aviez suscité des espoirs chez nos concitoyens. Or votre réforme est tout l'inverse, comme l'ont d'ailleurs souligné la plupart des partenaires sociaux. On ne peut approuver la hausse des cotisations qui, une nouvelle fois, plombera le pouvoir d'achat des actifs, non plus que la mise à contribution des retraités, qui avaient toujours été épargnés jusqu'à présent. Le Premier ministre a assuré que l'augmentation des cotisations serait compensée pour les entreprises de façon à ne pas obérer leur compétitivité. Comment, pour votre part, voyez-vous les choses, madame la ministre ?
Ce projet de loi ne comporte aucune mesure de convergence entre le public et le privé. Il ne dit rien non plus des régimes spéciaux ni des régimes complémentaires. Autant de silences coupables, auxquels on peut ajouter le fait qu'allonger la durée de cotisation, c'est en réalité reculer l'âge de départ en retraite, mais sans le dire. De plus, les mesures prévues ne garantissent pas durablement les équilibres financiers : là où il faudrait trouver 20 milliards d'euros d'ici à 2020, elles ne rapporteront que 7,5 milliards.
Ce texte comporte néanmoins quelques points positifs, comme la revalorisation des retraites agricoles – reste à en connaître les modalités exactes –, la création d'un compte et d'un guichet uniques et la meilleure prise en compte du temps partiel.
Madame la ministre, vous devez regretter d'avoir tant combattu la loi Woerth de 2010 car si vous aviez été à l'époque plus encline à rechercher un consensus, vous n'auriez pas été obligée aujourd'hui de renier votre parole.
Je ne reviens pas sur les critiques formulées par mes collègues à l'encontre de ce texte, critiques que je partage.
L'article 6 dispose que tous les salariés auront droit au compte personnel de prévention de la pénibilité, à l'exception de ceux dont le régime de retraite prend déjà en compte de manière spécifique la pénibilité. À qui précisément bénéficiera le nouveau dispositif ?
Que vont devenir les accords relatifs à la prévention de la pénibilité signés à la suite de la réforme de 2010 ?
Dès lors que dans les dix facteurs retenus de pénibilité figurent « les postures pénibles », il y aura sujet à interprétation. Des syndicats ont même parlé à ce sujet de nid à contentieux. Nul n'est dupe puisque le projet de loi lui-même anticipe les réclamations futures. Il est prévu que les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT) effectuent des contrôles. Mais la médecine du travail aura-t-elle aussi un rôle à jouer ? Le projet de loi n'en dit rien.
Les salariés ayant acquis des points au titre de la pénibilité pourront les convertir en droit à une formation pour accéder à un emploi moins pénible : au sein ou à l'extérieur de l'entreprise ?
Pour ce qui est de la cotisation pénibilité, au socle dont s'acquitteraient l'ensemble des entreprises s'ajouterait une cotisation additionnelle pour celles dont les salariés sont exposés à des facteurs de pénibilité. Le coût du travail en sera augmenté, tout particulièrement dans l'industrie, au détriment de la compétitivité, et alors que ce secteur peine déjà à recruter des salariés, ses métiers risquent de perdre encore davantage de leur attrait.
Le Gouvernement propose, à juste titre, diverses mesures en faveur des travailleurs handicapés, des femmes employées à temps partiel et des polypensionnés. Il est de même normal de tenir compte de la pénibilité des métiers exercés pour déterminer l'âge de départ en retraite, dans la mesure où elle occasionne une usure prématurée des salariés. La réforme de 2010 déjà comportait des mesures en ce sens, à l'élaboration desquelles le groupe centriste avait activement participé. Mais tout cela ne suffit pas à justifier l'intitulé du titre II : « Rendre le système plus juste ». Un tel programme eût exigé de supprimer les régimes spéciaux et d'instituer un régime unique par points – dans lequel auraient pu être pris en compte les points acquis au titre de la pénibilité.
D'une manière générale, le Nouveau Centre préfère la prévention à la réparation. Il ne suffit pas de dresser par décret la liste des métiers exposant à des facteurs de pénibilité. Cela doit s'accompagner de mesures d'amélioration des conditions de travail dans ces métiers mais, si ces conditions s'améliorent, ces métiers sortiront-ils de la liste ? Ceux qui y figureront ne seront-ils pas stigmatisés, au risque de rendre encore plus difficiles les recrutements ? Enfin, comment le compte pénibilité fonctionnera-t-il pour les salariés soumis à de multiples expositions, chacune pouvant être en-deçà du seuil ? Pour les salariés à temps partiel ou en CDD et pour les intérimaires ? Il est à craindre une usine à gaz.
Dernière question : le déficit restant jusqu'en 2020 sera-t-il repris par la CADES ? Augmenterez-vous la CRDS pour le compenser ?
Le Gouvernement a eu le souci de mieux prendre en compte la situation des personnes au parcours professionnel haché. Quatre trimestres supplémentaires pourront être validés au titre d'éventuelles périodes de congé maladie, deux au titre d'éventuelles périodes de chômage. Les hommes pourront valider le temps passé au service militaire et les femmes l'ensemble des trimestres de congé maternité. Autant d'acquis dont il faut se féliciter.
Ma question concerne les migrants âgés. Beaucoup d'entre eux ont eu des carrières relativement courtes du fait de leur arrivée tardive dans notre pays et fragmentées du fait des difficultés d'insertion qu'ils rencontrent et de la pénibilité des emplois qu'ils occupent. Quelles dispositions particulières pourrait-on envisager pour eux ?
Alors que nous attendions une véritable réforme des retraites, ce projet de loi serait mieux intitulé « projet de loi relatif à la prise en compte de la pénibilité au travail »...
Plusieurs commissaires socialistes. Ce ne serait déjà pas rien !
puisqu'il se résume finalement à cela. Il se traduira, hélas, aussi par un accroissement de dix milliards d'euros des prélèvements sur les Français et par la création de nouvelles injustices au travers des mécanismes liés à la pénibilité, sans remédier au déficit des régimes de retraite qui continuera de se creuser.
Parmi les avantages fiscaux qui auraient pu être révisés, le rapport Moreau citait la défiscalisation des majorations de pension accordées aux parents de trois enfants et plus ainsi que l'abattement fiscal de 10 % sur les pensions. Des deux, vous avez choisi de supprimer le premier, au risque de frapper de plein fouet les familles. Pourquoi les désavantager encore, alors qu'elles ont déjà été pénalisées par les modifications apportées au calcul des cotisations sur les emplois à domicile et par la baisse du quotient familial, et que leur est promise en 2014 la suppression des réductions d'impôt pour frais de scolarité ? Pourquoi mettre ainsi à mal la politique familiale de notre pays alors que notre démographie dynamique est l'un de nos atouts ?
Le projet de loi prévoit d'étatiser les caisses de retraite des professionnels libéraux et de modifier la gouvernance de la caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales. Les professionnels sont inquiets. Que pouvez-vous leur dire pour les rassurer ?
Le rapport du Conseil d'orientation des retraites ainsi que celui de Mme Moreau ont démontré que, malgré des modes de calcul différents, le taux de remplacement était comparable pour les retraités du public et du privé. En outre, la convergence entre les deux secteurs a bien avancé depuis 2008. Un gros travail de pédagogie est donc nécessaire pour combattre l'idée reçue, encore colportée par certains ici, selon laquelle il subsisterait d'importantes disparités, source d'injustices. Merci, madame la ministre, d'avoir fait en sorte que cette réforme n'oppose pas les Français les uns aux autres. Les hausses de cotisations prévues s'appliqueront aux fonctionnaires comme aux salariés du privé.
Je souhaite appeler l'attention sur les petites retraites, en particulier sur celles des femmes qui ont eu une carrière hachée et ont parfois été employées à temps très partiel – elles sont nombreuses dans ce cas au sein de la fonction publique territoriale, je pense notamment à celles qui ont travaillé auprès des enfants ou assuré l'entretien dans les écoles. Elles bénéficient aujourd'hui d'un minimum garanti : je souhaiterais être sûre que ces plus petites pensions de la fonction publique ne seront pas concernées par le décalage du 1er avril au 1er octobre de la date de revalorisation et que l'évaluation du seuil sera identique pour tous les régimes.
Dans la fonction publique, la pénibilité est d'ores et déjà prise en compte au travers de ce qu'on appelle les catégories actives. Mais comment y sera évaluée la situation des contractuels occupant des emplois pénibles ? Je pense en particulier à ceux qui interviennent en milieu hospitalier.
La prise en compte de la pénibilité constitue une profonde novation, sans doute même une révolution, car elle induira une autre façon d'organiser les temps de travail tout au long de la vie professionnelle, donnant aux salariés la possibilité soit de partir en retraite de manière anticipée, soit de cesser progressivement leur activité, soit de suivre une formation pour une reconversion en milieu de carrière, soit encore de bénéficier d'un temps partiel. Cette dernière possibilité doit-elle d'ailleurs être ouverte seulement en fin de carrière ? Ne serait-il pas judicieux qu'elle puisse être accordée plus tôt ?
Toutes ces dispositions préfigurent en creux un système de retraite par points. De fait, on commence d'introduire dans notre système des éléments d'arbitrage personnel pour la détermination du moment de départ en retraite.
Cela étant, qu'il ait fallu créer une allocation équivalent retraite, puis lui substituer une allocation transitoire de solidarité quand on l'a supprimée montre bien que l'approche en durée de cotisation pose parfois des problèmes inextricables. Pourrions-nous travailler sur le sujet avec vos services, madame la ministre, d'ici à l'examen du texte ? En effet, si le décret « carrières longues » répond en partie au problème soulevé, tous les cas ne sont pas traités.
Je salue le travail préparatoire à cette réforme qui, dites-vous, madame la ministre, répartit de manière équilibrée les efforts nécessaires. Reste maintenant à trouver également un équilibre entre le travail du Gouvernement et celui du Parlement. Jusqu'où les parlementaires pourront-ils enrichir le texte ? Ainsi, pensez-vous que nous pourrions préciser utilement le rôle du comité de surveillance des retraites en lui demandant de confirmer le moment venu – soit au-delà de 2020 – le calendrier d'allongement de la durée de cotisations fixé à l'article 2 ? De même, pouvons-nous espérer améliorer le dispositif prévu pour la prise en compte de la pénibilité ?
Je félicite le Gouvernement d'avoir répondu présent au rendez-vous des retraites, car il importe de préserver notre système contributif et solidaire. La réforme proposée est équilibrée. L'effort demandé sera partagé par tous, les actifs au travers de l'allongement de la durée de cotisation, les retraités par le décalage de la date de revalorisation des pensions, les entreprises au travers de l'augmentation des cotisations. Concernant ces dernières, le Premier ministre a annoncé que la hausse serait compensée afin de ne pas alourdir le coût du travail. Comment sera assurée cette compensation ?
Afin de promouvoir l'égalité entre les hommes et les femmes face à la retraite, le Gouvernement propose de faciliter la validation de trimestres pour les salariés à faible rémunération et de refondre la majoration de pension pour enfant. Celle-ci, dont ne bénéficient aujourd'hui que les parents de trois enfants et plus, semble favoriser les hommes et les foyers les plus riches. Le Gouvernement souhaitait qu'un avantage soit accordé dès le premier enfant mais y a finalement renoncé au motif que cela aurait eu pour conséquence, à dépense constante, d'en réduire le montant. Quelles sont les pistes de travail envisagées afin d'améliorer cet avantage et de faire en sorte qu'il bénéficie davantage aux femmes, qui en ont le plus besoin ?
Je remercie le rapporteur pour le travail qu'il a déjà mené et pour les propos qu'il vient de tenir. Ce texte de loi doit à la concertation avec les partenaires sociaux, mais également beaucoup aux échanges que nous avons eus avec les parlementaires. Il s'inscrit naturellement dans le droit fil des attentes qui étaient les nôtres lors de la réforme de 2010 et des positions que nous avions alors adoptées.
Je remercie l'ensemble des orateurs qui y ont apporté leur soutien. Comme l'a excellemment dit Christian Paul, le courage, ce n'est pas le saccage de la protection sociale. Il n'était pas mauvais de le rappeler car certains ici l'ont peut-être quelque peu oublié.
Vous avez rappelé combien j'avais été combative pour m'opposer à la réforme de 2010. Soyez assurés que je le serai tout autant aujourd'hui pour défendre la grande réforme d'avenir et de progrès que nous portons. Pour la première fois, une réforme des retraites combine mesures de rééquilibrage financier et mesures de justice sociale.
Monsieur Robinet, vous avez qualifié ce texte, qui pour vous ne serait pas une réforme, de « bric-à-brac ». La loi de 2010 constituait, elle, un « fric-frac » !
Elle était censée avoir réglé les problèmes au moins jusqu'en 2018, voire 2020, et il ne devait plus y avoir de déficit à cet horizon. Or, dès 2011, il était évident qu'il faudrait reprendre le travail, ce que nous avons fait dès notre arrivée aux affaires.
Nous avions en effet indiqué en 2010 que nous rétablirions le départ à soixante ans pour celles et ceux qui, ayant commencé à travailler jeunes et souvent connu les conditions de travail les plus difficiles, avaient été les premières victimes de cette réforme. Déjà alors, nous faisions valoir qu'il était plus juste d'allonger la durée de cotisation requise que de relever l'âge légal de départ. C'est très exactement ce que nous faisons aujourd'hui.
Comme l'a souligné Jean-Patrick Gille, nous engageons une réforme structurante qui commence d'introduire des éléments d'arbitrage personnel dans la détermination du moment de départ en retraite. Selon qu'on aura ou non travaillé dans des conditions pénibles, connu une carrière heurtée ou des périodes de chômage, on pourra organiser son départ dans des conditions différentes. Permettant cela, nous faisons franchir une nouvelle étape à notre système de protection sociale.
Quelques mots du pilotage, élément important de la réforme. Le COR, qui est une belle institution, que personne d'ailleurs ne conteste, a pour rôle de débattre et de produire des analyses, d'ailleurs d'autant plus riches et fructueuses qu'elles n'ont pas vocation à déboucher sur des propositions. Ses membres sont d'ailleurs très attachés à ce qu'il n'ait pas pour mission de fournir des solutions. Pour notre part, nous mettons en place un comité de surveillance des retraites. Le conseil d'orientation procédera chaque année à une évaluation des régimes de retraite – y sera notamment analysé si l'allongement de la durée de cotisation répond aux enjeux financiers. Les résultats de cette évaluation seront transmis au comité de pilotage qui formulera des recommandations opérationnelles. Il appartiendra ensuite au Gouvernement de décider de la suite à y donner.
Non, ce n'est pas le travail d'un cabinet. Il est important que ces recommandations émanent d'une instance indépendante, de façon qu'on ne puisse pas leur reprocher une orientation partisane.
Plusieurs questions ont porté sur la situation particulière des femmes au regard de la retraite. Mme Coutelle a ainsi demandé pourquoi nous attendions 2020 pour mettre en place la majoration forfaitaire par enfant en lieu et place de l'actuelle majoration de pension pour les parents de trois enfants et plus. En cohérence avec le reste de la réforme, nous avons souhaité ne pas modifier les conditions de départ de ceux qui sont appelés à prendre leur retraite dans les toutes prochaines années. Une personne qui a prévu de partir en retraite dans trois ans et qui a eu trois enfants, escompte que sa pension sera majorée de 10 %, puisque telle est la règle aujourd'hui, et elle a pu faire des projets en conséquence. Il ne serait pas juste de revenir brutalement là-dessus. En revanche, nous sommes bien déterminés à aller de l'avant et à voir comment, après 2020, les sommes aujourd'hui affectées à cette majoration pourraient être réorientées de façon à bénéficier davantage aux femmes. En effet, elles profitent aujourd'hui à 70 % aux hommes, pour la simple raison que la majoration est proportionnelle et qu'ils touchent des retraites plus élevées que les femmes.
Les bénéficiaires de l'abaissement du plafond de 200 à 150 heures rémunérées au SMIC pour valider un trimestre seront à 70 % des femmes. Au total, cette mesure bénéficiera à 15 % des assurés qui gagneront ainsi en moyenne cinq trimestres, ce qui n'est pas négligeable.
Contrairement à une idée reçue, les femmes devraient constituer près de la moitié des bénéficiaires du compte personnel de prévention de la pénibilité. Une aide-soignante travaillant dans un établissement privé d'hébergement de personnes dépendantes – c'est l'exemple que vous avez pris, madame Coutelle – pourra bien sûr en bénéficier. La question de la prise en compte de la pénibilité se pose aujourd'hui en priorité pour les salariés du privé. En effet, dans la fonction publique, il existe déjà les catégories actives – ce qui ne signifie pas que l'on ne puisse pas envisager de nouvelles avancées. Tous les salariés possédant un contrat de droit privé seront concernés, même s'ils travaillent dans l'espace public – je réponds sur ce point à M. Robiliard. En revanche, le dispositif ne s'adresse bien qu'aux salariés, pas aux professions libérales.
Bien entendu, il ne remet pas en question les accords de prévention de la pénibilité qui ont pu être signés depuis 2010. Nous souhaitons au contraire que la mise en place du compte personnel soit un levier pour réduire la pénibilité au travail.
Le financement de ce compte reposera sur une contribution des entreprises, modulée selon qu'elles exposent ou non leurs salariés à des facteurs de pénibilité. Les entreprises auront donc tout intérêt à améliorer les conditions de travail de leurs salariés.
Je précise à l'intention de M. Vercamer que les organisations patronales et syndicales n'ont pas identifié des métiers pénibles, mais des situations d'exposition à la pénibilité. En aucun cas donc, nous ne recréons des régimes à part.
J'en viens à l'article 32 du texte, sur lequel plusieurs d'entre vous m'ont interrogée. En l'espèce, j'observe avec intérêt que ceux qui réclament avec le plus d'insistance la disparition des régimes spéciaux sont ceux-là même qui s'inquiètent ici pour ce qui n'est rien d'autre qu'un régime spécial ! Les régimes spéciaux sont multiples. Il n'y a pas que ceux de la SNCF ou de la RATP. Il y a aussi celui des danseurs de l'Opéra de Paris, celui des égoutiers, celui des pompiers, et bien d'autres encore, dont celui des professions libérales !
Quel est l'objet de cet article 32 ?
Absolument pas. Des discussions ont lieu depuis plusieurs mois avec les responsables de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des professions libérales. Elles ne portent pas sur l'affectation des fonds, mais sur l'organisation, la gestion et la gouvernance, comme l'ont d'ailleurs parfaitement compris les intéressés. Le régime de retraite des professions libérales est désormais le seul à n'avoir pas conclu de convention d'objectifs et de gestion. Il ne s'agit pas de l'étatiser, seulement de mettre en place des règles de fonctionnement plus transparentes et plus efficaces, à même d'ailleurs de garantir de manière plus sûre les pensions servies. Si vous avez des propositions d'amélioration dans l'esprit de l'objectif recherché, nous les examinerons.
Vous avez également été plusieurs à m'interroger sur les retraites agricoles. Le relèvement à 75 % du SMIC au minimum pour une carrière complète bénéficiera à 250 000 personnes, qui toucheront en moyenne 600 euros de plus par an. Quant à l'attribution de droits gratuits aux conjoints et aidants familiaux, elle bénéficiera à 560 000 d'entre eux pour une revalorisation moyenne d'environ 300 euros par an. Le financement de ces mesures sera prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Les retraites agricoles sont aujourd'hui largement financées par la solidarité nationale. Il n'est pas anormal de compléter ce financement – qui n'est pas remis en question – par la réduction de certaines niches qui ne profitent qu'aux agriculteurs les plus aisés. Vous n'ignorez pas les extrêmes disparités qui existent dans le monde agricole.
Je dis à Martine Carrillon-Couvreur et à tous ceux d'entre vous qui ont abordé la situation des personnes handicapées et de leurs aidants, que je suis tout à fait disposée à travailler encore sur les mesures proposées, à l'élaboration desquelles ont été associés les intéressés et leurs associations. Celles-ci souhaitaient que l'on supprime la condition exigée de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) qui est aujourd'hui l'obstacle principal à l'obtention d'une retraite anticipée pour les personnes handicapées.
En conclusion, il n'y a pas d'un côté ceux qui institueraient des prélèvements nouveaux, qui demanderaient des efforts aux Français et, de l'autre, ceux qui ne l'auraient jamais fait. La réforme de 2010 comportait huit milliards de prélèvements ! Simplement, il nous fallait faire des choix et nous les avons faits. Nous avons délibérément choisi d'écarter toute mesure brutale, comme le relèvement de l'âge de départ, qui pénalise ceux qui ont commencé à travailler jeunes et ceux qui sont sur le point de prendre leur retraite. J'entends les interrogations de certains, d'ailleurs peu nombreux, sur l'allongement de la durée de cotisation. Ce paramètre est le plus juste car il demande un effort équivalent à chacun. Mais pour qu'il soit parfaitement juste, il doit être mis en balance avec les conditions de travail. C'est pourquoi les deux volets de notre réforme ne doivent pas être considérés indépendamment l'un de l'autre : nous structurons de manière nouvelle la définition des droits à retraite, en intégrant de manière plus personnalisée les parcours professionnels et les conditions de travail, ouvrant la porte à un choix individuel. La durée de cotisation variera, comme il est juste, en fonction des conditions du parcours professionnel, au premier rang desquelles la pénibilité du travail. Sa prise en compte n'a pas vocation uniquement réparatrice, monsieur Vercamer, puisqu'il sera par exemple possible de convertir les points acquis en droits à formation. Et je tiens à rassurer M. Vigier : des aménagements sont prévus de façon que les salariés proches de l'âge de la retraite lors de la création du compte et qui ne pourraient donc accumuler assez de points puissent quand même bénéficier de la mesure. Je suis heureuse de l'intérêt marqué pour ce compte, y compris dans l'opposition.
Mesdames, messieurs les députés, je vous redis mon entière disponibilité à travailler avec vous sur ce texte, dont les dispositions ont été pesées au trébuchet pour parvenir à l'équilibre actuel. S'il peut bien entendu être enrichi et amélioré, je souhaite toutefois que cet équilibre soit respecté.
Merci, madame la ministre, pour ces réponses. Le débat ne fait que commencer. Notre Commission vous est ouverte. Vous êtes cordialement invitée à participer, si vous le souhaitez, à l'examen des articles du texte que nous commencerons le 30 septembre.
La séance est levée à quinze heures vingt.