Intervention de Yannick Favennec

Séance en hémicycle du 3 octobre 2013 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Favennec :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici face à une nouvelle illustration de ce que nous prenons trop souvent pour une bataille d’arrière-garde, une sorte de cocorico national qui aurait les accents d’un chant du cygne, je veux parler de l’exception culturelle. Au contraire, je veux dire à quel point cette proposition de loi s’inscrit dans une continuité et fait honneur à cette haute ambition, que nous partageons.

J’ai d’ailleurs souvenir, monsieur le président de la commission, que vous vous êtes élevé, voici quelques mois, et avec le soutien unanime de votre commission, contre les termes de la mission de négociation du TTIP, pour réclamer l’exclusion des produits culturels du champ des discussions. Vous avez aujourd’hui l’occasion de parapher une nouvelle fois ce contrat si particulier qui lie notre pays à la culture et, plus largement, à un choix de civilisation.

C’est, je suppose, ce qui a justifié votre initiative de ne pas soumettre le texte présenté par M. Kert au vote de la commission. Vous avez ainsi souhaité éviter des combats de posture là où, sur le fond, l’unanimité était acquise. Voilà une sage décision, que nous saluons, parce qu’elle est cohérente.

Elle est cohérente avec l’esprit de la loi Lang sur le prix unique du livre. Cette proposition ne vise rien d’autre, en effet, que de revenir à l’origine de la loi en tenant compte des évolutions du monde : protéger l’ensemble de la filière du livre dans sa diversité, avec les mêmes règles pour tous. Elle est également cohérente parce qu’elle s’inscrit dans le cadre strict qui délimite l’exception culturelle, ce principe juridique qui exclut les activités liées à la culture du droit commercial commun, pour en appeler à des mesures particulières obéissant à une logique autonome.

Toutes les activités de l’esprit et leur traduction matérielle, y compris lorsqu’elles donnent lieu à échange marchand, appartiennent potentiellement à cet espace préservé. Le cinéma, on s’en souvient, s’est trouvé en pointe, du fait de la notoriété de ses représentants et parce que c’est dans ce secteur que les dimensions artistiques et industrielles sont les plus développées. Aujourd’hui, nous parlons du livre et de ses distributeurs amoureux, les libraires. Voilà donc ce seul carrefour de France où nous avançons tous dans le même sens ; voilà donc la seule exception qui fasse l’unanimité.

Soyons très attentifs à préserver ce patrimoine, car l’achat d’un livre est un acte particulier, qui s’effectue dans un endroit particulier. Lieux de vie, lieux de rencontres, lieux d’histoires, les librairies font partie de notre patrimoine et de la douceur de vivre française. En passant le seuil d’une librairie, au-delà d’un simple achat commercial, le lecteur cherche la vie, et les conseils. Derrière le choix d’un livre se cachent souvent les confessions d’un libraire qui apporte une vie à l’ouvrage. Le choix d’un livre est précédé d’un parcours, d’un effeuillage, d’un papillonnage. C’est un échange entre amateurs débutants et confirmés ; c’est l’entrée en douceur dans un monde à part. Comment pourrions-nous trouver le livre qui est passé inaperçu des sites internet et des grandes surfaces et qui, pourtant, est une véritable pépite ? Comment se réjouir d’avoir trouvé sa surprise, son moment de grâce, sans en faire une histoire personnelle ? Qui mieux qu’un amoureux des mots et de la pensée, du papier et des reliures, peut nous orienter vers le livre qui nous plaira ?

En pénétrant dans une librairie, le temps s’arrête et un autre monde s’ouvre, qui ne se referme jamais définitivement. La culture, écrit Edgar Morin, est ce qui relie les savoirs et les féconde. Voilà pourquoi elle n’est pas anonyme, voilà pourquoi elle n’est pas « de masse », voilà pourquoi elle n’est pas automatique. Voilà pourquoi elle ne saurait être orientée par des algorithmes, distribuée par des plateformes, transmise sans qu’il y ait jamais eu, dans cet acte d’achat, un passeur !

Si les librairies disparaissent et continuent à fermer les unes après les autres – je le constate hélas moi aussi dans la Mayenne –, où pourrons-nous trouver cette odeur de papier si caractéristique ? Les « objets livres » ne seront-ils plus alors que l’apanage de rares librairies spécialisées dans « l’ancien » ? Et les auteurs eux-mêmes, où seront-ils ? Aurons-nous demain, comme on reproduit aujourd’hui en Chine des tableaux représentant Paris, des auteurs industriels directement reliés aux pulsions du moment, au simple air du temps, dans le meilleur des cas ?

Ils sont à peu près 1 000 libraires indépendants de proximité à s’égrener sur l’Hexagone. C’est un réseau unique au monde, un réseau qui fait du bien partout : en ville comme à la campagne, à la montagne comme en bord de mer.

C’est un merveilleux remède contre la solitude, un lien qui rattache à la vie, notamment pour les personnes malades, celles qui peuvent connaître des difficultés de locomotion, ou encore celles qui ne sont pas décidées à s’abrutir devant la télévision. Oserai-je dire que c’est aussi un outil d’aménagement du territoire ? Non, je ne le dirai pas, car, vous le voyez bien, nous sommes bien au-delà.

Derrière un libraire, on aperçoit en filigrane tout un réseau de métiers : auteurs, éditeurs, imprimeurs, brocheurs, relieurs, typographes, papetiers, graphistes, correcteurs, traducteurs, commerciaux, magasiniers, coursiers, transporteurs, bibliothécaires, etc. Tout ce monde du livre représente autant de compétences et de savoir-faire qui peuvent demeurer là où ils sont.

Alors, d’évidence, le risque d’un désert des librairies, c’est celui de la désertification des talents et derrière tout cela, disons-le, celui d’une certaine forme de barbarie. Il apparaît donc essentiel de contenir vigoureusement toute concurrence déloyale qui affaiblirait ce réseau.

Tel est l’objet de cette proposition de loi qui vise à garantir la pérennité du prix unique du livre en excluant de son prix les frais de port, dont la gratuité n’est ni plus ni moins qu’un rabais déguisé.

J’ai lu les débats que ce texte a suscité en commission et j’ai été frappé de constater à quel point les défenseurs auto-désignés de la culture peuvent montrer d’intolérance.

C’est vrai qu’une telle proposition bouscule quelque peu les idées reçues, notamment celles qui tiennent à tout prix à reléguer la droite et le centre-droit dans la catégorie honnie des ultra-libéraux, lâchant par principe la bride sur le cou de la concurrence pure et parfaite, au mépris de ce qui fait l’équilibre d’une société. C’est tellement caricatural que cela en serait risible si ce déni de la réalité, cette volonté permanente de désigner des boucs émissaires, cette vanité stigmatisante ne servaient les adversaires de la démocratie et de la culture.

Essayons plutôt d’avancer et faisons-le pas à pas, ensemble. C’est, au fond, le sens de cette proposition modeste et précise.

Bien sûr, elle ne couvre pas tout le champ d’investigation possible sur ce sujet, notamment ce qui devrait conduire à une lutte féroce contre l’évasion fiscale des grands groupes de distribution, évasion qui est, plus que tout, la concurrence la plus déloyale qui soit et la plus inacceptable pour chaque Français. L’enjeu relève probablement plus de la compétence européenne que nationale. Il est en tout cas prioritaire et urgent de le traiter.

Nous devons sans aucun doute bâtir un vrai plan de sauvegarde de l’exception culturelle française pour préserver la liberté de choix que nous avons aujourd’hui. Nous devons garder le sourire au moment de payer. Il faut préserver ces lieux de vie qui nous réunissent, de sept à soixante-dix-sept ans.

Mais le mieux est l’ennemi du bien. Je vous propose donc que nous soyons, tout à la fois, idéalistes et réalistes, et que, sans posture, nous adoptions cette proposition de loi. C’est le souhait et le sens du vote du groupe UDI.

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