Intervention de Franck Riester

Séance en hémicycle du 3 octobre 2013 à 9h30
Non-intégration de la livraison dans le prix unique du livre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFranck Riester :

Mais pour le moment, de grâce, essayons de retrouver ensemble les voies de la raison et de nous mobiliser pour voter collectivement un texte important pour la chaîne du livre.

En effet, le livre n’est pas un produit comme les autres. Irréductible à sa seule dimension commerciale, il bénéficie depuis plus de trente ans d’une régulation fondée sur le refus de le considérer comme un produit soumis aux seules exigences de la rentabilité immédiate, mais comme un fondement de notre culture, de notre civilisation. Le pivot de cette régulation, c’est la loi sur le prix unique du livre. Garante de la diversité culturelle et de la créativité éditoriale, cette loi est d’abord favorable au lecteur qui dispose grâce à elle d’une offre riche et variée. Elle a également permis à tous les réseaux de vente au détail de coexister sans qu’aucun ne domine les autres. Ainsi s’est maintenu un tissu de vente au détail, de librairies qui assument un rôle essentiel de médiateur culturel et contribuent à l’animation et à la vie économique des territoires, tout en coexistant avec les grandes surfaces et désormais le e-commerce.

Par-delà son bilan très positif, la loi sur le prix unique du livre constitue une loi fondatrice pour la régulation des industries culturelles, qui a inspiré près de la moitié des pays de l’Union européenne. Notre responsabilité collective est à présent de la faire vivre à l’heure numérique. Cette loi est en effet remise en question par les pratiques commerciales de certains acteurs du numérique qui appliquent systématiquement à l’ensemble des ventes de livres en ligne la gratuité des frais de port en plus de la remise de 5 % autorisée par la loi Lang. Il s’agit d’une forme de rabais déguisé et d’un détournement de la loi.

Pour les libraires français, cette concurrence est d’autant plus déloyale qu’un certain nombre de ces acteurs numériques ne sont pas domiciliés en France et bénéficient ainsi, nous le savons tous, de conditions fiscales plus favorables. Or, si l’on ne peut que se féliciter de l’essor de l’offre de la vente de livres en ligne, qui vient enrichir et compléter l’offre physique, il convient d’éviter que des acteurs pour lesquels le livre n’est qu’un produit d’appel, ne conquièrent une position hégémonique leur permettant d’imposer leurs conditions à toute la chaîne du livre.

Faire profiter le marché numérique du livre des principes vertueux de la loi Lang, c’est une exigence qui nous anime tous – nous avons pu le constater lors des interventions des orateurs qui m’ont précédé – depuis un certain temps déjà. La précédente majorité a engagé la France par des mesures novatrices dans la voie d’une régulation du cadre du livre numérique. Comme l’a rappelé Hervé Gaymard tout à l’heure, cela s’est fait d’une manière consensuelle avec l’opposition de l’époque. Nous avons voté à l’unanimité la loi du 26 mai 2011 relative au prix unique du livre numérique afin de protéger les éditeurs et libraires français face aux distributeurs numériques souvent installés dans des pays à la TVA plus favorable. Nous avons voté l’application au 1er janvier 2012 de la TVA à taux réduit sur le livre numérique. Enfin, nous avons encouragé le développement de l’offre légale avec l’adoption en février 2012 de la loi sur l’exploitation numérique des livres indisponibles, qui crée un aménagement novateur du droit d’auteur, permettant l’exploitation en ligne des livres du XXe siècle devenus indisponibles.

Aujourd’hui, c’est encore cette volonté d’adapter et de faire vivre la loi Lang à l’ère numérique qui nous a incités à déposer cette proposition de loi visant à assurer une concurrence équitable entre les libraires et les plateformes de vente en ligne. Je tiens évidemment à saluer l’excellente initiative de mes collègues Christian Jacob, Guy Geoffroy, Hervé Gaymard et Christian Kert, ainsi que le travail accompli par Annie Genevard. Le constat de la concurrence déloyale qui règne actuellement entre les plateformes de vente en ligne et les librairies traditionnelles est un constat partagé de tous, à droite comme à gauche. Vous l’avez encore évoqué lors des dernières rencontres nationales de la librairie, madame la ministre, en affirmant vouloir encadrer la gratuité des frais de port des ventes en ligne. Votre engagement dans ce domaine est donc total.

C’est pourquoi je me réjouis de cette proposition de loi, qui a le mérite de faire bouger les lignes. Les travaux de l’Assemblée nous amènent aujourd’hui à trouver une issue concrète pour les libraires et je ne doute pas qu’ensemble, au-delà des postures politiciennes de certains, nous trouverons la rédaction la plus pertinente. Par-delà les divisions partisanes, nous partageons tous la conviction qu’il est essentiel d’adapter la loi Lang au marché du livre numérique, parce que l’objectif consistant à préserver la diversité éditoriale, en prenant appui sur un riche réseau de libraires, reste pleinement d’actualité à l’heure du numérique. Ce combat pour la diversité culturelle, c’est bien celui de l’exception culturelle que notre assemblée s’est déjà engagée à préserver.

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