Intervention de François Falletti

Réunion du 12 juin 2013 à 16h30
Commission d'enquête relative aux éventuels dysfonctionnements dans l'action du gouvernement et des services de l'État, entre le 4 décembre 2012 et le 2 avril 2013, dans la gestion d'une affaire qui a conduit à la démission d'un membre du gouvernement

François Falletti, procureur général de Paris :

Être entendu par une commission d'enquête parlementaire est un exercice inhabituel pour un procureur général. Vous l'avez rappelé, monsieur le président, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre dispose qu'une commission d'enquête ne peut être créée sur des faits donnant lieu à des poursuites judiciaires et il est bien précisé, dans les travaux préparatoires à la création de votre commission et dans son intitulé même, que son objet est de déterminer comment les circuits d'information et de décision ont été assurés, sans toucher au fond puisque l'affaire est concernée par le secret de l'instruction – un secret qui sera bien entendu levé si les poursuites sont portées devant un tribunal, dans le cadre d'un débat public et contradictoire.

Avant d'entrer dans le détail du cheminement de l'affaire entre décembre 2012 et avril 2013, permettez-moi de préciser certains mécanismes qui régissent les relations entre le parquet, le parquet général et le ministère de la justice.

En premier lieu, la circulaire du 19 septembre 2012 prohibe les instructions du garde des sceaux dans les affaires individuelles. Le projet de loi relatif aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et d'action publique, en cours de navette entre l'Assemblée nationale et le Sénat, reprend cette disposition.

Pour autant, le devoir d'information auquel sont soumis les magistrats du ministère public demeure très prégnant, dans le but d'éclairer les différents échelons de la hiérarchie judiciaire – singulièrement la chancellerie – sur le déroulement d'enquêtes, voire d'instructions judiciaires, présentant un caractère particulièrement significatif ou se trouvant amplement médiatisées. Il est évident que l'affaire en question est de celles-là.

L'essentiel de cette remontée d'informations se fait aujourd'hui par voie de courriel. Les échanges téléphoniques ne sont plus motivés, en général, que par la complexité de telle ou telle question ou par l'urgence. Dans le cas qui nous intéresse, l'information remonte de la division des affaires économiques et financières du parquet vers le parquet général, puis, à la Chancellerie, vers la direction des affaires criminelles et des grâces, en l'espèce vers son bureau des affaires économiques et financières. Cette information se fait de manière régulière et par la voie hiérarchique.

De par l'évolution des pratiques, le garde des sceaux n'adresse pas d'instructions et s'interdit d'émettre des avis sur le cours des procédures. Entre le parquet général et le parquet, en revanche, des échanges de cette nature ont lieu. Le procureur général conserve le pouvoir d'adresser une instruction de poursuite au procureur de la République.

En deuxième lieu, les éléments d'information qui concernent les actes ou auditions présentant un intérêt particulier dans telle affaire font l'objet de comptes rendus ou de rapports, mais les pièces de procédure ne sont pas adressées au ministère : elles demeurent au niveau juridictionnel, sauf, bien entendu, pour certaines pièces dont la transmission ne présente pas de difficulté particulière – réquisitoires définitifs, ordonnances ou arrêts juridictionnels.

Certaines mesures programmées à caractère coercitif et pour lesquelles une confidentialité particulière s'impose, comme les perquisitions, sont en principe laissées à la discrétion des autorités du parquet. Elles ne font l'objet d'une remontée qu'au moment où elles sont réalisées.

En troisième lieu, si les remontées se font bien souvent à l'initiative du parquet et du parquet général, il peut y avoir dans certains cas – dont, bien sûr, celui-ci – des demandes de précision ou d'éclaircissement, par exemple pour lever des équivoques après la diffusion d'informations par voie de presse à propos du dossier.

C'est ce schéma qui a été suivi dans l'affaire qui vous occupe et dont j'évoquerai maintenant le déroulement.

Avant la date du 4 décembre, l'affaire n'existe pas. Pour nous, le processus débute par une transmission de la direction des affaires criminelles et des grâces, le 6 décembre, deux jours après les révélations de Mediapart. Il s'agit d'une plainte pour diffamation envers un membre du Gouvernement. L'article 48 de la loi sur la liberté de la presse prévoit en effet que c'est le garde des sceaux qui dépose plainte dans un tel cas. En pratique, une analyse a été effectuée et il s'est avéré que la diffamation présumée portait non pas sur l'activité de M. Cahuzac en tant de membre du Gouvernement, mais sur des faits qui lui incombaient à titre personnel. C'est dans ce sens qu'a été orientée l'enquête, laquelle, je le rappelle, est interruptive de prescription, ce qui doit être souligné en matière de presse où le délai de prescription est très bref.

Le 20 décembre, le parquet de Paris nous a informé du dépôt d'une nouvelle plainte en diffamation, cette fois-ci par M. Cahuzac lui-même.

Une consignation a été déposée un peu plus tard. Mais, par la suite, un désistement est intervenu. Il appartient maintenant au magistrat instructeur de le constater.

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