Je connais Alain Zabulon depuis longtemps, puisqu'il a été sous-préfet dans ma ville. Nous avons partagé une aventure exaltante, la création de la communauté de communes du Villeneuvois. M. Zabulon m'a accompagné lors de nombreuses soirées passées devant les membres de conseils municipaux de petites communes, afin de les rassurer et de leur apporter la parole de l'État. Il a contribué à la création de cette communauté, qui est aujourd'hui une réussite.
Nous avions donc des relations de confiance mutuelle, et j'éprouve encore pour lui, au moment où je vous parle, le plus grand respect. Il est devenu préfet, ce qui est tout à fait mérité, car c'est à mon avis un fonctionnaire de grande qualité.
Lorsque j'étais sous le feu du déchaînement médiatique, pendant les dix jours qui ont suivi le 4 décembre, je ne savais pas trop quoi faire. Certains me sommaient de dire que j'étais le détenteur de l'enregistrement – ce qui était vrai –, d'autres, que j'étais la source de Mediapart – ce qui était faux. Un samedi matin, le 15 décembre, alors que je me trouvais à Paris – à l'hôtel de Harlay, place Dauphine – dans le cadre de mes fonctions de vice-président de la Caisse de retraite des avocats, j'ai décidé d'appeler Alain Zabulon en vue de le rencontrer, non à son bureau, mais plutôt en ville, afin de lui remettre un pli manuscrit que j'avais préparé à l'intention de M. Président de la République, dans lequel j'expliquais ce qui s'était passé en donnant tous les détails que j'étais seul à connaître.
Après avoir connu quelques difficultés pour trouver le numéro, j'ai donc appelé le standard de l'Élysée et demandé à parler à Alain Zabulon. On m'a répondu que l'on ne pouvait pas me le passer. J'ai dit que c'était plutôt urgent, et la standardiste a noté mon numéro de téléphone portable en m'indiquant que le directeur de cabinet adjoint me rappellerait dès qu'il trouverait un moment disponible.
Alain Zabulon m'a rappelé dans les trois minutes qui ont suivi. Après quelques échanges de politesses – nous n'avions plus eu de contact depuis le moment où il avait quitté Villeneuve-sur-Lot –, je lui ai dit précisément ceci : « Vous vous doutez de la raison de mon appel », et il m'a répondu : « Je m'en doute, en effet. ». Je lui ai donc à nouveau expliqué ma démarche, mon souci de transmettre au Président de la République le plus de détails possible sur ce qui s'était passé, et ma conviction absolue que la voix entendue sur cet enregistrement était bien celle de Jérôme Cahuzac, dès lors qu'il faisait suite, avec le même numéro d'appel, à un autre appel officiel, celui-là, de Jérome Cahuzac.
J'ai en effet reçu deux messages sur ma boîte vocale fermée. Lors du premier appel, composé avec un numéro que j'ai reconnu être celui de Jérôme Cahuzac, ce dernier m'annonçait que Daniel Vaillant avait accepté de venir à Villeneuve-sur-Lot pour inaugurer le nouveau commissariat de police, et demandait à me rencontrer pour mettre au point les détails de la réception. Nous avions en effet collaboré sur ce dossier, lui en tant que député et moi comme maire. C'était donc notre oeuvre commune, réalisée à la plus grande satisfaction des policiers de la ville, auparavant très mal logés.
Après ce premier message, dans lequel il me demandait de le rappeler, venait un autre message – qui n'en était pas vraiment un –, avec le même numéro d'appel. Pour moi, il n'y avait donc aucun doute – j'insiste sur ce point – sur l'origine de cet appel, d'autant que j'ai reconnu les intonations de la voix de Jérôme Cahuzac, dont je connais tous les registres, qu'il s'agisse d'une conversation en privé ou d'un discours public. C'est en effet une personne que je côtoyais presque tous les jours. Je le répète, je n'avais aucun doute, et c'est ce que je souhaitais faire savoir au Président de la République.
Je suis avocat depuis quarante ans et quatre mois. J'ai exercé ce métier avec passion, sans jamais m'attirer la moindre remontrance de la part du conseil de l'ordre. Je suis un homme sincère. Je crois à ce que je fais. J'ai exercé mes fonctions électives du mieux que j'ai pu. J'ai donc voulu dire au président François Hollande ce qui s'était passé, comment cela s'était passé, et pourquoi j'étais sûr de l'origine du message. C'est ce que j'ai expliqué à Alain Zabulon.
Ce dernier m'a dit qu'il s'agissait d'une affaire extrêmement sensible et qu'il devait en référer, ce que je comprenais parfaitement. Il n'avait pas le temps de me rencontrer, étant l'organisateur de l'arbre de Noël de l'Élysée, qui avait lieu dans l'après-midi. Il m'a donc assuré qu'il me rappellerait, et je n'avais pas de raisons de penser qu'il ne tiendrait pas parole. Au sujet de la lettre, il m'a demandé de ne rien faire dans l'immédiat et d'attendre qu'il me rappelle. C'est pourquoi je ne l'ai pas postée.
Le mardi ou le mercredi suivant, la secrétaire de mon cabinet a voulu me passer une communication de M. Zabulon depuis l'Élysée. J'ai donc eu en ligne la secrétaire de ce dernier, qui a d'abord dit qu'elle allait me le passer, puis, quinze secondes plus tard, m'a indiqué qu'il venait de prendre une autre communication et qu'il me rappellerait. J'attends encore.
Cela se passait le mardi. Le lendemain, le site lemonde.fr publiait un article documenté par des déclarations du service de presse de la présidence de la République, et dont le contenu m'a blessé. J'en cite un extrait : « L'Élysée a confirmé avoir été contacté : “Michel Gonelle a bien eu il y a quelques jours un contact avec le directeur de cabinet adjoint de M. François Hollande, Alain Zabulon”, a-t-on déclaré dans l'entourage du président. “Nous l'invitons à remettre tous les éléments à la justice”, a-t-on précisé de même source, estimant toutefois qu'“il n'y avait aucun élément tangible”. “S'il dispose réellement d'éléments, qu'il s'adresse à la justice puisqu'il y a une procédure judiciaire”, a ajouté l'entourage du chef de l'État. »
Pour ma part, je n'ai obtenu aucune réponse de l'Élysée. Pour répondre précisément à votre question, monsieur le rapporteur, je n'ai eu qu'une seule conversation avec M. Zabulon : celle que je vous ai décrite.
Un autre article mentionne que mes propos avaient été qualifiés de confus. Depuis quarante ans, pourtant, mes clients ne me font pas un tel reproche ! Cette affirmation est ce qui m'a le plus blessé. J'ai pensé qu'une porte se fermait, et j'en ai été extrêmement déçu. J'avais pensé être un témoin recevable, et que le premier magistrat de France pouvait écouter ce que j'avais à lui dire.