Intervention de Victorin Lurel

Séance en hémicycle du 10 octobre 2012 à 21h30
Régulation économique outre-mer — Article 5, amendements 170 171 169

Victorin Lurel, ministre des outre-mer :

Monsieur le président, vous me permettrez d'être un peu plus long dans ma réponse pour que, demain, devant un tribunal ou toute autre juridiction, elle permette de connaître l'esprit du législateur.

Commençons par le sujet de la place du dispositif dans le code. Vous proposez, monsieur Tardy, de tout placer dans le livre IV. Il y avait deux possibilités : soit constituer un bloc de l'article L. 752-26 et du L. 752-27 créé dans le présent projet et qui ne concerne que la distribution de détail, soit placer la disposition dans le livre IV. Le Conseil d'État a choisi la première option, et il est un peu tard pour procéder à un déplacement, d'autant plus qu'il faudrait alors déplacer aussi le L. 752-26. Ajoutons qu'il aurait également fallu en débattre en commission des lois, pour avoir le temps d'écrire les articles de coordination. La numérotation actuelle a aussi sa cohérence et l'on s'en satisfera.

Pour le reste, j'aimerais clarifier les choses. Depuis le début de l'examen de ce texte, avec la concertation et la navette, j'entends poser plusieurs questions : veut-on sanctionner un comportement ou une structure de marché ? Ce comportement est-il un abus de dominance ou un comportement caractérisé ? Doit-on viser des prix ou des marges, ou les deux ? Enfin, le test des valeurs élevées par rapport aux moyennes du secteur est-il applicable ? J'aimerais répondre à ces quatre objections, qui proviennent principalement du groupe UMP.

Tout d'abord, veut-on sanctionner un comportement ou une structure de marché ? Aucun doute ne doit subsister, il n'est pas question de sanctionner une simple structure de marché. Pour être très clair, sanctionner un distributeur parce qu'il a plus de 50 % de parts de marché ou deux distributeurs parce qu'ils sont les seuls sur le marché et que nous préférerions qu'ils soient trois, ce n'est pas l'objet du texte. Je l'ai dit dans toutes mes interventions publiques et je le répète ici. Les inquiétudes à ce sujet sont infondées.

Seul un comportement bien caractérisé est en cause : celui d'une entreprise en position dominante qui ne craint l'arrivée d'aucun concurrent compte tenu de l'étroitesse du marché et qui exploite sa rente de monopole au détriment de populations captives et souvent désargentées. C'est fréquemment le cas dans les outre-mer.

Deuxièmement, ce comportement est-il un abus de dominance ou une infraction qui sanctionne un comportement de rente ? Vous l'avez compris, l'article L. 752-26 du code de commerce est entièrement bâti autour de la notion d'abus de position dominante ; il est inappliqué – M. Jégo en sait quelque chose – et probablement inapplicable, comme le reconnaît l'Autorité de la concurrence. En effet, les abus par marges excessives sont soumis par la jurisprudence à un test très sévère, pour une raison simple : le juge considère que, si les marges sont confortables, des concurrents se précipiteront pour en profiter. Mais cela ne se passe pas ainsi dans les petits marchés d'outre-mer où les barrières à l'entrée sont fortes : éloignement, faible population, rareté du foncier, montants de la mise initiale… Donc, dans l'outre-mer, on peut jouir de sa rente de monopole, l'histoire l'a démontré et le présent le démontre encore.

Revenir à la notion d'abus, sous quelle que forme que ce soit, est la garantie de l'échec. C'est ce à quoi tend le groupe UMP. Le Gouvernement veut un texte applicable ; non un texte qui sera appliqué à tout propos et n'importe comment mais un texte dont chacun doit savoir qu'il sera applicable au besoin, pas comme cela s'est passé après les grands mouvements sociaux de 2009, où aucune action publique n'a pu être déclenchée.

Nous ne visons donc que ce comportement précis : celui d'une enseigne qui pratiquerait des prix bas si elle se trouvait en situation de concurrence et qui, du fait de sa dominance, se permet de pratiquer des prix beaucoup plus élevés. Cela existe partout dans les outre-mer. Ce comportement n'est plus acceptable et ne sera plus accepté, et l'article 752-27 nouveau a été écrit dans ce but.

Troisièmement, doit-on viser les prix ou les marges, ou bien les deux ? La question a été évoquée hier par Catherine Vautrin et Didier Quentin. Nous avons choisi de viser les deux pour des raisons pratiques évidentes.

La rente de monopole, c'est la marge abusive. Or, tous nos débats le montrent, les prix sont élevés. Est-ce justifié ? Comment le savoir sans des investigations sérieuses sur les coûts et les marges ?

Il faut donc viser les prix, car les prix élevés se détectent facilement, mais il ne faut pas s'en tenir aux seuls prix. Il importe d'aller jusqu'à la révélation de marges élevées, car c'est par cette seconde étape que l'on démontre une rente.

Sans test de prix, on ne détecte rien ; sans test de marge, on ne prouve rien. Il faut donc garder les deux et se donner les moyens d'agir.

Quatrièmement, le test des prix élevés par rapport aux moyennes du secteur est-il applicable ? Certains prétendent que le texte en la matière étant flou, un juge ou une autorité ne saurait appliquer ce test : en effet, que signifie un prix élevé ? De quel secteur parle-t-on ? Va-t-on comparer une supérette et un supermarché ? Telles sont les objections que j'ai entendues, hier soir encore.

Ceux qui les émettent n'auraient-ils donc qu'une confiance très limitée dans le bon sens de l'Autorité de la concurrence et des juges, pourtant habitués à interpréter des textes difficiles ? Une telle crainte est sans fondement, car le test que nous avons imaginé a au moins un précédent : le Conseil de la concurrence l'a déjà utilisé, précisément pour une affaire de vie chère, si je puis dire.

En 1997, UFC-Que Choisir a porté plainte contre le fournisseur de la cantine de la prison d'Osny en région parisienne. Comme vous le savez, la cantine est le petit magasin ou les détenus peuvent acheter des produits de base. UFC-Que Choisir soutenait que les prix y étaient trop élevés. Le Conseil a écarté ce reproche, en faisant notamment une comparaison – c'est ici que le cas devient intéressant pour nous. Je cite sa décision : « Considérant […] que la part des charges de structure s'élève à 6,3 %, soit un montant qui n'apparaît pas disproportionné compte tenu des pourcentages habituellement constatés dans ce secteur, » – la formulation n'est certes pas tout à fait la même que la nôtre, mais sur le fond, il est bien question de la même chose : un secteur, une moyenne de secteur et une disproportion par rapport au niveau habituellement constaté – « la comparaison avec les prix d'un supermarché proche n'est pas strictement opérante compte tenu des contraintes particulières qui pèsent sur les cantines ». Voilà qui est plein de bon sens et qui devrait rassurer.

Je vous le demande : où est la difficulté juridique ? Nous proposons une méthode que les juges appliquent déjà spontanément et avec bon sens.

Le fond de l'affaire, chacun l'a bien compris, est facile à résumer : les acteurs, en particulier de la grande distribution, savent que l'article L. 752-26 du code de commerce qui sanctionne les abus de position dominante n'est pas applicable, mais ils commencent à se dire que notre article L. 752-27 risque de l'être et qu'il va exercer une réelle pression pour dissuader de pratiquer des prix et des marges de rente. Si tel était le cas, notre objectif serait atteint.

(Les amendements nos 170 , 171 et 169 sont successivement rejetés.)

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