Intervention de Philippe Gomes

Réunion du 9 octobre 2013 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomes :

Je remercie vivement les trois coauteurs de ce rapport, pour la qualité de leurs observations et de leurs analyses, leur travail considérable, mais aussi pour leurs capacités d'écoute sur le terrain. À l'image du général de Gaulle qui partait pour l'« Orient compliqué » avec des « idées simples », les auteurs du rapport se sont rendus dans une « Nouvelle-Calédonie compliquée » avec, pour chacun, une solide expertise – qu'elle soit « de terrain » ou davantage « livresque ». C'est d'ailleurs la première fois depuis dix ans que des députés de la commission des Lois foulaient le sol néo-calédonien. Compte tenu de l'éminence des choix qui s'offriront prochainement à la Nouvelle-Calédonie, il était indispensable que la représentation nationale fasse entendre sa voix.

Un acquis essentiel du préambule de l'Accord de Nouméa mérite d'être rappelé : la reconnaissance de deux légitimités qui se sont opposées, l'une issue du peuple kanak présent depuis 3000 ans – qui, rappelle l'Accord, a été colonisé et repoussé « aux marges géographiques, économiques et politiques » de son propre pays, son patrimoine artistique, ses langues ayant été niés –, l'autre issue des « nouvelles populations » qui, pendant 160 ans, sont venues s'installer à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle dans le cadre de la colonisation pénale ou libre ou des besoins de main-d'oeuvre. Ces populations étaient d'origine asiatique, européenne, wallisienne, futunienne, polynésienne. L'accord constate que ces deux populations ont acquis une légitimité à vivre en Nouvelle-Calédonie et à contribuer à son développement. Il appartient désormais à ces deux peuples de conjuguer leur légitimité pour construire un destin commun. En témoigne, par exemple, le fait que toutes les personnes inscrites sur les listes électorales avant le 31 décembre 1998, quelle que soit leur couleur de peau, pourront participer au référendum sur l'accession à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, la crise de 2011 et ses « miasmes » actuels n'est pas caricaturale. Elle a été provoquée par la levée des deux drapeaux, celui de la République française et celui du FLNKS, et elle continue de produire ses effets aujourd'hui. Cette crise, à laquelle l'État a d'ailleurs été partie prenante avec le Premier ministre lui-même, M. François Fillon intervenant alors, trouve ses racines dans l'absence de respect de l'Accord de Nouméa. Ce dernier prévoit, en effet, que des signes identitaires du pays – notamment son drapeau – « devront être recherchés en commun pour exprimer l'identité kanak et le futur partagé entre tous » et que cela nécessite une loi du pays, votée à la majorité des trois cinquièmes du congrès. Ces prescriptions n'ont, à l'évidence, pas été suivies. Si ce drapeau, qui n'a pas été « recherché en commun », incarne l'identité kanak, en tout cas pour sa partie indépendantiste, il est plus compliqué d'affirmer qu'il incarne un futur partagé pour toute la population et il est certain qu'il n'a pas été choisi à l'issue du vote d'une loi du pays. C'est ce qu'a par exemple constaté le Palika de M. Paul Néaoutyine, ce qui montre bien que la question du drapeau dépasse la simple opposition entre « indépendantistes » et « non-indépendantistes ». C'est une affaire de vision de l'application de l'Accord de Nouméa.

Les « miasmes » de cette crise mettent aujourd'hui à l'épreuve le caractère collégial du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. La collégialité, prévue dans l'Accord de Nouméa, vise à contourner le fait majoritaire, en associant les indépendantistes au gouvernement. Cela nécessite un effort de chacun. Or, en 2011, la répartition des portefeuilles ministériels n'a, pour la première fois, pas recueilli l'unanimité des forces politiques, le consensus n'ayant pas été suffisamment recherché. Cette situation pose problème dans le fonctionnement gouvernemental au quotidien, dès lors que chaque ministre, en plus de disposer d'un portefeuille spécifique, doit participer à l'ensemble des prises de décision relevant de la compétence du gouvernement. Aucun membre du gouvernement ne peut prendre de décisions individuellement.

Une autre question, qui sera évoquée lors du prochain Comité des signataires, porte sur les transferts de compétences. La quasi-totalité des transferts programmés a désormais été réalisée, à l'exception des compétences énumérées à l'article 27 de la loi organique de 1999 : enseignement supérieur ; contrôle de légalité des provinces, des communes et de leurs établissements publics, régime comptable et financier des collectivités ; communication audiovisuelle. Les transferts en question obéissent à une procédure spécifique, qui suppose une modification de la loi organique, à la suite d'une résolution en ce sens du congrès qui demande à l'État l'organisation de ces transferts. Pour l'instant, ce dernier n'a émis aucun voeu en ce sens.

En revanche, il est inexact d'affirmer, comme le fait le projet de rapport d'information, que ce transfert de compétences « est la condition sine qua non pour que la question de [l'] accès à la pleine souveraineté puisse être posée ». On pourrait certes en faire un préalable politique, mais certainement pas une condition juridique : comme le confirme le récent rapport sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie de MM. Jean Courtial et Ferdinand Melin-Soucramanien, la question des transferts de compétences ne saurait faire obstacle, en soi, à la mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa.

Un autre sujet à régler à l'avenir est la clé de répartition du budget de la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci est actuellement réparti à parts approximativement égales entre la province Nord et la province Sud, alors que la première ne regroupe que le quart de la population. Cette répartition discriminatoire, pour nécessaire qu'elle soit, devra être revue, à l'aune de l'évolution de la démographie et des dépenses des provinces. Il faut rappeler que, depuis une vingtaine d'années, plus de 250 milliards de francs CFP ont été transférés du Sud vers le Nord.

Par ailleurs, la lutte contre la « vie chère » devrait prochainement bénéficier de nouveaux outils, prévus dans le projet de loi organique actualisant la loi organique de 1999, en cours de discussion au Parlement. Rappelons que le Big Mac qui sert communément d'indice de référence pour comparer les prix entre différents pays est, en Nouvelle-Calédonie, le cinquième plus cher du monde ! Une autorité de la concurrence semblable à celle existant au plan national disposera bientôt de pouvoirs d'enquête et de sanction, afin de lutter contre les situations monopolistiques et duopolistiques. En mettant en oeuvre la nouvelle loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie, jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 1er octobre dernier, cette nouvelle autorité administrative indépendante pourra même aller plus loin que l'Autorité nationale de la concurrence – dont les compétences sont limitées par le droit de l'Union européenne. Elle pourra, par exemple, prononcer des injonctions à l'encontre d'entreprises détenant, dans une certaine zone, une part de marché dépassant 25 %.

Enfin, à plus long terme, il nous faut préparer les voies de sortie de l'Accord de Nouméa. C'est d'ailleurs l'objet du comité de pilotage mis en place en 2010, qui doit « approfondir les éléments de discussion dans la perspective de la consultation prévue après 2014 ». Si l'on s'en tient à l'Accord de Nouméa, la question de l'accès à l'indépendance – qui, formellement, prendrait la forme de trois sous-questions aux enjeux étroitement liés – pourrait faire l'objet au total, en cas de réponse négative des votants, de trois référendums (en 2018, 2020 et 2022). Après trois réponses négatives, l'Accord de Nouméa stipule que « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». L'ensemble de ce dispositif n'est pas opérationnel ; tout le monde en convient à mots plus ou moins couverts : quel que soit le choix qui sera finalement retenu, des mesures juridiques de transition apparaissent indispensables. Si la consultation conclut à l'accès à la pleine souveraineté, que se passe-t-il ? Quelle indépendance ? Quelle organisation des pouvoirs publics ? Quel lien avec la France ? Si oui, de quelle nature ? Qui sont alors les nationaux ? Quel régime des libertés publiques ? C'est alors un double saut dans le vide. D'un point de vue plus politique, ce dispositif présente également l'inconvénient, par son côté manichéen, d'aboutir à opposer un camp des vainqueurs à un camp des vaincus à l'instar du « référendum Pons » de 1987 – qui posait la question : oui ou non à l'indépendance ? – boycotté par les indépendantistes et qui fut, quelque mois plus tard, suivi par les événements d'Ouvéa.

C'est pourquoi d'autres voies de sortie de l'Accord de Nouméa doivent être recherchées. La première, quelque peu illusoire, serait celle dite de la « solution consensuelle » entre les différents partenaires politiques, qui passerait par une révision de la Constitution et une consultation par référendum. La seconde, qui a ma préférence, serait celle d'un « référendum éclairé », consistant à clairement définir les projets alternatifs proposés – prévoyant l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie ou son maintien dans la République française – et à soumettre ce choix au vote. Une révision constitutionnelle serait alors aussi nécessaire car on modifierait l'Accord de Nouméa.

Ces questions devront être abordées après les prochaines élections de mai 2014 par l'ensemble des forces politiques, avec la participation de l'État qui doit être proactif et pas un spectateur. Ces élections seront l'occasion de clarifier l'état des rapports de force. On verra alors deux légitimités en présence l'une de l'autre : la légitimité historique des partenaires politiques qui ont été signataires des accords de Matignon et de Nouméa et la légitimité démocratique issue du suffrage universel. En ce qui me concerne j'estime que cette dernière légitimité doit être particulièrement prise en considération. Car en tout état de cause, c'est au nouveau congrès qu'il reviendra de décider, à la majorité des trois cinquièmes – des élus issus du suffrage universel – d'une éventuelle consultation par référendum avant 2018.

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