Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Réunion du 9 octobre 2013 à 10h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • calédonien
  • nouméa
  • nouvelle-calédonie
  • référendum
  • transfert

La réunion

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La séance est ouverte à 10 heures.

Présidence de M. Jean-Jacques Urvoas, président.

La Commission procède à l'examen du rapport d'information présenté par MM. Jean-Jacques Urvoas, Dominique Bussereau et René Dosière, rapporteurs, rendant compte de leur mission en Nouvelle-Calédonie.

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Mes chers collègues, René Dosière, Dominique Bussereau et moi-même nous sommes rendus en Nouvelle-Calédonie du 2 au 8 septembre dernier. Cette mission était la première de la commission des Lois à se déplacer sur ce territoire depuis treize ans. C'est dire si nous étions attendus en Nouvelle-Calédonie, où des échéances importantes vont intervenir en 2014.

La délégation était composée de telle sorte que puissent être réunis la meilleure expérience et l'oeil du néophyte. En effet, René Dosière s'est rendu huit fois en Nouvelle-Calédonie et Dominique Bussereau en était pour sa part à son onzième déplacement dans l'archipel. Tous deux ont été les rapporteurs de très nombreux textes, qui ont jalonné l'évolution de ce territoire. Ce sont d'ailleurs eux qui ont effectué la dernière mission de la commission des Lois en 2000, afin d'évaluer la mise en place des nouvelles institutions prévues par la loi organique de 1999. Mon expérience de ce territoire était, pour ma part, plus récente et ma connaissance en était essentiellement livresque.

Nous avons rencontré l'ensemble des acteurs, politiques, institutionnels, coutumiers, économiques, sociaux et associatifs, soit près de 115 personnes au total. Je voudrais ici les remercier de leur accueil. Il faut également saluer ici le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, le préfet Jean-Jacques Brot, pour son appui dans l'organisation de ce déplacement. Nous leur ferons parvenir naturellement ce rapport, en vue de poursuivre les échanges avec la Commission.

Il faut d'abord rappeler combien l'Accord de Nouméa de 1998 est novateur dans notre système institutionnel et juridique. Après les accords historiques de Matignon-Oudinot en 1988 entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou – deux personnalités d'exception et fédératrices – et le retour de la paix dans ce territoire meurtri, un référendum était prévu dix ans après pour amener les Calédoniens à se prononcer pour ou contre l'indépendance. À la suite des négociations engagées à partir du milieu des années 1990, l'Accord de Nouméa a permis de ne pas organiser ce que Jacques Lafleur qualifiait de « référendum couperet ».

Reconnu par le titre XIII de la Constitution, l'Accord de 1998 a organisé l'autonomie de la Nouvelle-Calédonie sur un mode totalement inédit avec des institutions propres (un gouvernement fondé sur la collégialité, un congrès, trois assemblées de province – Nord, Sud et îles Loyauté –, un sénat coutumier, avec un rôle consultatif central dans la compréhension de la culture kanak), la possibilité de voter des lois du pays dans des domaines législatifs relevant, à la suite de transferts irréversibles de l'État, de la compétence propre de la Nouvelle-Calédonie. C'est un point essentiel ; personne ne pourra jamais y revenir.

Par ailleurs, une citoyenneté calédonienne a été organisée avec un accès prioritaire à l'emploi et le droit de voter aux élections provinciales et aux futures consultations pour les seules personnes arrivées en Nouvelle-Calédonie au plus tard en 1998 et ayant au moins vécu dix ans sur le territoire.

Je crois qu'on ne dira jamais assez combien cet Accord a demandé de sens des responsabilités notamment de la part d'une majorité numérique sur le territoire, majorité qui a accepté de ne pas appliquer le principe majoritaire en gouvernant seule, ce qui aurait pu conduire au pire. L'altruisme, si on doit donner à ce mot un sens, a trouvé à s'appliquer en Nouvelle-Calédonie.

Ce processus d'émancipation de la Nouvelle-Calédonie reconnu par la Constitution a introduit dans notre système institutionnel et juridique – ce qui est trop peu souvent rappelé – une dose de fédéralisme. Avec Guy Carcassonne, on peut ainsi considérer que le titre XIII de notre Constitution comporte finalement, non pas des dispositions transitoires comme son intitulé l'indique, mais une Constitution en soi, celle de la Nouvelle Calédonie. Cela montre que notre pays sait aussi faire preuve d'imagination quand l'essentiel est en jeu. Et cela nous le devons aux Calédoniens.

Ce processus a été rendu possible parce que l'Accord de Nouméa a aussi été un moment de reconnaissance mutuelle de toutes les composantes de l'identité calédonienne, que ce soit l'apport des populations européennes ou celui des premiers habitants du territoire, les Kanak. Cette reconnaissance de l'identité kanak a été un grand pas accompli et pas uniquement par des paroles, mais également par des actes. Je pense notamment à la coutume désormais reconnue et préservée au travers du sénat coutumier, du statut civil coutumier des personnes ou bien encore des terres coutumières – qui représentent 500 000 hectares –, qui sont au coeur du système symbolique kanak.

Depuis près de quinze ans, l'esprit de l'Accord a prévalu, même si des tensions politiques locales, somme toute assez naturelles dans un contexte de compétition démocratique, sont apparues dans les dernières années et, en réalité, depuis 2010. Le territoire a connu la paix, la stabilité ainsi que le développement économique.

Cela étant rappelé, la Nouvelle-Calédonie est maintenant face à des échéances essentielles. Le territoire s'engage dans une étape décisive de son émancipation. 2014 sera une année charnière, puisque le congrès sera renouvelé en mai et c'est à ce congrès qu'il reviendra de décider, à la majorité des trois cinquièmes, d'une date de consultation sur l'accession du territoire à la pleine souveraineté. Cette consultation devra intervenir, en tout état de cause, avant 2019. Si le congrès n'en décide pas ainsi avant cette date, c'est alors au Gouvernement de la République qu'il reviendra d'organiser cette consultation.

La métropole ne peut évidemment pas se désintéresser de ces échéances et la commission des Lois se devait non seulement de mieux comprendre les enjeux qui sont devant nous, mais aussi les difficultés qui pourraient survenir.

Nous avons vu trois grands sujets de préoccupation émerger lors de nos nombreux entretiens.

Le premier correspondant aux risques qui peuvent peser sur la collégialité dans le fonctionnement des institutions calédoniennes. C'est l'esprit de l'Accord de Nouméa : le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, composé de onze membres, ne fonctionne pas selon le principe majoritaire mais selon celui de la collégialité. Or nous avons observé que le poids des rivalités politiques était très lourd aujourd'hui dans un paysage local marqué par une très grande dispersion des forces politiques.

Les accords de Matignon-Oudinot en 1988 avaient été rendus possibles par l'existence de deux grands partis – avec d'un côté le RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République) et de l'autre le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) – capables de dialoguer ensemble. Cette structuration de la vie politique calédonienne n'existe plus en l'état. Chaque camp apparaît aujourd'hui très divisé, fragmenté, presque morcelé, et aucune personnalité fédératrice n'émerge de part et d'autre. La mission forme le voeu que cette dispersion politique ne pèse pas dangereusement sur l'avenir nécessairement commun des Calédoniens. Les élections provinciales de mai 2014 permettront probablement de clarifier la situation de ce point de vue.

Autre sujet essentiel : les transferts de compétences qui, après avoir pris du retard au départ, se sont accélérés depuis 2011. La Nouvelle-Calédonie est désormais seule compétente dans des domaines importants : outre la fiscalité, compétence plus ancienne, on trouve par exemple l'enseignement primaire et secondaire, la police et la sécurité en matière de circulation aérienne intérieure ou de circulation maritime dans les eaux territoriales.

Les transferts en matière de droit civil, d'état civil et de droit commercial sont effectifs depuis le 1er juillet dernier. En matière de sécurité civile, il faudra attendre le 1er janvier prochain.

La question des ultimes transferts de compétence, prévus à l'article 27 de la loi organique statutaire de 1999, dans des domaines comme les règles relatives à l'administration des provinces, des communes et de leurs établissements publics, l'enseignement supérieur ou la communication audiovisuelle reste en suspens, faute de demande en ce sens de la part du congrès.

D'un point de vue général, les transferts de compétence se sont bien déroulés, mais nous avons tout de même observé qu'une fois ces compétences transférées, des pans entiers du droit n'évoluaient plus, pour certains depuis des années, ce qui est curieux et même préjudiciable aux Calédoniens. Il s'agit par exemple du droit des assurances, qui n'a pas évolué depuis son transfert en 1989. De même, on peut s'étonner qu'il n'existe toujours pas de service de la législation fiscale en Nouvelle-Calédonie, alors même qu'elle jouit de la peine autonomie en ce domaine.

Nous sommes particulièrement préoccupés par la question du transfert de la compétence « sécurité civile » qui doit intervenir le 1er janvier 2014. La préparation de ce transfert a pris beaucoup de retard et aucun choix – en dépit de ce qui a pu nous être dit ici ou là – n'a été opéré à ce jour sur la future organisation territoriale des services d'incendie et de secours. C'est d'autant plus préoccupant que le territoire est confronté à des risques naturels et industriels majeurs. Il y a, en effet, au coeur de Nouméa, des usines qui ne permettent pas de réduire la question de la sécurité civile en Nouvelle-Calédonie à une simple question d'incendies ou de pompiers.

Or, la bonne organisation de ces transferts et surtout l'exercice plein et entier de ces nouvelles compétences pour la Nouvelle-Calédonie sont la condition sine qua non de son processus d'émancipation.

Deuxième sujet de préoccupation de vos rapporteurs : le contexte économique et social. Si la Nouvelle-Calédonie a connu, ces huit dernières années, des taux de croissance très soutenus avec l'exploitation du nickel – ressource importante du territoire – et la construction de l'usine Koniambo de la province Nord – que nous avons eu la chance de visiter et qui a vu près de 6 000 personnes participer à sa construction permettant ainsi de maintenir le taux de chômage de la province à un niveau très bas –, les inégalités restent bien plus fortes qu'en métropole ou que dans les départements d'outre-mer et les perspectives économiques sont inquiétantes avec la baisse des cours du nickel.

La société calédonienne est également en proie à un phénomène de « vie chère », qui a conduit à douze jours de grève générale en mai dernier. Il a fallu l'implication du haut-commissaire pour qu'un accord soit trouvé pour geler les prix de certains produits. Il est d'ailleurs paradoxal de voir que l'État a joué un rôle essentiel dans ce domaine ; alors qu'il n'a pourtant plus guère de compétence économique ou sociale.

Le fait que les négociations sur la « vie chère » se soient tenues au Haut-commissariat souligne combien l'État, par son représentant, est devenu un acteur à la fois extérieur et central et démontre qu'il aura un rôle à jouer pour garantir l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Il ne faudrait cependant pas que la dégradation de la situation économique et donc sociale ait des conséquences sur la stabilité du territoire à l'heure d'échéances importantes.

Notre mission sur place nous a convaincus qu'il était temps d'ouvrir un nouveau cycle pour bâtir une solution durable, qui sera garante de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie.

L'Accord de Nouméa signé en 1998 pour une période de vingt ans fixe lui-même les conditions dans lesquelles les citoyens calédoniens seront amenés à s'exprimer sur l'avenir politique et institutionnel de l'archipel. Sans entrer dans les détails de ce mécanisme : il faut rappeler qu'on pourrait aller jusqu'à trois consultations successives pour décider si oui ou non la Nouvelle-Calédonie accédera à la pleine souveraineté, terme qui recouvre un transfert des compétences régaliennes aujourd'hui exercées par l'État, l'accès à un statut international de pleine responsabilité – à savoir un siège à l'Organisation des Nations unies (ONU) – et l'organisation de la citoyenneté en nationalité.

Notre sentiment est que nous allons entrer dans un cycle de négociations dont l'issue pourrait, le cas échéant, constituer un nouveau compromis entre tous les Calédoniens sur leur avenir, comme ce fut le cas en 1998.

Un document nous y aidera. Il s'agit du rapport de M. Jean Courtial, conseiller d'État, et de M. Ferdinand Melin-Soucramanien, professeur à l'université de Bordeaux IV, qui se sont vus confier, en 2011, par le Premier ministre François Fillon, une mission de réflexion confirmée depuis lors, en juillet 2012, par le Premier ministre Jean-Marc Ayrault.

Leur rapport – qui sera rendu public dans les tout prochains jours – va ouvrir le champ des possibles en déclinant des scénarios juridiques et institutionnels intéressants allant de l'indépendance pure et simple à des régimes de souveraineté extrêmement avancés tout en maintenant un lien avec la France.

Au-delà de l'organisation institutionnelle proprement dite, d'autres questions ne manqueront pas de se poser, qu'il s'agisse de la clé de répartition entre les provinces – règle interne d'équilibre – ou bien de la revalorisation du sénat coutumier. Ces différentes questions feront – nous l'espérons – l'objet d'un compromis global entre les acteurs concernés.

Nombre de nos interlocuteurs ont émis le voeu qu'une réflexion puisse aussi s'engager sur les conditions dans lesquelles quelques adaptations pourraient être apportées à la définition du corps électoral, question très sensible aujourd'hui. À ce jour, mes collègues et moi constatons que le « gel » du corps électoral a fait l'objet, le 20 février 2007, d'une révision de la Constitution.

Quels que soient les choix institutionnels et politiques qui seront faits demain et sur lesquels il ne nous revient pas de nous prononcer, nous restons convaincus qu'il ne faut pas hésiter, comme en 1998, à être visionnaire et à faire confiance aux hommes et aux femmes de bonne volonté.

En conclusion, ce qui nous a profondément marqués lors de notre déplacement et ce que cherche à traduire notre rapport, c'est le besoin des Calédoniens de savoir où ils allaient et d'être rassurés sur leur avenir. Ils nous semblent tout à fait prêts à prendre leurs responsabilités, comme ils le font depuis 1988, mais peut-être moins enclins que leurs responsables politiques à s'attarder sur les questions institutionnelles ou sur le jeu politique. Il m'a semblé – et je sais que mes collègues partagent ce sentiment – qu'ils étaient plus préoccupés par les questions économiques, sociales, culturelles.

Nous espérons que ce rapport contribuera à aider nos compatriotes de Nouvelle-Calédonie à « défricher » ce chemin dans les cinq ans qui viennent. En tout cas, la commission des Lois restera attentive à la situation de ce territoire dans les mois et les années qui viennent.

C'est en effet la responsabilité du Parlement, et plus largement celle de l'État, signataires de l'Accord de Nouméa, de demeurer le témoin vigilant et indispensable pour éviter que cette histoire ne se joue à huis clos. C'est d'ailleurs en substance ce que le président de l'Assemblée nationale à rappeler hier soir aux signataires de l'Accord de Nouméa et aux élus calédoniens, qu'il avait réuni à l'occasion des vingt-cinq ans des accords de Matignon-Oudinot.

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Le souci qui a été le nôtre en permanence, lors de notre déplacement, a été un souci de consensus.

Je rappellerai pour ceux qui sont peut-être trop jeunes dans cette Commission pour s'en souvenir qu'au moment de ce qu'il est aujourd'hui convenu d'appeler les « événements », entre 1986 et 1988, les réalités calédoniennes faisaient alors l'objet de débats très rudes tant à l'Assemblée nationale et au Sénat.

Au cours de notre déplacement sur le territoire, nous avons rendu hommage au sénateur Dick Ukeiwé, qui venait de disparaître. Il fut l'un des acteurs de ce consensus, dont je souhaite qu'il puisse aujourd'hui se poursuivre entre les grandes formations politiques républicaines. Ce consensus est, en effet, garant de la poursuite de l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans la paix civile et dans son lien avec la République.

Je partage les observations qui viennent d'être faites par notre président, Jean-Jacques Urvoas, tant sur le fonctionnement collégial des institutions calédoniennes que sur les transferts de compétences.

S'agissant tout d'abord de la collégialité, nous avons constaté qu'elle ne jouait plus pleinement son rôle dans le fonctionnement du gouvernement, en dépit de la bonne volonté de ses membres. Ce fonctionnement collégial n'est pas simple dans un petit territoire, de la taille d'un département. Il en irait d'ailleurs vraisemblablement de même si ce principe s'appliquait aux départements et régions de métropole.

S'agissant ensuite des transferts de compétences, il ressort de notre déplacement que leur organisation est un peu décevante.

Trop souvent, les transferts ont été réalisés pour eux-mêmes, sans que, dans le même temps, ne suivent les moyens – notamment financiers – pour permettre à la Nouvelle-Calédonie d'assumer ces compétences, qui restent parfois « virtuelles ».

En outre, une fois ces transferts réalisés, les moyens restant à la disposition du Haut-commissariat sont souvent dérisoires pour permettre à l'État d'assumer ses missions et, à ce titre, d'accompagner la Nouvelle-Calédonie dans l'exercice de ses nouvelles compétences.

Dans ces conditions, les transferts peinent à se traduire par une meilleure qualité de service rendu aux Calédoniens et suscitent même de leur part certaines inquiétudes d'autant plus légitimes que les moyens ne sont pas au rendez-vous. En matière de sécurité civile, il n'y a pas, à ma connaissance, aucun colonel de pompier recruté à ce jour pour permettre l'exercice effectif de cette compétence au 1er janvier 2014.

Je souhaiterai également formuler deux observations personnelles.

La première concerne l'organisation d'un référendum à l'issue du processus de l'Accord de Nouméa. Ce référendum devra, à mon sens, être le couronnement d'une solution consensuelle et acceptée par tous localement, plutôt que se résumer à un affrontement opposant les uns aux autres « pour » ou « contre » l'indépendance.

La seconde concerne le « gel » du corps électoral. Ce dernier, s'il a permis d'éviter certains déséquilibres dans la représentation politique des Calédoniens, conduit aujourd'hui à exclure des gens qui sont installés depuis très longtemps en Nouvelle-Calédonie, qui y vivent avec leur famille, qui y travaillent et y investissent. Si l'histoire du territoire a justifié ce « gel » du corps électoral, cette histoire est parfois difficile à expliquer aux jeunes générations.

Je ferai enfin un point sur la situation économique du territoire et sur son impact éventuel sur la sortie de l'Accord de Nouméa.

En effet, après des taux de croissance à faire envier la métropole, l'économie calédonienne tend aujourd'hui à se ralentir, notamment sous l'effet des cours à la baisse du nickel. Si ce marché évolue traditionnellement de manière cyclique, ma crainte est qu'il se stabilise à l'avenir à un niveau structurellement faible en raison de l'émergence de nouveaux producteurs, au nombre desquels figure la Chine, et qu'il remette en cause le « miracle » calédonien.

Or, je reste pour ma part convaincu que l'issue politique de l'Accord de Nouméa sera d'autant plus difficile que le contexte économique du territoire sera structurellement fragile.

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Je partage entièrement les points de vue exprimés par le président Jean-Jacques Urvoas et par M. Dominique Bussereau, mais je voudrais insister sur un point supplémentaire qu'ils n'ont pas évoqué. Depuis les accords de Matignon, et notamment depuis l'Accord de Nouméa, il y a eu au sein de notre Assemblée un consensus pour ne pas faire de la Nouvelle-Calédonie un enjeu de politique nationale. Ceci a été possible grâce au consensus qui existait en Nouvelle-Calédonie.

Cependant, il est évident que, si le consensus néo-calédonien a tendance à se fragiliser un peu, il existe un risque que des positions extrêmes soient prises – d'un côté comme de l'autre – avec pour conséquence de prendre la Nouvelle-Calédonie en otage. Le dossier néo-calédonien doit donc être suivi attentivement, afin de ne pas aboutir à une situation dans laquelle la Nouvelle-Calédonie deviendrait un enjeu de politique nationale.

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En prenant connaissance du programme de travail particulièrement dense des trois rapporteurs, je tiens à saluer la qualité du travail qu'ils ont accompli. L'expression ciselée de chacun d'entre eux montre à quel point ce débat doit être pris avec beaucoup de précaution.

Le gouvernement collégial de la Nouvelle-Calédonie est unique au monde et ne pourrait être comparé qu'au gouvernement d'Afrique du Sud qui a existé dans la période transitoire ayant suivi la fin de l'apartheid.

Le rapport souligne l'originalité de la solution retenue aujourd'hui en Nouvelle-Calédonie, mais aussi la nécessaire originalité dont il faudra de nouveau faire preuve pour trouver une solution permettant de sortir de l'accord de Nouméa.

Je souhaite également insister sur la nécessité de rassurer la population, compte tenu notamment de la fragilité économique de la Nouvelle-Calédonie.

Le rapport insiste sur le rôle que l'État doit jouer dans la définition de l'avenir institutionnel du territoire, mais je considère que la République doit aussi se saisir de cette question : sans que la Nouvelle-Calédonie devienne un enjeu de politique nationale, il est possible et souhaitable que la question de l'avenir de la Nouvelle-Calédonie ne soit pas uniquement posée par des Calédoniens à des Calédoniens.

Enfin, je m'interroge sur la question de savoir s'il ne faudrait pas, pour rassurer la population, accélérer l'histoire, car la population calédonienne ne souhaite pas forcément attendre 2019 pour être fixée sur son avenir.

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Je souhaite également féliciter les rapporteurs pour la qualité de leur travail consensuel. Le sujet dont nous débattons aujourd'hui est un sujet sur lequel la France n'est habituellement pas très bonne. Je veux parler du fait qu'à trois heures de la dernière commission mixte paritaire sur le dernier projet de loi organique et qui va procéder aux derniers transferts de compétences à la Nouvelle-Calédonie avant les échéances prévues par l'accord de Nouméa, il est regrettable que la construction d'un État de droit capable de fonctionner correctement ne soit toujours pas finalisée. Or, il est indispensable, dans un esprit de consensus, de rassurer la population sur le fait que la France ne se trouve pas dans un état d'esprit de « largage », mais bien d'accompagnement de la Nouvelle-Calédonie.

Nous n'avons pas à être si fiers de ce qui s'est passé dans les années 1960, 1970 ou 1980 dans certains territoires qui étaient alors français. Je pense par exemple aux Nouvelles-Hébrides devenues Vanuatu. Nous constatons que l'influence australienne y est plus forte que l'influence française. Nous n'avons pas à donner de leçons, mais, bien au contraire, nous devons tirer les leçons de nos insuffisances et de nos échecs lors des passages de certains territoires d'une situation institutionnelle à une autre.

Notre rôle est de rassurer et d'accompagner la Nouvelle-Calédonie, sous peine de reproduire ce que nous avons mal fait par le passé, en n'accompagnant pas suffisamment les transitions et en devant procéder ensuite par substitution. Nous avons une responsabilité historique pour accompagner cet État émergent, quelle que soit la solution institutionnelle qui sera retenue par le peuple en Nouvelle-Calédonie, par le collège électoral défini par la loi.

À M. Dominique Bussereau, je souhaite dire qu'il ne faut pas inquiéter la population sur la question du référendum : il y aura bien un référendum, qui devra être préparé et construit dans un esprit de consensus.

Enfin, ne faudrait-il pas réfléchir dès maintenant à la façon dont la France devra accompagner la Nouvelle-Calédonie, quel que soit le cadre institutionnel décidé par les Calédoniens ? Cela permettrait d'éviter que la France ne soit à nouveau considérée comme le « mouton noir » que l'on viendra chercher pour régler des problèmes qui ne l'auront pas été lors de la phase de transition institutionnelle. L'État français a envie de réfléchir à la façon de mettre en place cet accompagnement d'un État en émergence – sans se substituer à lui –, pour faire en sorte que le changement institutionnel ne se traduise pas par un recul économique pour ceux qui sont encore – il faut le rappeler – nos compatriotes.

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Je remercie vivement les trois coauteurs de ce rapport, pour la qualité de leurs observations et de leurs analyses, leur travail considérable, mais aussi pour leurs capacités d'écoute sur le terrain. À l'image du général de Gaulle qui partait pour l'« Orient compliqué » avec des « idées simples », les auteurs du rapport se sont rendus dans une « Nouvelle-Calédonie compliquée » avec, pour chacun, une solide expertise – qu'elle soit « de terrain » ou davantage « livresque ». C'est d'ailleurs la première fois depuis dix ans que des députés de la commission des Lois foulaient le sol néo-calédonien. Compte tenu de l'éminence des choix qui s'offriront prochainement à la Nouvelle-Calédonie, il était indispensable que la représentation nationale fasse entendre sa voix.

Un acquis essentiel du préambule de l'Accord de Nouméa mérite d'être rappelé : la reconnaissance de deux légitimités qui se sont opposées, l'une issue du peuple kanak présent depuis 3000 ans – qui, rappelle l'Accord, a été colonisé et repoussé « aux marges géographiques, économiques et politiques » de son propre pays, son patrimoine artistique, ses langues ayant été niés –, l'autre issue des « nouvelles populations » qui, pendant 160 ans, sont venues s'installer à la fin du XIXe siècle et au cours du XXe siècle dans le cadre de la colonisation pénale ou libre ou des besoins de main-d'oeuvre. Ces populations étaient d'origine asiatique, européenne, wallisienne, futunienne, polynésienne. L'accord constate que ces deux populations ont acquis une légitimité à vivre en Nouvelle-Calédonie et à contribuer à son développement. Il appartient désormais à ces deux peuples de conjuguer leur légitimité pour construire un destin commun. En témoigne, par exemple, le fait que toutes les personnes inscrites sur les listes électorales avant le 31 décembre 1998, quelle que soit leur couleur de peau, pourront participer au référendum sur l'accession à l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Par ailleurs, la crise de 2011 et ses « miasmes » actuels n'est pas caricaturale. Elle a été provoquée par la levée des deux drapeaux, celui de la République française et celui du FLNKS, et elle continue de produire ses effets aujourd'hui. Cette crise, à laquelle l'État a d'ailleurs été partie prenante avec le Premier ministre lui-même, M. François Fillon intervenant alors, trouve ses racines dans l'absence de respect de l'Accord de Nouméa. Ce dernier prévoit, en effet, que des signes identitaires du pays – notamment son drapeau – « devront être recherchés en commun pour exprimer l'identité kanak et le futur partagé entre tous » et que cela nécessite une loi du pays, votée à la majorité des trois cinquièmes du congrès. Ces prescriptions n'ont, à l'évidence, pas été suivies. Si ce drapeau, qui n'a pas été « recherché en commun », incarne l'identité kanak, en tout cas pour sa partie indépendantiste, il est plus compliqué d'affirmer qu'il incarne un futur partagé pour toute la population et il est certain qu'il n'a pas été choisi à l'issue du vote d'une loi du pays. C'est ce qu'a par exemple constaté le Palika de M. Paul Néaoutyine, ce qui montre bien que la question du drapeau dépasse la simple opposition entre « indépendantistes » et « non-indépendantistes ». C'est une affaire de vision de l'application de l'Accord de Nouméa.

Les « miasmes » de cette crise mettent aujourd'hui à l'épreuve le caractère collégial du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. La collégialité, prévue dans l'Accord de Nouméa, vise à contourner le fait majoritaire, en associant les indépendantistes au gouvernement. Cela nécessite un effort de chacun. Or, en 2011, la répartition des portefeuilles ministériels n'a, pour la première fois, pas recueilli l'unanimité des forces politiques, le consensus n'ayant pas été suffisamment recherché. Cette situation pose problème dans le fonctionnement gouvernemental au quotidien, dès lors que chaque ministre, en plus de disposer d'un portefeuille spécifique, doit participer à l'ensemble des prises de décision relevant de la compétence du gouvernement. Aucun membre du gouvernement ne peut prendre de décisions individuellement.

Une autre question, qui sera évoquée lors du prochain Comité des signataires, porte sur les transferts de compétences. La quasi-totalité des transferts programmés a désormais été réalisée, à l'exception des compétences énumérées à l'article 27 de la loi organique de 1999 : enseignement supérieur ; contrôle de légalité des provinces, des communes et de leurs établissements publics, régime comptable et financier des collectivités ; communication audiovisuelle. Les transferts en question obéissent à une procédure spécifique, qui suppose une modification de la loi organique, à la suite d'une résolution en ce sens du congrès qui demande à l'État l'organisation de ces transferts. Pour l'instant, ce dernier n'a émis aucun voeu en ce sens.

En revanche, il est inexact d'affirmer, comme le fait le projet de rapport d'information, que ce transfert de compétences « est la condition sine qua non pour que la question de [l'] accès à la pleine souveraineté puisse être posée ». On pourrait certes en faire un préalable politique, mais certainement pas une condition juridique : comme le confirme le récent rapport sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie de MM. Jean Courtial et Ferdinand Melin-Soucramanien, la question des transferts de compétences ne saurait faire obstacle, en soi, à la mise en oeuvre de l'Accord de Nouméa.

Un autre sujet à régler à l'avenir est la clé de répartition du budget de la Nouvelle-Calédonie. Celui-ci est actuellement réparti à parts approximativement égales entre la province Nord et la province Sud, alors que la première ne regroupe que le quart de la population. Cette répartition discriminatoire, pour nécessaire qu'elle soit, devra être revue, à l'aune de l'évolution de la démographie et des dépenses des provinces. Il faut rappeler que, depuis une vingtaine d'années, plus de 250 milliards de francs CFP ont été transférés du Sud vers le Nord.

Par ailleurs, la lutte contre la « vie chère » devrait prochainement bénéficier de nouveaux outils, prévus dans le projet de loi organique actualisant la loi organique de 1999, en cours de discussion au Parlement. Rappelons que le Big Mac qui sert communément d'indice de référence pour comparer les prix entre différents pays est, en Nouvelle-Calédonie, le cinquième plus cher du monde ! Une autorité de la concurrence semblable à celle existant au plan national disposera bientôt de pouvoirs d'enquête et de sanction, afin de lutter contre les situations monopolistiques et duopolistiques. En mettant en oeuvre la nouvelle loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle-Calédonie, jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel le 1er octobre dernier, cette nouvelle autorité administrative indépendante pourra même aller plus loin que l'Autorité nationale de la concurrence – dont les compétences sont limitées par le droit de l'Union européenne. Elle pourra, par exemple, prononcer des injonctions à l'encontre d'entreprises détenant, dans une certaine zone, une part de marché dépassant 25 %.

Enfin, à plus long terme, il nous faut préparer les voies de sortie de l'Accord de Nouméa. C'est d'ailleurs l'objet du comité de pilotage mis en place en 2010, qui doit « approfondir les éléments de discussion dans la perspective de la consultation prévue après 2014 ». Si l'on s'en tient à l'Accord de Nouméa, la question de l'accès à l'indépendance – qui, formellement, prendrait la forme de trois sous-questions aux enjeux étroitement liés – pourrait faire l'objet au total, en cas de réponse négative des votants, de trois référendums (en 2018, 2020 et 2022). Après trois réponses négatives, l'Accord de Nouméa stipule que « les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ». L'ensemble de ce dispositif n'est pas opérationnel ; tout le monde en convient à mots plus ou moins couverts : quel que soit le choix qui sera finalement retenu, des mesures juridiques de transition apparaissent indispensables. Si la consultation conclut à l'accès à la pleine souveraineté, que se passe-t-il ? Quelle indépendance ? Quelle organisation des pouvoirs publics ? Quel lien avec la France ? Si oui, de quelle nature ? Qui sont alors les nationaux ? Quel régime des libertés publiques ? C'est alors un double saut dans le vide. D'un point de vue plus politique, ce dispositif présente également l'inconvénient, par son côté manichéen, d'aboutir à opposer un camp des vainqueurs à un camp des vaincus à l'instar du « référendum Pons » de 1987 – qui posait la question : oui ou non à l'indépendance ? – boycotté par les indépendantistes et qui fut, quelque mois plus tard, suivi par les événements d'Ouvéa.

C'est pourquoi d'autres voies de sortie de l'Accord de Nouméa doivent être recherchées. La première, quelque peu illusoire, serait celle dite de la « solution consensuelle » entre les différents partenaires politiques, qui passerait par une révision de la Constitution et une consultation par référendum. La seconde, qui a ma préférence, serait celle d'un « référendum éclairé », consistant à clairement définir les projets alternatifs proposés – prévoyant l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie ou son maintien dans la République française – et à soumettre ce choix au vote. Une révision constitutionnelle serait alors aussi nécessaire car on modifierait l'Accord de Nouméa.

Ces questions devront être abordées après les prochaines élections de mai 2014 par l'ensemble des forces politiques, avec la participation de l'État qui doit être proactif et pas un spectateur. Ces élections seront l'occasion de clarifier l'état des rapports de force. On verra alors deux légitimités en présence l'une de l'autre : la légitimité historique des partenaires politiques qui ont été signataires des accords de Matignon et de Nouméa et la légitimité démocratique issue du suffrage universel. En ce qui me concerne j'estime que cette dernière légitimité doit être particulièrement prise en considération. Car en tout état de cause, c'est au nouveau congrès qu'il reviendra de décider, à la majorité des trois cinquièmes – des élus issus du suffrage universel – d'une éventuelle consultation par référendum avant 2018.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je salue la grande expertise de notre collègue Gomes, dont les propos nous permettent d'avoir une bonne connaissance des réalités du territoire calédonien. Je note aussi avec bonheur le consensus qui a présidé aux travaux de nos trois rapporteurs.

Dans l'histoire, la République française a longtemps été plus encline à envoyer les régiments de la Coloniale que des négociateurs et, sans revenir sur Sétif ou Madagascar, il y a eu des épisodes de notre histoire dont nous n'avons pas à être fiers collectivement. Je rejoins notre collègue Bernard Lesterlin qui soulignait l'importance des années 1960 dans l'amorce du processus en Nouvelle–Calédonie.

On ne peut que louer le consensus qui se fait jour aujourd'hui ; c'est évidemment aux Calédoniens de construire leur destin, mais il revient à la métropole de les accompagner, dans l'intérêt des populations.

J'ai été surpris de la récente résolution de l'ONU qui demandait à la France de décoloniser la Polynésie française… On voit bien les retentissements internationaux de cette problématique dans le Pacifique.

Le louable processus suivi par l'État en Nouvelle–Calédonie, marqué par la prise en considération des souhaits de la population, tranche très singulièrement avec l'autisme inquiétant dont il semble faire preuve en métropole : lorsque les Basques demandent la création d'un département basque, ce qui relève d'une simple modification de l'organisation administrative – une structure que je trouve d'ailleurs pour ma part assez dépassée –, ils se heurtent à une fin de non-recevoir ; lorsque M. Pierre Joxe, alors ministre de l'Intérieur, a voulu inscrire dans la loi que « le peuple corse fait partie intégrante du peuple français », il s'est heurté à la censure du Conseil constitutionnel ; et la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n'est toujours pas signée par la France… Quel contraste avec l'ouverture d'esprit qui préside au processus calédonien.

Il est urgent de faire sauter ces verrous constitutionnels et de reconnaître enfin les peuples qui composent la République, ce qui se traduira par un enrichissement !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous savez, M. Molac, que vos propos reçoivent un écho favorable d'un grand nombre de membres de la commission des Lois. Sur les spécificités de la Nouvelle–Calédonie, je vous renvoie aux récents propos de Michel Rocard, qui me semblent parfaitement résumer la situation : « il est toujours plus difficile de faire la paix que de faire la guerre ». Il faut remercier ceux qui ont osé à l'époque le faire et encourager la génération actuelle à poursuivre l'effort.

La Commission autorise à l'unanimité le dépôt du rapport d'information.

La séance est levée à 12 heures 05.