Je salue à mon tour le ministre du travail et le remercie de sa présence dans l’hémicycle. Je ferai cinq remarques et lancerai deux interrogations.
Premièrement, le texte s’inscrit, bien sûr, dans le prolongement de l’introduction, pour la première fois dans le code du travail, en 2003, du mot : « pénibilité », avec toutes les difficultés qu’une telle innovation comportait. En effet, s’il est une chose dont chacun ici est conscient, c’est qu’une fois le mot écrit dans le code, « il n’y a plus qu’à faire » – je mets des guillemets –, et c’est là que les ennuis commencent : il s’agit, de fait, d’un sujet beaucoup plus complexe qu’il n’en donne l’apparence.
Deuxièmement, des différences d’approche demeurent. Une approche que l’on pourrait en quelque sorte qualifier d’individuelle se fonde, non sur l’exposition aux risques, mais sur l’usure constatée chez le salarié, et tend à justifier un traitement médical, et non pas social ou conventionnel : autant de facteurs qui nourrissent deux manières très différentes de concevoir cette mécanique de la compensation. Vous avez choisi l’une d’elles, à travers ce texte, qui n’est pas la nôtre : cela fait partie des oppositions de style, si je puis dire, déjà constatées sur d’autres sujets.
Cela étant, l’une des raisons pour lesquelles nous avons privilégié, sur ces bancs, une mécanique individualisée, médicale, et portant davantage sur l’usure que sur l’exposition, c’est l’existence de certains écueils que votre texte n’évite pas.
Je veux d’abord parler, madame la ministre, de la question que nous avions examinée ensemble dans un rapport sur les risques psychosociaux : celle de la causalité, autrement dit de la répartition des facteurs qui peuvent avoir un impact sur l’état du salarié et sur son usure effective en fin de carrière. Cette question n’est pas traitée, car le système que vous avez choisi ne permet pas de le faire.
Je pense, en second lieu, à ce sujet si difficile qu’est la réalisation, l’organisation et le remplissage de ce carnet de santé, autrement dénommé carnet de travail, carnet ouvrier ou livret ouvrier – les appellations abondent, qui renvoient à la même réalité. Je ne ferai pas de mauvais esprit en rappelant que cela a été fait, puis abandonné, puis à nouveau remis à l’ordre du jour : il ne s’agit pas d’une critique, car il n’y a pas d’autre manière de faire que celle-là, à partir du moment où l’on entre dans cette mécanique. C’est toutefois affreusement compliqué, j’insiste sur ces mots, et, comme M. Lurton l’a rappelé à l’instant, ce sera une source inépuisable de contentieux, d’autant que votre texte ne fixe aucune limite dans le temps, ni aucun cadre procédural aux recours engagés contre les employeurs et mettant en jeu leur responsabilité.
Demeure, enfin, la question de la priorité donnée à la compensation sur la prévention. En général, lorsqu’on traite de la compensation, on oublie le volet préventif : c’est exactement ce que fait ce texte, et c’est dommage. Deux problèmes importants demeurent : l’un tient au dénombrement de la population concernée – si le chiffre de 300 000 personnes est évoqué, il sera probablement, d’après nos constatations, supérieur –, l’autre concerne le financement, qui ne me paraît pas assuré.