La séance est ouverte.
La séance est ouverte à quinze heures.
Ce matin, l’Assemblée a poursuivi l’examen des articles, s’arrêtant aux amendements nos 683 et identiques, portant article additionnel après l’article 4.
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 684 .
Ces amendements illustrent une fois encore notre volonté de trouver de nouvelles ressources de financement pour notre système de protection sociale, notamment par un meilleur partage des richesses. Nous nous proposons d’instaurer une nouvelle contribution patronale au taux de 40 % sur la part variable de rémunération des opérateurs de marché.
Un article récent de la presse financière établit que la rémunération moyenne des traders s’est élevée à 297 000 euros en 2012. De plus, les traders des trois principaux établissements financiers français – Société générale, BNP, Crédit agricole – ont vu leurs rémunérations, bonus inclus, augmenter en moyenne de 17 % entre 2011 et 2012. Ces établissements auraient ainsi provisionné plus de 2 milliards d’euros pour rémunérer les quelque 7 276 traders qu’ils emploient dans le monde. Si l’enveloppe totale consacrée aux opérateurs de marchés a augmenté de 7 % en 2012, le même quotidien ne manque pas de noter que les banques ont beaucoup taillé dans leurs effectifs.
Il y a là un gisement de recettes important, qu’il est nécessaire d’utiliser pour créer des droits pour tous et assurer le financement de notre système de retraites.
La parole est à M. Bruno Nestor Azerot, pour soutenir l’amendement no 687 .
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 695 .
Notre proposition d’une contribution patronale au taux de 40 % sur la part variable de rémunération des opérateurs de marché mérite d’être versée au débat pour plusieurs raisons.
Lorsque la crise de 2008 a éclaté, tout le monde est tombé d’accord pour condamner la grande finance, ses dérives, ses rémunérations délirantes, sa spéculation sans limite. Même Nicolas Sarkozy, le président des riches,
Exclamations sur les bancs du groupe UMP
celui qui voulait décomplexer les Français à l’égard de l’accumulation et des milliardaires, a dû endosser le costume de moralisateur du capitalisme.
Aujourd’hui, la gauche est au pouvoir. Où en sommes-nous ? Dès 2011, la presse constatait que les bonus des stars du trading étaient revenus à leur niveau d’avant la crise. Les chiffres sont têtus : en 2010, les banques françaises avaient versé près de 2 milliards d’euros de bonus à leurs traders. Pourtant, au plus fort de la crise, elles s’étaient engagées, la main sur le coeur, à réduire les rémunérations de leurs collaborateurs.
Nous le voyons, dans le milieu de la finance, l’argent coule à flots, pendant que nos concitoyens tirent le diable par la queue. Est-il admissible d’attaquer le pouvoir d’achat des retraités comme vous le faites à l’article 2, y compris des retraités les plus modestes qui ne sont même pas assujettis à la CSG, et d’épargner les rémunérations exorbitantes des milieux financiers ? Nous ne le pensons pas. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons qu’un maximum de députés, de la gauche de cet hémicycle et au-delà, nous rejoignent pour voter cet amendement de justice et d’équité sociale.
La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, pour donner l’avis de la commission.
La parole est à Mme la ministre des affaires sociales et de la santé, pour donner l’avis du Gouvernement.
Défavorable.
Cet amendement propose une modulation des cotisations patronales d’assurance vieillesse en fonction des choix des entreprises en matière d’utilisation des richesses qu’elles produisent. Certains font semblant de ne pas comprendre ce que nous voulons dire ou déclarent qu’une telle disposition serait inapplicable. Nous prendrons donc le temps de vous expliquer, à trois voix, ce sur quoi elle porte et comment elle fonctionne.
Il s’agit de soumettre à deux cotisations additionnelles les entreprises qui, dans la distribution de leurs richesses, privilégient le capital et les dividendes au détriment de l’investissement, de l’emploi, des salaires et de la formation professionnelle. Une première cotisation est calculée en fonction de l’évolution du ratio de répartition des richesses de l’entreprise, par rapport à l’évolution moyenne du ratio de répartition des richesses à l’échelle nationale. La seconde est calculée en fonction de l’écart entre le ratio de répartition des richesses de l’entreprise et le ratio moyen de répartition des richesses du secteur duquel elle relève, selon la nomenclature INSEE des activités françaises.
Mon temps est écoulé. Je laisse donc la parole à mon collègue, qui vous expliquera quelles sont les entreprises qui pourraient être moins taxées.
Il me reste donc à donner la parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 353 .
Sourires.
Certes, nos explications sont techniques, mais nous voulons développer des propositions argumentées, qui pourront être étudiées de beaucoup plus près dans le compte rendu de la séance.
Lorsque le ratio de répartition des richesses de l’entreprise est supérieur au ratio de la section de laquelle elle relève, l’entreprise reste assujettie au taux de cotisation patronale de droit commun. De même, lorsque la variation du ratio de répartition des richesses de l’entreprise est positive et supérieure à celle du ratio national, elle reste assujettie au taux de cotisation patronale de droit commun.
En revanche, lorsque le ratio de répartition des richesses de l’entreprise est inférieur à celui du secteur duquel elle relève, elle est assujettie à une cotisation additionnelle dont le taux est égal à l’écart entre le ratio du secteur et celui de la société.
Par ailleurs, lorsque la variation du ratio de répartition des richesses de l’entreprise est positive ou nulle, mais néanmoins inférieure à la variation du ratio national ou négative, l’entreprise s’acquitte d’une cotisation additionnelle d’assurance vieillesse assise sur la totalité de sa masse salariale, dont le taux est égal à la différence entre le taux de variation du ratio de l’entreprise et le taux de variation du ratio national. La modulation que nous proposons est liée au type de partage de richesses dans l’entreprise.
La parole est à M. Bruno Nestor Azerot, pour soutenir l’amendement no 356 .
Les explications données par mes collègues, précises et extrêmement techniques, valent pour les experts. Pour ma part, je m’adresserai aux néophytes, qui n’en sont pas moins des personnes dotées de bon sens.
Cet amendement vise à renforcer l’articulation entre le financement des retraites et l’entreprise par une réforme visant le développement des cotisations sociales qui s’oppose à la financiarisation et à la fiscalisation.
C’est le rôle de la modulation des cotisations sociales patronales en fonction de la politique salariale, d’emploi et de formation des entreprises. Lorsqu’une entreprise diminue la part de ses salaires et emplois dans sa valeur ajoutée pour accroître sa rentabilité financière, son taux de cotisation est augmenté. À l’inverse, si elle l’augmente, son taux de cotisation est relativement abaissé.
Loin d’être une exonération déguisée aux entreprises, cette modulation contribuerait à faire pression sur les logiques financières des entreprises et à les pousser à accroître le volume d’emplois et le niveau des salaires. Vous l’avez compris, cet amendement est complémentaire de celui qui vise à assujettir les revenus financiers des entreprises à une contribution vieillesse. À terme, ces deux amendements aboutiraient à réorienter notre économie et à redonner la priorité à la valeur travail et non à la valeur finance.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 364 .
L’explication à une voix n’avait pas convaincu la commission ; elle ne nous convainc pas davantage à trois voix, aussi précise soit-elle. Avis défavorable.
Cet amendement vise à assujettir les revenus financiers des sociétés financières et non financières à une contribution d’assurance-vieillesse. Au-delà du gain non négligeable que rapporterait une telle cotisation, nous poursuivons l’ambition de remettre fondamentalement en cause les placements financiers qui n’auraient pas été investis dans l’intérêt économique du pays. Nous vous l’avons encore dit à l’instant.
Cette mesure tend à éteindre ces rentes financières qui rongent notre économie. Une telle taxation conduirait à une réduction importante des revenus financiers et, par conséquent, des ressources liées à cette cotisation que nous n’envisageons pas pérenne mais qui serait ô combien salutaire pour l’économie du pays et pour la justice sociale à laquelle vous vous déclarez tous si attachés. Il n’est pas acceptable, en effet, que les revenus financiers des entreprises échappent à toute cotisation en faveur des retraites. Si nous prenons la décision politique de récupérer cet argent, nous pourrions largement financer nos retraites sans exiger que les personnes travaillent jusqu’à des âges avancés.
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 293 .
Nous accordons beaucoup d’importance à cette série d’amendements, tout comme à la précédente car, tout en favorisant le développement économique, les mesures qu’ils prévoient sont de nature à procurer des ressources supplémentaires pour financer l’assurance-vieillesse et la protection sociale.
Mme la ministre et M. le rapporteur ont répondu de manière assez lapidaire à l’amendement précédent alors que notre proposition présentait l’intérêt de moduler les cotisations des entreprises en fonction de la priorité accordée à l’emploi ou aux salaires. Pourquoi ne pas se servir de ce formidable levier en faveur du développement économique ? Je souhaiterais, dans la mesure du possible, que vous accordiez à nos amendements tout l’intérêt qu’ils méritent, même si je comprends fort bien que vous ne soyez pas en mesure aujourd’hui de nous apporter des réponses plus détaillées. Ces questions mériteraient en effet de faire l’objet d’une expertise, comme nous vous l’avons demandé hier lors du débat sur les missions du comité de suivi.
La parole est à M. Bruno Nestor Azerot, pour soutenir l’amendement no 296 .
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 304 .
Cet amendement vise à assujettir les revenus financiers des sociétés financières et des sociétés non financières à une contribution d’assurance-vieillesse à un taux égal à la somme des taux de cotisation d’assurance-vieillesse patronale et salariale du secteur privé. Cette nouvelle contribution, qui apportera un surcroît de recettes estimé à plus de 30 milliards d’euros, poursuit un double objectif : financer rapidement les régimes obligatoires de retraite et fortement inciter les entreprises à privilégier le facteur travail.
En effet, les revenus financiers des entreprises et des institutions financières s’élèvent à plus de 300 milliards d’euros par an et échappent largement aux prélèvements sociaux. L’application des taux de cotisations patronales prévus pour chaque branche de la Sécurité sociale apporterait plus de 80 milliards par an au régime général, dont 30 milliards pour les seules retraites.
Voilà concrètement comment nous pourrions relancer la croissance et lutter contre les excès de la financiarisation.
Et pour cause : une cotisation élevée sur les revenus financiers des entreprises permettrait de dissuader les comportements favorisant les placements financiers et spéculatifs des entreprises qui aboutissent trop souvent à ce que, dans les grands groupes, le résultat financier soit plus important que le résultat d’exploitation correspondant à l’activité réelle des entreprises.
Tel est le sens de notre amendement : remédier à la surdité et à la cécité de l’approche néolibérale, voire ultralibérale, dont la vraie droite et la fausse gauche se délectent.
« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe GDR. – Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Avis défavorable même si vous avez défendu vos idées avec conviction. Ces questions relèvent d’un débat sur la fiscalité dans le cadre du PLF ou du PLFSS, mais pas de ce texte.
Même avis. Ces séries d’amendements renvoient à un mode de financement alternatif de notre modèle de protection sociale. Cette démarche devrait pouvoir se tenir dans le cadre, en particulier, du Haut Conseil du financement de la protection sociale. Ce n’est pas à l’occasion d’un projet de loi sur les retraites, qui vise à équilibrer nos régimes et à poser des règles justes, que cette discussion peut avoir lieu.
La protection sociale forme un tout que l’on ne saurait réformer petit bout par petit bout. Cette démarche est engagée dans le cadre de la réflexion confiée au Haut Conseil du financement de la protection sociale.
Nous devons en effet raisonner dans un cadre global et pas seulement par rapport aux retraites.
Mais justement, les mesures de financement que nous proposons concernent bel et bien l’ensemble de la protection sociale. On nous répond que ces questions relèvent de la loi de finances. Eh bien, allons-y ! Nous y sommes, justement, dans le débat sur le projet de loi de finances pour 2014 !
Si vous le souhaitez vraiment, c’est le moment d’en débattre ! Il n’y a pas de moment pour discuter de ce sujet : nous pouvons très bien le faire à présent. Pourquoi la commission Moreau a-t-elle écarté d’emblée ces hypothèses dont Mme la ministre reconnaît elle-même qu’elles pourraient être étudiées ? Malheureusement, on ne les examine pas !
Pis : on les retire du débat ! Du coup, bien évidemment, nous les réintégrons même si vous considérez que ce n’est pas le bon moment ni le bon texte ! Choisissez donc le bon moment, le bon texte, nous sommes à votre disposition !,
Vous n’avez toujours pas compris qu’avec cette gauche ce n’est jamais le bon moment !
Monsieur le rapporteur, madame la ministre, vous nous répondez systématiquement que nos propositions ne relèvent pas du projet de loi en discussion. Vous nous renvoyez même au projet de loi de financement de la sécurité sociale alors que, chacun le sait, les grandes lois fondatrices de notre pays ne naissent pas de la discussion des projets de loi de finances ou de financement. C’est d’une évidence extrême.
Sans vouloir polémiquer, j’ajouterai que nous n’avons pas encore reçu les documents relatifs au PLFSS, ce qui nous empêche de les travailler. Il me semble que seul le groupe socialiste les ait. Mais passons…
Vous considérez, comme l’ancienne majorité d’ailleurs, que l’avenir de nos retraites repose uniquement sur trois leviers : l’âge de départ à la retraite, la durée des cotisations, et le niveau des pensions que vous essayez de grignoter par tous les moyens.
Or, il existe un quatrième levier, et je ne comprends pas pourquoi nous ne nous en saisirions pas à bras-le-corps : trouver d’autres sources de financement ! Toutes nos propositions ont été longuement étudiées et s’appuient sur des études précises. Puisque les marchés financiers détiennent des sommes énormes dans notre pays, c’est là que nous devons piocher, et pas systématiquement dans la poche des salariés et des retraités ! Nous devons faire évoluer le périmètre de l’assiette qui permet de dégager ces nouvelles recettes ! Je sais que vous ne partagez pas notre idéologie de la société mais nous avons au moins le mérite d’être fidèles à nos convictions depuis des années. Nous n’améliorerons pas le système si nous ne transformons pas la société.
Cet amendement vise, dans le cadre de la réforme globale du financement de la protection sociale que nous portons, à revenir sur les allégements généraux de cotisations sociales qui pèsent sur les salaires et qui représentent plus des trois-quarts des mesures d’exonérations. Nous proposons ainsi de supprimer la réduction générale des cotisations patronales.
En février 2012, la DARES, direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques statistique du ministère du travail, a publié un document d’étude sur les allégements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2009. Nous vous invitons tous à l’étudier avec intérêt.
Nous y apprenons en effet que les exonérations de cotisations sur les bas salaires, le fameux abattement Fillon, coûtent 22 milliards par an à l’État !
Nous y apprenons encore que les trois études menées sur les effets de ces exonérations sur l’emploi ont conclu à l’absence de résultat. Ce sont donc 22 milliards d’euros par an dépensés en pure perte par l’État, qui manque par ailleurs d’argent ! Ces réductions de cotisations patronales sont bien un véritable cadeau au patronat ! Il serait légitime de mettre fin à ces privilèges accordés aux patrons et qui ne servent pas la société, au contraire, puisque ce sont les salariés qui devront travailler plus longtemps pour des pensions revues à la baisse.
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 534 .
La parole est à M. Bruno Nestor Azerot, pour soutenir l’amendement no 537 .
Cet amendement vise à supprimer l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale. En effet, notre économie ne souffre pas du coût du travail mais du coût du capital. Deux chiffres suffisent à l’illustrer. En 2010, les sociétés non financières ont dépensé 145 milliards d’euros en cotisations sociales patronales et deux fois plus en intérêts et dividendes avec 308 milliards.
Précisons que si nous sommes tant attachés aux cotisations, c’est parce qu’elles sont une forme socialisée du salaire, un salaire différé, un prélèvement d’utilité sociale concernant des sommes qui, autrement, iraient aux dividendes et à la spéculation.
C’est pourquoi, afin de financer notre régime de retraites par répartition, nous vous proposons la suppression du dispositif de réduction des cotisations patronales. Le ministère de l’emploi a beau dire qu’il s’agit d’un allégement de charges patronales, c’est bien d’une réduction des cotisations patronales qu’il s’agit – une réduction qui encourage les pratiques des bas salaires et celle des heures supplémentaires qui, avec les rémunérations sous forme de bonus, se sont substituées aux embauches et aux augmentations de salaire. Par ailleurs, ces réductions ont permis la requalification abusive d’un grand nombre de contrats de travail. Autrement dit, elles favorisent la précarité et le durcissement des conditions de travail, et ce pour une portée économique nulle dans l’intérêt du pays – autant de raisons qui justifient l’adoption de cet amendement.
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 545 .
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 2856 .
Voici quatre ans que je reviens à la charge – en vain, mais la ténacité finit toujours par payer – sur la question de l’allégement de charges sur les salaires jusqu’à 1,6 fois le SMIC, qui est l’objet de cet amendement. A ce propos, je vous invite à lire l’excellent rapport de la Cour des comptes, notamment sur la question des fameux allégements « Aubry-Fillon » qui ont coûté 23 milliards d’euros. Pour ma part, je vous propose de réaliser une économie de 2 milliards en abaissant de 1,6 à 1,5 fois le SMIC le plafond applicable à l’abattement sur les charges sociales.
Il convient également d’écarter de cette mesure les entreprises du CAC40 – qui n’ont pas besoin de ces allégements – pour la concentrer sur les PME, les TPE, l’emploi des jeunes et l’emploi des seniors. On ne saurait déplorer le taux de chômage des jeunes, de l’ordre de 25%, et le faible taux d’employabilité des seniors, sans mettre l’accent sur l’aide à l’emploi de ces deux catégories de population : tel est précisément l’objet de cet amendement.
Depuis hier, chers collègues, nous cherchons à réaliser une économie de 1,4 milliard d’euros, soit le montant qui permettrait de relever les retraites de tous les Français du mois d’avril au mois d’octobre. Adoptez cet amendement et vous aurez enfin une solution efficace.
Avis défavorable. Je remercie M. Vigier de continuer, avec une grande constance, à explorer des pistes de financement qui pourraient, en l’occurrence, être renvoyées au débat sur le financement de la protection sociale que nous aurons vraisemblablement l’an prochain.
Avis défavorable.
Tous ceux qui nous regardent, sur quelques médias que ce soit, constateront qu’une majorité politique s’est dégagée hier pour trouver une solution à un réel problème – celui de la revalorisation des retraites. La proposition que je vous fais ne vient pas d’une initiative personnelle, mais d’une recommandation de la Cour des comptes. Les élus du groupe GDR ont d’ailleurs fait référence sur le même sujet à deux études publiées par la DARES. Comment pouvez-vous dès lors, monsieur le rapporteur, toujours nous renvoyer à tel article ultérieur du texte ou à tel projet de loi à venir ? Ce n’est pas sérieux. Nous vivons un moment grave : les retraites concernent tous nos concitoyens et sont au coeur de la solidarité nationale. Nous vous faisons là une proposition sans risque financier à laquelle il est impossible de s’opposer. Cessez de faire la poupée qui dit « non, non, non » et soyez donc plus attentifs !
Murmures sur les bancs du groupe SRC.
M. Vigier a raison : nous avons cette discussion depuis un certain temps et toute proposition est systématiquement rejetée. Or, la sienne mérite votre attention car elle porte sur trois domaines au moins : l’emploi des jeunes, l’emploi des seniors, la compétitivité des TPE et PME. En continuant de répondre comme il le fait, à coups d’avis défavorables non motivés, le Gouvernement apporte la preuve qu’il néglige ces trois sujets, qui sont pourtant stratégiques.
Vous m’obligez donc à continuer de faire la poupée qui dit non, même si la métaphore est étrange, pour dire le moins. Au fond, vous prétendez que ce projet de loi sur les retraites doit être l’occasion de revisiter l’ensemble de la protection sociale et de son financement. Le présent texte est assorti d’un financement dont chaque modalité a été soigneusement pesée au trébuchet au fil de la concertation avec les partenaires sociaux. Il a une logique fondée sur l’allongement de la durée de cotisation, ainsi qu’un article 4 dont j’espère qu’il reviendra en discussion. En tout état de cause, ne nous demandez pas de changer de mode de financement, chacun y allant de sa propre idée avec pour ambition de régler tous les problèmes.
Ce projet a une cohérence et ne doit pas dépasser le cadre des objectifs qui lui sont fixés. Voilà pourquoi la commission a émis un avis défavorable à cet amendement.
Polnareff, monsieur Vigier, c’est bien joli, mais faites tout de même attention aux références que vous utilisez : on n’ira pas tous au paradis, vous compris…
Sourires.
Vous nous dites, monsieur le rapporteur, que le présent texte est entièrement financé – il ne l’est pas, mais passons – et que l’on ne saurait revenir sur le dispositif de financement proposé par le Gouvernement. Dans le même temps, vos collègues socialistes ont, lors de l’examen du projet de loi de finances en commission des finances, modifié substantiellement les dispositions relatives aux taux de TVA. C’est heureux : le Parlement n’est pas là, en effet, pour valider des textes ficelés, mais pour peser sur le débat. Or, un équilibre budgétaire peut toujours être modifié. De surcroît, tous les amendements présentés ont été passés au filtre de l’article 40 et, qui plus est, certains génèrent des recettes supplémentaires !
Nous vous offrons la possibilité d’améliorer l’architecture financière de votre texte. Pourquoi ce qui se fait avec le projet de loi de finances ne pourrait-il pas aussi se faire avec le projet de loi sur les retraites ?
L’amendement no 2856 n’est pas adopté.
La parole est à M. Bruno Nestor Azerot, pour soutenir l’amendement no 582 .
Cet amendement a pour objet de porter de 4,5 à 12 % le taux du prélèvement social sur les revenus de capitaux mobiliers et les plus-values, gains ou profits, en particulier ceux réalisés sur les marchés financiers.
Les réformes successives de notre système de retraites adoptées depuis 1993 ont toutes eu pour effet la réduction des droits des retraités et des futurs salariés, la baisse du niveau des pensions et le creusement des inégalités entre les femmes et les hommes ainsi qu’entre les différentes catégories de travailleurs. Cet amendement contribuera à inverser cette tendance régressive et anti-sociale, et à assurer de manière pérenne et solidaire le financement de notre système de retraites par les cotisations sociales.
Vous balayez d’un trait de plume notre volonté de taxer les plus riches, et vous fuyez cette question pourtant centrale en matière de financement de nos retraites. Avec la crise, les Français se sont rendu compte que l’État était capable de mobiliser des millions d’euros pour venir en aide aux plus fortunés, comme les banques. Quand il s’agit des retraites, vous voulez nous faire oublier que ces mêmes entreprises ont des moyens suffisants pour les financer. Pourquoi vouloir mettre les revenus des capitaux mobiliers et les plus-values, gains ou profits, en particulier ceux réalisés sur les marchés financiers, à l’abri de toutes taxation sociale ?
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 590 .
Comme nous l’avons déjà indiqué, trois statistiques illustrent l’impossible mariage entre le capitalisme financier et notre système de protection sociale par répartition. Entre 1993 et 2009, le volume des cotisations sociales a augmenté de 19 %, tandis que le PIB, notamment en raison des gains de productivité, augmentait de 33 %, et alors que les revenus financiers des entreprises et des banques progressaient de 143 % !
En outre, la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises est désormais près de deux fois supérieure – 29 % contre 15 % – à celle de leurs cotisations sociales. Il devient donc de plus en plus difficile pour les entreprises et pour le secteur financier de concilier le maintien d’un taux d’emploi élevé, leur contribution au financement de la protection sociale et les revenus qu’ils doivent servir au capital en les détournant ainsi de l’investissement productif.
Les politiques de droite ou de gauche qui se succèdent depuis de trop nombreuses années ne suscitent que bas salaires et chômage à l’autre bout de la chaîne. On sait pourtant qu’une diminution d’un million du nombre de chômeurs rapporte 5 milliards d’euros supplémentaires dans les caisses de la Sécurité sociale. C’est considérable !
Par cet amendement, nous vous faisons donc des propositions concrètes et cohérentes pour développer l’emploi plutôt que favoriser la spéculation boursière et les revenus du capital. C’est ce que le Peuple – que nous écrivons avec un P maujuscule – attend de nous !
« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
L’alignement des taux de cotisation des régimes spéciaux sur les taux qui s’appliquent aux salariés du privé ne sera atteint qu’en 2014, conformément à la loi Bertrand de 2008. Alors que les régimes spéciaux font l’objet d’une subvention d’équilibre toujours plus importante, il est normal que les assurés de ces régimes fassent un effort supplémentaire, par mesure d’équité, afin de s’aligner sur les taux de cotisation du privé, au moins au même rythme que les fonctionnaires. Tel est le sens de cet amendement.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 2872 .
M. le rapporteur nous dira peut-être des régimes spéciaux qu’il ne convient pas de les aborder avant le dernier article, qui n’en est d’ailleurs pas un. Je vous concède qu’il n’est pas simple de s’attaquer aux régimes spéciaux. À cet égard, je vous rappelle en toute objectivité la remarque formulée par la Cour des comptes lors de la réforme des régimes spéciaux en 2008 : l’importance des mesures compensatoires qu’il avait fallu accorder à l’époque conduirait à anticiper un bilan global négatif pour la décennie en cours, mais positif pour les vingt ans à venir.
Cette réforme est difficile, mais l’on sait qu’à terme, grâce à une mise en extinction progressive, le solde se révèle positif.
Mais, au-delà de tout cela, c’est le COR, dont nous avons beaucoup parlé depuis quelques jours, qui indique que les professions libérales partent en à presque soixante-quatre ans en moyenne, contre cinquante-quatre ans à la RATP. C’est cette différence de dix années entre le départ des uns et celui des autres qui est ressenti comme une injustice.
Est également ressenti comme une injustice le niveau moyen de pension : 2 366 euros pour les entreprises électriques et gazières, contre 1 236 euros dans le privé. Si encore nous pouvions en rester là… Mais nous n’en restons pas là, mes chers collègues ! En plus, il manque 7 milliards d’euros ! Et donc, comme on ne touche à rien, il faut aller chercher dans le budget général 7 milliards d’euros pour équilibrer ces régimes spéciaux.
C’est la triple peine. Non seulement les gens partent plus tôt, ils ont un niveau de retraite très largement supérieur, mais de surcroît, il est structurellement déficitaire, raison pour laquelle on va chercher les milliards manquants dans le budget général.
C’est pourquoi cet amendement prévoit la mise en extinction, non pas brutale, mais progressive, étalée dans le temps, des régimes spéciaux.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 2961 .
Je ne reviendrai pas sur les arguments excellemment développés par mon collègue Vigier, auxquels, s’il me le permet, je m’associe.
Je rebondirai simplement sur le débat que nous avons eus ce matin sur des sujets proches telle que la question des disparités entre les retraites des salariés du secteur privé et ceux du secteur public.
En l’occurrence, le sujet dont nous débattons provoque un fort sentiment d’incompréhension et d’injustice de la part de nombre de nos concitoyens. Même si le rapporteur n’a pas souhaité répondre aux amendements de M. Tian qui demandait en quoi des durées de cotisations moins longues pouvaient se justifier et pourquoi on maintenait dans les catégories dites « actives » des gens qui n’avaient pas forcément vocation à y être.
Bref, ces différences de statut n’expliquent pas, ne justifient pas de telles différences de niveaux de retraite. Je ne préjuge pas des mérites de ceux qui bénéficient des régimes spéciaux, car les gens qui sont salariés dans les entreprises dont il s’agit travaillent ; ils ont une activité, et donc, ils méritent d’avoir une retraite. La question n’est pas là. La question, c’est celle de la disparité des modalités et du sort des différents salariés qui est posée dans cet amendement.
Nous souhaitons faire en sorte que la convergence entre l’ensemble des régimes salariés et les régimes spéciaux soit davantage assurée que ce que vous proposez, madame la ministre, monsieur le rapporteur.
Défavorable.
Je répéterai ce que j’ai dit ce matin. Le calendrier d’alignement des taux de cotisations est celui que la majorité de l’époque a décidé à travers la réforme de 2008. C’est cette réforme qui a prévu l’alignement progressif. Si vous aviez l’intention de faire mieux en 2008 et d’aller plus vite, il fallait ne pas vous en priver ! Vous aviez tous les moyens de le faire !
Je vous rappelle, cela dit, que ces régimes sont en train de converger fortement aujourd’hui. La durée de cotisation est la même que pour le régime général des fonctionnaires, tout comme la décote et, à terme, le taux de cotisation. Il y a donc une convergence, un alignement que vous appelez de vos voeux. Vous l’avez prévu, dont acte, en 2008, et nous ne faisons que respecter le calendrier d’origine.
Défavorable.
Je voudrais revenir sur les propos de M. le rapporteur. Il parle toujours de 2008 et, sous prétexte que la majorité de l’époque a pris des dispositions en 2008, il refuse de revenir dessus.
Pourtant, vous n’avez pas toujours agi de la sorte. Prenons la défiscalisation des heures supplémentaires qui était un superbe mécanisme, qui a profité à beaucoup de salariés : vous avez osé revenir dessus ! Cela a concerné 9 millions de salariés…
Votre argumentation, monsieur le rapporteur, est tout à fait fallacieuse. Je rappellerai, pour ma part, trois points.
Aujourd’hui, vous vous attaquez aux retraités. Le PLFSS 2013 a mis en place une taxe de 0,30 % à leur charge dès le mois d’avril dernier. A nouveau, grâce à nous, grâce à notre persévérance, cette nuit, nous avons pu faire obstacle à ce que vous vouliez faire, c’est-à-dire l’absence de revalorisation des retraites au 1er avril prochain.
Vous vous attaquez également aux familles. Les effets du quotient familial étaient plafonnés à 2 336 euros en 2011, à 2000 euros en 2012, et vous proposez d’abaisser encore le plafond à 1 500 euros. J’espère que, grâce à des amendements portés par des députés UMP, nous pourrons annuler cette mesure et protéger les familles.
Quant aux actifs, vous les mettez à contribution avec votre projet de loi de finances, du fait des nouvelles cotisations salariales et patronales : 0,15 % la première année, puis 0,05 % chaque année pendant trois ans, soit, au total, 0,30 %. Vous prenez dans la poche de tous les acteurs et vous refusez de modifier des mécanismes qui, aujourd’hui, ne se justifient plus.
Votre argument selon lequel vous ne voulez pas revenir sur des dispositifs de 2008 n’est donc pas recevable.
« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
L’amendement no 135 n’est pas adopté.
La parole est à M. Patrick Hetzel, pour soutenir l’amendement no 3036 .
Les gouvernements précédents ont permis, par leurs réformes, de faire converger les régimes, dans un souci de justice et d’égalité répondant au principe « à carrière égale, retraite égale ».
Au nom de la justice et de l’équité véritables, il est nécessaire non seulement d’accélérer la convergence des régimes vers le régime général, mais aussi de mettre fin aux régimes spéciaux et à ceux des catégories dites actives pour les nouveaux entrants dans les fonctions publiques à compter du 1er janvier 2014.
L’existence même de ces régimes est un anachronisme incohérent avec la volonté affichée du Gouvernement d’instaurer la justice dans notre système de retraite. Le Gouvernement parle de justice, mais, dans ses actes et dans les textes qu’il nous propose, il en est extrêmement loin.
L’amendement que nous portons vise précisément à défendre une véritable équité entre tous nos concitoyens.
Défavorable.
Quelle belle envolée, monsieur Hetzel ! Pourquoi n’avez-vous pas eu autant d’enthousiasme, vous ou vos collègues, en 2010, pour défendre ce projet ? Vous avez eu dix ans pour le faire !
« Nous n’étions pas là ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP.
En 2003 comme en 2010, on ne vous a pas entendus, ni vous ni vos collègues ! Voilà pourquoi je m’étonne de ce bel enthousiasme, de ce bel élan pour faire ce que vous n’avez pas fait quand vous étiez aux affaires !
Défavorable.
Nous nous permettons d’insister sur la nécessité de faire converger les régimes.
Plutôt que de justice, parlons d’équité. Ce matin, l’une de nos collègues évoquait Pôle Emploi. Il y a une énorme différence entre les salariés du privé et ceux du secteur public ou ceux qui bénéficient aujourd’hui des régimes spéciaux : c’est la sécurité de l’emploi. Imaginez quelqu’un qui entame aujourd’hui une carrière dans le privé. Sa carrière risque d’être davantage hachée. Dans le public, elle est plus linéaire. Ce n’est pas opposer les gens que de le dire, c’est rappeler des faits dont il faut tenir compte.
Avouez que si tant de personnes souhaitent aujourd’hui travailler dans la fonction publique, c’est bien parce qu’il y a cette sécurité. En période de crise comme celle que nous vivons aujourd’hui, avec ses risques de délocalisation, imaginez-vous ces jeunes qui préfèrent, plutôt que travailler dans l’industrie, travailler dans la fonction publique…
Ce sont des éléments dont il faut tenir compte. Et si vous mettez en place un comité de suivi comme vous l’avez évoqué hier, ce sont des choses qu’il devra mesurer. C’est extrêmement important.
Nous insistons sur la nécessité de la convergence et je trouve que la proposition de mon collègue Hetzel tient la route. C’est maintenant qu’il faut commencer. Si le progrès est de votre côté, comme vous n’avez cessé de le dire, prouvez-le et commençons maintenant ! Ce que les gens refusent, c’est que la règle du jeu change en cours de route.
Si l’on dit dès maintenant aux jeunes qui vont travailler dans la fonction publique, qu’elle soit territoriale, d’État ou hospitalière, que la règle du jeu sera celle-là et qu’elle sera équitable vis-à-vis, par exemple, de leurs camarades de lycée, les choses seront claires. Mais il faut commencer maintenant. C’est l’avenir de notre pays qui est en jeu !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Pas du tout, et ce pour une raison simple. Depuis un an, c’est vous qui avez aggravé la situation de ce pays.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Comparons la situation de 2010 à celle d’aujourd’hui : si, aujourd’hui, il y a moins de recettes pour les régimes de retraite, c’est parce que vous avez aggravé la situation économique. Par conséquent, nous nous retrouvons dans une situation où il faut prendre des mesures qu’il n’y avait peut-être pas lieu de prendre en 2010 !
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP. –Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Quel argument nous opposez-vous lorsque vous nous reprochez de ne pas avoir agi ? Encore une fois, il y a des choses que nous n’avons pas faites et que vous ne semblez pas vouloir faire aujourd’hui : très bien ! Mais si nous défendons ces amendements aujourd’hui, c’est parce que la situation du pays est grave et qu’elle justifie de telles mesures.
Je n’ai entendu dans votre bouche pas le moindre argument de fond permettant d’aller contre cet amendement.
En réalité, le débat parlementaire ne devrait pas porter simplement sur des éléments de surface, mais sur une argumentation de fond, qui vous donnerait le moyens de dire que tel ou tel amendement n’a pas de sens pour telle ou telle raison. Mais ce n’est pas ce que vous faites. Votre approche est purement politicienne,
Exclamations sur les bancs du groupe SRC
alors qu’aujourd’hui les Français attendent autre chose du débat sur les retraites.
L’amendement no 3036 n’est pas adopté.
Il s’agit d’un amendement de repli, les précédents n’ayant pas été adoptés.
Alors qu’actuellement l’État subventionne lui-même annuellement les pensions de ses agents à hauteur de ses besoins, la création d’une caisse de retraite spécifique pour la fonction publique d’État permettra une meilleure lisibilité et une meilleure anticipation des besoins de financement.
Le projet de loi se concentre sur les 7 milliards d’euros qui manqueront dans les caisses de la CNAV à l’horizon 2020 – cela a été rappelé depuis le début de nos débats. Mais il passe sous silence la dizaine de milliards d’euros manquant au versement des pensions de ses propres agents. Il n’est pas normal que ces pensions soient entourées d’une telle opacité budgétaire et ne puissent faire l’objet d’une véritable gouvernance.
Pour mémoire, je rappelle que les autres fonctions publiques disposent déjà d’un tel dispositif.
À l’heure actuelle, la fonction publique d’État ne dispose pas de caisse de retraite.
Les retraites du privé sont assurées par l’argent versé et conservé dans des caisses de retraite, ce qui participe d’ailleurs à la bonne marche de l’économie. Il était intéressant d’entendre cet argument, y compris du côté du groupe GDR.
Ces caisses sont généralement solvables, et celles qui accusent des déficits ne le doivent qu’au déséquilibre démographique entre cotisants et retraités. Pendant des décennies, les caisses recevaient plus de cotisations qu’elles ne versaient de pensions et faisaient donc fructifier les cotisations en excédents perçus. Ce système de retraite est donc largement pertinent : l’argent qui le finance a été déposé quelque part.
Dans le système du secteur public, les crédits nécessaires sont votés chaque année – d’où cette jolie expression de « case pensions » dans la loi de finances. Les crédits sont inscrits aux budgets des ministères. La pension est liquidée par le ministre du budget et le paiement est assuré directement par le Trésor public.
Aujourd’hui, les retraites du secteur public entraînent un accroissement du déficit budgétaire de l’État. En conséquence, dans un souci de meilleure gestion et de sincérité budgétaire, il faut créer une caisse de retraite pour la fonction publique d’État. Ce serait nous engager dans la voie de la transparence et d’une saine gestion des deniers publics.
Défavorable.
Nous sommes ravis d’apprendre, monsieur Hetzel, qu’en 2010, tout allait bien dans le meilleur des mondes et que la situation était parfaite…
C’est bien ce qu’il nous a dit. C’est la raison pour laquelle vous n’avez pas cru devoir prendre, à l’époque, les mesures nécessaires.
La justice semble être votre obsession, messieurs Vigier et Hetzel. Dès lors, au lieu de vous en prendre depuis ce matin et depuis quelque temps déjà aux régimes spéciaux et au régime des fonctionnaires en général, mettez la même ardeur et le même enthousiasme à défendre les mesures de justice dont nous allons discuter à partir de l’article 5 !
J’espère que vous serez aussi proactifs au sujet de l’égalité femmes-hommes et de la pénibilité. Nous verrons bien si vous mettez la même ardeur à défendre les mesures proposées. J’espère vous voir manifester le même enthousiasme.
Défavorable.
Ces amendements proposaient de créer une caisse de retraites pour la fonction publique d’État. Si je ne m’abuse, les fonctionnaires ont aujourd’hui la possibilité de cotiser à une caisse de retraite complémentaire, qui s’appelle « Préfon ». Ce n’est pas de la retraite par capitalisation, ça ?
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Nous appelons de nos voeux une réforme juste, fondée sur l’égalité. Les membres du Gouvernement ne cessent de scander « Égalité ! Égalité ! », mais il s’agit d’un véritable double langage. Le décalage entre le verbe et la réalité de la politique menée provoque un climat d’exaspération chez nos compatriotes. Mener une véritable réforme structurelle pour les retraites, et non une réformette comme celle qui est proposée, suppose de tendre à une harmonisation du régime général et des régimes spéciaux, ce que vous ne faites pas, madame le ministre.
Cet amendement a pour objectif d’assujettir les fonctionnaires recrutés à partir de 2015 aux règles de constitution et de liquidation en vigueur pour le régime général afin de consolider le pacte social qui unit tous les Français.
Défavorable.
C’est une occasion manquée ! Vous continuez à opposer les Français les uns aux autres !
Je souhaite revenir quelques instants sur ce qu’a dit M. le rapporteur tout à l’heure. Il semble penser que nous nourrissons des griefs à l’encontre des fonctionnaires. Que les choses soient claires, nous sommes un certain nombre de fonctionnaires de ce côté-ci de l’hémicycle aussi et, surtout, l’enjeu ne consiste pas à monter les uns contre les autres, comme vous semblez vouloir le faire.
Ce que nous défendons et ce qu’attendent nos concitoyens, c’est une convergence mettant un terme aux régimes spéciaux et spécifiques, condition de la justice et de l’équité. Mais, comme toujours, à peine abordons-nous la question de la convergence, condition de l’équité, que vous essayez, chers collègues de la majorité, de dresser les uns contre les autres. En réalité, c’est bien vous qui, avec de tels arguments, privilégiez une approche susceptible d’accentuer potentiellement les différences là où nous argumentons au contraire en faveur de la convergence et d’une véritable équité.
Vous faites état, chers collègues de la majorité, d’une forte hostilité de notre part à l’encontre des fonctionnaires. Il n’en est rien. Je reviens une nouvelle fois au rapport de Mme Yannick Moreau, demandé par le Président de la République, dont il me semble important de relire certains passages. Mme Moreau fait état de la « diversité des règles des régimes et la complexité du système », qui « restent encore grandes », qui « rendent difficile le pilotage » et qui, écoutez bien, « alimentent un soupçon d’inégalités ».
Nos concitoyens nourrissent justement un tel soupçon, et il est du devoir du Parlement d’y mettre fin.
Mme Moreau évoque ensuite trois disparités, même s’il y en a d’autres. La première, c’est le classement de certains emplois en catégorie « active », qui permet à certains agents publics ayant effectué dix-sept années de service de partir dans des conditions particulières. Nous vous avons proposé ce matin des amendements visant à mettre fin aux disparités relatives à cette catégorie de personnes. La deuxième situation particulière est celle des militaires. Nous vous avons également proposé des amendements ce matin pour y mettre fin. Enfin, les régimes spéciaux permettent à certaines catégories de personnels de partir à cinquante-deux ou cinquante-sept ans. Ce sont Mme Yannick Moreau et les membres de la commission qu’elle préside qui ont fait état de ces situations et mis le doigt dessus, et non pas uniquement les députés de l’opposition !
L’amendement no 133 n’est pas adopté.
Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 2505 à 2519 . La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 2517 .
La réforme Balladur de 1993 a marqué un tournant malheureusement décisif dans la dégradation du droit à la retraite après l’indexation en 1987 des retraites sur l’indice des prix, qui évolue moins rapidement que celui des salaires. Une telle modification de l’indexation, l’allongement de trente-sept ans et demi à quarante ans de la durée de cotisation pour une retraite à taux plein et, surtout, le calcul de la pension sur les vingt-cinq meilleures années au lieu des dix meilleures précédemment, ont objectivement contribué à faire chuter considérablement le niveau des pensions versées. Les femmes et les salariés ayant connu des périodes de précarité ont été les premiers pénalisés par de telles mesures. Aujourd’hui encore, elles sont particulièrement pénalisantes pour le pouvoir d’achat des retraités, en particulier les plus modestes. En effet, en un an, l’indice des prix évoluait de 0,8 % alors que la hausse du salaire augmentait d’environ 1,9 %.
Ainsi, après vingt ans de retraite, le pouvoir d’achat des pensions décroche de 26 % par rapport à celui des salaires. Un tel mécanisme, dont même l’OCDE n’a pas manqué de s’inquiéter, fait passer un nombre croissant de retraités sous le seuil de pauvreté. Ils sont près de 10 % aujourd’hui contre 4,7 % en 1997. On ne compte plus les retraités pauvres outre-mer, où la loi a aggravé la précarité et la vulnérabilité des hommes et des femmes au terme de toute une vie de travail. M. le rapporteur rappelait à juste titre en commission des affaires sociales le 1er octobre que, comme le montre le rapport du conseil d’orientation des retraites, l’indexation sur les prix a coûté cher aux retraités, dont les pensions ont fortement diminué ces dix dernières années. Cet amendement demande donc un rapport évaluant l’impact de la revalorisation des pensions sur l’évolution des salaires et donc du pouvoir d’achat des retraités. Même si le projet de loi se borne à garantir le maintien du niveau de vie des retraités, nous souhaitons néanmoins mesurer concrètement et précisément les conséquences d’une telle hypothèse.
L’amendement no 2517 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Trois orateurs sont inscrits sur l’article 4 bis. La parole est à M. Denis Jacquat.
L’article 4 bis est en fait un amendement de M. le rapporteur devenu article, qui aligne la revalorisation de la retraite des marins sur celle du régime général. Il s’agit en fait d’une régularisation avec laquelle nous sommes tout à fait d’accord. J’en profite pour noter avec satisfaction que beaucoup de nos collègues se réfèrent au COR et le citent en bien depuis ce matin. Je crains que la création d’un comité de pilotage ne dénature le COR. Lorsque nous nous reverrons pour la prochaine réforme des retraites, une vraie celle-là, après les élections à venir, j’espère que l’on citera le COR autant qu’on l’a cité ce matin et surtout qu’il n’aura pas été dénaturé par le comité de pilotage
L’article 4 bis est un article sectoriel, mais néanmoins important pour la profession des marins. Il découle d’un amendement adopté par la commission à l’initiative de M. le rapporteur, qui en parlera peut-être de façon plus détaillée. L’objectif est de découpler la revalorisation des pensions des marins de celle du salaire forfaitaire sur la base duquel elle est calculée. Il s’agit tout simplement d’aligner la revalorisation des pensions des marins sur celle du régime général
Je prends la parole à cet instant pour me livrer à une exégèse de tout ce qui a été dit à propos de l’article 4 au cours des heures qui précèdent.
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
La conclusion de tout cela, c’est qu’il ne faut pas toucher au montant des retraites, car il s’agit d’un pacte sacré entre générations dont la trahison constituerait un symbole puissant. Chacun doit être certain, lorsqu’il cotise pour assurer la retraite de ses aînés, qu’il recevra à son tour, le moment venu, ce qui lui a été promis, ni plus ni moins
Graver dans le marbre un tel principe, c’est rendre indestructible la confiance entre générations sans laquelle rien n’est possible. Cette nuit, une majorité de députés, comprenant les communistes, les Verts, les radicaux, l’UDI, l’UMP et 17 % des députés socialistes, a fait comprendre au Gouvernement que s’en prendre aux retraites, c’est bouleverser un pacte respecté par tous depuis que les régimes de retraites existent, rompre la confiance entre générations et faire courir un risque mortel au régime par répartition.
Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 2099 à 2113 . La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 2111 .
Les pensions versées par le régime de sécurité sociale des marins sont calculées sur la base des salaires forfaitaires et évoluent depuis 1992 comme les pensions du régime général et des régimes alignés en fonction de l’évolution prévisionnelle des prix à la consommation hors tabac. Or l’indexation des pensions sur le salaire moyen et non pas sur l’évolution des prix permettrait un gain de pouvoir d’achat concret pour les retraités de la marine en raison de la progression plus rapide du salaire moyen : 1,9 % par an contre 0,8 % pour l’indexation des prix.
Le rapport du Conseil d’orientation des retraites précise que l’indexation sur les prix a coûté cher aux retraités, dont les pensions ont fortement diminué au cours des dix dernières années, comme l’a d’ailleurs rappelé M. le rapporteur en commission. Cet amendement propose donc la suppression de l’article 4 bis, qui ne comporte aucune avancée en faveur du pouvoir d’achat des retraités de la marine.
L’amendement no 2111 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
L’article 4 bis est adopté.
Plusieurs orateurs sont inscrits sur l’article 5. La parole est à Mme Isabelle Le Callennec.
Nous y voilà ! Le titre II du projet de loi et la dizaine d’articles qu’il comporte prétendent mieux prendre en compte la pénibilité au travail. Vous reconnaissez donc, chers collègues de la majorité, qu’elle l’est déjà !
Mais comme il vous est trop pénible de l’avouer, vous répétez à l’envi, exercice dont certains d’entre vous sont spécialistes, que la pénibilité au travail n’est pas notre préoccupation.
C’est faux, c’est tout simplement un mensonge, tout comme de dire que nous n’avons pas d’égards pour les fonctionnaires. Ce sont bien des gouvernements de la droite et du centre qui ont introduit dans les lois passées les facteurs de risque et de pénibilité.
Ce sont bien les élus que nous sommes qui nous soucions d’améliorer les conditions de travail dans les entreprises de nos circonscriptions.
Ces facteurs, quels sont-ils ? Ils sont au nombre de dix : les manutentions de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques, les agents chimiques dangereux, les activités exercées en milieu hyperbare, les températures extrêmes, le bruit, le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes et le travail répétitif.
Aujourd’hui, la pénibilité est donc déjà prise en compte pour une retraite anticipée, et déjà retenue dans le cadre de la politique de prévention de la pénibilité au travail à la charge des entreprises – celles qui emploient au moins cinquante salariés sont d’ailleurs tenues de mettre en place un plan de prévention de la pénibilité.
Faut-il aller plus loin ? (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC.) Bien sûr ! Puisque les Français vont devoir travailler plus longtemps, il faut leur offrir les meilleures conditions de travail possible dès le premier jour de leur insertion professionnelle. Et puisque certains métiers peinent à trouver des salariés, il faut assurément développer la prévention – mais, sur ce sujet essentiel, vous êtes décidément bien silencieux.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Avec l’article 5, nous en arrivons à ce qui est affiché comme la contrepartie de ce texte régressif, ce que M. le rapporteur a présenté en commission comme la « véritable avancée de ce texte ». Le mérite des dispositions relatives à la pénibilité est de placer enfin ce sujet au coeur du débat public, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Je ne m’attarderai pas trop longuement sur cet article, qui précise les modalités de prise en compte de la pénibilité en s’appuyant sur les fiches de prévention des expositions, et me bornerai à rappeler la portée de l’enjeu et l’ampleur des dégâts engendrés par les travaux pénibles en France. Les écarts d’espérance de vie dus à la pénibilité dans notre pays sont de quatre à sept ans, selon le sexe et la catégorie socio-professionnelle. Un critère plus pertinent, et très révélateur, est celui de l’espérance de vie « sans incapacité » – manière polie de dire « en bonne santé ».
En Europe, la France n’occupe que le onzième rang pour les hommes, avec une espérance de vie en bonne santé qui n’a malheureusement cessé de baisser depuis 2008 pour s’établir aujourd’hui à 61,9 ans. En supposant qu’un salarié ait réuni toutes les conditions pour bénéficier de la remise de deux ans prévue par ce texte – ce qui restera exceptionnel compte tenu de l’allongement de l’espérance de vie –, cela laissera aux hommes moins de deux ans d’espérance de vie en bonne santé. Est-ce là un bon modèle de société ? Pour les femmes, la situation est comparable. Les Françaises ont l’espérance de vie la plus longue en Europe, mais seulement la dixième espérance de vie en bonne santé.
Avec l’examen des articles 5 à 10, nous abordons la question de la prise en compte de la pénibilité au travail, ce qui constitue un moment historique dans notre hémicycle.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Ces articles constituent une avancée et un progrès social sans précédent, en particulier en faveur des ouvriers. Ils répondent à une injustice, une inégalité sociale majeure, celle de l’inégalité de l’espérance de vie du fait des conditions de travail pénibles. Je rappelle qu’à l’âge de 35 ans un cadre dispose d’une espérance de vie supérieure de 6,8 années à celle d’un ouvrier. Pour ce qui est de l’espérance de vie en bonne santé à 50 ans, elle est plus longue de neuf années pour le cadre par rapport à l’ouvrier – ce qui n’est guère étonnant, quand on sait que les ouvriers sont, en moyenne, quatre fois plus exposés que les cadres à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels.
À la question de savoir s’il est juste d’accorder des avantages spéciaux, des droits nouveaux aux travailleurs exposés à des conditions de travail pénibles, ce qui se justifie par le fait qu’ils bénéficient d’une période de retraite moins longue que d’autres, ou qu’ils en bénéficient dans un état de santé plus dégradé, nous répondons par l’affirmative.
Prendre en compte de la pénibilité au travail, la droite en a parlé, la gauche va le faire !
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
La pénibilité au travail va se concrétiser, dans ces articles, par un dispositif, complet – de ce point de vue, nous assurons notre différence de philosophie avec l’opposition –, comportant des mesures de prévention des risques professionnels, de formation et de reconversion, et une grande nouveauté : un dispositif de compensation, de réparation, basé sur des mécanismes de temps partiel et de départ anticipé. La droite en a parlé à l’article 12 de la loi de 2003 – c’était un amendement de Xavier Bertrand – en prévoyant l’ouverture de négociations interprofessionnelles, qui n’ont pas débouché avant 2008. Les partenaires sociaux se sont alors mis d’accord sur une définition de la pénibilité et de ses critères, mais pas sur un dispositif permettant d’y remédier. La loi de 2010 a, quant à elle, mis en place un dispositif dévoyé (Exclamations sur les bancs du groupe UMP),…
…limité et médicalisé, qui n’a finalement concerné que 6 530 salariés. Le grand changement, c’est que nous allons mettre en place, en plus du volet de prévention, un volet de compensation dont bénéficieront 100 000 salariés par an, et 300 000 à la fin de la montée en charge.
C’est là un changement majeur, un considérable progrès social pour les salariés de ce pays.
Mon intervention comprendra quatre points : un constat, deux interrogations et une appréciation. Le constat, c’est celui figurant dans l’étude d’impact du projet de loi, qui indique que la prise en compte de la pénibilité concernera 3,3 millions de salariés. Nous estimons que ce chiffre est très largement sous-estimé : ni la chimie, ni l’industrie sidérurgique ou automobile ne sont prises en compte. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.)
Par ailleurs, les salariés usés par les travaux pénibles cessent leur carrière professionnelle entre 50 et 55 ans. Nous sommes très préoccupés par leur situation, et nous nous demandons quelle formation va leur permettre de trouver un emploi, quand on connaît la difficulté d’en trouver un à cet âge. Notre deuxième interrogation est suscitée par les travaux de l’INRS, l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui s’est penché sur le travail de nuit ou en horaires atypiques – sans doute y a-t-il au sein de notre assemblée un certain nombre d’enfants d’ouvriers, qui savent ce que signifie faire les trois huit…
Plusieurs études ont montré que travailler la nuit ou faire les trois huit avait une grande incidence sur l’apparition de troubles digestifs, voire de cancers, de troubles dépressifs et de maladies cardio-vasculaires. Dans quelle mesure le travail de nuit et en trois huit est-il pris en compte dans la notion de pénibilité ?
J’en viens, enfin, à l’appréciation. Si nous saluons, certes, la prise en compte de la pénibilité selon des critères collectifs et définis par les partenaires sociaux, nous regrettons la portée limitée pour les millions de travailleurs exposés. Je veux citer un chiffre pour résumer ces limites : alors que l’écart de l’espérance de vie entre les salariés exposés et les autres est de quatre à sept ans, le compte pénibilité prévu par le texte de loi ne permettra, au mieux, que de partir deux ans avant l’âge légal. Or, si cela peut apparaître comme une amélioration à première vue, il ne faut pas oublier que la loi prévoit de faire partir les salariés avec trois ans d’activité supplémentaires : au bout du compte, il n’y aura donc pas un gain de deux ans, mais une perte d’une année ! Encore faudra-t-il, pour ces salariés, avoir atteint 43 années de cotisation à 62 ans, ce qui relève d’une véritable gageure. Vous ne serez donc pas étonnés qu’en tant qu’ancien professeur, je délivre cette appréciation : « Peut mieux faire ».
Le titre du projet de loi résume parfaitement son intention et son objectif essentiel – qu’à mon sens, nous partageons tous –, à savoir mieux traiter la pénibilité, qui touche essentiellement et très durement les ouvriers, comme vient de le rappeler Régis Juanico.
Rendre le système plus juste et mieux prendre en compte la pénibilité pourrait être un sujet transpartisan. En matière de pénibilité, le parcours législatif commence dès 1975 ; il connaît une étape essentielle en 2003, et une autre étape en 2010. À cela, on peut ajouter plusieurs rapports, en particulier celui rendu par une mission d’information sur la pénibilité au travail présidée par Jean-Frédéric Poisson, dont faisait partie Régis Juanico – certes, les conclusions auxquelles il parvenait étaient un peu différentes des principes sur lesquels est fondée la présente loi, mais ce rapport n’en était pas moins d’excellente qualité. Je regrette un peu que Mme Le Callennec ait décidé, d’entrée de jeu, de cliver le débat par certains de ses propos, mais cela n’a rien d’étonnant si l’on se réfère aux discussions que nous avons eues en commission.
L’article 5 introduit la notion de pénibilité et précise les modalités d’établissement des fiches d’exposition, prévues par la loi de 2010, puis par un décret publié en 2012. Je ne répéterai pas l’ensemble des facteurs de risques que mes collègues ont déjà exposés. En revanche, je veux insister sur deux précisions importantes figurant à l’article 5 : d’une part, les modalités selon lesquelles les dispositions relatives à la pénibilité doivent être mises en oeuvre par les entreprises de travail temporaire ; d’autre part, le principe d’un bilan annuel des mesures prises dans chaque entreprise sur les fiches d’exposition et sur les mesures de prévention mises en oeuvre, remis au CHSCT quand il existe – le rapporteur et notre groupe avaient déposé le même amendement à ce sujet.
Je veux, pour ma part, faire deux remarques au sujet de l’article 5. Premièrement, cet article renvoie largement aux décrets, qui détermineront donc pour une bonne part la portée réelle des nouvelles modalités de prise en compte de la pénibilité. Pour que nos débats soient parfaitement éclairés, il serait intéressant de connaître les intentions du Gouvernement en la matière.
S’agissant d’autre part de la fiche de prévention de la pénibilité, prévue dans la loi de 2010, je veux souligner que la mise à l’écart des salariés du processus d’élaboration de cette fiche risque de rendre souvent le dispositif inopérant, puisque les salariés sont évidemment les mieux placés pour connaître la pénibilité de leur métier, donc pour la définir. Colas, filiale de Bouygues Construction, emploie 63 000 salariés pour intervenir sur 100 000 chantiers par an. Construire des routes et des trottoirs, cela signifie, pour les salariés concernés, travailler en respirant les fumées toxiques se dégageant de l’asphalte, poser des bordures de trottoir pesant 100 kilos, travailler la nuit ou sous la pluie. Combien de salariés sont aujourd’hui couverts par un dispositif de pénibilité ? Aucun, l’employeur considérant que cela ne fait pas partie de ses obligations. Demain, le texte lui enjoindra de le faire, ce qui constitue une avancée dont on ne peut que se féliciter. Cependant, si l’on veut que le dispositif soit totalement opérationnel, il faut évidemment donner aux salariés un véritable rôle dans l’élaboration des fiches de prévention.
L’article 5 constitue la première partie du titre II du projet de loi et, comme cela a été dit il y a quelques instants par Isabelle Le Callennec, cette partie du texte est intitulée : « Rendre le système plus juste ». La définition du mot « pénibilité », à laquelle nous nous sommes attaqués en 2010, est difficile, et implique une constante adaptation. À ce sujet, je me félicite de la présence parmi nous de M. Sapin car, à mon sens, la résolution du problème de la pénibilité entre dans les attributions aussi bien du ministre de la santé que du ministre du travail.
Comme notre collègue Le Callennec, je me suis félicité de l’intitulé du chapitre 1er, « Mieux prendre en compte la pénibilité au travail », qui sous-entend que la loi de 2010 avait commencé à prendre en compte la notion de pénibilité. Je rappelle, à ce propos, que les dispositifs pour carrières longues commencées entre 13 et 18 ans ont été votés par la majorité de l’époque, qui s’est battue pour que ces dispositifs soient mis en place – des dispositifs que la majorité actuelle a repris pour les carrières commencées entre 18 et 20 ans.
Nous avons débattu en commission des dispositifs prévus pour les personnes handicapées et avons convenu, notamment avec Mme Carrillon-Couvreur, qu’il fallait parvenir à des avancées en faveur de ces personnes, ainsi que pour celles atteintes d’incapacités ou d’inaptitudes – ces dernières relevant du domaine du travail plus que de celui de la santé. Comme c’est le cas dans bien des domaines, il suffisait de commencer à s’intéresser à ces questions pour ensuite les étudier les unes après les autres.
Quant à la fiche de prévention des expositions, des modifications vont être proposées dans le présent projet de loi, mais chacun conviendra que le mérite de sa création revient aux auteurs de la loi de 2010. En matière de pénibilité, nous devons avant tout parler de la question de la santé au travail, qui concerne aussi bien ceux qui travaillent déjà et sont proches de la retraite que ceux qui vont débuter leur activité professionnelle. Ce qui compte, c’est de mettre en place une politique de prévention – un domaine où la France dispose d’une certaine marge de progression – prenant en compte, dès la première seconde, la personne qui commence à travailler. Croyez-moi, sur ce point, l’opposition constructive sera présente.
Cet article 5 entend mettre en oeuvre un mécanisme de compensation de l’exposition des salariés à des facteurs de risques professionnels et de pénibilité. Je veux rappeler, tout d’abord, comme certains de nos collègues l’ont fait, que cette notion de pénibilité n’est pas nouvelle. En 2003, le Gouvernement de l’époque a institué un dispositif dit « carrières longues », qui a permis, fin 2012, à 718 500 personnes ayant commencé à travailler tôt, dont de nombreux travailleurs éprouvés, de partir avant l’âge légal. Ce mécanisme a été renforcé en 2010 par la création d’un nouveau dispositif, qui permet aux seniors ayant un taux d’incapacité de plus de 10 % de partir également avant l’âge légal. L’opposition d’alors n’a voté aucun de ces dispositifs.
Si la pénibilité est un sujet de débat majeur, le mécanisme institué par votre texte sera source de multiples contentieux, augmentera les charges administratives des TPE et PME et sa mise en oeuvre opérationnelle sera d’une extrême complexité. L’article 5, à l’instar des articles suivants, ajoutera donc à la complexité du dispositif existant, sans pour autant parvenir à plus d’équité.
Avec cet article 5, nous revenons sur la question de la pénibilité, qui relève des conditions de travail et non, en tant que telle, de la retraite. Il n’appartient pas, en principe, au régime de retraite d’assumer le coût des mesures de réparation en faveur des salariés en fin de carrière, ces dernières étant d’une autre nature. Je veux revenir sur le coût de ces mesures, car ce qui est très frappant dans le document du Gouvernement est qu’il ne comporte aucune étude d’impact, ni sur le financement, ni sur les modalités pratiques. En réalité, une fois de plus, l’on voudrait nous faire adhérer à un système sans nous décrire précisément son mode de fonctionnement et, surtout, sans nous fournir d’étude d’impact. Il y a là un problème de taille, et je suis surpris que cet article ait été jugé recevable au regard des règles de présentation des projets de loi.
Monsieur Paul, je vous vois vociférer ; or, la vocifération ne constitue nullement une argumentation.
Vous devriez, de la même façon que nous avons l’habitude d’écouter vos arguments, écouter également les nôtres. Je sais que cela vous gêne, vous avez un problème avec l’opposition,
Exclamations sur les bancs du groupe SRC
mais vous pourriez nous écouter un peu.
Au-delà de la question du coût, ce compte individuel de pénibilité va engendrer une charge administrative supplémentaire, alors même que les entreprises, notamment les TPE et les PME, sont déjà confrontées à un environnement administratif des plus complexes et des plus pénalisants, et ne sont pas toujours outillées pour engager des démarches supplémentaires. Alors que le Gouvernement nous parle de simplification administrative, nous nous trouvons ici, très clairement, dans le cadre d’un dispositif de complexification. Ce nouveau mécanisme, s’il était mis en place, risquerait d’être une source de contentieux, en particulier pour les plus petites entreprises, et je ne suis pas certain que le Gouvernement mesure réellement l’impact de cet article pour la vie de nos entreprises.
Les chefs d’entreprise que nous rencontrons dans nos circonscriptions sont extrêmement inquiets, car on leur dit vouloir simplifier leur activité, alors qu’en réalité on la complique toujours davantage.
Je salue à mon tour le ministre du travail et le remercie de sa présence dans l’hémicycle. Je ferai cinq remarques et lancerai deux interrogations.
Premièrement, le texte s’inscrit, bien sûr, dans le prolongement de l’introduction, pour la première fois dans le code du travail, en 2003, du mot : « pénibilité », avec toutes les difficultés qu’une telle innovation comportait. En effet, s’il est une chose dont chacun ici est conscient, c’est qu’une fois le mot écrit dans le code, « il n’y a plus qu’à faire » – je mets des guillemets –, et c’est là que les ennuis commencent : il s’agit, de fait, d’un sujet beaucoup plus complexe qu’il n’en donne l’apparence.
Deuxièmement, des différences d’approche demeurent. Une approche que l’on pourrait en quelque sorte qualifier d’individuelle se fonde, non sur l’exposition aux risques, mais sur l’usure constatée chez le salarié, et tend à justifier un traitement médical, et non pas social ou conventionnel : autant de facteurs qui nourrissent deux manières très différentes de concevoir cette mécanique de la compensation. Vous avez choisi l’une d’elles, à travers ce texte, qui n’est pas la nôtre : cela fait partie des oppositions de style, si je puis dire, déjà constatées sur d’autres sujets.
Cela étant, l’une des raisons pour lesquelles nous avons privilégié, sur ces bancs, une mécanique individualisée, médicale, et portant davantage sur l’usure que sur l’exposition, c’est l’existence de certains écueils que votre texte n’évite pas.
Je veux d’abord parler, madame la ministre, de la question que nous avions examinée ensemble dans un rapport sur les risques psychosociaux : celle de la causalité, autrement dit de la répartition des facteurs qui peuvent avoir un impact sur l’état du salarié et sur son usure effective en fin de carrière. Cette question n’est pas traitée, car le système que vous avez choisi ne permet pas de le faire.
Je pense, en second lieu, à ce sujet si difficile qu’est la réalisation, l’organisation et le remplissage de ce carnet de santé, autrement dénommé carnet de travail, carnet ouvrier ou livret ouvrier – les appellations abondent, qui renvoient à la même réalité. Je ne ferai pas de mauvais esprit en rappelant que cela a été fait, puis abandonné, puis à nouveau remis à l’ordre du jour : il ne s’agit pas d’une critique, car il n’y a pas d’autre manière de faire que celle-là, à partir du moment où l’on entre dans cette mécanique. C’est toutefois affreusement compliqué, j’insiste sur ces mots, et, comme M. Lurton l’a rappelé à l’instant, ce sera une source inépuisable de contentieux, d’autant que votre texte ne fixe aucune limite dans le temps, ni aucun cadre procédural aux recours engagés contre les employeurs et mettant en jeu leur responsabilité.
Demeure, enfin, la question de la priorité donnée à la compensation sur la prévention. En général, lorsqu’on traite de la compensation, on oublie le volet préventif : c’est exactement ce que fait ce texte, et c’est dommage. Deux problèmes importants demeurent : l’un tient au dénombrement de la population concernée – si le chiffre de 300 000 personnes est évoqué, il sera probablement, d’après nos constatations, supérieur –, l’autre concerne le financement, qui ne me paraît pas assuré.
Comme vient de le dire Jean-Frédéric Poisson, nous sommes confrontés à une véritable difficulté : alors qu’il nous faut sauvegarder le système de retraites par répartition, nous allons créer une dépense que personne n’est en mesure d’évaluer, car l’étude d’impact n’existe pas ; on parle de 100 000 personnes, mais elles seront peut-être 200 000 ou 300 000. Un chiffre est vaguement évoqué : celui de 2,5 milliards d’euros à l’horizon 2040. Mais, je le répète, l’étude d’impact n’existant pas, et personne ne sachant exactement sur quoi cela va déboucher, nous sommes confrontés à un vrai problème financier.
L’urgence consiste peut-être, chers collègues, à sauver le système de retraites plutôt que de créer des dépenses actuellement non financées. C’est pourquoi nous sommes un certain nombre à être très hésitants sur cette mesure, dont chacun reconnaît, par ailleurs, l’utilité. Ceci dit, des règles existent déjà, en particulier des dispositifs permettant un départ à soixante ans en cas, par exemple, d’incapacité supérieure à 10 %. Xavier Bertrand a également pris un ensemble de mesures relatives aux carrières longues, qui fonctionnent et qui concernent souvent des métiers pénibles.
Telles sont les raisons qui fondent nos interrogations.
Dans le débat public et médiatique, on reproche parfois aux hommes politiques de ne pas être suffisamment en phase avec le réel.
Je vois que nos collègues de l’UMP ont bien retenu la leçon d’hier et je les en félicite !
Sourires.
On leur reproche donc, disais-je, de ne pas être suffisamment en phase avec le réel : en l’occurrence, avec ces articles sur la pénibilité, il me semble qu’on approche de très près cette réalité que, malheureusement, un trop nombre grand de nos concitoyens vivent dans le cadre de leur travail. Cela a été dit tout à l’heure : l’une des inégalités les plus insupportables concerne l’espérance de vie. Qu’est-ce qui justifie qu’aujourd’hui, à 55 ans, un cadre puisse espérer vivre, en moyenne, 30,9 ans, contre 26,7 ans pour un ouvrier, soit quatre ans de plus ? Qu’est-ce qui peut justifier cet état de fait ?
Il me semble qu’agir concrètement sur la pénibilité signifie simplement reconnaître que la vie au travail, la vie après le travail, la vie tout court n’est pas la même selon que l’on est cadre ou ouvrier, à plus forte raison lorsqu’on a exercé un métier particulièrement pénible. Ce que nous voulons faire à travers ces mesures relatives à la pénibilité, c’est reconnaître que les métiers qui usent le plus ne sont pas ceux qui permettent de jouir de sa retraite le plus longtemps. C’est reconnaître que ceux qui exercent les métiers les plus pénibles ne sont pas toujours ceux qui se font le plus entendre dans le débat public, et qu’il nous appartient, aujourd’hui, d’agir en leur nom.
Nous nous trouvons dans un contexte où, on le sait, un certain nombre de concitoyens s’interrogent sur la capacité de la politique à changer les choses, à agir sur le réel. Je crois que, grâce aux mesures que nous allons mettre en place et détailler dans la discussion des articles à venir, nous montrons de quelle façon la politique peut changer les choses, agir concrètement pour prévenir et compenser les injustices.
Ce que je souhaite à ce stade, c’est que le débat que nous allons avoir sur les articles relatifs à la pénibilité soit constructif, à la hauteur des enjeux, sans invectives,…
…et qu’il nous permette de traiter du fond de la question et d’agir au mieux en faveur de tous ceux qui exercent, malheureusement, ces trop nombreux métiers pénibles et qui attendent des politiques qu’ils changent leur vie.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Nous déplorons que la prise en compte de la pénibilité ne soit accompagnée d’aucune réflexion et, en particulier, qu’elle ne s’inscrive pas dans le cadre d’une analyse systémique, historique et prospective, d’une analyse qui inclurait les conditions de travail, leur impact sur la santé, l’évolution des techniques organisationnelles et managériales du monde du travail – considérablement dégradées ces trente dernières années sous la pression de l’organisation néolibérale du travail. Certes, le métier de maçon sera toujours pénible, mais que dire de l’explosion du travail de nuit et du weekend, du travail posté ou des rythmes de travail qui dégradent la santé des salariés ? Que dire également des trois huit ou des quatre huit exigés par nombre d’entreprises, qui exercent, en quelque sorte, un chantage à l’emploi, tel que l’ont subi les « Goodyear » d’Amiens ? Que dire des expositions multiples aux produits chimiques, comme pour les travailleurs du BTP ou les travailleurs agricoles outre-mer, ravagés par les cancers ?
La prise en compte de la pénibilité constitue un premier pas dans la bonne direction, mais un pas, à nos yeux, bien petit : il s’agit d’un traitement homéopathique dont les effets seront quasiment imperceptibles. Face à l’immensité de la tâche, à l’importance des enjeux, il nous faut instaurer une réelle démocratie dans l’entreprise, permettre aux salariés de codéfinir leur organisation du travail et utiliser le lieu de travail comme lieu de promotion de la santé.
Cette approche préventive nécessite l’arrêt des attaques incessantes dirigées contre le monde du travail, et nécessite donc du courage politique. Reconnaissez, chers collègues, que nous en sommes loin, aujourd’hui, du courage politique !
Tel sera le sens de nos propositions sur les articles à venir.
J’ai entendu prononcer le mot « enfin » à de nombreuses reprises, et je veux dire, à mon tour, qu’enfin la pénibilité est au coeur d’un projet de réforme du système de retraites. Sa prise en compte rejoint le défi que le Gouvernement s’est imposé : corriger des injustices trop longtemps tolérées, en prenant en considération les inégalités entre les hommes et les femmes, la situation des personnes ayant commencé à travailler jeunes et la pénibilité, qui ne doit plus être considérée sous le seul prisme médical, traumatisant et négatif.
La création d’un compte personnel de prévention de la pénibilité dès 2015 est une mesure forte, qui réparera les injustices et profitera, n’en déplaise à l’opposition – qui n’a cessé de vanter une réforme n’ayant profité qu’à quelques milliers de personnes –, à un nombre beaucoup plus grand de nos concitoyens. Ainsi, tout salarié ayant été exposé à des facteurs de pénibilité pourra accumuler des points, qui pourront être utilisés de plusieurs façons – là réside la nouveauté –, soit pour aider à une reconversion, grâce à une formation, soit pour permettre le travail à temps partiel, sans perte de salaire, soit encore pour autoriser un départ à la retraite anticipé grâce au mécanisme de rachat de trimestres. Vous conviendrez que cela diffère de la stigmatisation du salarié placé en incapacité, avec les effets que cela peut produire sur certains esprits.
Ce projet de loi met l’accent sur la lutte contre la pénibilité et sur une prévention efficace, qui sera favorisée par les accords demandés aux entreprises concernées et par une exigence d’information. Sont particulièrement concernés, même si cela n’a pas été beaucoup souligné, les travailleurs intérimaires.
Nous arrivons donc à l’examen des articles relatifs à la pénibilité. Ce sujet nous intéresse tous ; j’y suis en tout cas très attachée. Je développerai trois points.
Premièrement, pourquoi traiter de la pénibilité dans un texte relatif aux retraites ? La pénibilité ne doit pas être liée uniquement à la retraite, elle doit être abordée durant la vie professionnelle, la vie active. Consacrer six articles de ce projet de loi à la pénibilité pour que celle-ci soit gérée à la fin de la carrière professionnelle n’a pas de sens.
La pénibilité doit être envisagée dans le cadre non pas des retraites mais du travail, il faut donc l’aborder dans un autre texte que celui-ci.
Permettez-moi de réagir à un propos que je viens d’entendre au sujet des écarts en termes d’espérance de vie, qui constitueraient la première des inégalités. Il me semble plutôt que l’une des plus importantes inégalités aujourd’hui, sans doute la principale à mes yeux, tient au fait que certaines personnes n’ont pas d’emploi.
Deuxièmement, et certains de mes collègues ont abordé ce point, je souhaite revenir sur le coût de cet ensemble de mesures : nous ne disposons d’aucune étude d’impact, nous ne savons pas aujourd’hui comment elles seront financées. Il semblerait que les dépenses seraient de l’ordre de 2,5 milliards d’euros en 2040 alors que les ressources ne dépasseraient pas 800 millions d’euros, ce qui correspond à un déficit important.
Madame la ministre, monsieur le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, pourriez-vous nous indiquer si les entreprises seront mises à contribution pour combler la différence entre les dépenses prévues et les ressources escomptées ? Je souhaiterais que vous rassuriez le monde de l’entreprise, le monde de l’économie. Nous n’avons déjà pas obtenu de réponse quant aux 13 milliards d’euros non financés par ce texte et nous avons perdu cette nuit 1,4 milliard d’euros supplémentaires. Vous devez nous apporter une réponse sur ce point.
Troisièmement, des obligations administratives supplémentaires seront imposées aux entreprises. Si certaines d’entre elles, de taille importante, n’auront aucune difficulté à les intégrer parce qu’elles disposent en interne d’un service social, de personnes qui gèrent les ressources humaines, pensons cependant à nos PME, qui n’ont pas ces effectifs. Je crois que ce dispositif est irréaliste et je crains qu’il ne génère un risque important de contentieux pour ces entreprises.
Chacun mesure que nous entrons dans la seconde partie de ce texte. La première partie avait pour objectif de sécuriser le financement du régime général des retraites…
Il n’est pas atteint, jusqu’à présent ! Il reste 13 milliards d’euros à financer !
…et je pense que nous y sommes parvenus. La seconde doit permettre aux salariés, aux futurs retraités de bénéficier d’un certain nombre de progrès ; c’est la marque de fabrique de cette majorité et la pénibilité est sans doute l’un des éléments, peut-être même l’élément essentiel de ce texte. Si vous le permettez, je ferai quelques observations, sans revenir sur ce qui a été parfaitement énoncé par mes collègues du groupe SRC.
Tout d’abord, cet ajout n’a pas le caractère cosmétique de ceux que l’on a pu voir voilà quelques années. C’est une conquête qui sera irréversible. Je remarque d’ailleurs que vous hésitez sur la façon d’aborder ce sujet, chers collègues de l’opposition : vous avez la critique quelque peu tâtonnante.
J’ai examiné les amendements que vous avez déposés. Certains d’entre vous souhaitent la suppression radicale du dispositif ; c’est le cas de M. Lefebvre, ce qui ne surprendra personne. D’autres sont plus modérés, et nous nous en réjouissons, même si nous n’accepterons sans doute pas leurs amendements.
Ce dispositif est probablement irréversible : la droite ne reviendra pas sur la prise en compte de la pénibilité dans le régime des retraites au cours des prochaines décennies si les circonstances devaient lui rendre un jour le pouvoir.
Ensuite, nous faisons la démonstration que, même en période difficile, même en période de croissance modérée, le progrès reste possible. C’est une des raisons pour lesquelles nous aurons à coeur dans quelques instants de voter l’article 5 avec beaucoup d’optimisme.
Par ailleurs, cet article participe de ce que j’appellerais la personnalisation du système de retraites, et non pas l’individualisation des pathologies, comme cela a été fait dans les réformes précédentes, qui ont prévu la prise en compte de certains types d’incapacité…
… ou d’invalidité et dont seulement quelques milliers de salariés ont pu bénéficier. Cette volonté de personnaliser les réponses en matière de retraites permettra d’améliorer la situation de 20 % des salariés et peut-être même davantage, monsieur Chassaigne.
Enfin, et j’en terminerai par là, monsieur le président, il me paraît important de souligner – je m’adresse ici également au ministre du travail – que les facteurs de pénibilité évolueront dans le temps.
Il faut déjà penser à la forme que prendront les négociations qui feront évoluer ces critères à l’avenir. La base actuelle est sérieuse et solide – elle résulte d’ailleurs d’une discussion entre les partenaires sociaux – mais il nous faut nous projeter dans le temps, tout simplement parce que les métiers, les carrières évoluent…
Je sais bien que tout cela se résume pour vous à une dimension financière, monsieur Tian, mais, pour nous, ce sont des vies cassées par le travail, et nous souhaitons que cette dimension soit prise en compte à l’heure où nous réformons le régime des retraites.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Catherine Coutelle, Présidente de la délégation aux droits des femmes.
Je voudrais apporter quelques éléments sur le sujet de la pénibilité au regard des inégalités entre les hommes et les femmes. Ce dispositif constitue une énorme avancée et, contrairement à ce que vous affirmez, madame Louwagie, la pénibilité a tout à voir avec la retraite : si on a la possibilité de partir à la retraite de manière anticipée grâce à la validation de trimestres supplémentaires lorsqu’on a exercé des métiers pénibles, c’est bien un progrès qui concerne les retraites. Il est donc souhaitable d’avoir un compte personnel de prévention de la pénibilité qui permette de partir plus tôt à la retraite.
Pour répondre à une autre remarque que vous avez faite, il y a bien une étude d’impact ; celle-ci montre d’ailleurs que 45 % des femmes seraient bénéficiaires de ce compte…
Non, 45 % des bénéficiaires seraient des femmes !
Mme la ministre me reprend, à juste titre : 45 % des 3,3 millions de salariés potentiellement bénéficiaires du compte seraient des femmes.
Madame la ministre, monsieur le ministre, je voudrais vous interroger sur la manière dont les spécificités des postes et des métiers majoritairement féminins seraient prises en compte. En effet, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, l’ANACT, a remis un rapport à la délégation aux droits des femmes dans lequel il est indiqué qu’entre 2001 et 2010, le nombre de maladies professionnelles a augmenté de 162 % chez les femmes, et de 73 % chez les hommes. Le nombre des accidents de trajet a augmenté de 23 % chez les femmes, alors qu’il a diminué de 21 % chez les hommes. Enfin, une femme sur trois est exposée à des tensions au travail, contre un homme sur cinq.
Les risques psychosociaux, qui se sont multipliés, touchent donc de manière inégale les hommes et les femmes. Ces dernières sont en effet à 75 % en contact avec du public, ce qui, on le sait, est facteur de stress. L’ANACT attribue cette dégradation de la santé des femmes au travail à deux facteurs.
Le premier – et j’y insiste, monsieur le ministre du travail, car nous en avons déjà parlé et j’aimerais que nous y revenions –, c’est le temps partiel, c’est-à-dire l’organisation du temps de travail des femmes. Le temps partiel est un facteur de stress et de multiplication du nombre de déplacements, ce qui entraîne une augmentation des accidents du travail. En outre, les femmes subissent toujours, car il n’y a guère d’amélioration sur ce plan, la double journée et cumulent travail professionnel et travail domestique.
Le second facteur concerne la nature des emplois majoritairement occupés par les femmes. Les troubles musculo-squelettiques sont peu pris en compte dans les postures et il existe un risque de sous-estimation systématique de la pénibilité propre aux métiers exercés par des femmes.
Je vais vous donner un exemple très concret : quand vous demandez à un homme qui soulève des sacs de plâtre ou d’autres matériaux s’il exerce un métier pénible, il répondra par l’affirmative.
En revanche, si vous interrogez une aide-soignante qui travaille dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et qui soulève des malades pouvant peser 90 kg, elle vous répondra non. Nous devons donc établir une meilleure classification des métiers et, pour cela, faire évoluer le regard sur la pénibilité.
Celui qui peut nous y aider, c’est le Défenseur des droits, qui a récemment publié un rapport intitulé : « Un salaire égal pour un travail de valeur égale ».
Bien évidemment, la pénibilité est partout.
Notre système de classification doit évoluer : il a été conçu à un moment où les métiers pénibles étaient essentiellement des postes de production occupés par des hommes, alors que la pénibilité concerne désormais principalement le secteur des services. Je souhaite donc que les partenaires sociaux fassent évoluer les critères de pénibilité lorsqu’ils s’empareront de ce sujet afin de prendre en compte ce phénomène tout à fait nouveau.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité constitue à ce titre une très grande avancée pour les femmes, car il leur permettra de partir plus tôt à la retraite ou en préretraite.
M. Paul a pris sa voix douce pour nous faire croire que le social était le monopole du parti socialiste.
Monsieur Paul, nous allons vous rappeler les mesures antisociales que vous souhaitez prendre dans ce projet de loi : la taxation des retraités, l’augmentation des cotisations, le report de six mois de la revalorisation des pensions,…
… soit près de 324 euros de moins par an pour les retraités, pour les petites pensions, la fiscalisation du bonus de 10 % pour trois enfants, qui va faire basculer dans le barème de l’impôt sur le revenu et de la taxe d’habitation des retraités qui jusqu’alors n’étaient pas imposables.
Arrêtez donc votre cinéma !
Pour notre part, nous n’avons pas attendu que vous arriviez au pouvoir pour aborder le sujet de la pénibilité.
La pénibilité, nous l’avons prise en compte dès 2003, et jamais vous ne nous avez accompagnés sur ce sujet ; jamais !
On parle bien sûr des retraites anticipées pour carrière longue ou pour incapacité, que nous avons mises en place en 2010, mais nous avons pris d’autres mesures, notamment l’obligation d’établir un accord d’entreprise ou un plan d’action relatif à la prévention sous peine d’une pénalité représentant 1 % de la masse salariale, l’accord de branche ou d’entreprise visant à alléger la charge des salariés occupés à des travaux pénibles et la fiche individuelle de suivi des salariés exposés à un ou plusieurs risques professionnels, que vous souhaitez modifier, prenant ainsi acte de l’avancée que nous avions permise à l’époque.
Monsieur Terrasse, je vous écoute quand vous vous exprimez, je vous prierai donc de montrer un peu de respect pour l’opposition.
Enfin, nous avons décidé l’abaissement de l’âge de départ à la retraite en cas d’incapacité reconnue à la suite d’une exposition à des facteurs de pénibilité.
Le dispositif que vous mettez en place est extrêmement dangereux. Nous sommes favorables à l’étude de la pénibilité et à la mise en oeuvre d’actions. Il y a des mesures à prendre dans ce domaine. Toutefois, l’impact de votre dispositif n’est pas évalué : il aura pour conséquence l’augmentation du coût du travail, et donc du chômage. Une fois encore, vous assommez les entreprises. Encore une fois, nous parlons de prévention, alors que vous, vous parlez de répression.
Que n’avez-vous mis en place cette prévention quand vous étiez au pouvoir ! Nous ne vous avons pas vu agir dans ce domaine !
La gravité et la noblesse d’un débat comme celui-ci tiennent au fait que nous parlons de la vie des gens. L’enjeu, et cela vaut pour ce projet peut-être plus que pour tout autre, c’est que nous avons entre nos mains une part de la destinée de nos citoyens, y compris sur le plan individuel. L’effet de cette réforme se projettera en effet sur plusieurs générations. Évidemment, lorsqu’on parle de retraite, on parle de droits universels – c’est en tout cas ce que nous souhaitons sur les bancs de la majorité – mais on touche également concrètement à la réalité de la vie des gens.
N’en déplaise à M. Gattaz, qui s’étonnait l’autre jour que le Gouvernement et la majorité inscrivent au coeur de cette réforme la question de la pénibilité, le travail n’est malheureusement pas toujours émancipateur, même si ce devrait être le cas. Pour des millions de personnes, le travail s’effectue dans des postes difficiles, avec des heures, des journées, des semaines et parfois même des années pénibles. Et M. Gattaz, dont je ne savais pas que vous étiez l’avocat, monsieur Robinet, serait bien avisé de tenir compte de ce qui est rapporté par l’ensemble des organisations syndicales, y compris certains représentants de petites et moyennes entreprises, sur ce que vivent en réalité de nombreux salariés.
Permettez-moi d’illustrer mon propos avec l’exemple des salariés de l’usine de la Saft située à Nersac, en Charente, où j’ai habité durant quelques années. Ils sont pour leur part exposés au cadmium, au nickel, c’est-à-dire à ces métaux lourds qui entrent en particulier dans la composition des accumulateurs de pile. Il se trouve que sur les trois cents salariés que compte l’usine, quatre-vingt ont déjà été déclarés inaptes au travail, sont dans une situation très difficile et ne peuvent pas espérer, comme les autres, une retraite digne, une retraite longue.
J’aimerais que tous ici, et naturellement au premier chef le Gouvernement, nous nous interrogions sur la façon dont ces professions sont prises en compte dans notre réforme des retraites, afin d’éclairer nos débats.
Comment faire en sorte que la situation de ces salariés qui cumulent l’exposition à ces agents chimiques très dangereux avec une organisation du temps de travail difficile – horaires de nuit et horaires décalés, notamment – soit distinctement et clairement prise en compte dans la réforme afin qu’ils puissent tous, au terme de leur carrière, être acquittés de leurs droits et constater qu’au moins la société leur rend une part du lourd tribut qu’ils ont payé ?
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et GDR.
Nous attendrons la sortie du décret pour connaître les conditions d’application du dispositif !
Nous attendions depuis longtemps une vraie réforme sur la pénibilité du travail, et non pas sur l’incapacité, qui a été évoquée voilà quelques instants ; c’est désormais chose faite. En effet, en 2010, rien n’a été fait sur la pénibilité. La réforme d’alors a été piétinée, mal menée. J’étais sur ces bancs aux côtés de Mme la ministre et nous vous proposions déjà à l’époque une véritable réforme prenant en compte la pénibilité, et non pas une incapacité au cas par cas.
Vous avez dit, chère collègue, que les PME et les TPE allaient rencontrer des difficultés, mais est-ce que vous vous êtes occupés, en 2010, des travailleuses et des travailleurs en PME qui, dans certaines petites entreprises de commerce, portent des pièces de tissu de 90 kg pendant trente-sept ou quarante ans de leur vie, et qui arrivent à la retraite complètement cassés, incapables de bouger ? Eh bien, ces gens-là pourront bénéficier de ce compte de pénibilité.
Non ! Ils ne le pouvaient pas avec le dispositif sur l’incapacité. Ils ne le pouvaient pas ! Je connais des cas concrets !
Aujourd’hui, nous proposons enfin une vraie réforme, parce que la santé, c’est important. Le travail de nuit, ça use ; le fait de porter des poids, ça use.
Cette réforme, qui, en outre a été négociée par les forces vives, notamment les syndicats, de ce pays, vous l’aviez certes entamée en 2003, mais elle n’avait toujours pas abouti au bout de dix ans. Avec nous, elle aboutit en quelques mois, parce que nous sommes porteurs de cette espérance. Ces travailleuses et ces travailleurs pourront partir plus tôt, ou bien choisir de suivre une formation professionnelle – nous en reparlerons lors de l’examen des prochains articles – parce que lorsqu’on a porté des caisses de tissu pendant des années, on peut choisir, à cinquante ans, d’exercer un métier un peu plus calme. Ces points, qui pourront être cumulés et convertis en formation ou en départ avancé, c’est une vraie réforme de justice sociale.
Puisque j’ai la parole, j’en profite pour souligner que ce projet de loi s’inscrit dans la continuité de l’action menée par Mme la ministre depuis juillet 2012, et notamment du décret sur la retraite à 60 ans. Même si cette loi allonge la durée de cotisation, il est désormais possible de partir plus tôt quand on a un métier pénible.
Il est important que nous nous arrêtions sur le problème de la pénibilité, qui devrait tous nous réunir, au lieu de provoquer des échanges d’anathèmes de part et d’autre de l’hémicycle. Nous pouvons, cela dit, avoir des divergences sur la manière d’aborder le sujet, et c’est pourquoi il importe de débattre de manière approfondie. Si j’ai beaucoup de réserves quant au dispositif qui est proposé, c’est parce que le choix que vous avez fait d’adopter une approche générique, plutôt qu’une approche en termes de santé publique, risque selon moi de poser des problèmes à plus ou moins long terme.
Il est vrai que nous manquons d’une étude d’impact précise…
…mais le Gouvernement a tout de même donné des chiffres, qui ont été rappelés au cours du débat par plusieurs de mes collègues. On voit clairement qu’un problème de financement se posera à l’horizon 2040. En effet, alors que la cotisation nouvelle, qui va peser sur les employeurs, devrait rapporter 800 millions d’euros, la montée en charges du dispositif représentera, quant à elle, 2,5 milliards d’euros. Il manquera donc 1,7 milliard d’euros. Or ce texte, qui est censé garantir l’avenir des retraites – et je n’ai aucune raison de mettre en doute la parole des ministres quand ils nous disent qu’ils veulent garantir la retraite de nos compatriotes – ne règle pas le problème. Je pose donc la question au Gouvernement : où allons-nous trouver ces 1,7 milliard d’euros ?
J’ai déposé un amendement de suppression de l’article 32, relatif à la caisse des professions libérales,…
…car les dispositifs qui sont mis en place dépendent de ressources qui ne sont pas précisément définies dans ce texte. On risque donc de recourir à des cotisations patronales qui vont augmenter considérablement, puisqu’on est bien loin de ce qui a été initialement prévu s’il faut couvrir les 1,7 milliard d’euros, et à la caisse qui fonctionne, celle des professions libérales, puisque l’État a décidé de mettre la main sur la caisse des professions libérales,…
…qui vont être appelées à contribuer au système global. Il y a là, selon moi, de vrais risques pour demain, et je souhaite que le Gouvernement, dans sa réponse aux orateurs, nous dise précisément la manière dont il entend assumer cette montée en charge à venir.
Si la discussion sur l’article est terminée, pouvez-vous, monsieur le président, nous accorder une suspension de séance de cinq minutes, avant que nous entamions l’examen des amendements ?
J’aimerais tout de même dire un mot !
Les interventions ont été très nombreuses sur cet article, le premier d’une série portant sur une nouveauté fondamentale, une avancée historique qui a été soulignée par beaucoup d’entre vous : la mise en place d’un dispositif de prise en compte de la pénibilité pour déterminer les conditions de départ à la retraite. La richesse des interventions justifie que Michel Sapin et moi-même réagissions et répondions aux observations qui ont été faites, avant l’examen des amendements.
Je veux dire très simplement, pour commencer, combien je suis fière de ce dispositif…
…combien je suis fière de porter, au nom du Gouvernement, ce qui restera comme une transformation majeure de notre droit et un moyen d’améliorer la vie concrète des Français. Nous répondons effectivement à des préoccupations de la vie concrète, à des hommes et à des femmes qui, jour après jour, sont confrontés à des conditions de travail qui les usent, qui rendent la vie moins facile et qui réduisent de façon irréversible leur espérance de vie. Et c’est tout l’honneur d’une politique que de prendre en compte des situations et des réalités sociales comme celles-là.
Le dispositif pénibilité constitue une avancée majeure, dont je voudrais souligner trois caractéristiques importantes, avant d’entamer l’examen de l’article 6, qui introduit l’instrument principal de ce dispositif, le compte de prévention de la pénibilité.
Le premier point, c’est l’accent que nous mettons sur la prévention. (« Où ça ? » sur les bancs du groupe UMP.)
À aucun moment, mesdames et messieurs les députés de l’opposition, nous n’opposons la prévention et la réparation. Si le compte pénibilité s’appelle « compte de prévention de la pénibilité », c’est parce que notre volonté principale est de faire en sorte que, grâce à ce dispositif, les entreprises réorientent leurs conditions de travail et que les salariés puissent suivre une formation.
C’est une préoccupation quotidienne et essentielle du ministre du travail que de permettre aux salariés, au terme d’une formation, d’accéder à de nouveaux emplois, à de nouveaux métiers, à de nouvelles carrières professionnelles. Car s’il peut arriver d’être confronté, à un moment donné, à des conditions de travail pénibles, rien ne dit qu’on doive y être exposé sa vie durant.
Nous devons donc tout faire pour que les entreprises adaptent les conditions de travail, d’une part, et pour que les salariés se réorientent et changent de métier, d’autre part.
Vous avez rappelé, monsieur Poisson, que nous avons mené ensemble, sous votre présidence, d’ailleurs, une mission d’information parlementaire sur les risques psychosociaux.
Mais oui, vous avez raison…
Sourires
Et vous, vous étiez rapporteur, ce qui est beaucoup plus important. Nous avons travaillé ensemble, avec d’autres parlementaires, sur les risques psychosociaux, et nous avons bien vu qu’on ne peut pas se satisfaire d’une logique qui consisterait à laisser faire et à attendre la fin de la vie professionnelle et le départ en retraite pour apporter des réponses.
On ne peut pas se satisfaire que des salariés soient confrontés à des conditions de travail à ce point difficiles, qu’ils en viennent à commettre un geste désespéré, comme c’est déjà arrivé.
Il ne s’agit pas d’opposer santé au travail, prévention, réorganisation des conditions de travail et réparation, mais simplement de rappeler que la prévention ne suffit pas toujours. Il faut certes l’encourager, mais aussi faire en sorte que salariés qui ne peuvent en bénéficier soient pris en considération à la fin de leur carrière.
Le deuxième élément important du dispositif que nous avons mis en place – Régis Juanico y a insisté, avec d’autres – c’est qu’il résulte d’une négociation. Les critères de pénibilité auxquels nous nous référons résultent de la négociation entre les partenaires sociaux, qui a donc bien abouti sur ce point – et l’accord fut unanime –, même si elle a achoppé sur la manière dont on pouvait tenir compte de ces critères, ni sur les conséquences qu’il fallait en tirer.
Je tiens à vous dire, monsieur Chassaigne, que la chimie, la métallurgie et les activités qui mettent en jeu des agents chimiques dangereux seront évidemment pris en considération. Monsieur Amirshahi, nous aurons certainement l’occasion de vous répondre plus longuement, mais je peux d’ores et déjà vous dire que les situations que vous avez évoquées seront évidemment prises en compte dans le cadre du dispositif pénibilité, qu’il s’agisse des agents chimiques dangereux, des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques.
Le troisième élément important sur lequel je veux mettre l’accent, et qui a été souligné en particulier par Christian Paul, c’est que nous mettons en place un système personnalisé – ce qui ne veut pas dire un système d’individualisation médicale.
Je tiens à vous dire, monsieur Poisson, que ce n’est pas parce que nous personnalisons l’approche, que nous la médicalisons.
C’est en cela que nous rompons complètement avec la logique qui a été la vôtre. La loi de 2010 n’a absolument pas mis en place des mécanismes de prise en compte de la pénibilité. Et d’ailleurs, on sent bien un flottement sur les bancs de l’opposition.
Certains d’entre vous nous expliquent que nous ne faisons qu’inscrire nos pas dans les vôtres en améliorant ce que vous avez commencé à faire – c’est la position de M. Jacquat – et d’autres nous expliquent qu’en réalité nous venons dynamiter le système, créer de nouveaux régimes spéciaux, et que sais-je encore… Il s’agit bien d’avoir une appréciation personnalisée, qui résulte de l’exposition concrète, précise, d’un salarié à un facteur de pénibilité. Il n’y a pas de situation pénible ou de métier pénible en soi, mais une exposition à un facteur de pénibilité, qui doit déboucher sur des droits.
Nous aurons l’occasion de voir comment cela peut se traduire à travers le compte de prévention de la pénibilité, soit en formation professionnelle, soit en temps partiel pris à n’importe quel moment de la vie professionnelle, soit en retraite anticipée. Je ne m’appesantis pas sur ce sujet à ce stade du débat, afin de ne pas paraître trop longue ; nous aurons l’occasion d’y revenir, en particulier à l’article 6.
S’agissant du financement du dispositif, il n’y a absolument aucun doute sur le fait que les entreprises vont y contribuer.
C’est une évidence, que j’ai déjà rappelée dès l’ouverture des débats, et même avant cela, et la raison en est simple. L’enjeu, c’est que les entreprises soient incitées à améliorer les conditions de travail et à faire en sorte que les facteurs de pénibilité qui peuvent être contournés, dépassés ou réduits, le soient effectivement.
Le dispositif mettra donc les entreprises à contribution en proportion des risques auxquelles elles exposent leurs salariés. Ce sera un moyen de les responsabiliser sur cette question de la pénibilité des conditions de travail qu’elles imposent à leurs salariés.
Nous avons la volonté, et Michel Sapin le dira beaucoup mieux que moi,…
Il n’a pas l’air très enthousiaste à l’idée d’intervenir… Cachez votre joie, monsieur le ministre !
…de mettre à profit les mois qui viennent pour développer un dispositif aussi simple, concret et pratique que possible pour les entreprises.
Monsieur Chassaigne, vous avez conclu votre propos en professeur, que vous avez été…
…en disant : « Peut mieux faire ». Mais au fond, la question aujourd’hui, c’est de savoir si nous faisons, ou si nous ne faisons pas. Pendant vingt ans, la droite n’a pas fait (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)…
…et notre honneur, à nous, c’est de faire !
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. le ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
J’ai vraiment très peu de choses à ajouter à ce qui vient d’être excellemment dit par la ministre des affaires sociales et de la santé. Mais vous trouverez normal que le ministre du travail s’exprime sur ce sujet, et vous auriez même pu l’exiger si je n’avais pas été là.
Il concerne en effet non seulement la retraite mais aussi la qualité du travail et de la prévention et du traitement de la pénibilité tout au long de la vie. C’est d’ailleurs l’originalité de ce compte et ce qui fait sa qualité profonde : il n’oppose pas la prévention et la réparation – comme cela vient d’être dit avec beaucoup d’efficacité – les conséquences de la pénibilité sur les droits à la retraite et les moyens de réduire cette pénibilité. Il unit tout cela en un seul et même mouvement.
C’est lorsque l’on veut mettre des murs entre des préoccupations qu’au bout du compte, on ne fait rien. Ce n’est pas nous qui avons inscrit la pénibilité dans le code du travail : c’est la droite qui a ajouté des articles au code du travail sur le sujet.
Il ne faut donc pas toujours se plaindre en demandant qu’il y ait toujours moins d’articles dans le code du travail, parce qu’il peut y en avoir d’utiles, même si c’est vous qui les ajoutez !
Vous avez nommé la pénibilité dans une loi sur la retraite – il doit donc bien y avoir un lien entre la pénibilité et la retraite, contrairement à ce que disent certains d’entre vous –, mais vous ne l’avez pas prise en compte.
C’est la différence : il y a ceux qui nomment, et il y a ceux qui font. Aujourd’hui, c’est la gauche, c’est cette majorité et ce gouvernement qui font la proposition et qui en débattent. Il est souvent arrivé dans l’histoire que certains précurseurs, à droite ou à gauche, nomment le sujet, et disent qu’il faudrait agir. Mais il est souvent arrivé aussi que ce soit de ce côté-ci de l’hémicycle que l’on fasse effectivement les choses et que l’on mette en oeuvre ces idées.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Je pourrais vous donner beaucoup d’exemples, qu’il s’agisse de la sécurité sociale, de l’assurance-maladie, de l’assurance-vieillesse ou des accidents du travail ; vous verriez que cela se passe effectivement ainsi.
Mais au fond, tant mieux. Cela prouve qu’avec le temps de l’histoire, nous pouvons parvenir à agir ensemble.
Permettez-moi d’entrer un petit peu plus dans les détails sur quelques éléments. Le sujet qui nous préoccupe est un beau sujet : celui de la pénibilité et de ses conséquences. Lorsque l’on est à quelques années du départ à la retraite, la conséquence de la pénibilité ne peut être que la réparation. Qui peut imaginer, lorsque l’on a 53, 54 ou 55 ans, que cette réparation puisse se faire autrement qu’en offrant la possibilité de partir à la retraite plus tôt ?
Car nous faisons ce constat, extrêmement cruel, et dont nous ne pouvons nous contenter, qui consiste à dire : « Comme ta durée de vie moyenne est plus courte que la mienne, tu vas pouvoir partir à la retraite plus tôt. » Il est normal de le dire à ceux qui ont été exposés, mais personne parmi nous ne peut accepter que ce soit un principe.
Le principe fondamental, c’est que la durée moyenne de vie devrait être la même pour tous et pour toutes ; c’est ainsi qu’il faut agir.
Lorsqu’une personne est à quelques mois de la retraite, alors le lien entre la pénibilité et la retraite est total, à 100 %. Mais lorsque l’on est au début de sa carrière, il faut raisonner autrement. Et c’est la beauté de ce compte : il permet de raisonner autrement, en incluant évidemment la prévention. Il faut diminuer le plus possible les facteurs d’exposition, les facteurs de risque et les facteurs de pénibilité.
Mais Mme la ministre l’a rappelé à juste titre : il y a aussi des pénibilités incontournables. Prenons l’exemple du travail de nuit. C’est un des critères de pénibilité reconnu par tous. Celui-là n’est ni discuté, ni mesuré : il n’est pas lié au poids de ce que l’on porte rapporté au poids ou à la taille de la personne. Le critère, c’est la durée du travail de nuit. Il est reconnu par tous que lorsque l’on est longtemps exposé au travail de nuit au cours de sa vie, il a des conséquences sur la santé.
Pourtant, certaines activités ne peuvent pas fonctionner autrement que continûment, et donc aussi la nuit. Que devons-nous faire ? Rester les bras croisés en disant que certains, dans leur vie, seront toujours exposés au travail de nuit et donc à la pénibilité ? Non, il faut trouver des moyens – c’est l’objet du compte de prévention de la pénibilité – pour financer des possibilités d’évolution de la carrière. Être exposé quatre ans, c’est long, mais cela n’a pas de conséquences sur la santé. L’être vingt ou trente ans, c’est beaucoup trop long et cela a des conséquences sur la santé. Il faut donc financer ces processus.
C’est là toute la beauté du compte pénibilité, et c’est pour cela qu’au fond, cette réforme est une réforme majeure, une réforme de structure profonde. Non seulement elle introduit ce volet de justice dans une réforme des retraites qui, par ailleurs, permet de pérenniser un système de solidarité…
…mais elle va aussi obliger à réformer en profondeur l’organisation même du travail. C’est du reste ce qui passionne les uns et les autres, du côté des organisations syndicales comme du côté des organisations patronales.
Pour finir, il ne faudrait pas que le mot de pénibilité fasse peur au point que l’on souhaite renoncer à la mise en oeuvre du dispositif.
Je l’entends trop souvent dire : ça va être trop compliqué, trop cher. Mais ce n’est pas ainsi qu’il faut raisonner. Il faut se demander, comme nous le faisons, dans quelles conditions une réforme de structure aussi importante peut être mise en place sans être entravée par des complexités qui seraient trop lourdes tant pour les salariés que pour les entreprises elles-mêmes.
Ce travail est devant nous. Certains chefs d’entreprise sont apeurés lorsqu’ils nous en parlent. Mais on ne réforme pas la France en apeurant les gens !
On réforme la France en expliquant, en simplifiant au maximum, en regardant la vérité des choses, en évitant de complexifier pour complexifier et en mettant en place les procédures les meilleures.
Au-delà du vote de cette loi, nous avons devant nous une année entière pendant laquelle nous allons travailler point par point. Nous allons travailler ensemble, évidemment – je le ferai car cela sera principalement de ma responsabilité – avec les partenaires sociaux, pour que le système soit le plus simple possible. Encore une fois, il ne sert à rien de faire peur.
Le dispositif ne sera pas exactement le même chez Renault ou pour un artisan. On perçoit bien que l’on ne peut pas appliquer les mêmes procédures dans les deux cas.
Nous négocierons donc, de sorte que ce beau mot de pénibilité soit considéré comme un progrès pour les salariés et dans l’organisation du travail des entreprises. C’est cette volonté qui doit nous animer.
Ne cherchons pas à apeurer, ne cherchons pas non plus à rassurer pour rassurer. Favorisons le progrès, faisons ce saut que la droite n’a pas pu faire bien qu’elle ait pu l’envisager, et faisons-le dans des conditions respectueuses du bon fonctionnement des entreprises. C’est tout l’enjeu de ce débat et ce sera l’enjeu de la mise en oeuvre de cette très belle proposition nouvelle.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe écologiste.
La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente.
Madame la ministre, vous disiez tout à l’heure que l’article 5 constituait une immense fierté et représentait une avancée formidable. Michel Sapin a également expliqué que, sur tous les bancs – à droite, au centre ou à gauche –, les réformes de 2003 et de 2010, de même que la définition des critères de pénibilité par les partenaires sociaux en 2008, sont considérées comme des avancées. Le présent projet de loi va un peu plus loin. Nous n’en faisons pas un critère clivant : au contraire, on avance ! Pourquoi pas ?
Le ministre Michel Sapin a très bien dit que le problème résidait dans l’organisation du travail dans les entreprises. Nous vous mettons en garde sur quelques sujets.
Premièrement, le problème du financement ne doit pas être écarté. Nous savons que nous avons des problèmes de compétitivité : ce n’est pas une mauvaise question que de se demander comment nous pouvons financer ces mesures, puisque l’État n’apportera rien.
Deuxième question : pourquoi le public et le privé sont-ils traités différemment ?
Troisième remarque : il ne faudrait pas retomber dans le syndrome des 35 heures.
Rappelez-vous ce qui s’était passé : nous avions appliqué la réforme des 35 heures de façon homogène dans toutes les entreprises. Vous le savez très bien vous-même, monsieur le ministre du travail ! Ainsi, dans la fonction publique hospitalière, les 35 heures étaient inapplicables en l’état et Martine Aubry ministre des affaires sociales a dû attendre 2001 pour les mettre en oeuvre dans les hôpitaux.
Faisons donc confiance au dialogue social – vous l’avez d’ailleurs dit vous-même tout à l’heure, monsieur le ministre, à la fin de votre intervention. Le dialogue peut avoir lieu au sein des branches. Je crois à l’efficacité du dialogue social. Vous ne ferez pas la même chose dans les très grandes entreprises que dans les petites entreprises de l’Indre…
Ou de l’Eure-et-Loir !
…ou de l’Eure-et-Loir – pour ce qu’il en reste, malheureusement –, ou à Orléans.
Nous devons être guidés par le pragmatisme. Nous ne sommes pas dans une situation de blocage ou d’obstacles – bien au contraire ! –, mais d’accompagnement. Le maître-mot est celui de l’organisation du travail.
J’en termine par une dernière observation sur le compte à points. Il y a eu un peu de flottement sur ce sujet en commission : je suis donc heureux que le ministre soit présent pour nous éclairer un peu plus. Dans le texte initial, vingt points étaient nécessaires pour enclencher la formation ; ces vingt points peuvent être acquis en cinq ans. Or pour les métiers très difficiles – je pense aux couvreurs, particulièrement exposés aux risques –, il ne faut pas attendre cinq ans pour suivre une formation, mais apprendre les bons gestes dès les premières semaines. Certes, il faut mettre en place un compte à points, mais celui-ci doit être parfaitement ouvert de manière à laisser les salariés l’adapter de la meilleure façon possible.
Enfin, si la formation peut améliorer les conditions du salarié sur son poste de travail, il est des postes qui sont malheureusement inadaptables.
La parole est à M. Frédéric Lefebvre, pour soutenir l’amendement no 2910 .
Je veux revenir sur le sujet du financement et évoquer les risques d’inégalité que peut générer une telle réforme.
S’agissant du financement, j’ai cité des chiffres tout à l’heure : j’aimerais que le Gouvernement puisse nous éclairer. À l’horizon 2040, il manquera 1,7 milliard d’euros : ce sont les chiffres du Gouvernement. Où allons-nous chercher cette somme ? Allons-nous augmenter les cotisations des employeurs ? Dans ce cas, il faut le dire. Allons-nous trouver l’argent dans la caisse des professions libérales, dont je parlais tout à l’heure en évoquant l’article 32 ? Nous voulons savoir, nous devons être éclairés !
J’en viens aux risques d’inégalité que peut générer cette volonté de s’attaquer ainsi à la question de la pénibilité. Je prendrai le même exemple que le ministre, celui du travail de nuit qui illustre parfaitement, à mon sens, ce que peut être la pénibilité.
Prenons le cas d’un fonctionnaire. Quand on parle de pénibilité dans la fonction publique, on raisonne plutôt par métier. Certains métiers, comme celui d’infirmière, sont ainsi soumis à des régimes spécifiques : ce sont les régimes spéciaux, qui se caractérisent par des avantages différents de ceux accordés aux salariés du privé. Ne faut-il pas réfléchir à une harmonisation de ces dispositifs ?
Je parlais tout à l’heure des professions libérales. Prenons l’exemple d’un salarié qui travaille la nuit dans une petite entreprise artisanale…
…dont l’un des concurrents, qui est un petit artisan, travaille également la nuit. Le petit artisan qui travaille tout seul la nuit a-t-il le choix de travailler la nuit pour vivre ? Pas plus que le salarié ! Le boulanger aussi travaille la nuit : quelle sera sa situation au regard du salarié du public ou du privé couvert par ce régime de pénibilité ? Nous sommes confrontés à des difficultés majeures en termes de définition et de qualification de cette pénibilité.
Le ministre l’a dit tout à heure : nous avons tous l’obligation d’essayer d’examiner la pénibilité relative à l’ensemble des professions. J’ai apprécié l’utilisation du mot « personnalisation », mais pour procéder à une personnalisation, monsieur le ministre, nous devons à un moment ou un autre raisonner de la même façon quel que soit le statut du travailleur – qu’il soit artisan, et donc indépendant, ou salarié du privé ou du public. Sinon, nous aurons un problème d’égalité devant la loi.
Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements de suppression ?
La commission a émis un avis défavorable.
Je veux dire à ceux qui cherchaient tout à l’heure l’étude d’impact que tous les éléments de réponse, notamment sur le coût estimé de la mise en oeuvre de cette mesure, figurent à la page 43 de l’étude d’impact.
Je ne reprendrai pas ce que nos deux ministres ont déjà dit parfaitement et de manière tout à fait éloquente. Je veux simplement indiquer à mon tour combien cette mesure est attendue et combien il s’agit d’une mesure de solidarité forte entre les générations dans notre régime de retraites par répartition. On peut admettre que certains ont un travail plus dur ou plus pénible : il est normal et légitime qu’ils puissent partir à la retraite un peu plus tôt que les autres.
Ce système de comptabilisation des points, que nous détaillerons article par article, est bien conçu et assez simple : il se comprend aisément. Il reste maintenant à faire preuve de bonne volonté pour le mettre en oeuvre ! M. Lefebvre vient de dire à l’instant que ce système pourra poser des problèmes, et il a raison : il en posera vraisemblablement dans certains endroits. Mais ce n’est pas parce que c’est un peu compliqué au départ que c’est impossible et qu’il ne faut surtout pas s’y atteler ! Il s’agit d’une innovation importante, qui méritera que nous prenions un peu de temps pour la mettre en oeuvre. On peut espérer que nous ne rencontrerons pas de difficultés dans 80 % à 90 % des cas ; pour le reste, nous nous forgerons une doctrine en avançant, de sorte à être au clair le plus rapidement possible. Chacun doit y mettre de la bonne volonté – aussi bien les employés que les employeurs. Les résultats dépendront des efforts de chacun, mais je ne suis pas inquiet quant à la mise en oeuvre de la loi dans les prochaines années.
Le Gouvernement a donné un avis défavorable à ces amendements de suppression. Je le répète : je ne suis pas certaine de comprendre exactement la position de l’opposition aujourd’hui sur la prise en compte de la pénibilité. Certains affirment que cette mesure n’est qu’une petite étape de plus par rapport à ce qui a déjà été mis en place, tandis que d’autres considèrent qu’il s’agit d’un bouleversement majeur, et nous nous retrouvons avec des amendements de suppression pure et simple.
Permettez-moi de lire une petite déclaration datant de 2010 – cela me prendra très peu de temps.
Sourires.
« Ceux qui connaissent la pénibilité ont une espérance de vie moindre que les autres. […] La pénibilité peut-être définie comme l’exposition par le travail à un facteur de risque qui a un impact direct, immédiat ou différé sur le salarié ou son espérance de vie – je pense notamment au port de charges lourdes, au travail de nuit, au travail sous cadence, à l’exposition aux produits toxiques, etc. Il faut distinguer la reconnaissance de l’exposition à des conditions de travail pénibles de celle de l’inaptitude, qui est déjà prise en charge par notre système social. Pour des questions de solidarité, il faut que ces salariés puissent cesser le travail avant les autres, pour profiter plus longuement de leur retraite. D’autres formes de compensation pourront faire l’objet de propositions […] – aménagement de poste, développement du temps partiel. »
Nous n’avons rien à redire à cette déclaration qui date de 2010. Elle est signée Arnaud Robinet,…
« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe SRC
…porte-parole du groupe UMP. Elle a été faite dans le journal Le Monde. Mesdames et messieurs de l’opposition, je ne comprends donc pas pourquoi vous demandez aujourd’hui la suppression d’un dispositif qui, au fond, répond aux attentes qui étaient les vôtres en 2010 (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)
…et qui, alors, n’ont pas trouvé d’aboutissement, malheureusement pour vous, pour nous et pour les Français.
J’apporterai deux réponses précises aux questions précises qui ont été posées.
J’ai déjà indiqué à plusieurs reprises que le financement de la pénibilité s’inscrit dans celui, plus global, de nos régimes de retraites : il devient l’un des paramètres, l’un des éléments structurants de nos régimes de retraites. La réponse à la pénibilité n’est pas seulement la retraite, mais elle peut être la retraite. À ce titre, nous intégrons la prise en charge de la pénibilité dans celle des retraites de façon plus générale. Évidemment, des financements seront nécessaires : ce sont en partie ceux que nous sollicitons d’ores et déjà pour permettre le rétablissement des comptes de nos régimes de retraites, et ce seront par ailleurs des financements plus spécifiques qui reposeront, comme je l’ai dit il y a un instant, sur les entreprises. Une contribution sera demandée à l’ensemble des entreprises, qui, à l’évidence, sera modulée selon que ces entreprises exposent ou n’exposent pas leurs salariés à des facteurs de pénibilité.
Enfin, monsieur Lefebvre, sur la question de savoir comment faire en sorte que des fonctionnaires qui font le même travail qu’un salarié du privé puissent bénéficier des mêmes conditions de prise en charge de la pénibilité ?
Je vous répondrai d’abord, monsieur le député, que la prise en charge de la pénibilité dans le public existe sous une forme différente à travers les catégories actives. Nous faisons donc en sorte – et vous pourriez le souligner, car vous avez expliqué à l’envi ce matin que nous ne voulions pas opérer de rapprochement entre le public et le privé –…
…que la prise en compte de la pénibilité qui ne concerne jusqu’à présent que certains fonctionnaires s’applique également au secteur privé…
Partiellement, à travers les catégories actives. J’entends, monsieur le député, que vous préconisez la généralisation des catégories actives dans la fonction publique ! Ce n’est pas notre démarche. Notre collègue Mme Marilyse Lebranchu a engagé les premières discussions à ce sujet et une concertation devrait s’engager sur la définition des conditions dans lesquelles certaines dispositions du projet de loi pourraient être étendues à la fonction publique.
Dans le secteur privé, où il n’existe pas de prise en charge de la pénibilité, nous ne raisonnons pas en termes de métiers, monsieur le député ; nous entendons mettre en place des mécanismes personnalisés qui répondent aux préoccupations et aux problèmes des salariés, et non pas à celles des responsables ou des chefs d’entreprise. Nous nous fondons en effet sur l’idée toute simple qu’un salarié répond aux demandes d’organisation du travail de son employeur, alors que l’artisan isolé définit lui-même ses conditions de travail.
Avis défavorable, donc.
Le boulanger qui travaille tout seul n’a pas le choix. Il travaille la nuit !
Je souhaite rappeler que la pénibilité est un sujet extrêmement délicat. En 2003, il a été abordé dans cet hémicycle, car nous voulions l’inscrire dans la loi. Mais, à l’époque, il nous fut répondu : « Pas touche ! », au motif que cela ne relevait pas du travail des parlementaires, mais des partenaires sociaux, patronat et syndicats de salariés.
Nous avons pourtant résisté un moment, mais nous avons fini par accepter l’idée qu’il ne fallait pas évoquer le problème. Par la suite, il y eut des discussions entre partenaires sociaux – les syndicats de salariés et le patronat – mais elles n’avançaient pas beaucoup. Elles ont fini par aboutir à la définition de trois grands axes, qui ont été déclinés en dix axes. Quoi qu’il en soit, l’on nous a fait comprendre qu’il ne nous revenait pas de traiter un tel sujet. Du reste, j’ai retrouvé, dans l’exposé sommaire d’un amendement d’Arnaud Robinet que nous examinerons ultérieurement, les recommandations que l’on nous adressait l’époque : la loi ne devrait intervenir qu’en cas d’échec de la négociation d’une ou de plusieurs branches. Il semblerait que, maintenant, l’on puisse aboutir à des négociations entre les partenaires sociaux.
Par ailleurs, le nombre de décrets auxquels renvoie le texte m’effraie un peu, car – Mme Touraine comme M. Sapin qui ont une longue expérience de parlementaires le savent – on ne sait jamais ce qu’il y peut y avoir dans un décret : cela peut être le contraire de ce qui a été voté dans l’hémicycle.
Je vais rester très à terre à terre et le nez dans le guidon, si je puis dire. M. Lefebvre a fait une longue digression sur le problème de la pénibilité, et c’est bien. Il a également parlé de l’article 32 sur la gouvernance des caisses d’assurance vieillesse des professions libérales. Mais dans l’exposé sommaire de son amendement, qui tend à supprimer l’article 5, il indique vouloir ainsi supprimer le compte personnel de prévention de la pénibilité. Or, celui-ci est créé à l’article 6. Pour la clarté des débats, il serait donc souhaitable de présenter des amendements qui n’aillent pas dans tous les sens et de s’en tenir au texte, en l’occurrence l’article 5.
En fait, cher collègue, votre amendement vise à supprimer l’amélioration de la fiche de prévention des expositions et des modalités qui seront mises en place par le décret. Pourquoi pas ? Vous en avez le droit, mais ne dites pas qu’il s’agit de supprimer le compte pénibilité, qui sera créé à l’article suivant.
Je suis assez surpris par les amendements de suppression de l’article 5 de nos collègues de l’opposition. En effet, cet article, qui met en place une fiche de prévention des expositions, ne fait que compléter le dispositif, qu’ils ont eux-mêmes voté lors de la loi de 2010, de la fiche d’exposition aux risques professionnels. Comprenons-nous bien : pour ma part, je dis que des choses ont été faites dans le passé sur la pénibilité au travail.
Je dis seulement que cela était insuffisant : ce n’est pas allé assez vite ni assez loin.
Mais comment peuvent-ils nous dire qu’il n’y a pas de lien entre pénibilité et retraite dès lors que, mis à part deux dispositifs – en 1975 le dispositif Stoléru et, en 2000, le dispositif Aubry de départ anticipé pour le travail à la chaîne –, ils sont les premiers à avoir établi un lien entre retraite et pénibilité ? En effet, les articles 12 et 18 de la loi de 2003, qui précisent que le bénéfice des départs anticipés à la retraite est réservé aux salariés dont l’activité présente une caractéristique spécifique de pénibilité. Ce lien a donc été établi dès 2003. Il est vrai qu’ensuite, la négociation interprofessionnelle n’a pas suivi. Vous n’en êtes pas les seuls responsables ; les employeurs ont cherché à gagner du temps : il a fallu attendre 2008 pour aboutir à une définition des critères de la pénibilité.
La loi de 2010 – et c’est un bon point – avait lancé les accords de négociation sur la pénibilité ; quinze accords de branche ont été signés depuis et 4 800 dans les entreprises. Ce n’est pas assez, mais l’on peut comprendre que les organisations de salariés, estimant que la compensation et la réparation ne faisaient pas partie des discussions sur la pénibilité, ont, de ce fait, hésité à s’engager.
Par ailleurs, à tous ceux qui prétendent que la fiche de prévention des expositions va créer une charge supplémentaire, introduire une lourdeur administrative pour les PME et les TPE, je dis que c’est faux. Depuis la loi de 2010, obligation est faite à tous les employeurs de créer la fiche individuelle de suivi des expositions et d’alerter les salariés sur les risques professionnels. Le défaut du dispositif de l’époque, c’est qu’il n’a pas été prévu un décret définissant les seuils d’exposition, ce que propose l’article 5 que nous allons adopter dans quelques instants.
J’ai été interpellé par certains de nos collègues ; je souhaite intervenir.
Je serai bref, monsieur le président. Je comprends que l’on m’ait demandé pourquoi j’ai déposé un amendement de suppression de l’article 5. Des amendements de suppression ont été déposés sur les articles 5 à 10. En défendant la motion de renvoi en commission, Denis Jacquat a indiqué qu’il fallait retravailler le dispositif, car on a besoin d’être éclairé sur le financement et la montée en charge du dispositif. Ne nous envoyons pas d’anathèmes : il ne s’agit pas de refuser des mesures sur la pénibilité. Mais, dans sa forme actuelle, nous pensons que le dispositif n’est ni financé ni suffisamment détaillé pour éviter des injustices entre un certain nombre de catégories professionnelles. Au reste, les propos de Mme la ministre ne nous rassurent aucunement, notamment lorsqu’elle explique, à propos du 1,7 milliard manquant, que le dispositif est financé par la globalité du système. C’est bien le problème ! Et c’est la raison pour laquelle j’ai évoqué à ce propos l’article 32 sur la caisse des professions libérales : on voit parfaitement que le Gouvernement envisage de rééquilibrer le dispositif avec des ressources qui n’ont absolument rien à voir avec la pénibilité dans l’entreprise et les cotisations qui pèsent sur certains employeurs. Voilà ce que nous voulions souligner par ces amendements.
Nous voulons que l’Assemblée travaille à nouveau pour aboutir à un dispositif équilibré et financé.
Cet amendement tend à réécrire l’article 5. J’ai retrouvé les propos que j’ai tenus sur le site internet du Monde et je remercie Mme la ministre de les avoir cités. Je n’ai pas changé de position depuis. Nous considérons tous que la pénibilité est un véritable sujet, qu’il faut prendre en compte. Nos divergences portent sur la façon de le prendre en compte
Mme la ministre a de bonnes lectures. Elle lit du Robinet dans le texte !
Sourires.
La pénibilité est une notion très compliquée à évaluer. Grâce – je le répète, mais la répétition est la meilleure pédagogie – aux réformes de 2003 et de 2010, des avancées considérables ont pu être réalisées. Personne dans cet hémicycle ne peut dire le contraire.
Vous pouvez dire que nous n’avons pas été assez loin, mais les avancées ont été considérables. On ne peut faire de la pénibilité une notion fixe et uniforme, encadrée par des décrets pris en Conseil d’État, comme le propose votre projet de loi. En effet, il semble clair que la négociation doit prévaloir sur la loi en ce domaine, et non l’inverse. Il revient d’abord aux partenaires sociaux de définir des critères de pénibilité par branche. Une approche juste de la pénibilité ne peut se faire que par une approche différenciée des conditions de travail.
Plutôt que de vouloir mettre en place un nouveau dispositif global de pénibilité complexe et non financé – le Gouvernement estime lui-même le coût à 2,5 milliards d’euros à l’horizon de 2030 et à seulement 800 millions le rendement des recettes censées le financer à la même date –, il semble préférable de redonner la main aux partenaires sociaux sur ce sujet. La loi ne devrait intervenir qu’en cas d’échec de la négociation d’une ou plusieurs branches.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 3010 .
L’amendement vise à laisser la main aux branches professionnelles sur l’ensemble des dispositifs qui permettraient l’accès à la prévention et à la compensation de la pénibilité. Je vois que M. le ministre sourit : il n’est certainement pas surpris !
Je souris à l’idée de ce que je vais répondre !
Je n’en doute pas une seconde et j’en souris d’avance, monsieur le ministre.
Vous avez tout à l’heure cité le travail de nuit, qui est un excellent exemple, emblématique de la situation que nous devons traiter. Aujourd’hui, personne ne remet en doute les dix facteurs d’exposition à la pénibilité, même s’il est vrai qu’ils ont fait l’objet de longues discussions. Parmi ces facteurs, le travail de nuit est un exemple d’exposition différenciée selon le métier exercé. Si tout le monde peut comprendre que travailler la nuit durablement peut avoir un impact sur l’espérance de vie, on peut également comprendre que selon que vous êtes en charge d’un service infirmier d’urgence dans un grand hôpital ou que vous gardez des hangars, vides ou pleins, l’intensité du travail n’est pas la même, non plus que le stress et les responsabilités. Il y a donc travail de nuit et travail de nuit.
De même, l’exposition aux températures extraordinaires dans telle ou telle branche professionnelle n’aura pas la même intensité selon les métiers. Vous avez dit, madame la ministre – et j’avais indiqué la même chose quelques minutes auparavant – que l’individualisation et la médicalisation peuvent ne pas être la même chose ; je peux le concevoir. Mais le fait de traiter d’une manière univoque tous ceux qui vont être exposés à des facteurs de pénibilité du seul fait qu’ils le seront, indépendamment de la diversité des métiers qu’ils exercent, peut provoquer à terme des injustices.
C’est la raison pour laquelle je plaide pour que, non pas l’interprofession – dont on sait qu’elle n’a pas réussi à se mettre d’accord sur le sujet, Régis Juanico l’a rappelé – mais les branches professionnelles, dont certaines sont déjà très actives sur le sujet, puissent traiter chacune pour son propre compte les dispositions de compensation de pénibilité qu’elles souhaitent mettre en place pour leurs salariés.
La commission a émis un avis défavorable.
Vous voulez encore renvoyer aux partenaires sociaux mais ceux-ci ont montré leurs limites dans la négociation.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
S’ils sont parvenus à établir des critères entre 2005 et 2008, on a vu qu’ils n’avaient pas été capables d’aller jusqu’au bout de la démarche. Il faut éviter de repartir dans des négociations sans fin. La loi, si on veut la doter d’une certaine force, doit pouvoir s’appliquer aussi bien à Dunkerque qu’à Marseille, avec les mêmes critères objectifs, avec les mêmes seuils objectifs. Pour que le dispositif fonctionne, il faut donc une loi un peu rustique qui garantisse, à travers des critères simples et précis, une égalité de traitement aux quatre coins de l’hexagone, si je peux m’exprimer ainsi.
Le point commun de tous ces amendements, c’est de supprimer la définition des critères de pénibilité par la loi pour revenir à la phase précédente, celle de la négociation. Les différents orateurs ont employé des arguments, auxquels nous pourrions les uns et les autres être sensibles. Sécurisation de l’emploi : c’est un objectif que nous atteignons. Formation professionnelle : nous espérons que ce sera le cas.
Nous considérons sur un certain nombre de sujets – et celui-ci en fait partie – que c’est par la négociation entre partenaires sociaux que l’on peut trouver de bons compromis, de bonnes avancées et les progrès les plus durables, ceux qui se font sentir le plus rapidement dans la vie des entreprises.
Pour autant, est-ce que cela veut dire – dans notre dispositif et dans votre tête – que dès lors qu’une négociation n’aboutirait pas, le progrès s’arrêterait ? Non et c’est là toute la subtilité de l’articulation – avec laquelle vous avez du mal – entre démocratie sociale et démocratie politique.
Nous voulons une négociation par branche, pas une négociation interprofessionnelle !
C’est celle-là même que vous aviez voulue en introduisant dans l’article L. 1 du code du travail l’obligation de négociation – modification à laquelle nous ne nous étions pas opposés. Mais l’obligation de négociation ne veut pas dire que le pouvoir politique, et en particulier le Parlement, se trouve dépourvu de toute capacité d’agir. À l’origine, il y a une volonté politique : la saisine des partenaires sociaux – voie que nous avons suivie. Ensuite, il y a la responsabilité des partenaires sociaux à travers la négociation et là, de deux choses l’une : ou cette négociation aboutit et nous considérons, non pas que le pouvoir politique est privé de toute capacité d’agir, mais qu’il est en quelque sorte dans l’obligation de respecter l’équilibre de cette négociation – et c’est ce que nous avons fait ; ou cette négociation n’aboutit pas. Est-ce à dire alors que tout s’arrête, que plus rien ne fonctionne, qu’on ne peut plus avancer ? Non.
Comme vous, nous constatons que la négociation précédente a échoué. Certes, pas sur tous les points : elle est parvenue à établir une liste de critères et ce sont ces critères que nous avons retenus parce que, précisément, ils sont le fruit d’une négociation entre partenaires sociaux. Mais au-delà, c’est un constat d’échec qui s’impose, notamment au niveau des branches.
Et nous ne pouvons pas rester sur un échec. Il faut passer à autre chose à un moment donné. Les partenaires sociaux le reconnaissent eux-mêmes. Cet été, avec Mme la ministre, nous les avons rencontrés à plusieurs reprises. À chaque fois, nous leur avons posé la question de savoir s’ils souhaitaient qu’on leur laisse la main pour une négociation sur la question de la pénibilité. À chaque fois, leur réponse a été la même : compte tenu de l’échec des négociations, ce n’est plus à nous d’aboutir mais à vous, pouvoir politique, de prendre vos responsabilités.
En fait vous défendez plus la négociation que les partenaires sociaux eux-mêmes.
Nous considérons pour notre part qu’à un moment donné, il faut que le pouvoir politique prenne ses responsabilités. Le Gouvernement prend ainsi la responsabilité de vous faire ces propositions ; vous prendrez, en tant que parlementaires, la responsabilité de voter pour ou de voter contre. En l’occurrence, je vous propose de voter contre ces amendements et de voter pour l’article.
L’article 5 prévoit que les facteurs de risques, les seuils d’exposition, les modalités et la périodicité selon lesquelles la fiche individuelle est renseignée par l’employeur seront déterminés par décret.
Première question : s’agira-t-il d’un décret du ministère des affaires sociales ou d’un décret du ministère du travail ?
Un décret du Gouvernement !
Sourires sur certains bancs du groupe SRC.
Deuxième série de questions : les facteurs de risques sont aujourd’hui au nombre de dix, d’autres seront-ils ajoutés ? Si tel est le cas, que vont devenir les accords de branche signés, dont un collègue de la majorité a rappelé l’existence ? Aujourd’hui, il existe déjà des fiches d’exposition : que faudra-t-il en faire ? comment vont-elles évoluer ?
Autant de questions très concrètes que les entreprises vont nous poser.
Quant aux PME, vous savez comme nous qu’elles n’ont pas forcément les moyens de faire face à cette nouvelle organisation – c’est un sujet que nous avons évoqué à maintes reprises dans cet hémicycle. Des accompagnements sont-ils prévus pour les aider à respecter la loi ? Elles ne demandent pas mieux.
Par ailleurs, les seuils d’exposition sont extrêmement difficiles à déterminer et à définir. J’ai bien retenu, madame la ministre, la distinction que vous avez établie : il s’agit d’exposition à la pénibilité et non de métiers pénibles en eux-mêmes. Vous devriez d’ailleurs le faire savoir davantage. Mais comment allez-vous établir une délimitation dans le temps ? Comment définir les journées de nature pénible et celles qui ne le sont pas ? Cela sera très compliqué, reconnaissez-le. Sans compter, comme l’a rappelé l’un de nos collègues, que l’on peut être exposé plus ou moins longtemps à des facteurs de pénibilité. Ainsi, mieux vaut éviter d’exercer trop longtemps un travail de nuit pour éviter les ennuis.
Je sais que vous vous donnez un an avant la publication des décrets, mais nous aimerions savoir comment vous allez procéder. Car cela renvoie à des questions très concrètes qui nous sont posées à nous parlementaires, par les chefs d’entreprise et les salariés qui veulent savoir où l’on va.
La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes.
Monsieur Robinet, le rapport Moreau sur la pénibilité vous dit sans doute quelque chose. Permettez-moi de citer des extraits de la page 60 : « Par ailleurs, le dispositif de compensation de la pénibilité créé par la loi de 2010 bénéficie aux personnes pouvant justifier d’un taux d’incapacité permanente au moins égale à 10 % au titre d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail. » Plus loin, je lis : « Aucun de ces dispositifs ne prend en compte les effets potentiels d’une activité professionnelle exposée à des facteurs de pénibilité pouvant entraîner une diminution de l’espérance de vie quand ses effets apparaissent après le passage à la retraite. » Autrement dit, vous avez mis l’incapacité au coeur de votre dispositif. Les chiffres montrent d’ailleurs qu’il y a eu peu de bénéficiaires : 6 000, contre 3 millions environ prévus par l’étude d’impact du présent projet de loi. Le rapport Moreau est très clair là-dessus.
L’amendement no 142 n’est pas adopté.
L’amendement no 3010 n’est pas adopté.
Cet amendement repose sur une vision plus optimiste que celle exposée à l’instant par M. Sapin. Le ministre part du principe que les partenaires sociaux ne se mettront pas d’accord.
C’est un constat !
M. Issindou est encore plus clair quand il dit que les partenaires sociaux ont montré leurs limites.
Pour un homme de gauche, c’est une déclaration pour le moins impressionnante. Cela revient à dire que c’est l’État qui doit s’occuper de ces questions, un État centralisateur, qui donne des ordres, y compris aux partenaires sociaux.
Encore plus surprenant : M. Paul nous disait tout à l’heure de faire confiance aux partenaires sociaux pour moderniser le système, l’ouvrir, le rendre plus opérant et pour passer peut-être de 100 000 à 300 000. Il ne semble pas avoir lu le texte parce que les partenaires sociaux sont mis complètement hors-jeu dans le dispositif. Ils n’existent plus : c’est par décret que M. Sapin va définir les modalités de prise en compte de la pénibilité puisqu’il considère qu’ils sont incapables de se mettre d’accord.
Ils reviendront dans le jeu. M. Sapin est un sage : il les consultera !
Mon amendement est plus optimiste, disais-je, car il prévoit que ces modalités pourront être déterminées par voie d’accord par les partenaires sociaux des branches, considérant qu’à ce niveau, les acteurs sont plus près du terrain et savent exactement de quoi il est question. Et il propose que ce ne soit qu’à défaut d’accord que l’on passe par la voie du décret.
Cela me paraît plus conforme à la réalité de notre pays, où les partenaires sociaux ont encore quelques raisons d’exister.
Avis défavorable. Quand je dis que les partenaires sociaux ont montré leurs limites,…
…c’est uniquement sur la mise en oeuvre de ce pan du dispositif. Ne vous méprenez pas sur mes propos.
La négociation de branche aurait pour effet de ne pas garantir les mêmes droits à tous les salariés et de retarder la mise en oeuvre du compte pénibilité, ce qui est contraire à la logique que nous suivons.
Défavorable.
Votre réponse, monsieur le rapporteur, est très éclairante. Ce n’est pas la première fois – je ne vous ferai pas ce grief – mais là, vos propos sont particulièrement significatifs. Pourquoi ? Parce que la phrase-clef que vous venez de prononcer est la pierre d’achoppement qui nous sépare. Vous affirmez que les salariés n’auraient pas partout les mêmes droits. Mais connaissez-vous deux salariés aux métiers très différents qui sont exposés de la même manière aux mêmes facteurs ? C’est une évidence qu’ils n’auraient pas les mêmes droits, parce que les modalités d’exposition ne sont pas les mêmes, parce que leur formation professionnelle n’est pas la même, parce que l’aménagement de leur poste n’est pas le même. C’est toute la diversité des entreprises et de l’exercice des métiers, point sur lequel nous voulons appeler votre attention.
L’amendement de Dominique Tian est à cet égard un excellent amendement. Il laisse la place à la négociation professionnelle par branche. La négociation interprofessionnelle a échoué, c’est certain, mais il y a nombre de branches qui sont parfaitement capables de trouver un accord sur ces sujets dans un délai raisonnable. Certaines ont même commencé : il y a des accords collectifs très offensifs en ce domaine. N’allez donc pas dire que les partenaires sociaux sont partout incapables de trouver des accords, ce n’est pas vrai.
Laissez au moins ouverte la possibilité à cette diversité de s’exprimer pour qu’à la réalité des entreprises corresponde une diversité de dispositifs. Faites confiance aux branches professionnelles et à leurs négociateurs pour trouver des systèmes adaptés à la situation des salariés.
L’amendement no 115 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour soutenir l’amendement no 3020 .
Le dispositif du compte personnel de prévention de la pénibilité repose sur la déclaration d’un employeur, qui est ensuite soumis à une contribution liée aux situations de pénibilité au sein de son entreprise.
Cet amendement vise à assurer la consultation du médecin du travail dans le processus de définition des postes à caractère pénible, en amont de la déclaration sur la fiche. Nous voulons ainsi affirmer notre volonté de favoriser la prévention, conformément à l’intitulé même du compte personnel.
Cet amendement avait fait l’objet d’une discussion intéressante en commission sur les prérogatives exactes du médecin du travail et son rôle dans le domaine préventif. Nous pensons que l’associer à la définition des postes à caractère pénible contribuera à une reconnaissance objective et scientifique de l’exposition aux facteurs de pénibilité.
Intégrer a priori la médecine du travail au dispositif sera de nature à renforcer la transparence et la clarté du processus pour l’employeur et permettra au salarié de disposer d’une preuve incontestable de la pénibilité de son poste. Les risques de recours contentieux s’en trouveront ainsi réduits et l’accent mis sur la prévention se fera au bénéfice de l’employeur comme du salarié.
La commission a émis un avis défavorable.
Nous avons eu un débat à ce sujet en commission, comme vous le soulignez, madame Massonneau. Vous proposez que le médecin du travail définisse les postes pénibles dans l’entreprise. Nous considérons que le médecin du travail a plutôt vocation à accompagner les salariés sur le long terme. Son rôle sera d’examiner périodiquement chaque salarié afin de s’assurer du maintien de ses aptitudes médicales au poste de travail et de proposer, comme il le fait aujourd’hui, des adaptations ou des changements de poste. Selon nous, il n’a pas à intervenir dans la définition des postes exposés à la pénibilité.
Même avis pour les mêmes raisons.
Il ne s’agit pas d’exclure le médecin du travail de tout ce processus : il est même au coeur du dispositif de lutte contre la pénibilité, notamment à travers l’analyse de la situation de chacun des salariés. Votre amendement tend à ce qu’il soit consulté avant même que la fiche soit renseignée.
Or nous essayons de parvenir à un équilibre : il faut établir des droits, droits régulés assis sur une vérification, sans pour autant rendre le dispositif trop complexe, ce à quoi risque d’aboutir votre amendement.
Nous soutenons cet amendement, comme nous l’avons fait en commission des affaires sociales. En matière de pénibilité, le rôle du médecin du travail nous paraît essentiel.
Permettez-moi de vous livrer un témoignage : dans le bassin d’emploi où je suis élue, où 42 % des salariés travaillent dans l’industrie, nous savons ce qu’est la condition des ouvriers. Aussi essayons-nous de travailler à des expérimentations associant la médecine du travail, les médecins libéraux et les entreprises, afin de résoudre les problèmes de pénibilité, d’identifier les facteurs de risques, de trouver des moyens et de les mutualiser.
Ne pas citer le médecin du travail alors que l’on est en train de parler de pénibilité dans l’entreprise et d’exposition à des facteurs de risques constitue vraiment un manque !
Vous êtes perpétuellement dans la contradiction !
Pour répondre à M. le rapporteur et à M. le ministre, il faudrait justement que les médecins interviennent bien en amont, et non une fois que les fiches sont établies et que chaque salarié a déjà rempli un certain nombre de critères sur ces fiches. Je trouve étonnant que vous n’acceptiez pas que le médecin du travail soit associé en amont, dès la mise en place de cette fiche, et que vous choisissiez plutôt de l’intégrer après.
Madame Massonneau, l’intention de la loi est très claire, qui définit dix facteurs d’exposition ; des seuils seront ensuite fixés par décret. Je ne vois pas à quel moment le médecin du travail peut intervenir dans ce dispositif.
La situation est claire aujourd’hui : d’abord les facteurs d’exposition, puis les seuils d’exposition, avant une application générale. Je ne comprends donc pas à quel moment le médecin du travail peut intervenir dans ce processus, sauf à le dénaturer. Le risque serait que chaque médecin du travail l’interprète à sa manière : l’on n’aurait alors pas la même interprétation d’un endroit à l’autre, d’une entreprise à l’autre, dénaturant ainsi le système que nous souhaitons voir adopter.
Ce sont justement les seuils dont la fixation est renvoyée à un décret qu’il serait intéressant de partager avec les médecins du travail, car ils ont tout de même plus l’habitude que nous de les définir !
L’amendement no 3020 n’est pas adopté.
La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour soutenir l’amendement no 3025 .
De même que le médecin du travail devrait être associé à la définition de la fiche de poste exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité – je le répète en dépit de votre opposition –, nous proposons que le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, le CHSCT, ou le délégué du personnel dans le cas des entreprises de moins de cinquante salariés, ait un rôle à jouer.
Au nombre des missions du CHSCT figure l’analyse de l’exposition des salariés à des facteurs de pénibilité. Cet amendement vise donc à associer les CHSCT ou les délégués du personnel à la définition des postes à caractère pénible en amont de l’élaboration par l’employeur de la fiche de prévention des expositions.
Il s’agit une nouvelle fois d’une mesure de prévention : intégrer le CHSCT à la démarche s’inscrit dans le cadre collectif de l’entreprise dans la définition des postes.
Monsieur le rapporteur, vous m’avez répondu en commission que cela reviendrait à faire intervenir le CHSCT pour chaque fiche personnelle ; vous venez encore de le répéter à l’instant. Tel n’est absolument pas le but de cet amendement : nous considérons au contraire que cela doit se mettre en place dans une stratégie ou du moins une vision globale, afin notamment de faire fonctionner au mieux la démocratie sociale en entreprise. Cet amendement fera ainsi du compte personnel de prévention de la pénibilité un dispositif parfaitement conforme à ces exigences.
La commission a émis un avis défavorable. Je comprends l’intention de l’amendement de Mme Massonneau : il est utile que le CHSCT ait une vision collective des actions menées pour faire diminuer la pénibilité, sachant que cela entre déjà dans ses compétences. Nous avons adopté un amendement en commission qui prévoit son association par le biais de l’analyse d’un bilan annuel remis par l’employeur, lui permettant ainsi de jouer tout son rôle.
Même avis. J’aimerais vraiment que nous parvenions à nous entendre, parce qu’il ne s’agit pas de s’opposer sur le principe : le CHSCT a un rôle éminent à jouer dans la prévention de la pénibilité, dans l’analyse des facteurs d’exposition globaux, dans une entreprise, sur une chaîne, dans un atelier, et même poste par poste. Cela entre tout à fait dans sa mission, laquelle est d’ailleurs renforcée dans le cadre de ce texte, ainsi que vient de le rappeler le rapporteur.
Le CHSCT sera donc saisi des documents élaborés par la direction de l’entreprise pour évaluer les risques, documents que l’employeur mettra à jour chaque année.
Le CHSCT sera saisi des modalités d’élaboration des fiches de prévention, mais il n’est pas possible de prévoir qu’il soit saisi de chacune des fiches – ce serait en effet la conséquence de votre amendement tel qu’il est écrit, même si tel n’était pas votre but –, car cela serait contraire au droit à la protection des données individuelles.
Il ne peut donc pas être saisi des fiches individuelles ni donner son avis sur chacune d’elles car, au-delà de la très grande complexité que cela créerait – laissons ce sujet de côté –, il y aurait une contradiction profonde avec le rôle du CHSCT, qui est de vérifier le fonctionnement collectif et de faire des propositions pour lutter contre la pénibilité. Il ne peut pas en revanche entrer dans une vision individuelle de la fiche.
Telle serait la conséquence de votre amendement. Aussi, si vous partagez notre opinion, peut-être pourriez-vous retirer votre amendement afin de ne pas courir le risque que je viens de vous indiquer. À défaut, je serai obligé d’émettre un avis défavorable.
Il faut avoir le courage de dire la vérité : l’amendement de notre collègue est plutôt bon ! Je ne vois pas pourquoi la médecine du travail serait exclue de ce processus, bien au contraire !
Nous parlons du CHSCT, pas de la médecine du travail !
Exclamations sur les bancs du groupe SRC.
Et vous seriez incapables de répondre à la demande, parce que vous refusez de créer ces postes
Cela me rappelle d’ailleurs le problème de la médecine scolaire. Quand nous avions examiné le texte sur la décentralisation, on nous a dit que la médecine scolaire devait rester centralisée et relever de la compétence de l’État. Elle aurait pu en effet être transférée à la région ou au département ; mais non, elle est restée de la compétence de l’État. Or il manque des centaines de médecins scolaires et des milliers d’infirmières scolaires !
Nous avons donc la médecine préventive scolaire la plus nulle d’Europe ! Et la médecine du travail est à peu près au même niveau !
C’est pour cela que vous êtes incapables de répondre à la demande de notre collègue, qui est pourtant pertinente. Vous ne pouvez pas nous faire la même chose en CHSCT : par définition, vous ne demandez pas l’avis du médecin, puisque vous ne voulez pas créer les postes de médecins nécessaires !
L’évocation des CHSCT me rappelle une demande que j’ai formulée auprès de vous, monsieur le ministre ; je profite donc de votre présence pour la reformuler, parce que j’attends toujours la réponse. J’ai cru comprendre que vous étiez très attaché à la prévention ; vous avez dû comprendre que nous aussi. En 2010, un Fonds national de soutien relatif à la pénibilité de 20 millions d’euros a été créé. Il s’éteint en principe le 31 décembre 2013. Or il n’y a pas moyen de savoir quelle a été l’utilisation de ce « fonds pénibilité » par les entreprises.
Je vous demande donc à nouveau solennellement, monsieur le ministre, de nous apporter cette information, dans la mesure où l’alinéa 12 de l’article 5 prévoit que les CHSCT disposeront d’un bilan annuel dans lequel seront présentées les mesures de prévention, organisationnelles, collectives et même individuelles – cela rejoint donc la demande de notre collègue – que l’employeur a mises en oeuvre. Comment faut-il vous demander cette information, monsieur le ministre ?
L’amendement no 3025 n’est pas adopté.
Je suis saisi d’une série d’amendements, nos 1255 à 1269 .
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 1256 .
Cet amendement a pour objet d’inclure les risques psychosociaux dans les critères de pénibilité. Certes, le décret du 30 mars 2011, dans sa section II sur la pénibilité, définit dix critères : trois au titre des contraintes physiques marquées, quatre au titre de l’environnement physique agressif et trois au titre de certains rythmes de travail.
On peut d’ailleurs considérer que les critères concernant les rythmes de travail peuvent, pour partie, relever des critères conduisant à des risques psychosociaux.
Cela dit, ceux-ci sont devenus depuis une préoccupation majeure dans le domaine de la santé mentale au travail. Cela a notamment été consacré par l’entrée dans le code du travail de la réglementation relative au harcèlement moral.
La question recouvre des situations de natures différentes : stress, épuisement professionnel, difficultés relationnelles au sein d’un collectif de travail, souffrance morale, et harcèlement proprement dit.
Nous pensons que la prise en compte de ce facteur dans la définition de la pénibilité serait une réelle avancée pour celles et ceux qui en souffrent. Tel est l’objet de cet amendement.
À l’occasion de l’examen de cet amendement, qui pose la question de la prise en compte des facteurs psychosociaux, je voulais en profiter pour interroger Mme et M. les ministres : dans le décret du 30 mars 2011, dix facteurs de risques sont pris en compte, alors qu’en 2008, les partenaires sociaux en avaient acté douze.
Il en manque donc deux par rapport à 2008 : les expositions aux intempéries – facteur de risques absolument essentiel pour celles et ceux qui sont amenés à travailler dans des conditions climatiques extrêmement rigoureuses et difficiles – et le travail en horaires atypiques, comme le travail le dimanche ou certains horaires qui peuvent jouer un rôle sur l’espérance de vie.
Ma question porte donc sur le décret annoncé dans l’article 5 : pensez-vous, le cas échéant, compléter la liste du décret de 2011 avec les deux facteurs de risques supplémentaires actés en 2008 ?
La parole est à M. Bruno Nestor Azerot, pour soutenir l’amendement no 1259 .
La parole est à M. Jean-Philippe Nilor, pour soutenir l’amendement no 1267 .
Aujourd’hui, la prévention des risques psychosociaux est la grande absente de ce projet de loi. Elle l’est également largement du code du travail, qui prévoit toutefois que les employeurs sont responsables de la santé mentale de leurs salariés. Or il n’y a aucune réflexion en la matière.
Je voudrais parler de ce qui déstructure aujourd’hui le sens même du travail. C’est le thème d’un documentaire au titre d’une beauté cruelle : Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. Ce film est inspiré d’un livre, Souffrance en France, de Christophe Dejours, qui est psychiatre, psychanalyste, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et directeur du département de psychologie du travail – une pointure
Une question résume ce livre et le film qui en a été tiré : comment parvenons-nous à accepter sans protester les contraintes du travail, toujours plus dures, dont nous savons pourtant qu’elles mettent en danger notre intégrité mentale et physique ?
En réalité, la peur est devenue l’objet d’une instrumentalisation managériale. Il existe un management de la menace, et c’est l’un des rouages essentiels de l’efficacité : la peur ! Peur du licenciement, peur d’être mal vu si on n’accepte pas d’être corvéable, de travailler le dimanche, peur de ne pas être à la hauteur, peur de perdre son statut et, avec une résonance particulière en outre-mer, peur de déplaire au maître !
C’est aussi pour ces raisons, et parce que nous sommes profondément attachés au travail en tant que moyen d’accomplissement personnel et social, que nous proposons de prendre en compte ces questions dans la pénibilité.
Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.
Ainsi, la tolérance à l’injustice, à la souffrance – la sienne comme celle de ses collègues –, est devenue une situation ordinaire, banale. Il s’agit d’esseuler, de diviser, de casser toute solidarité, pour ensuite surveiller, contrôler, sanctionner – bref, les mêmes principes qui régissent l’économie néolibérale : segmentation, isolement, quadrillage. Le monde du travail est devenu un monde de solitude, une somme de solitudes.
La commission a émis un avis défavorable à ces amendements. Même si le sujet est réel et qu’il a déjà été traité ici à plusieurs reprises, on conviendra qu’il est complexe. D’ailleurs, il n’a pas obtenu l’accord des partenaires sociaux qui l’ont écarté en 2008.
Le projet de loi se concentre sur la pénibilité physique dont l’effet est connu et mesurable sur l’espérance de vie, à l’inverse des risques psychosociaux. Un accord professionnel sur le stress au travail a d’ailleurs été conclu en 2009 et des plans de santé au travail traitent spécifiquement des risques psychosociaux. C’est un véritable risque, personne ne le nie, mais difficile à appréhender et à quantifier dans le cadre d’une mesure de pénibilité qui doit rester relativement fruste, rustique – je ne sais pas si ce sont les mots qui conviennent – pour aboutir dans de très bonnes conditions.
Le débat sur la pénibilité dans le cadre de ce texte ne résume pas le débat sur les conditions de travail, sur la difficulté au travail, sur le stress au travail, sur ce qu’on appelle – et une négociation vient encore de se conclure en la matière – la qualité de vie au travail. Quand nous retenons ces critères-là, cela ne veut pas dire que les questions que vous posez ne se posent pas ou qu’il n’y a pas des solutions à trouver par d’autres moyens, d’autres mécanismes, d’autres types de négociations ou éventuellement d’autres types de textes pour améliorer la vie au travail dont vous avez décrit sur plusieurs bancs les difficultés, parfois les duretés, voire les cruautés.
Ce que nous voulons, c’est pouvoir tirer des conséquences simples à partir d’un dispositif simple. Le Gouvernement a fait le choix de s’arrêter sur dix critères qui ont finalement été retenus par les partenaires sociaux. Il y a eu d’autres critères, d’où le chiffre de douze, que certaines organisations syndicales, et on peut les comprendre, avaient souhaité voir adopter. C’est parfaitement conforme à l’histoire de cette négociation, mais non aux résultats de la négociation de 2010 où les partenaires sociaux se sont mis d’accord sur dix critères. Nous n’avons pas voulu rouvrir à ce stade le débat. Certains demandent qu’il puisse y avoir des évolutions à l’avenir. Nous verrons. Nous nous arrêtons sur ces dix critères qui ont été reconnus par tous, y compris par le patronat, d’où notre étonnement quand nous voyons parfois ces dix critères remis en cause par certains qui avaient participé à la négociation qui a abouti à cette définition.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement s’en tient à ces dix critères et vous propose d’en faire autant.
Il s’agit d’un sujet à la fois extrêmement complexe et difficile.
Tout ce qu’a dit M. Nilor est juste. Christophe Dejours a écrit un livre que chacun peut se procurer : Souffrance en France. La difficulté des différentes approches qui existent aujourd’hui sur les sujets qui sont résumés dans le vocable « risques psychosociaux » qui agrège beaucoup de situations différentes, comme le ressenti d’un salarié en difficulté dans son entreprise parce qu’on a changé son poste de travail jusqu’à celui qui connaît le burn out, voire le suicide comme on l’a vu malheureusement dans de grandes entreprises de ce pays, pose problème. C’est pour cela, je crois, que les partenaires s’en sont tenus à un côté fruste – pour reprendre l’expression employée par le rapporteur – des dix facteurs de risques de pénibilité. Je pense que le sujet n’est pas épuisé et que la manière de l’aborder aujourd’hui encore par les scientifiques qui travaillent sur ces sujets n’est pas la même et pose encore débat. Cela ne veut pas dire que le problème n’existe pas. Christophe Dejours qui a beaucoup travaillé sur le management, sur les organisations, sur la perte des repères, a une vision extrêmement précise de l’entreprise mais qui n’est pas partagée aujourd’hui par tout le monde, même si les questions qu’il pose et les travaux qu’il mène au CNAM sont essentiels pour la compréhension de ces phénomènes.
Je souhaite revenir sur le débat que nous avons eu en commission sur les risques psychosociaux. Les partenaires sociaux ont défini ainsi la pénibilité au travail, en 2008 : « La pénibilité au travail résulte de sollicitations physiques etou psychiques de certaines formes d’activités professionnelles qui laissent des traces durables, identifiables et irréversibles sur la santé des salariés et susceptibles d’influer sur leur espérance de vie. » Il faut savoir que le présent projet de loi traite de la pénibilité physique à partir de cette définition et des trois grands facteurs de risques qui ont été identifiés, à savoir les contraintes physiques marquées comme le port de charges lourdes, l’environnement de travail agressif comme l’exposition aux agents chimiques ou toxiques et les rythmes de travail comme le travail de nuit.
Mais cela ne veut pas dire que les risques psychosociaux ne sont pas traités par ailleurs. Le ministre vient d’évoquer un certain nombre d’accords qui ont été conclus entre les partenaires sociaux depuis 2004, comme l’accord européen sur le stress au travail, l’accord national interprofessionnel sur le stress au travail de 2009, l’accord national sur le harcèlement et la violence au travail de 2010, l’accord interprofessionnel de 2009 qui oblige les entreprises de plus de 1 000 salariés à négocier sur les risques psychosociaux, ce qui ne veut pas dire que rien n’est fait dans les petites entreprises puisqu’un travail de prévention est réalisé.
Dans le cadre de la mission d’information parlementaire sur les risques psychosociaux que présidait Marisol Touraine en 2010 et dont le premier rapporteur était Jean-Frédéric Poisson – qui, ayant dû nous quitter momentanément, a été remplacé par Guy Lefranc… –, nous mettions bien l’accent sur le fait que cela relève d’abord de l’organisation du travail. Les acteurs de l’entreprise ont donc tout un travail à faire pour traiter de l’organisation du travail qui peut être un facteur de mal-être dans l’entreprise. Je rejoins donc le ministre qui a indiqué que, cette année, un grand accord a été signé par les partenaires sociaux sur la qualité de vie au travail qui traite aussi de l’égalité femmes-hommes.
Tous ces accords, ainsi que la volonté politique du Gouvernement et de la majorité de faire avancer ce dossier, permettront de traiter à la fois de la pénibilité physique et de la pénibilité psychique à travers la prévention des risques psychosociaux.
Monsieur le ministre, vous avez tendance à renvoyer ce dossier au décret du 30 mars 2011. Dans le même temps, on constate une dérive puisque la décision législative devrait être soumise mécaniquement à l’accord des organisations syndicales que certains appellent partenaires sociaux. Derrière tout cela, il y a le risque d’une forme d’abandon du pouvoir du législateur, d’autant que la définition du harcèlement moral est entrée dans le code du travail à travers une loi. Il me semble donc élémentaire que ces critères tiennent compte de cette évolution législative.
La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour soutenir l’amendement no 3022 .
Cet amendement vise à supprimer l’alinéa 5 de l’article 5 qui nous semble apporter une précision qui n’aurait pour seule conséquence que de compliquer le dispositif. En ajoutant le mot « effectivement » au sujet de l’exposition d’un travailleur à un ou plusieurs facteurs de pénibilité, nous craignons que la contestation d’un employé auprès de son employeur à propos de son poste puisse être plus difficilement recevable juridiquement au vu de cette précision maladroite.
La commission a émis un avis défavorable. Il faut rappeler que c’est ici le risque qui est pris en compte alors que l’état de santé du salarié n’est pas encore affecté. Cependant se pose la question de savoir si ces risques doivent être considérés en prenant ou non en compte les mesures prises par l’employeur pour les limiter. Cette précision doit inciter les employeurs à prendre des mesures de prévention et d’atténuation des risques professionnels et il est important de la conserver. C’est un levier essentiel pour lutter contre la pénibilité.
Défavorable, pour les mêmes raisons.
L’amendement no 3022 n’est pas adopté.
La parole est à M. Christian Hutin, pour soutenir l’amendement no 1578 .
Cet amendement eût pu être discuté en même temps que les amendements de M. Chassaigne et je vous prie de bien vouloir m’excuser de revenir sur le sujet.
J’ai bien conscience que mon amendement aura une durée de vie limitée – on en parle beaucoup cet après-midi – et je reconnais qu’il a une base législative assez ténue puisque je demande à nouveau que l’on grave dans le marbre de la loi ces fameux facteurs de pénibilité qui figurent dans le code du travail.
Par cet amendement, j’essaie aussi d’inclure les risques inhérents à certaines activités de notre XXIe siècle, je veux parler des activités à procédure répétitive. Il faut visiter un centre d’appel téléphonique pour se rendre compte de la façon dont cela se passe.
C’est tout à l’honneur du Parlement que quatre membres ici présents de la mission parlementaire sur les risques psychosociaux au travail, d’ailleurs les plus actifs, avec Roland Muzeau qui n’est pas là et nous le regrettons, aient pu identifier réellement un certain nombre de problèmes. Comme je l’ai dit dans le cadre de la discussion générale, un certain nombre de pays gèrent la pénibilité au travail par rapport à un seuil de calories dépensées. En Italie par exemple, on a décidé que les travailleurs de force dépensent 3 500 calories. Il faudrait procéder à une analyse beaucoup plus fine, car la pénibilité ne se résume plus au nombre de calories dépensées. Je pense notamment à ces pauvres gens qui font partie du personnel des plates-formes téléphoniques et qui ont des conditions de travail extrêmement difficiles.
Toute la difficulté réside dans l’opposition entre le travail du législateur et l’exécutif, les décrets, les partenaires sociaux. Même si mon amendement est défunt, je souhaite qu’on en garde à l’esprit une bonne image et que l’on n’oublie pas que ces risques-là existent.
Comme vous l’avez déjà défendu en commission, vous savez déjà que la commission a émis un avis défavorable.
Comme le rappelle l’exposé sommaire de votre amendement, l’article D. 4121-5 du code du travail fixe la liste des risques professionnels définissant la pénibilité. Il n’est pas nécessaire de l’inscrire à l’article 5 d’autant qu’il précise que les facteurs de pénibilité retenus pour le compte personnel seront définis par décret après consultation des partenaires sociaux. La précision que vous proposez relève bien du domaine réglementaire et non législatif.
Monsieur le député, nous avons eu l’occasion de travailler, ainsi que Jean-Frédéric Poisson, sur ces questions tout à fait essentielles qui prennent une place de plus en plus grande dans le monde du travail.
Comme cela a été dit, on ne peut pas ramener l’ensemble des actions de santé au travail, de prévention, d’accompagnement des salariés dans le monde du travail à ce qui relève de la mise en place d’un compte pénibilité.
J’ajoute qu’il serait difficile de se résoudre à l’idée que nous apporterions une réponse en termes de réparation à des situations qui peuvent parfois devenir insupportables et qui plus que d’autres encore ont besoin de faire l’objet d’un accompagnement en termes de prévention et de santé au travail.
Je vous demande donc de retirer votre amendement tout en vous indiquant que vos préoccupations sont aussi celles du Gouvernement et qu’elles font l’objet d’un suivi attentif, tant des politiques de santé que des politiques du travail.
Je ne suis pas sûr que nous parlions du même amendement que Mme le ministre. Le groupe UMP votera l’amendement de notre collègue Hutin. Nous considérons en effet que s’il doit y avoir une transcription symboliquement importante des accords auxquels sont parvenus les partenaires sociaux sur ce genre de sujet, il est bon de les inscrire dans la loi. Deuxièmement, nous devons donner aux acteurs du monde économique et à ceux de la santé au travail une visibilité suffisante qui permette de les rassurer : s’il fallait changer la liste des facteurs de pénibilité, qui malheureusement a plutôt vocation à s’accroître qu’à diminuer, ce ne pourrait être que par la loi et non simplement par décret. Pour ces deux raisons, le groupe UMP accordera son soutien à cet amendement de notre collègue Hutin.
J’ai répondu à ce qu’a dit M. le député Hutin. Sur la question du décret ou de la loi, il faudrait de toute façon qu’il y ait d’abord négociation et, comme il a été dit, il s’agira de réfléchir à la façon dont pourrait évoluer dans le temps la liste des critères de pénibilité. Avant de se demander par quel texte on doit inscrire un risque, la question est de savoir s’il faut l’inscrire et si la question des risques psychosociaux doit relever de cette liste.
L’amendement no 1578 n’est pas adopté.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 3011 .
Dans la droite ligne de ce qui a été évoqué précédemment par un certain nombre de collègues, j’estime que le médecin du travail a une place particulière et j’ai beaucoup de mal à entendre, de la part du rapporteur, qu’il pourrait avoir une interprétation portative, personnalisée et individuelle des risques professionnels.
D’une part, je ne considère pas que ce soit un risque majeur d’autre part, il y a là une manière de considérer qu’on pourrait traiter ces sujets dans une sorte d’improvisation, ce qui ne me paraît pas conforme à la considération qu’on doit avoir pour cette profession.
L’amendement no 3011 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Je suis saisi de d’une série d’ amendements identiques, nos 1331 à 1345 .
La parole est à M. Marc Dolez, pour soutenir l’amendement no 1333 .
Cet amendement revêt pour nous une importance non négligeable, puisqu’il vise à rendre effectif le dispositif de la fiche de prévention prévu à cet article. Le problème est que l’obligation n’est assortie d’aucune sanction. C’est la raison pour laquelle nous proposons de compléter l’alinéa 9 par une sanction en cas de non-respect des dispositions légales, sanction pouvant aller jusqu’à un an d’emprisonnement et une amende de 3750 euros.
Avis défavorable. Le respect par l’employeur de ses obligations relatives au compte personnel de pénibilité fera l’objet d’un contrôle par les caisses de retraite, qui pourront s’appuyer sur les services de l’administration du travail. Des sanctions sont déjà prévues par le texte et j’ajoute que ces organismes communiqueront annuellement, de même que l’employeur, l’état du compte de pénibilité du salarié. Cet amendement ne semble donc pas nécessaire.
Même avis. Des sanctions sont déjà prévues dans le dispositif global lorsque l’employeur ne satisfait pas à une obligation de cette nature. Elles viennent progressivement : il y a d’abord un rappel à l’ordre, puis l’inspection du travail joue son rôle et le CHSCT a lui aussi un rôle d’avertissement. Le dispositif actuel est parfaitement adapté. À l’inverse, les peines que vous prévoyez sont tout de même assez massives et, comparées à d’autres peines pour d’autres types d’infractions commises par la direction d’une entreprise, pourraient être considérées comme un peu disproportionnées.
Si j’ai bien compris, l’entreprise sera tenue de communiquer une fois par an au salarié le contenu de sa fiche. Dans le texte, il est question de la fiche de pénibilité qui serait remise au départ de l’établissement, ou après arrêt ; il est question de la fiche qui sera remise tous les ans à la CARSAT ; il est question des organismes gestionnaires qui notifient tous les ans au travailleur les points acquis : je vous avoue qu’on s’y perd un petit peu. Est-ce que vous pourriez très simplement nous expliquer comment cela va se passer : si je suis salariée dans une entreprise et exposée à des périodes de pénibilité, concrètement, quand je vais voir mon employeur, comment ça se passe ?
Sourires.
L’amendement no 1333 n’est pas adopté.
Je suis saisi d’une série d’amendements identiques, nos 337 à 351 .
Sur ces amendements, je suis saisi par le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. André Chassaigne, pour soutenir l’amendement no 338 .
Je reviens sur des points qui ont été pour partie discutés, y compris par M. le ministre qui a répondu par anticipation en répliquant aux interventions sur l’article : il a esquissé son point de vue sur cette question, en disant en particulier qu’il ne fallait pas trop bousculer les chefs d’entreprise et qu’il fallait progressivement mettre en place la procédure…
Je ne suis pas sûr de l’avoir dit comme ça…
Mais il l’a dit de façon beaucoup plus élégante et beaucoup plus habillée…
La question a aussi été abordée par Mmes Massonneau et Le Callennec, y compris dans la question que vient de poser Mme Le Callennec : comment cela va-t-il se passer dans l’entreprise avec les fiches individuelles ?
L’objectif de cet amendement est de faire que l’ensemble des fiches individuelles soit présenté chaque année au CHSCT ou, à défaut, au délégué du personnel. On a bien compris quel serait le déroulement – et encore ! – qu’il s’agisse de la réalisation de la fiche, des modalités de consignation des renseignements, du modèle de fiche qui sera précisé par décret. Ensuite, la fiche pénibilité est communiquée aux services de la santé au travail, qui la transmet à son tour, si j’ai bien compris, au médecin du travail, lequel devra l’insérer dans le dossier médical du salarié. Du moins, c’est l’interprétation que nous en avons faite.
La fiche est également communiquée aux services de la santé au travail à chaque mise à jour. En outre, le salarié doit pouvoir accéder à tout moment à la fiche qui le concerne et demander la rectification des informations y figurant.
Là, madame et monsieur les ministres, nous retrouvons cette tendance au face-à-face entre le salarié et l’employeur qui laisse de côté la mise en oeuvre de la démocratie sociale.
Dans l’accord national interprofessionnel, on pourrait citer des exemples. Ne peut-on pas donner un pouvoir au CHSCT quand il existe, ou à défaut, au délégué du personnel ?
Puis-je considérer que l’ensemble des amendements de cette série ont été défendus.
Sourires.
L’avis de la commission est défavorable, mais nous avons adopté en commission un amendement qui prévoit très exactement ce que vous proposez quant à l’association du CHSCT, qui « aura communication annuelle d’un bilan de l’ensemble des fiches individuelles de prévention de la pénibilité ».
Votre amendement n’est donc pas nécessaire. Et pour les entreprises de moins de cinquante salariés, monsieur Chassaigne, vous allez sourire de toutes vos dents : je vous proposerai d’adopter un peu plus loin l’amendement no 2808 de M. Sebaoun qui prévoit exactement ce que vous demandez.
M. Chassaigne a été extrêmement attentif aux débats qui ont eu lieu ici ; comme il l’a lui-même souligné, pas forcément avec les termes que j’avais personnellement utilisés, le débat a déjà eu lieu.
Mais il faut bien faire la différence entre ce qui est collectif et ce qui est individuel. Le CHSCT a un rôle qui consiste notamment, comme le prévoit l’amendement de M. Sebaoun, à faire un bilan global, de la situation, des fiches, de la manière de faire. C’est là le rôle du CHSCT. Vous, vous demandez que la fiche individuelle lui soit soumise : je ne dis pas pour approbation, mais vous demandez qu’elle lui soit soumise. On sort là du rôle que souhaitent jouer les membres du CHSCT eux-mêmes, qui la plupart du temps ne veulent pas entrer dans un débat de caractère individuel.
S’il y a contentieux, monsieur Chassaigne, alors évidemment le salarié n’est pas seul : ce n’est pas la rencontre individuelle du salarié et de l’employeur. S’il y a contentieux sur la fiche, le salarié peut être accompagné par un délégué du personnel ou par un délégué syndical pour faire valoir ses droits.
Faisons attention de ne pas mettre en place un dispositif automatique sur des fiches individuelles, tout en prévoyant que le salarié ne soit pas isolé lorsqu’il conteste la fiche élaborée par l’employeur.
J’ai été un tout petit peu long mais je pense que nous ne devons pas être en désaccord sur ce point-là, me semble-t-il, monsieur Chassaigne. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement redit son désaccord sur l’amendement, tout en partageant avec vous une vision globale du droit des CHSCT et du droit des salariés.
Chacun sait que nos conditions de travail sont particulièrement difficiles, on le voit quelquefois paraît-il avec des votes nocturnes, mais vous risquez, monsieur le rapporteur notamment, de déclencher chez nous des risques psychosociaux. (Sourires.)
Si dans cette assemblée il ne faut surtout pas montrer patte blanche, patte verte ou patte rouge…
…mais patte rose pour qu’un amendement soit adopté, je crois qu’il y a un véritable problème que je veux signaler.
Vous dites que notre amendement n’est pas mal, mais qu’un autre va arriver, défendu par un camarade socialiste, et qu’on l’adoptera donc plus facilement !
Applaudissements sur les bancs des groupes GDR, UDI et UMP.
Je prends acte de cette observation et je constate votre grande objectivité, qui permet d’ailleurs de s’interroger sur le fonctionnement de cette assemblée. Je prends aussi acte que la réponse apportée par M. le ministre est différente de la vôtre. Est-ce que M. le ministre est plus sensible aux risques psychosociaux qui peuvent être déclenchés chez les députés ou va-t-on vers votre approche à vous qui est quand même un petit peu partisane ?
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants63Nombre de suffrages exprimés63Majorité absolue32Pour l’adoption16contre47 (L’amendement no 338 n’est pas adopté.)
Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, nos 1270 à 1284 .
La parole est à M. Bruno Nestor Azerot, pour soutenir l’amendement no 1274 .
Le dispositif prévoit de s’appuyer sur les fiches de prévention de la pénibilité mises en place lors de la réforme de 2010.
Dans la rédaction actuelle du code du travail, il est prévu que cette fiche soit communiquée aux ayants droit en cas de décès du travailleur. Cet amendement vise à compléter et à préciser ce droit, tout d’abord en l’élargissant aux cas d’incapacité supérieure à un taux fixé par décret. Cette disposition est essentielle pour tous les cas où le travailleur, en raison de son incapacité, n’est pas en mesure de prendre connaissance du contenu de la fiche.
Ensuite, il s’agit de permettre au conjoint, au concubin ou à la personne avec laquelle le travailleur a signé un pacte civil de solidarité d’avoir accès à une copie de cette fiche, la notion d’ayant droit nous paraissant en effet trop restrictive.
Cet amendement vise à faire correspondre ce droit aux évolutions de notre société. Prenons l’exemple de l’amiante. Nous savons combien les veuves des victimes éprouvent des difficultés pour faire établir le lien entre l’exposition de leurs maris et la maladie qu’ils ont développée. Il est indispensable, pour elles, de prendre connaissance du contenu de cette fiche afin de faire établir ce lien et que la maladie qui a tué leur conjoint soit reconnue comme d’origine professionnelle.
Un rapport sénatorial estime à près de 100 000 le nombre de salariés ou retraités concernés par l’exposition à l’amiante. Il est indispensable que leurs veuves ou veufs puissent accéder aux informations contenues dans les fiches de prévention de la pénibilité, indépendamment de leur statut marital.
L’amendement no 1274 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Je suis saisi de plusieurs amendements identiques, nos 1075 à 1089 .
La parole est à M. Jean-Philippe Milord… pardon, Nilor, pour soutenir l’amendement no 1087 .
Je sais que nous célébrons l’anniversaire de la mort d’Édith Piaf mais je ne m’appelle pas Milord ! Mon nom est bien Nilor ! (Rires et applaudissements.)
Afin d’éviter que le dossier médical en santé du travail ne puisse devenir un obstacle à l’emploi du salarié et que les médecins ne subissent des pressions de la part d’employeurs pour avoir accès aux données qu’il contient, notamment avant l’embauche du salarié, les auteurs de cet amendement, qui sont déterminés, proposent de garantir effectivement la confidentialité de ces informations personnelles en incriminant le fait d’obtenir ou de tenter d’en obtenir la communication.
La santé au travail constitue un enjeu très important tant nous savons qu’il existe un certain nombre de tensions incontestables. Les employeurs, de plus en plus souvent, cherchent à avoir accès à des informations médicales et confidentielles sur leurs salariés, en particulier lors des phases de recrutement ou de suppression d’effectifs.
Des salariés dont la santé est dégradée sont parfois poussés sur le banc de touche en priorité, certains étant même amenés à cacher leurs problèmes de santé pour ne pas risquer d’être licenciés. Ce sont là autant de situations qui rendent nécessaires, selon nous, que la confidentialité des éléments médicaux versés – notamment dans le cadre du dispositif de prévention de la pénibilité – soit correctement protégée et consolidée.
Les peines retenues sont conformes à celles déjà prévues à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique punissant l’accès aux données contenues dans le dossier médical personnel.
L’amendement no 1087 , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
La parole est à M. Gérard Sebaoun, pour soutenir l’amendement no 2808 .
Lorsqu’il n’existe pas de CHSCT, il convient d’étendre aux délégués du personnel la possibilité d’accéder au bilan de l’application des nouvelles dispositions du droit du travail relatives à la prévention et à la compensation de la pénibilité.
Cela va d’ailleurs dans le sens de ce que préconisait M. Chassaigne, le texte de la commission précisant déjà qu’un bilan extrêmement détaillé doit être soumis au CHSCT.
Avis favorable. M. Chassaigne sera sans doute ravi de rejoindre M. Sebaoun à ce propos.
L’amendement no 2808 , accepté par le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 2809 .
J’espère que cet amendement aura autant de succès que celui de M. Sebaoun puisqu’il s’agit de faire en sorte que le CHSCT soit non seulement informé mais qu’il rende un avis sur le bilan qui lui sera soumis. Une information, c’est fait pour être utile. Il importe donc que le CHSCT délibère de manière à ce que la lutte contre la pénibilité s’inscrive dans le cadre du dialogue social de l’entreprise.
L’amendement no 2809 , accepté par la commission et le Gouvernement, est adopté.
La parole est à M. Jean-Frédéric Poisson, pour soutenir l’amendement no 3018 .
Le régime général du code du travail dispose que l’obligation de l’employeur en termes de résultats s’agissant de la santé physique et mentale des salariés est irréfragable. Il peut d’ailleurs être condamné pour y avoir manqué, je vous renvoie à la jurisprudence récente de la chambre sociale de la Cour de cassation – je pense, en particulier, au sort de ce pauvre M. Da Costa, ingénieur du technocentre de Renault-Guyancourt. Même lorsque les employeurs remplissent l’ensemble de ce qui peut être considéré comme relevant de leurs obligations sociales à l’endroit des salariés, le fait même de ne pas bouleverser l’organisation pour éviter les accidents n’empêche pas leur condamnation. C’est en tout cas ce que la justice a décidé dans l’affaire du technocentre de Renault.
Cet amendement vise à ce que, dans l’hypothèse où l’employeur serait amené à remettre à l’un de ses salariés une fiche de pénibilité, le premier ne soit pas poursuivi pour avoir provoqué chez le second un préjudice d’anxiété, que ceux qui traitent le dossier de l’amiante connaissent d’ailleurs bien.
En effet, dans les entreprises qui sont concernées par ce problème, un certain nombre de personnes n’ont jamais vu, ni de près, ni de loin un cm2 ou un cm3 de ce malheureux métal mais elles ont cependant demandé à bénéficier des dispositifs prévus pour la réparation au motif qu’elles étaient devenues inquiètes à l’idée que leurs collègues, eux, auraient pu être exposés.
Afin d’éviter de placer l’employeur dans une espèce de double contrainte impossible à tenir – d’un côté, il ne fournit pas de fiche de pénibilité et il contrevient au droit, d’un autre côté, il en fournit une et il est en situation de provoquer un préjudice d’anxiété chez son salarié, dont il serait responsable de la fragilisation – nous proposons que le fait de fournir à un salarié une fiche individuelle de pénibilité ne constitue pas une présomption à l’encontre de l’employeur.
À notre sens, il importe de sécuriser le dispositif juridique afin que les choses se passent de manière à peu près correctes et qu’il n’existe pas un tel risque de « double peine » pour l’employeur.
Nous avons étudié ce sujet juridiquement délicat sur lequel nous devons être prudents. Je lirai donc très scrupuleusement le résultat des travaux de la commission.
La fiche de prévention des expositions ne peut être tenue pour une preuve de manquement à l’obligation de résultats par l’employeur, avec notamment pour conséquence la reconnaissance systématique de sa faute inexcusable en cas de maladie professionnelle ou d’accident du travail.
Il ne s’agit pas de pénaliser des employeurs qui n’ont fait que respecter la loi. Cet amendement ne me semble donc pas nécessaire, monsieur Poisson, et je vous invite à le retirer. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Je suis exactement du même avis pour les mêmes raisons.
Le Gouvernement n’a évidemment pas l’intention de faire de la fiche de prévention une présomption de faute pour l’employeur puisque ce dernier aurait respecté la loi au regard de son obligation de traçabilité des seuils d’exposition professionnelle aux facteurs de risques.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement, qui est satisfait par l’ensemble du dispositif que nous mettons en place. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Je suis un peu surpris de votre argumentation, monsieur Poisson. Je comprends votre préoccupation mais, en l’occurrence, il n’est pas question du préjudice d’anxiété mais du critère de la faute inexcusable, qui est double : obligation de sécurité et de résultats de l’employeur – dans la nouvelle définition que lui donne la chambre sociale de la Cour de cassation – et connaissance du danger, du risque.
La fiche de pénibilité pourrait effectivement être intégrée dans cette dernière appréciation.
Là, il est en effet possible de voir une difficulté. Néanmoins, ce combat est perdu d’avance.
Si la Cour de cassation a réformé la notion de faute inexcusable qui, de mémoire, datait de 1942, et comprenait quatre critères – dont la faute d’une exceptionnelle gravité –, c’est qu’elle souhaite que nous réformions plus profondément le régime des accidents du travail et des maladies professionnelles, ce que le législateur n’a pas fait à ce jour et à quoi il devrait sans doute s’atteler.
En l’occurrence, le combat que vous menez, monsieur Poisson, me paraît perdu d’avance.
Il n’est pas dans mes habitudes de retirer mes amendements et je ne vais pas y déroger cette fois-ci.
En outre, cher collègue Robiliard, comme dit Cyrano de Bergerac : « c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! » Je continuerai donc d’aller dans le sens que j’ai exposé dans mon amendement.
J’ajoute toutefois à l’argumentation que vous avez développée et à laquelle je suis prêt à me ranger dans ses grandes lignes que le problème réside dans l’évolution extrêmement rapide de la jurisprudence de la Cour de cassation et que, sur ces sujets, elle soit amenée à prendre des arrêts dont la cohérence, pardonnez-moi, demande de temps en temps un examen un peu précis. En tout cas, cela présente un risque – mais on peut ne pas être du même avis : des motifs bizarrement allégués peuvent mettre en danger les employeurs alors même qu’ils auraient satisfait à leurs obligations. Cela s’est déjà vu et je crains que cela ne se revoie.
J’ai bien entendu vos explications, madame la ministre, mais je maintiens mon amendement et je souhaite que, lorsque les juges seront saisis de ces affaires, votre interprétation et celle du rapporteur suffiront à les convaincre, ce qui demande à être vérifié. Je m’en tiens donc à mon amendement auquel j’ai bien entendu que vous donniez tous deux un avis défavorable.
L’amendement no 3018 , repoussé par le Gouvernement, repoussé par la commission, n’est pas adopté.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 2947 .
L’amendement no 2947 est retiré.
La parole est à M. Denys Robiliard, pour soutenir l’amendement no 2810 .
On pourrait presque dire qu’il s’agit d’un amendement de précision puisqu’il s’agit de préciser que les mesures du programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail sur lesquelles le CHSCT émet un avis comprend également les mesures de prévention en matière de pénibilité.
Sagesse. Il me semble que votre amendement de précision est déjà satisfait.
L’amendement no 2810 est adopté.
L’article 5, amendé, est adopté.
La parole est à M. Philippe Vigier, pour soutenir l’amendement no 2851 portant article additionnel après l’article 5.
Je souhaite évoquer la reconnaissance des risques psycho-sociaux et des facteurs psychiques de pénibilité au travail, sujet sur lequel notre collègue Francis Vercamer a beaucoup travaillé. Il a d’ailleurs rédigé un beau et considérable mémoire sur la médecine du travail en 2011 dans lequel figuraient un certain nombre de préconisations extrêmement intéressantes. Il était notamment question de tous les problèmes psycho-sociaux et des facteurs psychiques de pénibilité.
À nos yeux, il importe que la pénibilité soit correctement et précisément définie et prenne en compte l’intégralité des facteurs de pénibilité.
Je reprends ce que disait M. Vercamer dans son rapport. « La pénibilité au travail peut se mesurer à l’aune de facteurs divers et l’appréciation de la pénibilité d’un métier se complique encore lorsqu’il s’agit de prendre en compte les facteurs de pénibilité psychique et l’irruption de nouveaux vecteurs d’altération de la santé au travail liés à l’organisation du travail – M. le ministre Sapin en a parlé –, aux méthodes de management et au stress qu’elles génèrent. »
Nous avons été témoins, ces dernières années, de phénomènes de stress au travail ou d’altération psychique dans un certain nombre de très grandes entreprises, qui attestent de la pénibilité des conditions de travail. Cet amendement de précision va dans le bon sens par rapport à la liste que les partenaires sociaux avaient définie en 2008 afin d’intégrer ces données et appréhender ainsi ces problèmes dans leur ensemble.
Avis défavorable. Nous avons déjà abordé ce sujet tout à l’heure. Nous nous basons sur les critères définis par les partenaires sociaux en 2008 même s’ils n’ont pas épuisé tous les cas de pénibilité au travail. S’ils intègrent les facteurs physiques, les facteurs psychiques, difficiles à quantifier, n’entrent pas dans le dispositif. C’est ce que j’ai répondu tout à l’heure à M. Chassaigne.
Avis défavorable.
J’ai bien saisi les propos du rapporteur mais s’il avait été attentif aux miens, il aurait compris qu’ils s’appuient sur un rapport de 2011, postérieur à la détermination des critères de pénibilité par les partenaires sociaux en 2008. Or un certain nombre de graves accidents du travail, provoqués par le stress, se sont produits entre 2008 et 2010. Nous avions d’ailleurs évoqué lors des questions d’actualité ces cas de suicides de salariés dont l’origine professionnelle avait été reconnue. Il nous paraît important de prendre en compte ces critères psycho-sociaux en précisant davantage les critères de pénibilité. Prenons garde de ne pas négliger le stress en entreprise qui peut être lié à des problèmes organisationnels.
Il me paraît paradoxal que M. Vigier appelle à supprimer le critère de pénibilité au travail au début de notre discussion sur l’article 5…
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Il est d’ailleurs bien électrique, ce soir, M. Vigier, il saute tel un zébulon sortant de sa boîte
Il m’a traité de poupée tout à l’heure, je peux bien le comparer à un zébulon !
Monsieur le rapporteur, ai-je déposé, avec le groupe UDI, le moindre amendement de suppression ? Non !
Ne dites donc pas autre chose à la représentation nationale ! Non, ne doutez pas car la question ne fait aucun doute ! Aucun amendement de suppression !
L’amendement no 2851 n’est pas adopté.
Ce nouvel article tend à ce que le Gouvernement présente un rapport au Parlement après avis du conseil d’orientation sur les conditions de travail et avant le 31 décembre 2020. Attendre sept ans pour disposer d’un tel rapport est trop long. Ne serait-il pas préférable de demander un rapport annuel ? Si l’on veut travailler efficacement, il faut évaluer régulièrement, sinon autant supprimer cet article.
La parole est à Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, pour soutenir l’amendement no 2896 .
Il me semble que l’on pourrait peut-être sous-amender cet amendement. J’ai déposé un amendement à l’article 6, madame la ministre, pour que le Gouvernement remette un rapport sur la pénibilité, mais l’article 5 bis dispose que le Gouvernement présente au Parlement, après avis du conseil d’orientation sur les conditions de travail, un rapport sur l’évolution des conditions de pénibilité auxquelles les salariés sont exposés.
Pour revenir à l’article 6, j’avais demandé que le rapport distingue entre les postes occupés majoritairement par des femmes et les autres.
Pourquoi cette demande ? L’étude d’impact de votre loi dresse un tableau sur la pénibilité présenté en fonction de l’âge des salariés et non de leur sexe. Or, je voudrais vous citer deux exemples tirés du travail, au sein de deux entreprises, de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Le premier concerne le secteur de l’agro-alimentaire où l’on s’était rendu compte que les maladies professionnelles augmentaient dans un abattoir. Les hommes abattent les bêtes et assurent la maintenance des machines tandis que les femmes découpent la viande et la conditionnent. Les fiches de pénibilité à l’abattage étaient très précises et la pression temporelle reconnue. En revanche, il n’en était pas établi pour les tâches des femmes, moins soumises à pression, mais très répétitives puisqu’il leur était demandé de répéter cinquante à soixante fois le même geste par minute. J’essaie de vous faire comprendre que, dans un abattoir, des fiches de pénibilité sont établies pour les postes qu’occupent des hommes mais pas pour ceux qu’occupent des femmes alors qu’elles peuvent souffrir de troubles musculo-squelettiques en raison de leurs conditions de travail.
Le rapport que le Gouvernement veut rendre pourrait-il distinguer entre les postes occupés majoritairement par des hommes et ceux majoritairement par des femmes ? Si j’avais le temps, je vous exposerais un autre exemple tiré des métiers de l’imprimerie où les hommes évoluent dans leur carrière et changent de poste beaucoup plus souvent que les femmes, lesquelles restent souvent cantonnées à des tâches très répétitives et souffrent, là encore, de troubles musculo-squelettiques. Ces éléments manquent à l’étude d’impact.
Rappel au règlement sur la base de l’article 58 alinéa 1. Madame la ministre, l’on vient de nous distribuer l’article 6 : à quoi correspond ce document ? La rédaction en a-t-elle été modifiée sans que nous en ayons été avertis ? Serait-il possible de suspendre la séance pour que nous puissions l’étudier ?
Madame la ministre, voulez-vous prendre la parole pour tranquilliser M. Robinet même si nous n’en sommes pas encore à l’article 6 ?
Dois-je répondre à M. Robinet ou M. Robinet veut-il bien nous laisser terminer la discussion sur l’amendement ?
L’amendement no 2896 n’est pas adopté.
Je comprends très bien les préoccupations de Mme Coutelle dont les exemples illustrent parfaitement les difficultés que l’on peut rencontrer. Je ne vous cacherai pas cependant qu’il serait très difficile d’imposer, dans un texte de loi, la parité des équipes qui étudieront ces sujets. C’est même impossible.
Je ne suis pas en mesure, en l’état, de me prononcer sur une autre question que celle de votre amendement. Vous auriez voulu préciser les contours de ce rapport avec un autre amendement mais à ce stade de la discussion, je ne peux donner d’avis favorable à votre amendement. Bien évidemment, le Gouvernement sera attentif à ce que les analyses, au sein du rapport visé par cet article, soient bien distinguées entre hommes et femmes.
La parole est à Mme la Présidente de la délégation aux droits des femmes.
C’est vrai, je n’ai pas vraiment soutenu mon amendement qui concernait la parité des délégations d’employeurs ou de salariés visées par cet article. Par cet amendement, l’ensemble des signataires souhaitent envoyer un signal aux représentations syndicales et patronales qui reconnaissent elles-mêmes avoir besoin de délégations plus représentatives. J’en ai profité, en effet, pour présenter un amendement déposé à l’article 6 mais mal placé. Comme je sais qu’il est préférable que ce soit le Gouvernement qui demande un rapport, j’ai profité de l’occasion pour sous-amender, si c’est possible, mon amendement.
Monsieur le rapporteur, je ne sais pas si votre avis défavorable se rapportait à tout mon amendement ou seulement sa première partie. Pardonnez-moi, je n’ai pas été très claire.
Vous vous apprêtez à mettre un amendement au vote, monsieur le président. Si j’ai bien compris, il s’agit de l’amendement no 2896 , qui n’est pas celui que Mme Coutelle vient de défendre et sur lequel Mme la ministre a donné son avis…
Serait-il possible que Mme Coutelle défende l’amendement no 2896 et que nous ayons l’avis de la commission et de la ministre car la question est très intéressante ? Il est en effet proposé que les délégations d’employeurs, comme de salariés, faisant l’objet de cette concertation et le cas échéant de négociations, soient composées à parité de femmes et d’hommes. Cette question n’est pas neutre. Si cet amendement était adopté, combien de temps vous donnez-vous pour l’appliquer ?
Si vous m’aviez écoutée attentivement, vous auriez entendu que j’ai répondu à cet amendement : je ne peux pas rendre d’avis favorable en raison des obstacles que nous pourrions rencontrer. L’on ne peut imposer aux organisations syndicales la manière dont elles doivent organiser leurs délégations. Nous pouvons envoyer un signal pour les inciter à être plus représentatives mais concrètement cet amendement serait très difficile à mettre en oeuvre dans des délais raisonnables.
Merci pour cette précision. J’avais en effet l’impression que l’une défendait un amendement tandis que l’autre lui répondait sur un autre sujet. J’ai bien compris à présent que vous aviez donné votre avis sur un amendement que Mme Coutelle n’avait pas défendu.
La parole est à Mme Catherine Coutelle, Présidente de la délégation aux droits des femmes.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
L’amendement no 2896 tend à ce que les délégations d’employeurs comme de salariés faisant l’objet de cette concertation, et le cas échéant de négociations, soient composées à parité de femmes et d’hommes. Je retire ma demande relative au rapport sur laquelle Mme la ministre me répondra plus tard.
L’amendement no 2896 n’est pas adopté.
La longueur légitime de nos débats, sans doute, m’oblige à rappeler, madame la présidente de la délégation, qu’avant de prendre position sur cet amendement, qui concernait la composition des délégations…
Exclamations sur les bancs des groupes UMP et UDI.
Essayons de faire notre travail de législateurs dans le calme !
Nous avons donc entendu les réserves – que nous pouvons parfaitement partager – de Mme la ministre sur l’amendement en question. Avant de prendre position sur cet amendement, néanmoins, il a été évoqué la possibilité d’un sous-amendement intégrant un rapport.
« Non ! » sur divers bancs.
C’est en tout état de cause ainsi que nous l’avons compris. Il était donc possible de suivre la ministre en rejetant l’amendement sur la composition des délégations, tout en approuvant la proposition concernant le rapport. Il pourrait donc être utile que chacun clarifie sa position sur l’une et l’autre proposition.
Le vote est bien intervenu sur l’amendement et aucun sous-amendement n’a été formellement déposé, même si la présentation de l’amendement a pu laisser place à une certaine confusion.
L’article 5 bis est adopté.
L’amendement no 2955 rectifié est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Défavorable.
Cet amendement visait à intégrer l’exposition à la radioactivité pour les travailleurs du nucléaire dans la liste des facteurs de risques professionnels qui seront pris en compte dans le dispositif concernant la pénibilité. Ainsi, il visait à remédier à une discrimination dont sont victimes les travailleurs du nucléaire, mis à l’écart d’une disposition valable pour toutes les expositions professionnelles à des cancérogènes. Pourtant, toutes les données épidémiologiques montrent que l’exposition aux rayonnements ionisants, tout en respectant les limites des normes professionnelles, présente des risques de cancers et de leucémies supérieurs à ceux que représente l’exposition aux autres substances cancérogènes. Il était légitime de demander que l’exposition aux rayonnements ionisants, mais également le stress induit par le risque nucléaire, notamment pour les sous-traitants, figure bien in fine dans la liste des facteurs de risques professionnels au titre de l’environnement physique agressif dans le décret du 30 mars 2011, au même titre que le bruit, les agents chimiques dangereux ou encore les températures extrêmes.
Vous avez raison, madame Massonneau, de souligner l’importance de maintenir dans l’emploi les salariés inaptes, qui est d’ailleurs l’une des priorités fixées dans la feuille de route de la dernière conférence sociale, et l’une des priorités du Gouvernement en matière de santé publique. Le Comité interministériel du handicap, réuni le 25 septembre dernier, l’a également inscrit dans sa feuille de route. Un rapport supplémentaire n’est donc pas nécessaire.
Je rappelle que nous examinons non pas l’amendement no 2983 mais l’amendement no 2955 rectifié , auquel le Gouvernement et la commission ont donné un avis défavorable.
Je demande une suspension de séance, monsieur le président, pour sortir du flou artistique où nous nous trouvons.
La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à dix-neuf heures quarante.
La séance est reprise.
Je suis saisi d’un amendement no 2983 qui fait l’objet de deux sous-amendements du Gouvernement, nos 3093 et 3094.
La parole est à Mme Véronique Massonneau, pour soutenir l’amendement.
L’amendement no 2955 rectifié , repoussé par la commission et le Gouvernement, n’est pas adopté.
Cet amendement vise à demander un rapport sur les seniors en situation d’inaptitude, un motif invoqué pour justifier de nombreux licenciements. Il va de soi que la sortie du chômage et la réinsertion professionnelle sont un véritable calvaire pour les personnes concernées. Aussi le rapport demandé par cet amendement proposerait-il des solutions de reconversion pour ces seniors, en mettant notamment en avant les possibilités de coordination entre les différents pouvoirs publics dans les régions et entre les partenaires sociaux.
Votre amendement, madame Massonneau, ouvre des perspectives très intéressantes. En effet, les entreprises ne traitent pas toujours les travailleurs âgés ou en situation d’inaptitude de la meilleure des manières.
Exclamations sur les bancs du groupe UMP.
Il nous faut donc des éléments pour suivre l’évolution de cette situation : c’est l’objet de votre amendement, qui pose toutefois quelques difficultés de rédaction, d’où les deux modifications que je vous propose.
Tout d’abord, le sous-amendement no 3093 consiste à ne pas limiter le rapport à ceux que vous appelez les « seniors », afin de le consacrer plus largement à l’ensemble des salariés – quitte à compléter la phrase par la mention « notamment les seniors ». Le second sous-amendement porte sur la coopération entre les pouvoirs publics, dont les régions, le fonds de pénibilité et les partenaires sociaux : il vise à en exclure le fonds de pénibilité, qui est un acteur de nature différente et qui n’a pas sa place ici. Sous réserve de l’adoption de ces deux sous-amendements, je donnerai un avis favorable à l’amendement de Mme Massonneau.
Monsieur le rapporteur, confirmez-vous l’avis que vous avez donné précédemment sur l’amendement ?
Pouvez-vous également donner l’avis de la commission sur les sous-amendements ?
Favorable à l’amendement, sous réserve de l’adoption des sous-amendements proposés par le Gouvernement.
Je suis d’accord si, dans la manière dont on écrit ce sous-amendement, on indique bien « notamment les seniors ».
C’est bien le cas.
Je regrette que le ministre du travail soit parti avant de répondre à ma question sur le fonds de pénibilité de 20 millions, qui doit s’éteindre avant la fin 2013. Pardonnez-moi d’y insister, mais je ne suis pas bretonne pour rien ! (Sourires.)
La semaine dernière, le ministre du travail a répondu à une interview ; les journalistes comptaient sur lui pour qu’avant la fin de l’émission, il transmette certaines informations concernant la formation professionnelle.
Oserai-je vous demander, madame la ministre, de demander à votre collègue ce que sont devenus les 20 millions du fonds de pénibilité que pouvaient utiliser les entreprises ? Nous espérons avoir la réponse avant la fin de nos débats.
Puisque vous avez évoqué cette question, madame Massonneau, je vais préciser à quoi ils pouvaient être employés. C’était très intéressant puisque les entreprises pouvant aller jusqu’à utiliser 100 000 euros, ce sont tout de même 200 entreprises qui pouvaient être intéressées dans notre pays. Ces fonds pouvaient servir à financer des travaux d’expertise pour élaborer des mesures de prévention ; ils pouvaient également être employés pour faire du tutorat ou de la formation, y compris la formation des salariés, ainsi qu’à des actions d’information et de promotion de la prévention de la pénibilité.
Je persiste à demander ce que sont devenus ces 20 millions d’euros.
L’amendement no 2983 , sous-amendé, est adopté.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vais vous donner quelques précisions à propos de cet article, puisque je présidais au moment où ces éléments ont été indiqués. Cela permettra également de répondre à un précédent rappel au règlement de M. Robinet.
Comme vous le savez, des amendements à l’article 6 ont été adoptés en commission, qui ont ensuite fait l’objet d’une demande de vérification pour savoir s’ils tombaient sous le coup de l’article 40. La vérification a eu lieu par la suite et a conduit à annuler un certain nombre d’amendements adoptés par la commission.
C’est la raison pour laquelle le texte qui vous est soumis ne reprend pas ces amendements considérés comme étant non recevables. Voilà pourquoi le texte de l’article 6 vous a été distribué de nouveau.
Nous en venons aux orateurs inscrits sur l’article.
La parole est à M. Gérard Sebaoun.
Plutôt que de reprendre le débat sur la qualité du compte de pénibilité, que personne ne conteste et qui est une grande avancée sociale, je voudrais simplement illustrer l’un des facteurs de risques auxquels peut être soumis un salarié, au travers d’une coupure de presse extrêmement intéressante que j’ai lue récemment.
Le bruit est une nuisance extrême et fait partie des dix facteurs de risques et cet article rapporte l’histoire d’un monsieur de cinquante-neuf ans qui a dû aller au tribunal.
Dans une première vie, il a été bûcheron et a été extrêmement exposé au bruit. Dans une seconde vie, il a travaillé dans des porcheries industrielles pendant de nombreuses années.
Cet homme est devenu sourd, a déclaré sa maladie professionnelle. On a pu, en reconstituant son parcours, s’apercevoir qu’il n’avait jamais été protégé, pas plus comme bûcheron que comme employé travaillant dans des porcheries industrielles où le bruit des porcs, extrêmement intense, monte jusqu’à 120 ou 130 décibels.
Le bruit étant une nuisance extrêmement importante dans le monde quotidien, mais aussi dans le monde agricole ou industriel, cette histoire illustre parfaitement ce que permettrait un compte pénibilité. Il permettrait de tracer l’exposition à différents facteurs de risques, en l’occurrence le bruit pour ce bûcheron travaillant ensuite dans une porcherie industrielle.
Cela évitera à un homme ayant eu ce type de parcours de se retrouver devant le tribunal des affaires sociales à attaquer son patron. Il pourra faire valoir ses droits qui sont de trois sortes : après avoir acquis des points, il pourra se former, éventuellement trouver un temps partiel, même si cela n’est pas facile dans certains métiers, et, enfin, partir à la retraite sans être obligé de passer par la case « maladie professionnelle et surdité ».
Avec l’article 6, nous arrivons à la création du compte pénibilité. Nous nous sommes déjà beaucoup exprimés sur le sujet.
On nous propose à nouveau un décret et, si j’ai bien entendu les différents orateurs, que ce soit le ministre du travail ou la ministre des affaires sociales qui tienne la plume, on n’aboutira pas forcément au même décret.
Nous entendons bien ce que vous proposez sur ce compte pénibilité. Il s’agit de pouvoir l’utiliser soit à de la formation, soit à du temps partiel pour partir progressivement à la retraite.
À ce stade, quand on parle du compte pénibilité, certains parlent des salariés qui sont quasiment à la retraite aujourd’hui, pour lesquels, en effet, il y a un aspect curatif. Cela a été dit dès le début.
Mais il y a aussi tous les jeunes en insertion professionnelle. Nous aurons l’occasion de débattre de cette définition en défendant nos amendements : s’agissant du compte pénibilité, il faudra faire attention au message que l’on va faire passer aux jeunes qui entrent dans le monde du travail et aux personnes qui sont aujourd’hui en fin de carrière.
Nous nous exprimerons donc au travers de nos amendements pour bien définir les choses. Encore une fois, nous regrettons que, sur un sujet aussi important, tout soit renvoyé au décret.
Je ferai quelques observations sur l’article 6. Nous aurons sans doute des réponses, car, lorsque nous posons des questions, nous l’avons vu avec Mme Le Callennec, nous obtenons des réponses.
Concernant le temps partiel, la possibilité pour l’employeur de refuser la demande du salarié risque de rendre le dispositif inopérant. En effet, deux refus sont possibles, ce qui représente deux ans d’attente pour passer à temps partiel. C’est un délai trop long après vingt ou vingt-cinq ans d’exposition.
Pour ce qui est du motif, il est très flou. Je le cite : « activité économique de l’entreprise », c’est-à-dire quasiment toutes les entreprises.
Nous espérons que le débat permettra d’avoir des précisions sur le passage au temps partiel, car le texte tel qu’il est rédigé nous semble insuffisant.
Par ailleurs, il y a un oubli majeur dans cet article : c’est la question des salariés actuellement en situation de pénibilité.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité entrera en vigueur en 2015. Au mieux, cela signifie que les premiers départs anticipés auront lieu en 2040. Des millions de salariés exposés sont donc oubliés. Ils pourront peut-être gagner un ou deux trimestres.
Un dispositif de rattrapage, encore une fois beaucoup trop limité, est prévu pour les salariés âgés d’au moins cinquante-deux ans.
Je terminerai par une dernière question, à laquelle ne répond pas le texte : que fait-on des fonctionnaires non titulaires, qui sont près d’un million, et dont le cas n’est pas prévu par le texte ? Je veux parler des contractuels de droit privé dans la fonction publique.
L’article 6 est déterminant. Il met en place le compte personnel de prévention de la pénibilité, permettant ainsi de compléter le dispositif que nous souhaitons mettre en oeuvre. Ce sera un dispositif global, complet, avec une dimension de prévention, mais aussi – c’est la nouveauté – des mécanismes de compensation de la pénibilité au travail.
Nous disposons de la définition de la pénibilité qui est celle des partenaires sociaux, qui ont aussi identifié trois facteurs de risques et dix critères de pénibilité au travail.
Nous venons de voter l’article 5 qui est très important puisqu’il définit les seuils d’exposition à partir desquels seront décomptés les points du compte personnel de prévention de la pénibilité en fonction de la durée, de la fréquence et de l’intensité de l’exposition pour chacun des dix facteurs de pénibilité.
Je précise que ces seuils d’exposition feront l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux avant qu’ils ne soient précisés par décret, parce que nous souhaitons que tous les salariés puissent être traités de la même façon quand ils sont exposés aux mêmes facteurs de risques.
Pour bénéficier d’un départ anticipé, dans le cadre du dispositif de 2010, il fallait que le salarié puisse justifier d’un taux d’incapacité permanente au moins égal à 20 % au titre des maladies professionnelles ou des accidents du travail, ou entre 10 % et 20 % s’il apportait la preuve de l’exposition aux conditions de travail pénible pendant au moins dix-sept ans, à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels, et qu’il fallait ensuite avoir l’avis favorable d’une commission pluridisciplinaire.
Le dispositif de 2010 était donc extrêmement restrictif et limité. À peine 6 500 salariés ont pu entrer dans ce cadre. Par exemple, le fait de ne reconnaître que l’aspect médical de ces facteurs de risques professionnels fait que le travail de nuit n’était pas pris en compte.
Le dispositif que nous proposons pourra prendre en compte l’impact différé des risques professionnels sur la santé des salariés. Vous savez que les cancers peuvent être déclarés vingt ans ou quarante ans après l’exposition initiale pour les salariés. Je me reporte, notamment, au rapport de M. Lasfargues. On a cité tout à l’heure le rapport Struillou, mais je pourrais également parler des différentes études de l’ANACT – l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail.
Je terminerai en évoquant un point extrêmement important. Le compte personnel de prévention de la pénibilité va concerner un salarié sur cinq. Le dispositif est donc bien plus large, bien plus étendu que celui de 2010, mais il va d’abord profiter aux plus jeunes.
Dans l’étude d’impact, figure un tableau très éclairant qui montre, dans la ventilation des salariés concernés par les facteurs de pénibilité, que ce sont aujourd’hui les moins de vingt-quatre ans qui sont le plus exposés aux facteurs de risques professionnels : 20,5 % des moins de vingt-quatre ans sont exposés, contre 18,5% pour l’ensemble de la population et 12,5 % pour les plus de soixante ans.
Il est très important d’indiquer, puisque ce compte personnel va être mis en place à partir du 1er janvier 2015, qu’il va immédiatement profiter aux plus jeunes des salariés et que l’on pourra faire de la prévention de l’usure professionnelle, de la prévention de l’usure précoce.
Je ferai à mon tour quelques brèves observations sur l’article 6 qui instaure le compte personnel de prévention de la pénibilité.
Je ne suis pas le premier à faire la remarque : l’essentiel des dispositions est renvoyé à un décret. J’en ai peut-être oublié, mais j’en ai compté au moins treize, qui figurent aux alinéas 7, 9, 10, 22, 23, 30, 41, 45, 61, 63, 64, 65 et 78. Et il y en a peut-être d’autres ! Cela fait beaucoup et cela ne favorise guère nos travaux.
Sur le fond, nous sommes bien sûr favorables à la prise en compte de la pénibilité. Nous pensons néanmoins qu’il est tout de même contradictoire d’allonger la durée de cotisation tout en sachant qu’il sera physiquement impossible d’octroyer des trimestres gratuits à certains salariés.
Par ailleurs, l’article 6 porte en lui une certaine discrimination des salariés exerçant les métiers les plus pénibles dès lors que seuls deux facteurs d’exposition seront pris en compte.
Enfin, nous contestons l’alinéa 75 qui, en fin d’article, conditionne la fixation du taux des cotisations et du barème de points spécifiques pour chaque utilisation du compte aux prévisions financières quinquennales du fonds et aux recommandations du comité de surveillance. Nous aurons l’occasion, au cours de la discussion, de revenir sur ces observations et de faire des propositions par voie d’amendement.
Prochaine séance, ce soir, à vingt et une heures trente :
Suite de la discussion du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.
La séance est levée.
La séance est levée à vingt heures.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron