Les questions liées à la sécurité routière sont parmi les plus sensibles, les plus douloureuses, les plus médiatiques. Aussi chacun est-il parfaitement convaincu de la nécessité de diminuer sans cesse les risques de mortalité. L'exercice de nos responsabilités n'y est pas étranger : nous avons tous été confrontés un jour ou l'autre à des situations dramatiques dans nos différentes circonscriptions. Face à la peine de celles et ceux que nous avons croisés, il est peu de mots qui réconfortent. Chacun pourrait donc trouver ici un motif d'agir.
Je vous invite à prendre le temps de la réflexion pour apporter la réponse la plus efficace possible au problème dont nous débattons : trouver les meilleurs moyens pour que celles et ceux qui portent les premiers secours soient bien formés et qu'ils disposent des meilleurs réflexes afin de ne pas aggraver la situation à laquelle ils sont confrontés.
À l'issue de tous nos échanges, de tous nos débats, je maintiens mes réserves.
La première est de principe : elle n'est pas secondaire. Comme vous l'a fait remarquer M. le ministre, la disposition que nous examinons est très certainement de nature réglementaire et non législative. Tout indique, mes chers collègues, que les modalités de passage de l'examen du permis de conduire ne relèvent pas de notre compétence. À l'appui de mon propos, je m'en tiendrai à deux arguments juridiques. D'abord, aux termes de l'article R. 221-3 du code de la route, les examens du permis de conduire « comportent une épreuve théorique et une épreuve pratique qui se déroulent dans les conditions et selon les modalités fixées par arrêté du ministre chargé des transports ». Ensuite, l'état actuel du droit montre bien que cette matière relève du domaine réglementaire. C'est ainsi par arrêté du 6 novembre 2009 que les trois gestes à pratiquer en cas d'arrêt cardiaque ont été définis. C'est encore un arrêté ministériel qui a défini le contenu des matières relatives à l'enseignement de la sécurité routière, à la formation et au perfectionnement des conducteurs.
Je vous demande de ne pas écarter d'un revers de main le problème posé par le caractère réglementaire de ces dispositions, car agir en dehors du champ de nos compétences diminue les chances de mener à terme toute initiative parlementaire, aussi bien intentionnée soit elle.
La seconde réserve tient au fait qu'en matière de formation aux premiers secours, nous ne sommes pas en terrain vierge. Notre pays a, depuis quelques années maintenant, pris conscience de son retard. Nous pouvons distinguer au moins trois temps de formation. Le premier est inscrit dans le cursus scolaire : un temps de formation est programmé pour les élèves de troisième. Le second a lieu au cours de la journée défense et citoyenneté. Le troisième, enfin, concerne l'examen même du permis de conduire, puisque la loi du 12 juin 2003 contre les violences routières prévoit déjà une telle mesure. Je cite son article 16 : « Les candidats au permis de conduire sont sensibilisés dans le cadre de leur formation aux notions élémentaires de premiers secours. » On notera par ailleurs que l'acquisition de ces notions est déjà prévue par le corpus législatif et réglementaire puisque l'examinateur est en droit d'en vérifier l'assimilation, comme le prévoit l'arrêté du 23 janvier 1989 relatif au programme national de formation à la conduite.
À mon sens, le travail le plus urgent est d'évaluer ces dispositifs, d'en faire le bilan, pour les compléter et les améliorer si besoin. Il importe en effet de voir qui en bénéficie et si les effets positifs ou négatifs peuvent être identifiés. Il est également important d'examiner la complémentarité de ces formations et de voir les points d'amélioration afin de les rendre les plus efficaces possibles.
Vous l'aurez compris, mes chers collègues, je suis convaincue que nous prenons le risque d'agir à rebours de nos intentions en mettant en place un nouveau dispositif alors que ceux qui existent déjà attendent encore d'être évalués.
Je m'interroge sur un troisième point, à mes yeux incontournable : le financement de cette mesure. Cette préoccupation rejoint celle, plus générale, du financement du permis de conduire. Je vous rappelle, mes chers collègues, que beaucoup de jeunes et de parents s'endettent pour le passer. Je vous rappelle également que le permis de conduire est très – trop – onéreux alors qu'il est souvent un sésame pour accéder à un travail. Ne risquons-nous pas d'ajouter l'injustice à l'injustice ? Je m'interroge.
Chacun sait ici qu'une formation digne de ce nom a un coût de plusieurs dizaines d'euros. Nous ne pouvons d'un côté dénoncer telle ou telle augmentation des prix, par exemple de l'énergie, et dans le même temps rajouter des charges indirectes qui sont loin d'être indolores, quelle que soit la noblesse du but poursuivi. Soyons en prise avec la réalité de nos concitoyens qui terminent le mois à quelques dizaines d'euros près, et pour qui une charge supplémentaire de 30 ou 40 euros sera une difficulté de plus, réelle ou perçue comme telle. La sécurité n'a peut-être pas de prix, mais elle a un coût que nul ne peut ignorer. Je n'apprendrai à aucun d'entre vous que tous les postes budgétaires enflent et que sur ces sujets, les épidermes sont sensibles car nombre de nos concitoyens souffrent.
À ce surcoût financier, rajoutons que les délais d'examen sont déjà longs et que l'engorgement des candidatures est de notoriété publique : il n'est pas opportun de compliquer une situation déjà très tendue. Je voterai donc contre cette proposition de loi, aussi généreuse soit-elle.
M. le ministre s'est d'ailleurs engagé à dépoussiérer un décret aujourd'hui obsolète et à étudier toutes les formes réglementaires susceptibles d'apporter une vraie réponse à ce qui est un vrai problème. Pour ma part, je vous propose deux axes de réflexion complémentaires.
Le premier, de long terme, a trait à la nécessité de repenser les différentes étapes de formation aux premiers secours. Proposer par tranche d'âge, par niveau scolaire, par étape de vie, une formation cohérente, progressive et coordonnée aux premiers secours me semble être la meilleure garantie d'une formation de qualité, afin que les citoyens aient les réflexes de circonstance et connaissent les gestes adéquats pour faire face à des situations d'urgence.
Le second, plus immédiat, est de faire évoluer le permis de conduire en lui-même sur deux points. Il convient d'abord d'insister, lors des modules de formation, sur la formation aux premiers secours. Il faudrait ensuite rendre obligatoires, parmi les questions de l'examen du code de la route, une ou plusieurs questions portant sur les comportements appropriés pour secourir des personnes en cas d'accident.
Chers collègues, je vous remercie pour votre attention. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)