Intervention de Corinne Erhel

Séance en hémicycle du 11 octobre 2012 à 15h00
Obligation d'informer de la localisation des centres d'appels — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCorinne Erhel :

M. le rapporteur semble lui-même ne pas vraiment croire au dispositif qu'il nous soumet aujourd'hui. Selon ses propres mots, ce texte « pose la question de la menace de délocalisation ». Or la menace est bien réelle, puisque le mouvement de délocalisation est malheureusement initié depuis plusieurs années.

Quel est donc l'intérêt de proposer un texte sur un sujet si important, si aucune mesure propre à infléchir le phénomène dénoncé n'est proposée, de l'aveu même du rapporteur ?

La réponse semble se trouver dans la phrase de l'exposé des motifs que M. le ministre a lue tout à l'heure. Elle nous a tous surpris et se révèle terriblement gênante tant elle véhicule des idées reçues sur le niveau culturel des travailleurs étrangers, dont certains sont des citoyens de pays où la langue française reste très utilisée, notamment tout au long des études.

Ce mépris trouve également un prolongement dans les dispositions techniques proposées. Si la proposition de loi de M. Le Fur était adoptée, elle risquerait in fine d'avoir pour conséquence d'exposer les télé-opérateurs à des remarques déplacées alors que, je vous le rappelle, ils ne sont en rien responsables d'une situation qui relève du choix des donneurs d'ordres.

Il nous faut ici soulever le paradoxe de cette proposition de loi : censée favoriser la création d'emplois, elle adopte pourtant essentiellement le point de vue du consommateur. Or, si cet élément a son importance, il semble bien inadapté à l'ampleur de l'enjeu que représentent le maintien et la création d'emplois dans notre pays.

Par ailleurs, monsieur le rapporteur, vous souhaitez transposer le made in France au secteur des services. À ce propos, il faut rappeler que, dans le cas des centres d'appels, l'usager n'a pas d'autre choix que d'utiliser le service tel qu'il lui est proposé, contrairement à ce qui peut se passer, par exemple, pour des produits manufacturés. Il est en effet peu probable qu'il raccroche si l'annonce ne le satisfait pas, puisqu'il a un besoin urgent d'être en contact avec son interlocuteur. En outre, ce dispositif pourrait être facilement contourné, un premier interlocuteur, basé en France, pouvant basculer l'appel vers un centre offshore. Le dispositif proposé suscite donc également de fortes interrogations quant à son efficacité.

Au-delà de ces considérations, que nous ne pouvons négliger en tant que législateur, je veux insister, monsieur le rapporteur, sur votre insuffisante prise en compte de l'écosystème dont dépendent principalement ces centres d'appels ; vous étudiez le problème – pardonnez-moi l'expression – par le petit bout de la lorgnette. Comme je l'ai indiqué, le secteur des télécoms est le principal client des centres externalisés de relation client. Il paraît donc difficile d'agir sur l'emploi dans les centres d'appels sans avoir à l'esprit les problématiques propres à ce secteur. Or, si la filière numérique est aujourd'hui un levier formidable pour stimuler la croissance et la création d'emplois à long terme, les technologies numériques constituant un outil puissant pour l'attractivité de nos territoires, cette ambition nécessite de s'appuyer sur une filière forte, dynamique et innovante. Ainsi, le Gouvernement vient d'annoncer, ce mardi, cinq mesures pour la filière télécoms, dont le soutien relève évidemment des missions de l'État.

Le secteur des télécommunications a connu de nombreux bouleversements ces dernières années, dont le dernier en date est la modification des modèles économiques consécutive à l'octroi par l'État d'une quatrième licence de téléphonie mobile, que l'opposition actuelle avait ardemment soutenu, sans aucunement réfléchir aux modèles économiques en jeu ni anticiper l'impact potentiel de cette mesure sur l'emploi. Le raisonnement qui a présidé à cette décision était le suivant : l'augmentation de l'intensité concurrentielle dans le secteur de la téléphonie mobile contribuera à une baisse des prix favorable au consommateur. Cette logique a effectivement été appliquée, sans anticipation ni étude d'impact. Le nouvel opérateur est arrivé sur le marché avec une stratégie, qu'il avait d'ailleurs annoncée, agressive sur les prix, stratégie permise par l'adoption d'un modèle low cost qui a obligé les concurrents à s'aligner. Le résultat a été mécanique : les marges des opérateurs de télécommunications ont été fortement impactées et, pour amortir cette baisse, ils se sont évidemment engagés dans des réductions de coûts qui ont des répercussions, non seulement en interne, mais aussi et surtout sur l'ensemble de leurs partenaires, qu'il s'agisse des équipementiers ou des entreprises auprès desquelles ils sous-traitent leur relation client.

Ce mouvement ascendant, auquel nous sommes confrontés depuis quelques années, revêt une acuité particulière depuis le début de l'année, les prestataires de services étant soumis aux exigences croissantes de leurs donneurs d'ordres en matière de baisse des coûts. Or, vous oubliez ce principe économique et la responsabilité qui est la vôtre dans les décisions qui sont prises actuellement. Le secteur de la relation client n'a pas été le seul de la filière numérique à subir les effets de cette politique ; c'est également le cas, je l'ai dit, des équipementiers télécoms, et nous sommes, hélas ! dans l'attente d'un certain nombre de plans sociaux qui devraient être annoncés prochainement dans ce secteur. J'aurais aimé que vous soyez à nos côtés, à l'époque, lorsque nous avons alerté le Gouvernement sur ce sujet. L'incidence sur l'emploi est malheureusement immédiate, nous risquons d'en avoir la triste illustration dans les prochains jours. Ces décisions politiques impactent la filière au moment même où les besoins d'investissement pour les déploiements des réseaux de nouvelle génération, très haut débit et haut débit mobile, sont considérables.

Mais revenons-en à l'emploi. Une étude, que je vous conseille de lire, a été menée par Bruno Deffains, économiste enseignant à Paris II, qui évalue l'impact extrêmement inquiétant de cette guerre des prix sur la filière, notamment dans le secteur de la relation client.

Je note cependant avec satisfaction qu'entre l'examen du texte en commission et la rédaction de votre rapport, vous semblez, monsieur le rapporteur, avoir découvert que la filière connaissait un certain nombre de difficultés. Vous jouez les modestes, mais cela ne suffira pas à nous convaincre. Le problème que vous soulevez est, certes, réel, mais il nécessite une réflexion plus aboutie, plus globale et implique des mesures autrement plus efficaces.

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