Un projet de loi sur la transition énergétique devrait être bientôt déposé par le Gouvernement, cette question est donc particulièrement d'actualité. Ce rapport a pour objet d'analyser et de comparer les choix qui ont été faits en matière de transition énergétique dans des contextes différents, un contexte contraint au Japon, un contexte voulu en Allemagne et le contexte particulier de la France.
Le contexte au Japon est bien entendu celui de la catastrophe de Fukushima et de ses conséquences humaines et économiques qui ont conduit l'État japonais à recourir, sous la contrainte, à un mix énergétique duquel le nucléaire est temporairement absent. Les conséquences économiques de cette situation de fait se sont traduites notamment par une hausse substantielle des coûts de l'énergie qui sont supportés par le consommateur, du fait notamment d'un recours accru à l'importation d'énergie fossile et à une politique volontariste d'investissements dans les énergies renouvelables. Devant cette situation, le Gouvernement Abe a décidé d'une relance du nucléaire, à moyen et long terme, sur la base d'un redémarrage des centrales réalisé tranche par tranche et région par région, à l'exclusion de la région de Fukushima. Ce choix est dicté par la politique économique de M. Abe, dite des Abenomics, qui vise à améliorer la compétitivité-prix de l'économie, ce qui suppose un coût de l'énergie contenu.
En Allemagne, il a été fait le choix explicite et assumé de sortir du nucléaire. Ce choix a pour conséquence un subventionnement important des énergies renouvelables, –actuellement de plus de 16 milliards d'euros – des consommateurs vers les producteurs. Le développement des énergies renouvelables rencontre d'ailleurs des difficultés, et entraîne une importation massive de charbon dont le prix a baissé avec l'exploitation des gaz de schiste. Ce choix a également des conséquences sur le réseau électrique français, qui est contraint d'intégrer une part de la production subventionnée des énergies renouvelables allemandes. Cette contrainte, qui découle de la politique européenne de l'énergie, tend à déstabiliser l'ensemble du réseau énergétique. En effet, lorsqu'il est plus avantageux d'importer de l'électricité que de la produire, tout investissement s'en trouve découragé.
En France, la part du nucléaire dans le mix énergétique demeure majoritaire. C'est un résultat du passé, mais notre pays n'a pas tiré toutes les conséquences des évolutions en cours dans le domaine de l'énergie. La France bénéficie toujours d'un solde commercial énergétique excédentaire sauf à l'égard de l'Allemagne, pays envers lequel notre position s'effrite. On constate que le solde des échanges d'énergie entre la France et l'Allemagne dépend étroitement du niveau de production des énergies renouvelables en Allemagne. Lorsque cette production est importante, la France en importe une part du fait de la priorité qui est accordée à cette énergie sur le réseau, en vertu des règles communautaires. Inversement, lorsque la production de ces énergies est faible, l'Allemagne importe l'électricité française produite à partir du nucléaire. L'Allemagne se comporte donc en « passager clandestin », qui bénéficie de la disponibilité du parc nucléaire français sans en assumer tous les coûts.
S'agissant de la fermeture de Fessenheim, elle ne me paraît justifiée par aucune contrainte physique. La sûreté ne constitue pas une justification suffisante puisque l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en a autorisé l'exploitation en 2011 et 2012. Le risque est inhérent à l'exploitation de l'énergie nucléaire ; si nous refusons ce risque, ce n'est pas seulement la centrale de Fessenheim mais l'ensemble du parc nucléaire qu'il faudrait fermer. Il existe, en réalité, deux options : soit nous acceptons le risque, ce qui implique de maintenir la centrale en activité tant que les avis de l'Autorité de sûreté nucléaire sont positifs, soit nous le refusons et alors pourquoi fermer une seule centrale et pourquoi celle-ci ? Le critère de l'âge n'est pas non plus pertinent. S'il était retenu, il aboutirait, en effet, à un « black-out » du pays en moins de cinq ans puisque les vingt-trois réacteurs qui ont été construits dans les cinq ans suivant l'installation de la centrale de Fessenheim devraient être fermés. Le seul critère pertinent est donc celui d'une éventuelle modification de la politique énergétique du pays. Cette décision entrainerait, pour la seule fermeture de la centrale de Fessenheim, un coût potentiel d'une dizaine de milliards d'euros si on le calcule par rapport à une durée de vie des centrales prolongée à cinquante ou même soixante ans. Je remarque, par ailleurs, que, dès lors que nous ne disposons pas de marge en matière de production d'électricité, toute fermeture d'unité de production décidée par l'ASN pour raison de sûreté devient plus difficile à assumer en raison du risque de « black-out ».
Notre mix énergétique présente aujourd'hui un double avantage. D'une part, il offre un coût de l'énergie moins important que dans les autres pays de l'Union européenne, ce qui conforte notamment la compétitivité de l'industrie ; d'autre part, la rente nucléaire permet de dégager les ressources nécessaires pour financer l'investissement dans les énergies renouvelables. Sans nucléaire, il n'existe pas d'avenir pour les énergies renouvelables.
Concernant la maîtrise de la consommation d'énergie, le Président de la République a fixé un objectif de baisse de 50 % à l'horizon de l'année 2050. L'objectif est ambitieux et lointain. La fixation d'objectifs intermédiaires permettrait de crédibiliser cette orientation.
Enfin, en matière de sûreté, alors que le risque d'un accident nucléaire ne peut pas être totalement écarté, je constate que le Gouvernement réduit les moyens financiers de l'Autorité de sûreté nucléaire. Il me semble, par ailleurs, nécessaire de prévoir des exercices qui simulent des accidents de grande ampleur dont les effets ne sont pas nécessairement cantonnés à la périphérie immédiate de la centrale. Enfin la sûreté des réacteurs de quatrième génération doit être fixée au niveau le plus élevé.
En conclusion, un changement de politique énergétique qui ne serait pas supportable par l'offre actuelle de production nucléaire entraînerait des coûts importants pour les opérateurs et in fine pour la compétitivité et pour l'emploi.