Intervention de éric Delzant

Réunion du 15 octobre 2013 à 17h15
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

éric Delzant, délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale :

Au fond, une grande partie de vos questions peut se résumer ainsi : à quoi va servir le Commissariat général à l'égalité des territoires ? Cette création va-t-elle changer la façon dont, depuis plusieurs décennies, la question territoriale est traitée dans ce pays ?

Vous avez beaucoup insisté sur les places respectives de la ruralité et du fait urbain, ainsi que sur l'articulation entre les différents niveaux de territoire. Toutefois, vos préoccupations portent moins sur l'administration territoriale elle-même que sur les habitants des territoires concernés, la question étant de savoir comment une politique d'égalité des territoires peut contribuer à améliorer la vie quotidienne de ces hommes et de ces femmes.

Enfin, vous vous êtes demandé si nous saurions mettre en place une politique efficace et pertinente, laissant ainsi entendre qu'il n'en a pas toujours été ainsi dans le passé.

Pour vous répondre, je peux m'appuyer sur ma propre expérience, puisque sur les dix dernières années de ma vie professionnelle, j'en ai consacré huit à des collectivités. J'ai en effet dirigé les services d'un département pendant cinq ans et ceux de la communauté urbaine de Bordeaux pendant trois ans. En tant que préfet, j'ai exercé soit dans des territoires ruraux, soit en milieu urbain, mais jamais dans de grandes métropoles. Mon expérience de la question territoriale est donc assez variée.

Dans le cadre de la mission que le Premier ministre m'a confiée, j'ai pu identifier une profonde attente des populations : que soit mieux pris en compte, au-delà des problématiques d'organisation territoriale, un certain nombre de besoins de la vie quotidienne. Nous devons nous attacher à répondre à ces besoins.

L'un d'entre vous a fait mention de l'égalité sociale, que Laurent Davezies juge encore plus importante que l'égalité territoriale. Je pense pour ma part que les deux ne peuvent être opposées. Que serait une politique d'égalité territoriale qui ne se préoccuperait pas d'abord des hommes et des femmes vivant sur un territoire, et donc des problématiques d'égalité et d'inégalité sociale ? En abordant des questions telles que la présence de services publics, y compris sociaux, l'accès à certains services collectifs comme le numérique ou le développement des transports, on ne fait rien d'autre que répondre aux attentes des habitants et réduire les inégalités sociales.

Or de telles préoccupations sont tout autant valables pour un territoire rural comme l'Ariège ou pour un département beaucoup plus urbain comme la Gironde que pour une grande agglomération comme la région parisienne. Quelle que soit la nature du territoire concerné, les habitants peuvent ressentir les effets d'un accès inégal à certains services.

On m'a demandé ce que serait notre politique. Mais je rappelle que notre mission consiste à préfigurer le Commissariat général à l'égalité des territoires, et que Raphaël Le Méhauté et moi-même avons été nommés il y a six semaines. Cela limite nos possibilités de répondre de façon complète à vos questions. Quoi qu'il en soit, je suis persuadé qu'aucune politique d'égalité territoriale ne peut faire abstraction des attentes des habitants.

Quant à la question de l'administration territoriale, monsieur le président, elle n'est pas de notre compétence, mais de celle du législateur. Il ne nous appartient pas de déterminer le bon niveau d'administration : nous appréhendons l'organisation territoriale telle qu'elle se présente. En revanche, nous sommes persuadés qu'il est nécessaire de rechercher le maximum de partenariats pour régler les problèmes.

De ce point de vue, l'Auvergne qui, sur le plan de l'égalité territoriale, n'est certainement pas la région de France la plus favorisée, a su donner l'exemple : grâce à une politique de partenariat entre différents niveaux de collectivité – région, départements, agglomérations, État –, elle a élaboré un plan « très haut débit » susceptible d'apporter une réponse concrète, en matière de communications électroniques, aux besoins de ses habitants, qu'ils vivent dans les cantons ruraux ou dans l'agglomération clermontoise, et donc de réduire la fracture numérique dans la région.

Pour autant, la fourniture d'un tel réseau ne suffit pas à répondre entièrement aux attentes, car elle ne résout pas un problème essentiel, celui des usages du numérique – un sujet sur lequel Claudy Lebreton a produit un excellent rapport dont nous comptons nous inspirer.

La question du télétravail en offre une illustration. On en parlait déjà il y a une vingtaine d'années, lorsque j'étais sous-préfet à Provins, mais seulement en termes de réseaux. On ne se préoccupait pas, alors, de savoir dans quelles conditions les travailleurs le pratiqueraient, ni quels liens ils pourraient tisser entre eux. Et finalement, l'expérience a été un échec. Si on parle aujourd'hui du télétravail, ce n'est donc pas parce qu'il s'agit d'une nouveauté ; c'est parce que l'on a totalement raté l'étape précédente. Or nous sommes persuadés que son développement pourrait apporter une réponse – pas la seule – à certains problèmes rencontrés dans des régions comme l'Île-de-France. Mais il faut pour cela appréhender le problème de façon globale, et mettre en place des partenariats locaux destinés à mettre en synergie les acteurs concernés. C'est aussi le rôle du Commissariat général à l'égalité du territoire.

Bien sûr, le CGET va reprendre les fonctions traditionnelles de la DATAR : gestion des primes à l'aménagement du territoire, du Fonds national d'aménagement du territoire, des subventions de l'ACSé, etc. Mais nous avons surtout l'intention d'en faire un moyen d'impulser des politiques et de construire des partenariats. Pour cela, nous comptons sur le caractère interministériel du CGET, dont je rappelle qu'il sera un service placé sous l'autorité directe du Premier ministre, bien que mis à la disposition de la ministre de l'égalité des territoires et du ministre de la ville.

Vous avez souvent cité les contrats de plan État-régions. Il va sans dire que l'action du Commissariat sera très largement placée sous l'égide des nouveaux CPER 2014-2020 et de la nouvelle génération des fonds européens. Rappelons que les régions auront, dès le 1er janvier 2014, la responsabilité de la gestion du Fonds européen de développement régional. C'est donc elles, et non l'État, qui seront en première ligne lors de la conclusion des partenariats territoriaux. Même si ce dernier restera présent pour accompagner leur politique, il s'agit d'une étape importante dans la décentralisation.

Mme Sophie Rohfritsch a évoqué l'opposition entre compétitivité et compétition. Selon moi, la première notion est essentielle. Nos territoires, comme l'ensemble du pays et son économie, doivent être compétitifs, mais cela signifie qu'il faut leur offrir une égalité des chances.

Je rappelle que l'AFII, l'Agence française des investissements internationaux, est placée en partie sous la tutelle de la DATAR, et donc, demain, du CGET. Si dans ce domaine, on laisse le « marché » – entre guillemets – fonctionner tout seul, les investissements internationaux susceptibles d'être effectués en France auront naturellement tendance à s'orienter vers des territoires qui bénéficient déjà de nombreux autres investissements. Le rôle de l'AFII est donc de les orienter vers d'autres territoires offrant également de bonnes conditions d'accueil. Quant au Commissariat général, il va s'employer à faire en sorte que tous les territoires aient la possibilité d'accueillir ces investissements, c'est-à-dire soient compétitifs. L'idée, je le répète, est d'assurer l'égalité des chances.

La compétition est une notion différente : si elle n'est pas organisée, elle entraîne nécessairement un déséquilibre, car elle profite aux territoires les plus structurés, à ceux qui accueillent déjà le plus grand nombre d'entreprises et bénéficient déjà du plus grand nombre d'équipements et d'infrastructures.

Pour notre part, nous jugeons fondamentale la dimension économique en matière d'égalité des territoires – la DATAR partage d'ailleurs avec la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services la tutelle des pôles de compétitivité. Mais cette dimension n'est pas la seule, et il importe de trouver le bon équilibre.

Il en va de même s'agissant des métropoles. Le projet de loi que vous avez adopté en première lecture tend à les renforcer de façon à donner à notre pays une armature de dimension européenne. Mais cela ne signifie pas que le territoire national doit se résumer à ces collectivités ! Ayant eu l'occasion, à la Communauté urbaine de Bordeaux, de porter un projet métropolitain, je suis persuadé que la construction d'une métropole peut bénéficier à tout le monde, à condition de ne pas oublier sa périphérie. Le département de l'Oise est ainsi l'exemple type d'un territoire dont les parties périurbaines, rurbaines, sont complètement en déshérence. Le chômage y est plus important, les déplacements plus difficiles, l'exclusion plus marquée. Pardon de dire cela, monsieur Alain Calmette, mais je m'inquiète beaucoup plus pour les habitants, livrés à eux-mêmes, d'un tel département, que pour ceux de territoires ruraux beaucoup plus structurés et bénéficiant de formes collectives d'accompagnement.

Mais l'intérêt d'une vision transversale de la politique d'égalité des territoires, c'est justement de ne pas opposer ceux-ci en estimant que les uns seraient mieux lotis que les autres. J'ai entendu une association d'élus affirmer que la suppression de la DATAR signifierait l'abandon de la ruralité. Évidemment que non ! La ruralité va continuer à nous préoccuper tout autant que le fait urbain. Dans le cas contraire, nous passerions à côté de notre mission.

Notre rôle est d'identifier les handicaps et de définir des politiques publiques destinées à les réduire. Certains territoires ruraux souffrent de handicaps très importants, comme le manque de services publics, mais c'est aussi le cas de quartiers urbains difficiles à la démographie abondante. Certains bassins d'habitation de 150 000 ou 200 000 habitants sont ainsi totalement dépourvus de salles de cinéma. La politique d'aménagement du territoire a également pour but de remédier à de tels manques. Avec l'aide des départements, des salles ont d'ailleurs été créées en milieu rural – mais beaucoup plus rarement en milieu urbain.

J'en viens la très importante question de la péréquation. Il ne peut y avoir de politique d'égalité des territoires si l'on ne se pose pas la question de la solidarité. De ce point de vue, la péréquation n'est qu'un outil, que mes camarades de la Direction générale des collectivités locales manient d'ailleurs bien mieux que moi. Ce qui m'intéresse, c'est la solidarité territoriale. On voit bien que certains territoires sont délaissés, qu'ils vivent moins bien que d'autres. C'est une réalité qui n'apparaît pas seulement quand on examine les chiffres du chômage. Ainsi, en matière de téléphonie mobile, la couverture du réseau 4G n'est pas tout à fait celle décrite par les cartes affriolantes publiées par les opérateurs. Il subsiste des zones blanches très importantes, et contrairement à ce qu'affirment ces derniers, la couverture n'atteint pas 60 % de la population. Face à de tels problèmes, notre préoccupation doit donc être de mieux affirmer la solidarité territoriale.

Celle-ci ne doit pas seulement se traduire dans les politiques publiques – même s'il convient de concentrer les efforts sur les territoires plus en difficulté. Elle passe aussi par la péréquation. Mais surtout, la solidarité doit s'exprimer entre les territoires eux-mêmes, et en particulier entre les différents niveaux d'administration territoriale. À la Communauté urbaine de Bordeaux, la question de la péréquation, à l'intérieur de la CUB ou entre celle-ci et les territoires environnants, se posait ainsi constamment.

Il ne suffit donc pas de demander à l'État ce qu'il fait pour réduire les inégalités. D'ailleurs, dans une république décentralisée, toutes les questions ne peuvent plus être posées à l'État. C'est pourquoi la façon d'affronter les questions de solidarité et de péréquation sera un sujet prioritaire pour les collectivités.

Un député a fait allusion au « bug » qui s'est produit cet été au sujet des zones de revitalisation rurale. Il est désormais corrigé. Mais un problème demeure : alors que la loi prévoit une révision annuelle de la carte des ZRR, les critères d'éligibilité sont purement quantitatifs. La ministre de l'égalité des territoires doit donc missionner les inspections générales pour procéder à une évaluation globale du dispositif.

Notons que si nous disposons, avec l'Observatoire national des zones urbaines sensibles, d'un instrument puissant d'évaluation en matière de politique de la ville, il n'existe rien de tel pour les ZRR. Aucun instrument ne permet d'évaluer la pertinence de la politique de revitalisation rurale.

Ainsi, dans une ZRR, il est possible, à titre dérogatoire, de confier un emploi d'avenir à un jeune diplômé. Or il paraît difficile d'expliquer à deux jeunes ayant le même diplôme et habitant dans deux communes voisines que l'un pourra bénéficier d'un emploi de ce type tandis que l'autre n'y aura pas droit. De ce point de vue, le système des zones de revitalisation rurale est une sorte d'éléphant blanc. Une évaluation par la mission d'inspection et une concertation avec les associations d'élus sont donc nécessaires avant de créer un nouveau dispositif.

Cela m'amène à la façon dont le CGET prendra en compte l'avis des territoires et de ceux qui les représentent. C'est évidemment très important : rien ne serait pire, pour une administration comme celle-ci, que de fonctionner en vase clos. C'est pourquoi nous allons proposer la création, au sein du Commissariat général, d'un conseil consultatif dans lequel siégeront notamment les représentants d'associations d'élus, et au tamis duquel passeront les politiques que nous serons amenés à proposer. Ainsi, si les élus les jugent mauvaises, ils pourront nous le dire d'emblée. Cela permettra d'éviter l'erreur commise à propos des ZRR…

De même, nous avons l'intention de constituer un conseil scientifique dans lequel pourront siéger les grands experts dont les noms ont été cités. Nous n'estimons pas, en effet, avoir la science infuse, mais sommes au contraire persuadés que l'administration doit passer de plus en plus par la co-construction. Sur ce plan également, il y a une rupture par rapport aux pratiques antérieures.

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