Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du 15 octobre 2012 à 16h00
Débat sur la prise en compte des orientations budgétaires européennes par le projet de loi de finances

Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances :

Monsieur le président, madame la commissaire, monsieur le ministre, cher Bernard, mesdames et messieurs les parlementaires européens, mesdames et messieurs les députés, ma responsabilité en tant que ministre de l'économie et des finances est de mettre en cohérence nos initiatives économiques et financières au niveau national et au niveau européen pour réussir le changement en France, redresser notre pays et réorienter l'Europe.

Je l'ai dit à de nombreuses reprises devant cette Assemblée, nous ne devons pas céder à la facilité commode consistant à opposer la sphère nationale et la sphère communautaire. C'est une paresse intellectuelle ; ce serait une faute politique et, surtout, une aberration économique. Je pense au contraire que nous devons capitaliser sur nos initiatives économiques nationales auprès de nos partenaires européens et que, en retour les décisions, que nous prenons ensemble dans le cadre de l'Union européenne doivent amplifier les effets de notre politique économique réformiste en France. C'est ainsi que nous renouerons avec la croissance sur des bases financières dont l'assainissement s'impose. Je vous dis cela avec une conviction que mes responsabilités actuelles ont renforcée, mais que mes expériences passées de député, député européen et ministre des affaires européennes avaient déjà nourrie.

Les implications concrètes d'une telle ambition sont doubles. D'une part, l'examen de la loi de finances à l'Assemblée nationale mené conjointement par le Gouvernement et la représentation nationale à partir de demain participe pleinement de notre volonté de croissance et de stabilité en Europe et en zone euro. D'autre part, nos initiatives européennes viennent conforter notre politique pour la croissance en France.

C'est cette double relation que je veux expliciter ici, sans taire les défis auxquels nous faisons face, avant que Bernard Cazeneuve présente les perspectives financières à venir et la contribution française – chez nous, en effet, c'est le ministre des affaires européennes, qui la responsabilité de négocier cela, même si l'élaboration des positions est forcément interministérielle.

Les responsabilités que nous assumons maintenant interdisent la posture et obligent à la conviction, à la persévérance et à l'effort pour obtenir de nos partenaires que l'horizon européen ne se limite pas à la seule austérité budgétaire. Je reviens des assemblées générales du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, ce message y a été fortement exprimé. Il ne faut pourtant pas en tirer une leçon de facilité : c'est de l'intérieur, en participant au jeu communautaire, que nous obtiendrons les inflexions nécessaires et non en tournant le dos à l'Union ni en nous isolant.

Je voudrais clore cette introduction par un mot plus personnel. Je pense que l'Europe n'a jamais été aussi politique depuis l'introduction de la monnaie unique. Les avancées décisives de ces derniers mois et la concrétisation d'initiatives comme le mécanisme européen de stabilité ou la taxe sur les transactions financières sont le fruit d'une ambition politique et non d'une construction technocratique. C'est pour moi le signe que nous avançons plutôt dans la bonne direction.

Ce que le Gouvernement et le Parlement font ici ensemble, à travers le projet de loi de finances pour 2013, mais aussi le projet de loi de programmation des finances publiques et le projet de loi organique qui a déjà été voté par cette Assemblée, participe de notre volonté de retrouver la croissance en Europe.

Vous, parlementaires nationaux, connaissez les grands traits de la trajectoire financière en deux temps que nous avons choisi de suivre sur l'ensemble du mandat et que fixe la loi de programmation. Je souhaite les rappeler pour nos amis européens. Le premier temps est celui du redressement, avec le retour du déficit public nominal à 3 % du PIB puis, dès 2014, l'inversion de la dynamique de la dette. Le second temps sera celui du retour à l'équilibre structurel des comptes publics. Le déficit structurel sera ramené dès 2015 sous le seuil de 0,5 % du PIB, seul seuil prévu par le traité, puis à l'équilibre structurel en 2016 et en 2017.

Parallèlement, cette Assemblée a massivement adopté la semaine dernière un projet de loi organique relatif à la programmation et à la gouvernance des finances publiques qui tire les conséquences dans le droit français des règles du TSCG en termes de gouvernance des finances publiques. Il établit des règles de procédure qui garantissent la crédibilité de la trajectoire de redressement des comptes du pays sans pour autant l'enfermer dans un cadre rigide. C'est l'intérêt du pilotage par le solde structurel dont j'ai déjà longuement parlé devant cette Assemblée, en séance publique comme devant la commission spéciale présidée par M. Urvoas, je n'y reviens donc pas.

Pour faire simple, au risque d'être schématique, nous élaborons avec le Parlement une trajectoire d'assainissement des comptes qui est conforme au Traité européen et des règles de gouvernance qui ménagent des souplesses tout en offrant des gages de crédibilité. Les orientations financières nationales fixées par le Gouvernement avec les parlementaires participent de la même volonté de croissance et de stabilité, et ce à deux titres.

D'une part, elles vont nous permettre de partager des points de repère et des outils de travail avec nos partenaires, qui vont eux aussi mettre en oeuvre le TSCG, traité européen qui ne se réduit pas au débat français. L'intégration du traité européen dans le corps législatif national des États membres va contribuer à rétablir la confiance qui est, avec la lisibilité, un ingrédient indispensable au retour de la croissance en Europe. Ma conviction, c'est que si le traité ne suffit pas à lui seul au retour de la croissance, sa mise en oeuvre n'en est pas moins une étape nécessaire à ce cheminement.

D'autre part, les orientations budgétaires que nous défendons au niveau national permettent d'asseoir le sérieux et la crédibilité de la France auprès de ses partenaires européens. Pour ma part, par tempérament et du fait des fonctions qui sont les miennes, je suis attaché à la qualité de la signature de la France. Avec Jérôme Cahuzac, le ministre du budget, et le Gouvernement tout entier, j'ai d'ailleurs la mission de la préserver.

J'ai la conviction que la démarche que nous adoptons pour nos finances publiques, celle du sérieux, est l'une des raisons pour lesquelles la voix de la France pèse dans le débat en Europe. Nous en avons fait l'expérience lors du Conseil Européen des 28 et 29 juin : le centre de gravité de la construction communautaire s'est un peu déplacé et il est désormais accordé une plus grande place aux politiques de soutien à la croissance. Si nos voisins européens nous ont écoutés quand nous avons demandé l'adoption d'un pacte de croissance et d'emploi, c'est aussi parce qu'on fait crédit à la France de son sérieux.

Mais ce chemin n'est pas à sens unique. Nos initiatives européennes viennent aussi, en retour, conforter notre politique pour la croissance en France.

Je suis absolument certain que nous ne renouerons pas avec la croissance en France si nous ne réussissons pas à stabiliser la zone euro et à rendre aux politiques communautaires de soutien à la croissance une place plus importante que celle qu'elles occupent aujourd'hui. Ce diagnostic a guidé l'action du Gouvernement au niveau européen. La crise a prospéré ces dernières années faute de mécanismes de résolution rapides et efficaces, et d'une perspective politique pour l'avenir de l'Europe. Au niveau international, nos initiatives en faveur de la stabilisation financière et de la réorientation de la construction européenne – soutenue par le Parlement européen qui a sa propre démarche – viennent donc appuyer nos politiques nationales de soutien à la croissance.

Nous travaillons en ce sens sur plusieurs initiatives, au niveau européen, dans le prolongement du sommet des 28 et 29 juin. J'en mentionne trois.

Première initiative : la taxe sur les transactions financières est l'un des piliers du pacte pour la croissance et l'emploi. Elle va à la fois encourager la responsabilisation des marchés et permettre de dégager des recettes nouvelles. C'est à double titre qu'elle contribuera à notre agenda de croissance national. La France a relancé ce dossier avec l'Allemagne. J'ai adressé, fin septembre, avec mon homologue Wolfgang Schäuble, un courrier aux capitales européennes et à la Commission pour réenclencher le processus de coopération renforcée sur la taxe sur les transactions financières. Mardi dernier, au Conseil ECOFIN, onze pays membres se sont ralliés à cette initiative. La Commission, qui a joué un rôle très positif, devrait donc être en mesure de faire une proposition dans les prochains mois. Il s'agit d'une grande victoire pour nous, mais c'est surtout une grande victoire pour la croissance en zone euro. Cela prouve aussi qu'il est aujourd'hui possible d'allier ambition politique et efficacité économique en Europe.

Une deuxième initiative mérite d'être signalée : la BEI, la banque européenne d'investissement, verra son capital augmenter de 10 milliards d'euros avant la fin de l'année 2012. Cela résulte de l'une des décisions du sommet de juin. Ce renforcement des fonds propres de la banque de prêts à long terme permettra d'engager 60 milliards d'euros de financements additionnels. En France, la BEI sera ainsi en mesure d'accroître son soutien aux investissements d'utilité collective. Je pense à son action dans les domaines industriels et énergétiques ou dans le secteur des transports. Le tramway de Grenoble, la modernisation des autoroutes Rhin-Rhône, le contournement de Nîmes-Montpellier, font ainsi partie des projets qui avancent bien. En ces matières, l'effet d'amplification de l'action communautaire sur l'activité nationale apparaît évident.

Je veux enfin vous donner un troisième exemple, mais j'aurais pu en choisir d'autres : j'ai siégé lundi dernier avec mes homologues dans le premier Conseil des gouverneurs du MES, le mécanisme européen de stabilité, qui permettra de recapitaliser directement les banques de la zone euro sans alourdir la dette des États dès lors que nous aurons fait des progrès en termes de supervision bancaire. La France est favorable à une approche rapide et complète d'un tel dispositif. Ce que nous visons, au travers du MES, c'est la certitude et la stabilisation financières nécessaires au retour de la croissance en Europe, donc en France. Là encore, nous constatons qu'il y a une interaction entre le niveau national et le niveau européen.

Je ne dis pas que nous avons trouvé l'équation idéale. Le chantier européen est en cours, l'effort de conviction que nous menons auprès de nos partenaires européens pour réorienter la construction européenne et la mettre davantage au service de la croissance se poursuit. En revenant de Tokyo, j'ai pu comprendre qu'il existait une vision plus optimiste, ou moins pessimiste, de l'Europe et le sentiment qu'elle sortait de sa crise existentielle, même si, dans le même temps, cela est encore trop incomplet et qu'il faudrait aller plus vite et plus loin. Le Conseil européen des 28 et 29 juin a dessiné la feuille de route et tracé le cap ; il faut maintenant, malgré toute la complexité des processus de décision communautaire, régler les difficultés de la Grèce et de l'Espagne – c'est la première urgence –, organiser la supervision bancaire – réforme totalement décisive et perçue comme telle partout dans le monde –, améliorer la gouvernance de la zone euro, et renforcer notre volonté d'union politique. En effet, in fine, l'Union européenne est bien une construction politique. C'est toute l'ambition de la ligne politique d'intégration solidaire voulue par le Président de la République, François Hollande. À la place qui est la mienne, je la défendrai avec conviction.

Opposer la scène nationale et l'arène de l'Union, nos objectifs de croissance et nos engagements budgétaires européens, n'est donc pertinent ni politiquement ni économiquement. Il faut, revanche, travailler à un meilleur dialogue économique et budgétaire du Parlement avec les institutions européennes, en particulier à un dialogue interparlementaire approfondi. C'est en ce sens que j'évoquais en ouverture de mon propos mon expérience de député, à Paris et à Bruxelles, et celle de membre du gouvernement.

Le projet de loi organique que l'Assemblée nationale a adopté la semaine dernière permet à cet égard de mieux articuler les procédures nationale et européenne de gouvernance budgétaire. Il s'agissait d'une exigence de l'Assemblée ; elle avait raison. Ce texte ouvre pour le Parlement la possibilité d'organiser des débats lorsque l'Union institue des procédures de coordination des politiques économiques et budgétaires qui comprennent l'examen de documents produits par le Gouvernement et les institutions européennes. L'Assemblée a d'ailleurs enrichi le projet de loi organique, avec le soutien du Gouvernement, en prévoyant que des débats pourront être organisés sur toute décision adressée à la France dans le cadre des procédures de déficit excessif. Mme Élisabeth Guigou ou M. Christophe Caresche avaient défendu ces options et pris en la matière des positions de bon sens.

Ces dispositions s'ajoutent à celles contenues dans la loi de programmation des finances publiques de 2010, qui prévoient que le Gouvernement adresse au Parlement, au moins deux semaines avant sa transmission à la Commission européenne, le projet de programme de stabilité en vue d'un débat suivi d'un vote qui aura donc lieu, l'an prochain, vers la mi-avril.

Il revient en outre aux parlementaires nationaux et européens de se saisir de l'opportunité qu'offre le traité en son article 13. La conférence interparlementaire que le traité prévoit pour que ces derniers puissent débattre des politiques budgétaires permettra d'enrichir du rôle du Parlement, qui contrôlera mieux l'articulation des politiques internes avec l'application des règles européennes. Le Gouvernement prêtera tout son appui aux initiatives que vous pourrez prendre en ce sens. Je vois donc cette conférence interparlementaire, qui pourrait siéger dans ces lieux, à la fois comme la garantie d'une meilleure articulation des niveaux nationaux et européens, et comme un progrès démocratique.

Enfin, nous gagnerions à dessiner, pour l'union que nous avons formée autour de notre monnaie, un nouveau modèle reposant sur des mesures favorables à la croissance, mais également sur l'union bancaire, sur une coordination budgétaire et économique améliorée et sur une harmonisation fiscale renforcée en zone euro. Il nous faudra aussi poursuivre collectivement la réflexion autour de l'amélioration de la gouvernance de la zone euro : se réunir plus, se réunir mieux, bénéficier d'un pilotage plus stratégique, prendre des décisions plus efficaces plus rapidement. Je pense entre autres, mais pas uniquement, à la montée en puissance d'un budget commun de la zone euro – à mon sens, il n'est pas exclusif du budget de l'Union européenne car, sur ce plan, je ne partage pas exactement certaines thèses britanniques un peu commodes – qui jouerait un rôle plus important face aux chocs économiques.

Bref, je crois en un saut vers l'intégration solidaire, sans lequel l'Union européenne ne pourra reprendre sa marche en avant, je dirais même son élan. Il faut garder cette perspective en tête et se mobiliser pour en faire une réalité. Nos travaux peuvent aussi y contribuer.

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