Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mesdames et messieurs les députés, nous nous retrouvons pour la troisième fois en dix jours pour débattre des inflexions nécessaires en matière économique et financière. Nous avons eu, Jérôme Cahuzac et moi-même, un premier échange avec la commission des finances sur l'ensemble des textes soumis à votre examen pour cette session. Avec la loi de règlement, nous avons d'abord pris acte de la situation budgétaire dont le Gouvernement hérite. Nous avons ensuite présenté nos priorités et nos principes économiques et financiers lors du débat d'orientation la semaine dernière dans cet hémicycle.
A chaque fois, un même objectif a guidé nos choix : déployer une politique que nous voulons cohérente, juste, et réformiste. Le projet de loi de finances rectificative, que nous vous présentons en compagnie de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, s'inscrit également dans ce cadre. Il constitue aussi une première étape, et ce à double titre. Il s'agit de la première étape d'un redressement budgétaire qui se déroulera sur l'ensemble du mandat, et évoluera progressivement – je pense en particulier aux équilibres entre recettes et dépenses dans la composition du budget. C'est aussi la première étape d'une profonde réforme du système fiscal, que la loi de finances rectificative vient amorcer.
Ce projet de loi de finances rectificative répond à un triple impératif : redresser les comptes publics pour respecter nos engagements, replacer la justice au coeur de notre système fiscal et amorcer la réorientation de la fiscalité vers l'investissement et l'emploi.
Nous avons eu l'occasion de le rappeler, avec Jérôme Cahuzac, lors du débat d'orientation des finances publiques : redresser les comptes publics n'est pas une fin en soi, ce n'est pas pour ce gouvernement un nouvel avatar de la pensée unique. C'est au contraire une voie indispensable pour préserver notre souveraineté, pour conserver la maîtrise de nos politiques publiques ; en un mot, c'est une condition indispensable à la réussite du changement pour lequel nous avons été élus. Si nous affichons aussi clairement notre objectif de retour à l'équilibre, avec ses étapes intermédiaires, si nous nous engageons avec détermination sur ce chemin, c'est parce que le désendettement permet de retrouver des capacités, à travers les politiques publiques, de dégager des marges de manoeuvre pour l'action politique.
Pour 2012, notre objectif – vous le connaissez – est de ramener le déficit à un niveau plus soutenable : 4,5% du PIB. Cela s'inscrit dans une trajectoire désormais bien identifiée : 3% en 2013 et l'équilibre des finances publiques en fin de mandat.
Cette année, nous subissons une contrainte supplémentaire, qui est pour partie à l'origine de ce collectif : nous héritons – je l'ai déjà dit ici – d'une situation financière dégradée, qui trouve son origine dans des surévaluations de recettes à hauteur de 7,1 milliards d'euros, et dans des risques sur les dépenses de l'État évalués entre 1,2 et 2 milliards d'euros. Je ne fais là que reprendre les chiffres du rapport de la Cour des comptes.
C'est un peu comme si nous emménagions dans une maison dont la charpente n'est en aussi bon état que nous l'espérions, parce que le locataire précédent – car nous sommes locataires – a négligé de faire les travaux qui s'imposaient.
Le sérieux budgétaire que nous revendiquons a un corollaire en matière de méthode : la sincérité des comptes et des prévisions financières. Je souhaite que cette sincérité permette, à l'avenir, de limiter les écarts, toujours embarrassants et rarement justifiés, entre un schéma initial et son exécution effective. Les politiques publiques y gagneront en lisibilité, en prévisibilité et en crédibilité.
Cette situation fragile résulte aussi, au-delà des approximations budgétaires pour l'année en cours, d'une accumulation de déficits structurels qui s'est accélérée, et fortement, durant le précédent quinquennat. Et la crise est loin d'être le premier ou le principal facteur de cette accélération. Cette situation appelle en tout cas de notre part – puisque nous sommes aux responsabilités – des corrections déterminées pour contrer la dérive naturelle du déficit. Celui-ci se serait établi autour de 5% du PIB en fin d'année si nous n'étions pas devant vous pour présenter ce projet de loi de finances rectificative.
Voilà l'objectif. Je veux vous dire comment nous l'atteindrons. Car c'est en réalité tout l'enjeu du débat. Autour d'une même cible de déficit, il existe – cela relève du choix politique – de multiples variations possibles dans la composition d'un budget et dans les arbitrages fiscaux sur lesquels il repose. Nous proposons, nous, un budget qui permette de répartir les efforts de manière équitable – ce que le Président de la République a appelé le 14 juillet « l'effort juste » ; c'est exactement cela qui nous guide.
Replacer la justice au coeur de notre système fiscal nous engage en premier lieu à calculer au plus juste les besoins qui doivent être comblés. Nous ne prenons pas à la légère la contrainte que représentera, pour certains ménages et pour certaines entreprises, un effort fiscal supplémentaire. Nous avons pleinement conscience de nos responsabilités, nous ne sommes pas – contrairement à ce que j'ai pu lire ou entendre ici ou là – dans une démarche punitive ; nous ne manions pas non plus, avec je ne sais quelle nonchalance, l'outil fiscal, comme certains feignent de le croire. Nous avons au contraire évalué au plus juste l'effort nécessaire, et seulement cela, pour atteindre notre cible de déficit au plus près, sur la base de prévisions de croissance prudentes que vous connaissez : 0,3 % pour l'année 2012. Cet effort sera constitué, d'une part, d'un gel des dépenses publiques à hauteur de 1,5 milliards d'euros, et d'autre part, de prélèvements, pour un montant de 7,2 milliards d'euros.
Laissez-moi mettre ce chiffre en perspective car je veux éviter toute ambiguïté sur notre projet fiscal. Sur l'ensemble de l'année 2012, l'augmentation des prélèvements obligatoires – je le concède – sera de 1,1 point de PIB. Mais sur ces 1,1 point, 0,8 ont en fait été décidés par l'ancienne majorité présidentielle. Le gouvernement auquel nous appartenons prend la responsabilité des 0,3 point de PIB restant pour atteindre la cible de déficit en 2012. Cependant, il le fait uniquement parce qu'il faut corriger une situation plus dégradée qu'annoncé. L'opposition devrait donc approuver ce projet de loi de finances rectificative – je ne dirais pas au moins aux trois-quarts mais il s'agit bien de reprendre ce qui n'a pas été fait.
Replacer la justice au coeur du système fiscal, c'est surtout faire contribuer en priorité à l'effort d'assainissement de nos comptes ceux que la crise a le plus épargnés, c'est-à-dire les ménages qui disposent d'une capacité d'épargne conséquente – ils supporteront près des trois-quarts du montant des prélèvements supplémentaires sur les ménages – et les grandes entreprises, soumises à des taux d'imposition effectifs plus faibles que les entreprises petites et moyennes.
Quelques exemples de mesures du collectif pour illustrer les principes que je viens d'énoncer.
Certains secteurs aujourd'hui très prospères, et confortés dans une situation fiscale privilégiée par la précédente majorité, contribueront – exceptionnellement d'ailleurs – à l'effort de redressement des comptes en 2012. Je pense par exemple à la taxe sur la valeur des stocks des produits pétroliers. Celle-ci représente d'abord une charge proportionnée : un peu plus d'un demi milliard d'euros, soit un centième environ du chiffre d'affaires des pétroliers selon des estimations non officielles. Elle se justifie aussi par les spécificités d'un secteur dont les profits se sont accru considérablement depuis 2004, et qui, souvent, échappe à toute imposition en France. Certains affirment que cette taxe pénalisera les populations les plus fragilisées. Mais c'est d'une taxe sur les stocks, et non pas d'une taxe à la pompe, dont nous parlons ici. J'ai entendu que cette taxe coûterait un cent aux consommateurs, mais ce n'est pas le cas : les entreprises ne sont pas obligées de la répercuter sur les prix. Une évolution de cette nature, qui serait au demeurant peu perceptible pour le consommateur, est, je le crois, effaçable ou évitable.
La même logique d'équité s'applique aux ménages. Une contribution exceptionnelle permettra en 2012 de compenser le coût du bouclier fiscal. Elle touchera les personnes dont le patrimoine net imposable est supérieur à 1,3 million d'euros. Nous ne revenons pas sur les effets de seuil. Cette suppression temporaire du plafonnement pour une seule année n'a pas vocation à punir ni même à décourager l'épargne, mais à associer à l'effort de redressement ceux qui sont le plus en mesure d'y contribuer, compte tenu de l'ampleur de leur patrimoine.
D'autres mesures, qui seront détaillées plus amplement, vont dans le même sens. Mais je voudrais insister sur un point : il n'y a pas, dans le collectif budgétaire, un mouvement monolithique d'augmentation des prélèvements obligatoires. Je refuse formellement cette caricature.
L'équité implique aussi d'alléger ce qui, dans le système fiscal hérité du précédent gouvernement, aurait particulièrement pesé sur le pouvoir d'achat des plus modestes et des classes moyennes. C'est pourquoi – et cela est très important – nous annulons l'augmentation du taux de TVA de 19,6 % à 21,2 % prévue par l'ancienne majorité présidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)
Si nous ne l'avions pas abrogée, et cela dès ce projet de loi de finances rectificative, cette augmentation aurait constitué – soyons-en conscients – une ponction considérable sur le pouvoir d'achat des ménages, estimée à 12 milliards d'euros.