Intervention de Alain Lamassoure

Séance en hémicycle du 15 octobre 2012 à 16h00
Débat sur la prise en compte des orientations budgétaires européennes par le projet de loi de finances

Alain Lamassoure, président de la commission des budgets du Parlement européen :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, madame la vice-présidente de la Commission européenne, chers collègues, cette rencontre, qui fait suite, en l'amplifiant, à une initiative de vos prédécesseurs et qui vise à faire mieux travailler ensemble nos représentants au Parlement européen et à l'Assemblée nationale, est particulièrement intéressante et nous sommes heureux d'y participer.

Si je comprends bien, nous parlons ici, non pas du fond de la politique budgétaire française – en tant que député européen, je ne me considérerais d'ailleurs pas comme légitime pour le faire –, mais de la méthode. À cet égard, je formulerai trois propositions.

D'abord, il faut commencer d'enrichir le contenu du semestre européen et des orientations européennes. Je prendrai, sur ce sujet, une image musicale : je souhaite que l'on mette au point une symphonie des partitions nationales. Pour filer la métaphore, le semestre européen est un ensemble d'exercices musicaux pour lesquels plusieurs niveaux d'exigence sont possibles.

À un premier niveau, on s'assure que personne ne fait de fausses notes. Le dispositif de Maastricht, qui devait le vérifier, s'est révélé inopérant ; on en met donc en place un nouveau, que l'on espère plus efficace.

À un deuxième niveau, on s'assure que chacun joue toute sa partition, laquelle, loin de se limiter à la politique budgétaire et fiscale, englobe les autres aspects de la politique économique et sociale, comme le prévoit notamment le Pacte pour l'euro plus. C'est le programme national de réforme ; chacun a le sien et le professeur de musique commun, qui est la Commission européenne, s'assure que cette partition est bien écrite.

À ces deux niveaux, il faut en ajouter un troisième, par lequel on s'assure que les vingt-sept instrumentistes de l'orchestre jouent leur partition en harmonie les uns avec les autres, car on doit faire en sorte que le jeu de chacun n'aboutisse pas à une effroyable cacophonie.

Si nous voulons optimiser nos politiques économiques nationales pour maximiser la croissance, il faut parvenir à jouer cette symphonie. Cela suppose que l'on mobilise trois catégories d'acteurs.

La première est celle des comptables. Nous n'avons pas encore entrepris – c'est d'ailleurs très surprenant – l'exercice simple consistant à assurer la consolidation comptable de nos budgets publics dans l'Union européenne, si bien que nous sommes incapables de juger de l'impact de notre politique budgétaire consolidée dans ce que l'on appelle le policy mix, c'est-à-dire les politiques budgétaires et monétaires conduites au niveau européen. Commençons donc par engager cette consolidation comptable.

Deuxième catégorie d'acteurs : les économistes. Quelle est la bonne politique économique pour un ensemble de pays qui conservent des budgets indépendants, mais qui ont désormais la même monnaie et qui s'intègrent dans un monde où les produits, les informations, les innovations technologiques et tous les facteurs de production circulent librement – un monde qui n'est plus keynésien et qui n'est pas non plus friedmanien ? Pour l'instant, les économistes se contentent de nous dire qu'une telle zone ne peut pas exister, ou que, si elle existe, son fonctionnement ne peut pas être optimal. Il est clair que l'Europe déplaît aux économistes, comme aux professeurs de droit constitutionnel, et cela pour la même raison : elle n'appartient à aucune catégorie existante. Bien sûr, car nous inventons ! Malgré cela, nous avons besoin que la science économique nous éclaire ne serait-ce qu'un minimum.

Troisième catégorie d'acteurs : les politiques. À cet égard, nous avons là une difficulté de fond, qui n'est pas tranchée dans les traités et qui en exigera peut-être un nouveau, même si je ne vois pas, à l'heure où nous parlons, comment cela pourrait se faire, fût-ce dans le cadre d'un nouveau traité. En effet, si nous voulons convaincre les Chinois et les Américains d'essayer de jouer en harmonie à l'échelle planétaire – c'est au fond ce que disait éloquemment ce matin le ministre de l'économie et des finances à la télévision lorsqu'il parlait de l'entente que l'on recherche au niveau mondial à travers le Fonds monétaire international –, encore faut-il d'abord que nous soyons capables de le faire entre nous. Que pouvons-nous faire, à l'heure actuelle, si nous constatons que certains pays ayant des marges de manoeuvre supérieures aux nôtres devraient se lancer dans une politique de relance et de distribution de pouvoir d'achat, mais qu'ils ne veulent pas se laisser convaincre de le faire ? Comment les oblige-t-on ? Pour l'instant, on ne sait pas.

Pour toutes ces raisons, ma première proposition me semble s'imposer clairement : il faut se donner un nouvel objectif, en l'occurrence proposer un contenu complémentaire au semestre européen, mettre en place une symphonie des partitions européennes. N'oublions pas d'ailleurs, outre les vingt-sept instrumentistes que nous sommes – bientôt vingt-huit avec la Croatie –, un autre élément, à savoir le budget européen, ce petit budget dont j'ai la charge au Parlement européen et dont nous commençons à négocier, avec M. le ministre délégué chargé des affaires européennes, ce qu'il sera pour les sept années à venir. J'en profite pour dire, même si ce n'est pas le sujet du jour, que je suis personnellement demandeur d'un échange de vues, d'un débat de fond sur ce que nous attendons, nous Français, du budget européen. Quels seront son montant, son financement et sa structure ? En quoi peut-il participer au concert européen ?

Ensuite – c'est ma deuxième proposition –, je suggère que nous introduisions dans notre présentation budgétaire, à titre d'information, l'ensemble des contributions qu'apporte la France, notamment à travers son budget national, au financement de l'ensemble des politiques européennes, y compris celles qui sont définies dans le grand programme Europe 2020, qui fait suite à la stratégie de Lisbonne.

Si cette stratégie a échoué et si le programme Europe 2020, lancé il y a à peine deux ans et demi, a été oublié par tout le monde, c'est parce qu'à aucun moment on ne s'est préoccupé du financement des objectifs, lesquels sont pourtant tout à fait consensuels, acceptés par tous les pays et par tous les grands groupes politiques. Parmi ces objectifs, 80 % dépendent en réalité, dans leur financement, des budgets nationaux et non pas du budget communautaire. Or nous sommes incapables de dire combien notre budget national affecte au financement de ces politiques communautaires.

Nous aurions intérêt à pouvoir le faire ; nous aurions intérêt à montrer l'exemple, nous Français, parce qu'il apparaîtrait que, dans les domaines qui sont couverts par Europe 2020 – en ce qui concerne, par exemple, la recherche, l'aide à l'innovation, les grandes infrastructures ou encore les énergies nouvelles –, en réalité, beaucoup de dépenses engagées sur le budget de la France contribuent à la réalisation des grands objectifs publics européens. Dans cet esprit, le président Chirac avait peut-être poussé le bouchon un petit peu loin en proposant que les dépenses engagées par la France au titre de la dissuasion nucléaire soient sorties de la limite de 3 % de déficit, au motif que le parapluie nucléaire français profitait à nos partenaires…

Sans aller jusque-là, il faut bien mettre en évidence le fait que, au-delà de la seule contribution du budget de la France au budget de l'Union européenne, notre pays participe au financement des grands objectifs. Ce serait très utile. Dans ce tableau annexe, il faudrait naturellement ajouter la participation de la France au capital de la Banque européenne d'investissement, qui vient d'être augmenté, du Fonds européen de stabilité financière, du Mécanisme européen de stabilité et éventuellement, s'il voit jamais le jour, du budget central de la zone euro.

Enfin – cela m'amène à ma troisième proposition –, s'agissant du sujet qui fait l'objet du rapport de Christophe Caresche, à savoir le contrôle interparlementaire des objectifs communs, l'expérience a montré que, lorsque le Conseil européen ou le Conseil de la zone euro se réunit, même si tous les participants, ou presque, sont responsables devant des parlements nationaux – la seule exception étant le président de séance, M. Van Rompuy, puisque le président de la Commission est, pour sa part, responsable devant le Parlement européen –, le contenu du contrôle varie beaucoup selon les pays et que chacun de ces contrôles nationaux ne prend évidemment en compte que la politique du pays en question. Il faut donc décloisonner. On s'est rendu compte à plusieurs reprises que certaines décisions du Conseil européen n'étaient pas appliquées, ou bien l'étaient avec beaucoup de retard, parce que les positions prises par tel ou tel chef de gouvernement n'étaient pas appuyées ensuite par sa majorité ou par sa coalition parlementaire.

Nous avons, au Parlement européen, une vision européenne. Or, sur tous les aspects de la politique budgétaire, la responsabilité et la légitimité résident dans les parlements nationaux. Nous devons donc travailler ensemble et mettre en place la conférence, qui est prévue dans l'article 13 et que nous avons préfigurée en début d'année, au mois de mars, en nous assurant en quelque sorte de sa faisabilité, avec Pervenche Berès, au titre de la commission des affaires sociales et de l'emploi, avec la commission des affaires économiques et monétaires et avec nos homologues de l'Assemblée nationale – je salue ici les présidents des commissions correspondantes.

Bien entendu, dans une telle conférence, il n'y aura pas la possibilité d'émettre un vote. En effet, comment pondérerait-on les voix d'un parlementaire européen et d'un député national ? Mais le simple fait que ce soit un forum, dans lequel chacun s'exprime publiquement et où sont représentées toutes les grandes familles politiques européennes, changera considérablement les choses et marquera un progrès politique important.

Le Conseil européen saura mieux où il met les pieds s'il y a un débat préalable à ses délibérations ; il sentira mieux les choses. Pour ne donner qu'un seul exemple, si cette conférence avait existé il y a trois ans, le traitement de la crise grecque aurait été très différent. En effet, il aurait été possible à certains députés nationaux d'Europe du Nord de demander des comptes directement aux députés nationaux grecs, lesquels auraient pu expliquer que, à force de serrer une personne à la gorge, il arrive un moment où elle risque de mourir…

Il aurait été impossible au chef de l'opposition grecque de l'époque, qui appartient à ma famille politique, d'essayer de saboter les efforts courageux que faisait le premier ministre. Tant que cela restait à huis clos, il pouvait le faire, mais si chacun avait été amené à se prononcer publiquement, dans un forum de ce type, sur les sujets et les programmes qui étaient sur la table, la situation aurait été différente. Nous aurions gagné non seulement du temps, mais aussi de l'argent. Je crois donc que c'est là une procédure nouvelle très importante ; mes collègues expliqueront plus en détail ce qu'ils en attendent.

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