Intervention de François Cote

Réunion du 1er octobre 2013 à 17h00
Délégation aux outre-mer

François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux, PERSYST du CIRAD :

Après avoir évoqué les défis de l'agriculture ultramarine et la place de la recherche dans ce contexte, je vous délivrerai quelques informations sur le dispositif de recherche du CIRAD dans les DOM, et j'aborderai les enseignements que nous tirons de l'expérience acquise au cours des dernières années.

Les défis de l'agriculture dans les DOM sont comparables à ceux de la métropole. Il s'agit de produire de façon plus durable, d'assurer une production en quantité suffisante et de qualité, et de préserver les ressources naturelles en tenant compte des spécificités des territoires.

Quelles sont ces spécificités ? Une agriculture marquée par la coexistence, sur un même espace, de différents types d'agriculture – une agriculture d'exportation, des filières destinées au marché local et la polyculture élevage –, l'éloignement par rapport à la métropole et les coûts qu'il engendre, une balance produits frais importés-productions locales qui doit être rééquilibrée, l'insuffisante agro-transformation des produits, la taille relativement réduite des marchés locaux, l'anthropisation rapide des milieux, due à l'évolution démographique et au développement de l'habitat périurbain qui influencent les modes de production, la fragilité du milieu insulaire, la présence de hot spots de biodiversité, sans oublier des aléas climatiques parfois violents.

Quelle est la place de la recherche dans ce contexte ? Le CIRAD insère ses recherches dans les problématiques locales et produit des connaissances de portée internationale. Ce croisement, loin de provoquer une tension, nous semble fécond.

Notre production de connaissances diffère selon le territoire, mais elle concerne cinq thématiques principales.

Tout d'abord, la biodiversité et la création variétale dont sont chargés les centres de ressources biologiques (CRB). Ceux-ci, très actifs, gèrent des collections d'intérêt international. Je rappelle que les DOM contiennent les collections les plus importantes d'espèces tropicales.

En outre, nous nous intéressons vivement aux Observatoires de l'environnement, dont nous souhaitons voir évoluer les missions. Selon nous, ils ont vocation à s'intéresser au dossier du chlordécone, aux flux de pesticides, et également à la gestion du territoire ou aux dynamiques forestières en Guyane.

La troisième thématique de recherche du CIRAD est l'agro-écologie. Le virage a été pris il y a dix ou quinze ans. La recherche en ce domaine, à la Réunion et en Guadeloupe, a atteint un niveau international.

Notre quatrième thématique est la gestion des risques de maladies animales et végétales. Nous nous appuyons sur la notion de One Health – une seule santé – du fait de la répercussion de ce thème sur la santé humaine.

Enfin, nous nous intéressons à la qualité des produits et à leur transformation.

Voilà comment sont structurées nos recherches. Elles sont déclinées dans les différents DOM et nous essayons de mettre en place des connexions inter-DOM. Nous travaillons en collaboration avec l'INRA, en particulier sur la thématique agro-écologie, avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et avec le CNRS.

Le CIRAD s'intéresse également au développement de l'agriculture locale, tout en considérant que les enjeux locaux de développement ne doivent pas être fixés par la recherche mais par les acteurs eux-mêmes : régions, chambres d'agriculture, organisations professionnelles.

Le développement de l'agriculture locale passe par le partenariat. C'est pourquoi nous travaillons avec nos partenaires institutionnels – conseil régional, conseil général, services déconcentrés de l'État, DAAF (Direction de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt) – et avec un large spectre de professionnels. S'y ajoutent les chambres d'agriculture, nos partenaires régionaux de la recherche et enfin l'Université, qui joue un rôle important à la Réunion et aux Antilles. Ce partenariat s'inscrit dans le cadre d'initiatives nationales comme le plan Ecophyto ou la stratégie nationale pour la biodiversité.

J'en viens au retour d'expérience après ce qui s'est passé au cours des dernières années en termes de partenariat sur le plan de l'innovation locale. Plusieurs exemples illustrent les progrès qui peuvent être réalisés par les filières d'exportation : le plan « Banane durable », les filières de diversification, les RITA et un réseau de surveillance, Carivet, dont le rayonnement international n'est plus à démontrer puisqu'il a été rapproché de celui de réseaux du même type en Asie et en Afrique. Ce partenariat mériterait que nous nous y attardions, mais je concentrerai mon propos sur les RITA et sur le plan « Banane durable ».

Le plan « Banane durable » est un GIEE (groupement d'intérêt économique et environnemental) avant la lettre. Il est né de la rencontre entre la recherche – qui offrait les moyens de réduire l'utilisation des pesticides et de développer de nouveaux systèmes de production plus durables, susceptibles éventuellement de supprimer la monoculture, consommatrice d'intrants chimiques – et les professionnels qui, à l'occasion de la crise du chlordécone, ont pris conscience que leur façon de produire devait évoluer. Cet alignement de planètes leur a permis de développer un projet commun.

Nous nous sommes vite aperçus que les bonnes intentions devaient être accompagnées des outils correspondants. Ce fut d'abord la programmation commune, qui implique de croiser les attentes et les offres potentielles. C'est parfaitement possible dès lors que nous sommes capables de parler à la fois la langue du scientifique et celle du développement. Ensuite furent créés les instituts techniques agricoles, qui jusqu'alors n'existaient pas dans les DOM. C'est ainsi qu'a été promu l'Institut technique de la banane, devenu par la suite l'IT2 (Institut technique tropical), qui est désormais un maillon indispensable de la chaîne. L'innovation n'est pas un processus linéaire. Si la recherche n'a pas d'interlocuteur, le chercheur perd ses capacités d'innovation.

Pour matérialiser cet institut, nous avons créé deux plateformes techniques dans le cadre du plan « Banane durable ».

La première permet de tester les nouveaux prototypes de culture en dehors du stade purement expérimental. Il s'agit, en nous mettant d'accord sur les systèmes de culture et les itinéraires techniques d'intérêt, de réaliser, chez des producteurs pionniers, des essais permettant de valider le projet, à la fois sur le plan technique et sur le plan socio-économique.

Dans le cadre de cette plateforme, nous développons des systèmes de culture dans lesquels ont été introduites des plantes de services. Celles-ci, en affaiblissant les mauvaises herbes, réduisent l'utilisation d'herbicides, le travail du sol et l'utilisation de ressources hydriques et minérales. Ce système se développe aux Antilles et, d'ores et déjà, certains pépiniéristes commercialisent les plantes de services.

La seconde plateforme est dédiée à la sélection de nouvelles variétés. Cette sélection est très difficile car nous avons affaire principalement à des espèces orphelines, ce qui limite les marges de manoeuvre. Néanmoins, des procédés d'hybridation existent.

Ces plateformes offrent à des chercheurs du CIRAD et à des ingénieurs recrutés par la profession la possibilité de travailler ensemble au sein de l'institut technique.

J'en viens aux RITA. Ces réseaux, nés d'une décision prise dans le cadre du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), sont le fruit d'un montage entre l'ACTA et le CIRAD. Ils ont été mis en place dans la précipitation, ce qui a pu générer certaines frustrations, mais ils sont désormais opérationnels. Les RITA permettent aux acteurs de la recherche et du développement de se réunir pour mettre en commun leurs moyens, et de fonctionner en bonne adéquation avec les attentes et les besoins du monde agricole. Le dispositif, après un peu plus de deux ans d'existence, fonctionne très bien et, dans le cadre de l'Inter-DOM, il procède à des mutualisations sur la base de problématiques comparables. Les acteurs doivent s'appuyer sur ces réseaux pour aborder l'étape suivante qui sera RITA 2.

Je veux dire à présent quelques mots sur le dispositif de recherche du CIRAD dans les DOM.

Ce dispositif est lourd puisqu'il concerne 450 personnes réparties en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, dont 40 % de cadres et 60 % d'agents de maîtrise.

La richesse de ce dispositif n'est pas suffisamment soulignée. Le réseau de recherche du CIRAD sur le milieu tropical est unique au monde du fait de ses plateaux techniques et de leur ancienneté. Le CIRAD dispose de très nombreuses collections, de domaines expérimentaux multiples – canne à sucre, banane, manguier, papayer, avocatier, igname, ananas, caféier, cacaoyer, vanillier – et d'importantes collections de pathogènes. C'est un atout qu'il convient d'exploiter.

La richesse du CIRAD vient aussi de son personnel scientifique et technique. Celui-ci est extrêmement qualifié dans les DOM et, après les évolutions spectaculaires qui ont eu lieu, ces dernières années, en matière de promotions et de formations internes, il est totalement performant pour assurer la viabilité des plateaux de recherche.

Le CIRAD, enfin, dispose de laboratoires de niveau international aux Antilles et à La Réunion. Je citerai notamment le pôle de protection des plantes (pôle 3P) qui est un laboratoire associé avec l'Université.

J'en arrive maintenant aux messages que nous aimerions vous transmettre.

Il convient, tout d'abord, de renforcer le positionnement fécond des DOM entre production internationale et développement local. Il nous semble déterminant, face aux défis que doit relever l'agriculture, de nous doter d'une capacité d'innovation et d'une réactivité importante. Les filières qui n'ont pas su le faire connaissent des difficultés. C'est le cas de la filière « canne à sucre » des Antilles qui n'a pas anticipé suffisamment les évolutions réglementaires, en particulier l'interdiction de certains pesticides.

Le processus d'innovation est à la fois technique et partenarial.

Le processus technique correspond aux nouvelles façons de produire, à la production intégrée, à l'agro-écologie. Sur toutes ces questions, les besoins en recherche sont connus et ils nécessiteront, à l'avenir, des investissements pour améliorer l'évaluation multicritères de la production et des services, pour développer la modélisation et l'ingénierie du sol, et pour renforcer les moyens des Observatoires de l'environnement.

Quant au processus partenarial, il fonctionne à travers des structures telles que les RITA et le plan « Banane durable », structures qui doivent être pérennisées.

Les GIEE sont des outils très intéressants pour développer l'agro-écologie mais, dans les DOM, il faut impérativement inclure la dimension que constitue l'innovation. On oublie parfois que la métropole bénéficie d'instituts techniques qui existent depuis une cinquantaine d'années, ce qui n'est pas le cas pour les DOM.

Nous ne travaillons pas de la même façon avec les cultures de diversification et avec les cultures d'exportation, car celles-ci sont très structurées sur le plan professionnel et elles connaissent des évolutions qui sont liées à des plans définis tant au niveau régional qu'au niveau international. La lutte contre la cercosporiose, par exemple, doit sortir du cadre du plan « Banane durable », car cette maladie se diffuse sur de vastes régions et elle exige une réponse plus globale, qui pourrait être, par exemple, un programme de type Interreg.

La dimension internationale ne doit pas être perdue de vue. Les producteurs de bananes d'Afrique s'adressent au CIRAD pour lui demander de mettre en place un plan « Banane durable » dans leurs pays, car ils sont confrontés aux mêmes problématiques, avec un décalage de quelques années dû au retard des pressions réglementaires. Il est important de persuader les producteurs antillais qu'ils ont intérêt à adhérer à la dimension internationale. Ils l'ont d'ailleurs parfaitement compris, au moins en ce qui concerne les cultures d'exportation.

Quant aux cultures de diversification, nous sommes persuadés qu'il faut renforcer les RITA pour passer à la phase RITA 2 et accentuer la collaboration entre le monde de la recherche et du développement et celui de la production. Nous ne devons pas oublier les petites exploitations agricoles familiales, mais nous avons besoin, pour cela, d'un diagnostic et, sur ce point, l'INRA a obtenu des résultats intéressants. Car, pour innover, nous avons besoin d'interlocuteurs. Or, par définition, le secteur qui correspond à la petite exploitation familiale est un secteur peu organisé. Le CIRAD, fort de son expérience dans d'autres zones de production qui doivent faire face aux mêmes défis, travaille donc en collaboration avec l'INRA sur cette question. L'année 2014 sera l'année internationale de l'agriculture familiale ; cela nous donnera l'occasion de rencontrer les acteurs de ce secteur.

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