Délégation aux outre-mer

Réunion du 1er octobre 2013 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • DOM
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La réunion

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La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Claude Fruteau, Président.

Table ronde sur la recherche et l'agriculture outre-mer en présence de : M. Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture » et M. Antoine Momot, chef du cabinet du président (INRA) ; M. François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux (PERSYST), et M. Gérard Matheron, chargé de mission du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD) ; M. Frédéric Lapeyrie, directeur général du consortium Agreenium ; M. Jean Champagne, directeur adjoint chargé de l'outre-mer du réseau des instituts des filières animales et végétales (ACTA)

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, Messieurs, d'avoir accepté de participer à cette table ronde qui s'inscrit dans le cadre des travaux que nous menons actuellement sur l'agriculture outre-mer, sujet pour lequel la Délégation a nommé deux rapporteurs, Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard.

Nous avons souhaité organiser une table ronde réunissant les représentants des deux grands établissements de recherche qui jouent un rôle essentiel dans l'agriculture ultramarine – l'INRA (Institut national de la recherche agronomique) et le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) – un représentant d'Agreenium, organisme spécialisé dans le domaine de la recherche agro-écologique, qui vient de rendre un rapport sur cette question au ministre de l'Agriculture, et un représentant de l'ACTA, réseau des instituts des filières animales et végétales qui constitue la « structure de tête » des RITA (réseaux d'innovation et de transfert agricole).

Nous accueillons donc autour de cette table :

- pour l'INRA : M. Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture » et M. Antoine Momot, chef du cabinet du président ;

- pour le CIRAD : M. François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux (PERSYST), et M. Gérard Matheron, chargé de mission ;

- pour Agreenium : M. Frédéric Lapeyrie, directeur général ;

- pour ACTA : M. Jean Champagne, directeur adjoint chargé de l'outre-mer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation.

Avant de vous donner la parole, Messieurs, je voudrais exprimer un regret : le rapport de Mme Marion Guillou sur l'agro-écologie ne prend pas en compte l'outre-mer ; pourtant, certaines de ses recommandations sont susceptibles de s'appliquer dans nos territoires.

Je vous invite à présent à nous présenter vos structures et la façon dont elles se positionnent dans l'agriculture ultramarine.

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Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture » de l'INRA, Institut national de la recherche agronomique

Je rappellerai pour commencer la façon dont l'INRA aborde les thèmes de recherche dans ces régions avant d'aborder les relations entre la recherche et l'innovation, puis entre la recherche et le transfert et la formation.

L'INRA est présent en Guadeloupe depuis plus de 60 ans. L'Institut, de taille moyenne, emploie 200 agents permanents et une centaine d'agents temporaires. Il comprend cinq unités de recherche, dont plusieurs sont mixtes, en partenariat avec l'Université, et deux unités expérimentales.

À travers ses travaux sur l'agriculture de nos territoires – Guadeloupe, Guyane, Martinique – l'INRA témoigne de la présence de la Recherche française dans des biotopes et des écosystèmes particulièrement intéressants.

Nos travaux de recherche sont axés sur le développement d'une production locale. Suite au rapport de Mme Marion Guillou et aux chantiers mis en place pour développer la multi-performance, nous avons défini trois objectifs essentiels.

Le premier est de réduire le recours, en métropole comme dans les DOM, aux ressources peu ou non renouvelables et à la chimie – pesticides, vermifuges, antibiotiques. Sur ces approches intégrées, nos sites d'expérimentation sont plus en avance que ceux de métropole, notamment dans le domaine de la santé des animaux.

Le deuxième consiste à valoriser les ressources locales en développant l'utilisation des variétés et des races locales et, pour la production animale, la valorisation des coproduits.

Le troisième objectif vise à créer de la valeur ajoutée par la transformation et la compréhension des déterminants de la qualité des produits – légumes, fruits, tubercules, animaux – et en développant la transformation.

Nous portons un intérêt particulier à la prise en compte des spécificités locales en nous intéressant à l'ensemble des exploitations agricoles, depuis les grandes exploitations spécialisées jusqu'aux très petites exploitations familiales, souvent situées dans des milieux différents.

Nos principaux thèmes de recherche sont les suivants : la caractérisation des ressources génétiques et de la biodiversité, la protection intégrée contre les ennemis des cultures et les parasites des animaux, point sur lequel nous sommes très en avance, la mise au point de systèmes multi-espèces de cultures et de polycultures élevage, la caractérisation et la transformation des produits végétaux et des produits animaux et, en collaboration avec le CIRAD, la problématique du chlordécone.

La relation entre recherche, innovation, transmission et acceptabilité des innovations nous préoccupe particulièrement, d'autant qu'elle soulève des questions particulières dans les DOM du fait de la diversité du milieu, de sa complexité et de la très petite taille de certaines exploitations. Le dernier CIAG (Carrefour de l'innovation et de l'agriculture), qui s'est tenu à la fin 2011, a bien illustré ce point dans un exposé : depuis 10-15 ans, la recherche a proposé des solutions pour lutter de façon intégrée contre des nématodes dans les bananeraies, mais seules 10 % des petites exploitations de Martinique les ont adoptées.

Notre approche peut être définie en six points.

Nous entendons tout d'abord privilégier les échanges directs. C'est pourquoi, nous profitons des CIAG pour rencontrer les acteurs afin de leur présenter les productions de la recherche et entendre leurs réactions et leurs demandes.

Nous veillons, par ailleurs, à nouer des relations entre l'INRA et les RITA et nous participons aux travaux de Recherche et Développement en y amenant notre expertise. Nous y développons, de fait, le même type de partenariat que ceux adoptés en métropole. Après avoir développé nos relations avec les instituts techniques, nous poursuivons la même philosophie avec les RITA.

Nous cherchons à collaborer aussi au sein d'unités mixtes technologiques (UMT) qui ont fait leurs preuves en métropole dans plusieurs des différents champs disciplinaires de l'INRA. Avec nos partenaires, nous installons une UMT en Guadeloupe avec IKARE, chargée de travailler sur les aspects de valorisation des fourrages et des aliments non conventionnels pour les porcs et les ruminants, comme le CIRAD le fait avec ARMEFLHOR (Association réunionnaise pour la modernisation de l'économie fruitière, légumière et horticole) pour la protection intégrée des cultures.

Nous nous efforçons par ailleurs de mettre en place de nouvelles démarches. L'innovation top-down ne fonctionne pas toujours, ce qui nous amène à construire des projets de recherche en impliquant les partenaires en amont. Il s'agit d'élaborer des systèmes innovants répondant aux attentes, avant de procéder à une évaluation multicritères de l'innovation, par le biais d'expérimentations ou de modélisations ou encore d'enquêtes, afin d'apprécier, en vitesse de croisière, l'ensemble des performances du nouveau système – environnement, productivité, travail – et aussi d'évaluer la période de transition, car nous savons que la mise en place d'un système agro-écologique comporte le risque, dans sa première phase, d'une perte de production.

Nous développons également une plateforme d'ingénierie pour l'innovation, en relation avec le RITA, le CIRAD (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) et les autres partenaires, en direction des petites exploitations. Ciblée sur la polyculture élevage, cette plateforme s'intéresse à des thèmes très variés comme la mise au point de granulés issus de sous-produits de la banane ou de « bio-alicaments » créés à partir de ressources végétales.

Nous conduisons enfin des actions très particulières comme la création de Feedipedia, qui est une base de données pour l'alimentation des animaux d'élevage, en association avec AgroParisTech, l'AFZ (Association française de zootechnie), le CIRAD et la FAO (Food and agriculture organization).

Qu'il s'agisse des enseignements, du transfert, du conseil au producteur, du développement de l'agro-écologie ou de celui de nouveaux systèmes, la notion de multi-performance va profondément modifier les contenus et les méthodes. L'INRA, même si ce n'est pas son premier métier, pourrait apporter son expertise en matière d'approches intégrées et de démarches systémiques, aider à équiper les acteurs de la formation et du développement de concepts, de références et d'outils d'aide à la décision, et, en lien avec la formation, participer au développement de simulateurs permettant d'approcher la notion de multi-performances (sous la forme, par exemple, de jeux vidéo « serious games »).

L'INRA propose en outre de nombreuses journées de formation et dispense une information – accessible sur son site Internet (trans FAIRE) – sur les produits de la recherche : si vous voulez obtenir des informations sur l'utilisation de la canne dans l'élevage de ruminants, vous y trouverez le livre de référence sur la question par exemple.

Sur les cinq unités de recherche de l'INRA, trois sont des UMR, en relation avec l'Université de Guadeloupe, qui permettent à des étudiants de préparer des masters. Les chercheurs sont impliqués dans la conception des modules de formation et les thématiques de la forêt de Guyane ou de l'agro-écologie dans ses rapports avec les systèmes tropicaux sont au coeur des formations.

Un projet me tient à coeur. Il serait intéressant, en France métropolitaine comme dans les DOM, d'utiliser les fermes expérimentales des lycées agricoles pour développer les contacts entre la recherche et le monde de la formation initiale, en organisant des séances de démonstration ou en développant un partenariat en recherche et développement lorsque cela est possible.

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François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux, PERSYST du CIRAD

Après avoir évoqué les défis de l'agriculture ultramarine et la place de la recherche dans ce contexte, je vous délivrerai quelques informations sur le dispositif de recherche du CIRAD dans les DOM, et j'aborderai les enseignements que nous tirons de l'expérience acquise au cours des dernières années.

Les défis de l'agriculture dans les DOM sont comparables à ceux de la métropole. Il s'agit de produire de façon plus durable, d'assurer une production en quantité suffisante et de qualité, et de préserver les ressources naturelles en tenant compte des spécificités des territoires.

Quelles sont ces spécificités ? Une agriculture marquée par la coexistence, sur un même espace, de différents types d'agriculture – une agriculture d'exportation, des filières destinées au marché local et la polyculture élevage –, l'éloignement par rapport à la métropole et les coûts qu'il engendre, une balance produits frais importés-productions locales qui doit être rééquilibrée, l'insuffisante agro-transformation des produits, la taille relativement réduite des marchés locaux, l'anthropisation rapide des milieux, due à l'évolution démographique et au développement de l'habitat périurbain qui influencent les modes de production, la fragilité du milieu insulaire, la présence de hot spots de biodiversité, sans oublier des aléas climatiques parfois violents.

Quelle est la place de la recherche dans ce contexte ? Le CIRAD insère ses recherches dans les problématiques locales et produit des connaissances de portée internationale. Ce croisement, loin de provoquer une tension, nous semble fécond.

Notre production de connaissances diffère selon le territoire, mais elle concerne cinq thématiques principales.

Tout d'abord, la biodiversité et la création variétale dont sont chargés les centres de ressources biologiques (CRB). Ceux-ci, très actifs, gèrent des collections d'intérêt international. Je rappelle que les DOM contiennent les collections les plus importantes d'espèces tropicales.

En outre, nous nous intéressons vivement aux Observatoires de l'environnement, dont nous souhaitons voir évoluer les missions. Selon nous, ils ont vocation à s'intéresser au dossier du chlordécone, aux flux de pesticides, et également à la gestion du territoire ou aux dynamiques forestières en Guyane.

La troisième thématique de recherche du CIRAD est l'agro-écologie. Le virage a été pris il y a dix ou quinze ans. La recherche en ce domaine, à la Réunion et en Guadeloupe, a atteint un niveau international.

Notre quatrième thématique est la gestion des risques de maladies animales et végétales. Nous nous appuyons sur la notion de One Health – une seule santé – du fait de la répercussion de ce thème sur la santé humaine.

Enfin, nous nous intéressons à la qualité des produits et à leur transformation.

Voilà comment sont structurées nos recherches. Elles sont déclinées dans les différents DOM et nous essayons de mettre en place des connexions inter-DOM. Nous travaillons en collaboration avec l'INRA, en particulier sur la thématique agro-écologie, avec l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et avec le CNRS.

Le CIRAD s'intéresse également au développement de l'agriculture locale, tout en considérant que les enjeux locaux de développement ne doivent pas être fixés par la recherche mais par les acteurs eux-mêmes : régions, chambres d'agriculture, organisations professionnelles.

Le développement de l'agriculture locale passe par le partenariat. C'est pourquoi nous travaillons avec nos partenaires institutionnels – conseil régional, conseil général, services déconcentrés de l'État, DAAF (Direction de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt) – et avec un large spectre de professionnels. S'y ajoutent les chambres d'agriculture, nos partenaires régionaux de la recherche et enfin l'Université, qui joue un rôle important à la Réunion et aux Antilles. Ce partenariat s'inscrit dans le cadre d'initiatives nationales comme le plan Ecophyto ou la stratégie nationale pour la biodiversité.

J'en viens au retour d'expérience après ce qui s'est passé au cours des dernières années en termes de partenariat sur le plan de l'innovation locale. Plusieurs exemples illustrent les progrès qui peuvent être réalisés par les filières d'exportation : le plan « Banane durable », les filières de diversification, les RITA et un réseau de surveillance, Carivet, dont le rayonnement international n'est plus à démontrer puisqu'il a été rapproché de celui de réseaux du même type en Asie et en Afrique. Ce partenariat mériterait que nous nous y attardions, mais je concentrerai mon propos sur les RITA et sur le plan « Banane durable ».

Le plan « Banane durable » est un GIEE (groupement d'intérêt économique et environnemental) avant la lettre. Il est né de la rencontre entre la recherche – qui offrait les moyens de réduire l'utilisation des pesticides et de développer de nouveaux systèmes de production plus durables, susceptibles éventuellement de supprimer la monoculture, consommatrice d'intrants chimiques – et les professionnels qui, à l'occasion de la crise du chlordécone, ont pris conscience que leur façon de produire devait évoluer. Cet alignement de planètes leur a permis de développer un projet commun.

Nous nous sommes vite aperçus que les bonnes intentions devaient être accompagnées des outils correspondants. Ce fut d'abord la programmation commune, qui implique de croiser les attentes et les offres potentielles. C'est parfaitement possible dès lors que nous sommes capables de parler à la fois la langue du scientifique et celle du développement. Ensuite furent créés les instituts techniques agricoles, qui jusqu'alors n'existaient pas dans les DOM. C'est ainsi qu'a été promu l'Institut technique de la banane, devenu par la suite l'IT2 (Institut technique tropical), qui est désormais un maillon indispensable de la chaîne. L'innovation n'est pas un processus linéaire. Si la recherche n'a pas d'interlocuteur, le chercheur perd ses capacités d'innovation.

Pour matérialiser cet institut, nous avons créé deux plateformes techniques dans le cadre du plan « Banane durable ».

La première permet de tester les nouveaux prototypes de culture en dehors du stade purement expérimental. Il s'agit, en nous mettant d'accord sur les systèmes de culture et les itinéraires techniques d'intérêt, de réaliser, chez des producteurs pionniers, des essais permettant de valider le projet, à la fois sur le plan technique et sur le plan socio-économique.

Dans le cadre de cette plateforme, nous développons des systèmes de culture dans lesquels ont été introduites des plantes de services. Celles-ci, en affaiblissant les mauvaises herbes, réduisent l'utilisation d'herbicides, le travail du sol et l'utilisation de ressources hydriques et minérales. Ce système se développe aux Antilles et, d'ores et déjà, certains pépiniéristes commercialisent les plantes de services.

La seconde plateforme est dédiée à la sélection de nouvelles variétés. Cette sélection est très difficile car nous avons affaire principalement à des espèces orphelines, ce qui limite les marges de manoeuvre. Néanmoins, des procédés d'hybridation existent.

Ces plateformes offrent à des chercheurs du CIRAD et à des ingénieurs recrutés par la profession la possibilité de travailler ensemble au sein de l'institut technique.

J'en viens aux RITA. Ces réseaux, nés d'une décision prise dans le cadre du Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM), sont le fruit d'un montage entre l'ACTA et le CIRAD. Ils ont été mis en place dans la précipitation, ce qui a pu générer certaines frustrations, mais ils sont désormais opérationnels. Les RITA permettent aux acteurs de la recherche et du développement de se réunir pour mettre en commun leurs moyens, et de fonctionner en bonne adéquation avec les attentes et les besoins du monde agricole. Le dispositif, après un peu plus de deux ans d'existence, fonctionne très bien et, dans le cadre de l'Inter-DOM, il procède à des mutualisations sur la base de problématiques comparables. Les acteurs doivent s'appuyer sur ces réseaux pour aborder l'étape suivante qui sera RITA 2.

Je veux dire à présent quelques mots sur le dispositif de recherche du CIRAD dans les DOM.

Ce dispositif est lourd puisqu'il concerne 450 personnes réparties en Guyane, en Martinique, en Guadeloupe et à La Réunion, dont 40 % de cadres et 60 % d'agents de maîtrise.

La richesse de ce dispositif n'est pas suffisamment soulignée. Le réseau de recherche du CIRAD sur le milieu tropical est unique au monde du fait de ses plateaux techniques et de leur ancienneté. Le CIRAD dispose de très nombreuses collections, de domaines expérimentaux multiples – canne à sucre, banane, manguier, papayer, avocatier, igname, ananas, caféier, cacaoyer, vanillier – et d'importantes collections de pathogènes. C'est un atout qu'il convient d'exploiter.

La richesse du CIRAD vient aussi de son personnel scientifique et technique. Celui-ci est extrêmement qualifié dans les DOM et, après les évolutions spectaculaires qui ont eu lieu, ces dernières années, en matière de promotions et de formations internes, il est totalement performant pour assurer la viabilité des plateaux de recherche.

Le CIRAD, enfin, dispose de laboratoires de niveau international aux Antilles et à La Réunion. Je citerai notamment le pôle de protection des plantes (pôle 3P) qui est un laboratoire associé avec l'Université.

J'en arrive maintenant aux messages que nous aimerions vous transmettre.

Il convient, tout d'abord, de renforcer le positionnement fécond des DOM entre production internationale et développement local. Il nous semble déterminant, face aux défis que doit relever l'agriculture, de nous doter d'une capacité d'innovation et d'une réactivité importante. Les filières qui n'ont pas su le faire connaissent des difficultés. C'est le cas de la filière « canne à sucre » des Antilles qui n'a pas anticipé suffisamment les évolutions réglementaires, en particulier l'interdiction de certains pesticides.

Le processus d'innovation est à la fois technique et partenarial.

Le processus technique correspond aux nouvelles façons de produire, à la production intégrée, à l'agro-écologie. Sur toutes ces questions, les besoins en recherche sont connus et ils nécessiteront, à l'avenir, des investissements pour améliorer l'évaluation multicritères de la production et des services, pour développer la modélisation et l'ingénierie du sol, et pour renforcer les moyens des Observatoires de l'environnement.

Quant au processus partenarial, il fonctionne à travers des structures telles que les RITA et le plan « Banane durable », structures qui doivent être pérennisées.

Les GIEE sont des outils très intéressants pour développer l'agro-écologie mais, dans les DOM, il faut impérativement inclure la dimension que constitue l'innovation. On oublie parfois que la métropole bénéficie d'instituts techniques qui existent depuis une cinquantaine d'années, ce qui n'est pas le cas pour les DOM.

Nous ne travaillons pas de la même façon avec les cultures de diversification et avec les cultures d'exportation, car celles-ci sont très structurées sur le plan professionnel et elles connaissent des évolutions qui sont liées à des plans définis tant au niveau régional qu'au niveau international. La lutte contre la cercosporiose, par exemple, doit sortir du cadre du plan « Banane durable », car cette maladie se diffuse sur de vastes régions et elle exige une réponse plus globale, qui pourrait être, par exemple, un programme de type Interreg.

La dimension internationale ne doit pas être perdue de vue. Les producteurs de bananes d'Afrique s'adressent au CIRAD pour lui demander de mettre en place un plan « Banane durable » dans leurs pays, car ils sont confrontés aux mêmes problématiques, avec un décalage de quelques années dû au retard des pressions réglementaires. Il est important de persuader les producteurs antillais qu'ils ont intérêt à adhérer à la dimension internationale. Ils l'ont d'ailleurs parfaitement compris, au moins en ce qui concerne les cultures d'exportation.

Quant aux cultures de diversification, nous sommes persuadés qu'il faut renforcer les RITA pour passer à la phase RITA 2 et accentuer la collaboration entre le monde de la recherche et du développement et celui de la production. Nous ne devons pas oublier les petites exploitations agricoles familiales, mais nous avons besoin, pour cela, d'un diagnostic et, sur ce point, l'INRA a obtenu des résultats intéressants. Car, pour innover, nous avons besoin d'interlocuteurs. Or, par définition, le secteur qui correspond à la petite exploitation familiale est un secteur peu organisé. Le CIRAD, fort de son expérience dans d'autres zones de production qui doivent faire face aux mêmes défis, travaille donc en collaboration avec l'INRA sur cette question. L'année 2014 sera l'année internationale de l'agriculture familiale ; cela nous donnera l'occasion de rencontrer les acteurs de ce secteur.

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Je vous remercie pour cet exposé intéressant, détaillé et très riche, peut-être trop, pour le profane que je suis.

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Frédéric Lapeyrie, directeur général d'Agreenium

Le consortium Agreenium, consortium français pour la recherche et l'enseignement en agro-sciences, réunit, à la manière d'une Université, dans un même établissement public (EPCS), les principaux acteurs nationaux qui opèrent dans le domaine de la recherche agronomique, c'est-à-dire, d'une part, les grands établissements de recherche (INRA, CIRAD) et, d'autre part, les établissements d'enseignement supérieur agronomique (AgroCampus Ouest, AgroParis Tech, Montpellier SupAgro, INP Toulouse, AgroSUP Dijon, Bordeaux Sciences Agro). Les actions conduites par Agreenium ont vocation à répondre collectivement aux défis mondiaux liés à la sécurité alimentaire et à l'agriculture durable, à augmenter la capacité d'innovation et de transfert des connaissances, et à manifester l'ambition du dispositif français vis-à-vis de la communauté internationale.

À la suite de la petite pique adressée à Mme Marion Guillou en propos liminaires, je tiens à préciser tout de suite qu'Agreenium n'a pas aujourd'hui d'activité spécifique outre-mer – ce qui ne veut pas dire que ce ne sera pas le cas demain. En revanche, les territoires ultramarins font partie, comme l'ensemble du territoire national, du champ d'application des projets développés par Agreenium. C'est ainsi que je vais décrire ici quatre actions emblématiques d'Agreenium qui ont un lien direct avec les collectivités territoriales d'outre-mer.

Tout d'abord, Agreenium a l'ambition d'accompagner la mobilité internationale de jeunes scientifiques, en vue de promouvoir des formations d'excellence, avec le programme AgreenSkills.

AgreenSkills est un programme de mobilité internationale de jeunes chercheurs – que la mobilité s'exerce depuis la France ou en direction de celle-ci – et reposant sur des bourses, d'une durée de 6 à 24 mois pour les bourses sortantes, et de 12 à 24 mois pour les bourses entrantes. Le programme soutient des projets de recherche et des parcours personnalisés de développement de carrière. Il s'adresse aux jeunes chercheurs les plus brillants de toutes les disciplines, titulaires d'un doctorat, avec moins de dix ans d'expérience depuis l'obtention de leur Master, sans distinction de nationalité et d'origine, dans les domaines de l'agriculture, de l'alimentation, de la nutrition, de la santé animale, de la santé publique vétérinaire et de l'environnement.

Un ensemble de 142 offres, avec des conditions attractives d'accueil et de recrutement, est proposé sur quatre ans (2012-2016). Coordonné par l'INRA et Agreeenium, le programme AgreenSkills est cofinancé par la Commission européenne. Les bourses sont décernées par un jury international et attribuées à des projets qui associent l'excellence du candidat, celle du projet de recherche et celle de l'équipe d'accueil.

Dans ce cadre, un jeune chercheur espagnol du CSIC (Consejo superior de investigaciones cientificas) a été sélectionné pour rejoindre, pendant deux ans, le laboratoire INRA-CIRAD « Peuplements végétaux et bio-agresseurs en milieu tropical » de Saint-Pierre de La Réunion.

En second lieu, le consortium souhaite assurer des formations doctorales de très haute qualité avec l'EIR-Agreeenium.

L'École internationale de recherche d'Agreenium (EIR-A) propose un parcours doctoral d'excellence validé par le label Agreenium. Ce parcours vient en complément de la formation doctorale dispensée par l'établissement d'inscription du doctorant. L'EIR-A a pour ambition d'accroître l'employabilité des doctorants par une ouverture à l'international – en étant à l'écoute des grandes questions de société et de celles qui se posent à l'ensemble du monde socioéconomique – et par une sensibilisation aux grands enjeux globaux du champ des agro-sciences.

L'EIR-A cherche à développer les capacités d'innovation des doctorants et des jeunes chercheurs au contact des fronts de sciences. Sur la base de partenariat avec les écoles doctorales, l'EIR-A propose un parcours professionnalisant qui s'appuie sur des référentiels européens en considérant le doctorant comme un jeune professionnel.

Le parcours EIR-A, élaboré en concertation avec les écoles doctorales (ED) partenaires des membres d'Agreenium, repose sur quatre piliers : un séminaire annuel, animé par une quinzaine d'experts internationaux venant du monde de la recherche ou de la sphère socioéconomique ; une mobilité à l'étranger de trois mois minimum ; un accompagnement personnalisé axé sur l'approfondissement des compétences du doctorant dans une optique d'employabilité ; et enfin, une offre de formation. Cette dernière peut être dispensée à la fois par des établissements de recherche spécifiques (modules « fronts de science »), par l'EIR-A (modules transversaux) et par les écoles doctorales partenaires.

L'EIR-A a recruté sa seconde promotion et intègre, à la rentrée 2013, deux étudiants de l'Université de La Réunion, issus de l'école doctorale « Sciences, technologies et santé ».

En troisième lieu, Agreenium cherche à valoriser des dispositifs de recherche exceptionnels. Je citerai l'exemple de l'ECOFOG en Guyane.

L'UMR (Unité mixte de recherche) « Écologie des forêts de Guyane » (ECOFOG) regroupe des moyens issus d'AgroParis Tech, de l'INRA, du CIRAD (trois membres d'Agreenium), du CNRS et de l'Université des Antilles et de la Guyane.

L'Unité fait partie du Centre d'études de la biodiversité amazonienne (CEBA), labellisé « Laboratoire d'excellence » (Labex) en 2011, dans le cadre des appels à projets lancés par l'Agence nationale de la recherche (ANR) au sein du programme « Investissements d'avenir ».

Le Labex CEBA fédère un réseau de onze équipes de recherche françaises étudiant la biodiversité en Amazonie sous différents aspects : bio-découverte, écologie, génétique, modélisation, santé, sciences humaines. Il favorise une recherche de pointe sur la biodiversité en Guyane et permet aux équipes partenaires de mener des projets conjoints grâce à un financement sur le long terme.

Les équipes du CEBA, situées en Guyane, en métropole et aux Antilles, mobilisent une centaine de personnels permanents. Les onze laboratoires partenaires sont rattachés à neuf établissements de recherche. Six d'entre eux se trouvent dans des départements d'outre-mer : AMAP (BotAnique et bioinforMatique de l'Architecture des Plantes) à Cayenne et à Montpellier ; CNRS-Guyane à Cayenne ; CRPLC (Centre de recherche sur les pouvoirs locaux dans la Caraïbe) en Martinique, Guadeloupe et Guyane ; ECOFOG (Écologie des forêts de Guyane) à Kourou et à Cayenne ; EPAT (Épidémiologie des parasitoses tropicales) à Cayenne ; et enfin IPG (Institut Pasteur de la Guyane) à Cayenne. Ainsi, les collectivités d'outre-mer sont-elles très présentes dans un projet ambitieux et qui a été reconnu à l'échelle nationale.

Enfin, Agreenium s'efforce de mobiliser des acteurs pertinents autour d'un projet international d'aide au développement concernant la République d'Haïti.

Il convient de rappeler qu'Agreenium a pour charge de valoriser l'expérience et l'expertise de ses membres en répondant à trois types de demandes : les demandes d'appui à des partenaires qui souhaitent renforcer, évaluer ou réformer leur système de recherche ou de formation en agro-sciences ; les demandes de mobilisation d'expertise de plusieurs membres en vue de coordonner de grands projets ou de participer à de grands programmes internationaux ; et les demandes adressées aux membres d'expertises spécifiques.

C'est au titre de ces trois missions qu'Agreenium conduit une action de solidarité pour la reconstruction du système haïtien de recherche et de formation agricoles au lendemain du séisme du 12 janvier 2010.

Les quatre volets de ce plan d'action à Haïti consistent à appuyer les projets régionaux en cours ; à apporter un soutien au dispositif de formation supérieure agronomique ; à améliorer le dispositif de recherche et d'innovation et à contribuer à la refondation du dispositif de recherche et de formation agronomiques, en participant aux réflexions sur l'organisation d'assises nationales de la recherche dans le secteur agricole.

Agreenium a été invité à faire une offre en « entente directe » avec le MARNDR de la République d'Haïti (ministère de l'agriculture, des ressources naturelles et du développement rural), afin d'apporter un « appui méthodologique à la recherche agricole appliquée ». La proposition d'Agreenium, qui sera financée par la BID (Banque interaméricaine de développement), a été acceptée et le projet devrait démarrer en 2013.

Dans tous ses projets le consortium Agreenium mobilise l'expertise de ses membres, y compris outre-mer. Dans le cas du dernier projet retenu par la BID, au moins six experts issus des territoires ultramarins sont impliqués en tant que leaders :

- Productions végétales et grandes cultures : trois experts leaders d'équipe projet en provenance de trois sites : CIRAD, La Réunion ; INRA, Petit-Bourg, Guadeloupe ; INRA, Baie-Mahaut, Guadeloupe.

- Productions horticoles : un expert leader d'équipe projet, INRA, Petit-Bourg, Guadeloupe.

- Productions animales : deux experts leaders d'équipe projet, INRA, Morne-à-l'eau, Guadeloupe.

Avec ces quatre exemples, j'ai donc tenté de montrer comment des synergies entre des acteurs français – y compris des acteurs issus des collectivités d'outre-mer – pouvaient favoriser l'émergence de projets de recherche et de formation répondant, tant dans l'hexagone qu'au niveau international, à une double exigence : l'excellence et la pertinence. C'est probablement sous cet angle qu'un certain nombre de stratégies futures pourraient être envisagées.

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Jean Champagne, directeur adjoint chargé de l'outre-mer à l'ACTA

Je représente donc l'ACTA, qui est la tête de réseau des instituts techniques des filières animales et végétale. Or, si l'on connaît relativement bien les organismes de recherche, comme l'INRA ou le CIRAD, les établissements d'enseignement supérieur et les chambres agricultures, on connaît moins bien les instituts techniques.

L'ACTA réunit environ 1 200 collaborateurs, répartis dans une quinzaine d'organismes, certains plus particulièrement compétents dans le suivi des productions animales, végétales, de grands champs ou spécialisées. Le métier des instituts techniques est tout à fait complémentaire des autres : apporter un appui aux filières en faisant remonter vers la recherche un certain nombre de leurs besoins et contribuer à l'expérimentation, afin de rendre directement utilisables les progrès de la recherche par les professionnels.

Historiquement, dans les territoires ultramarins, certains instituts apportent leur appui à l'organisation des filières, notamment dans le cadre des programmes sectoriels soutenus par l'ODEADOM (Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer). Plusieurs instituts sont ainsi intervenus dans le secteur animal et végétal. Ils sont plus récemment intervenus dans la mise en place de réseaux de référence dans les productions végétales pour avoir des indicateurs technico-économiques – que ce soit pour les organismes bancaires ou pour les investisseurs. Plus récemment encore, l'ACTA a été conduite à observer de plus près l'agriculture ultramarine. De fait, il faut bien reconnaître que nous étions relativement peu présents physiquement dans les DOM – par rapport à nos partenaires qui se sont déjà exprimés.

Cette évolution résulte du CIOM (Conseil interministériel de l'outre-mer) – qui s'est tenu à la fin de l'année 2009– et des États généraux de l'outre-mer qui suggéraient, notamment, la mise en place d'un institut agricole par DOM. Après une première mission réalisée par des ingénieurs généraux en 2010, qui a surtout consisté à faire un état des lieux, le ministère de l'Agriculture a confié au CIRAD et à l'ACTA, plus précisément à M. François Cote et à moi-même, la mission de rendre opérationnel ce projet. Après avoir rencontré de nombreux opérateurs sur place, il nous a semblé – plutôt que de créer un organisme de plus – qu'il était préférable de faire en sorte que les organismes présents sur place travaillent ensemble. C'est la raison pour laquelle nous avons proposé au comité de pilotage, présidé par M. Jean-Pierre Bastié, la création de réseaux d'innovation et de transfert agricole : les RITA. Chacun de ces quatre termes a son importance.

Ces « réseaux » regroupent les organismes de recherche comme le CIRAD et l'INRA, les chambres d'agriculture, les organismes à vocation technique comme les groupements de défense sanitaire ou les FREDON (Fédérations régionales de défense contre les organismes nuisibles) ; ils regroupent également des organismes de formation initiale ou de formation pour adultes, des organismes d'enseignement supérieur et, bien sûr, les instituts techniques.

Ce sont des réseaux « d'innovation » parce que nous sommes persuadés que le développement de l'agriculture passera, plus particulièrement dans les DOM, par l'innovation.

Ce sont des réseaux d'innovation et de « transfert ». C'est sans doute ce mot de « transfert » qui est le plus important. En effet, le passage entre les travaux effectués par nos partenaires de la recherche, ici présents, et les agriculteurs constitue un point faible, d'autant plus que l'organisation professionnelle est souvent défaillante dans l'ensemble des DOM.

Ce sont enfin des réseaux d'innovation et de transfert « agricole » parce que nous sommes dans le monde agricole. Mais ce pourrait aussi bien être des réseaux « d'innovation et de transfert agroalimentaire », dans la mesure où nous serons amenés à nous engager de plus en plus dans ce secteur.

Pour l'instant, l'activité des RITA est focalisée sur les productions de diversification, en complément des productions traditionnelles d'exportation dont on a parlé tout à l'heure, comme la banane et la canne. Elle a peut-être vocation à s'étendre à d'autres secteurs : d'une part, les grandes filières exportatrices et, d'autre part, les petites et très petites exploitations agricoles familiales dont parlait M. François Cote tout à l'heure, exploitations qui sont particulièrement importantes et qui se trouvent en dehors de tout système.

Ces réseaux doivent favoriser l'expression des besoins – y compris sociaux – dans le cadre d'une agriculture durable. Comme on l'a dit tout à l'heure, ce n'est pas à la recherche de définir les orientations et les priorités, mais aux professionnels de l'agriculture, aux collectivités territoriales, aux chambres d'agriculture, aux organisations de producteurs ou aux organismes interprofessionnels.

La réponse qui doit être apportée à ces besoins n'a évidemment rien à voir avec celle qui pourrait être apportée en métropole. Le contexte de chaque DOM, voire de chaque région au sein du même DOM, est différent. Les approches doivent donc être très variées. Mais, à l'expression locale et à l'approche locale, doivent répondre l'ensemble des compétences, non seulement départementales ou régionales, mais aussi nationales.

Nous pensons également qu'il est important d'associer aux réseaux RITA le savoir-faire et les compétences, notamment méthodologiques, du réseau ACTA, et notamment toute la capacité d'expertise de certains instituts techniques dont la création remonte, pour certains, à une vingtaine d'années. Je citerai Armeflhor à La Réunion, pour les productions horticoles ; IKARE, qui intervient dans le secteur animal aux Antilles et en Guyane, et dont M. Jean-Louis Peyraud préside le conseil scientifique ; ou IT2, qui intervient dans le secteur de la diversification végétale aux Antilles, et dont M. François Cote préside également le conseil scientifique.

En conclusion, les RITA constituent, selon nous, un cadre très important. Ils permettent d'éviter les doublons, de combler les vides, et donc de mieux gérer les crédits.

Toujours à propos de l'ACTA, il nous semblerait utile de doter les territoires ultramarins d'un appel à projets spécifique. Certes, il existe aujourd'hui des appels à projets gérés par le CASDAR – Compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural – sur des thématiques particulières. Les DOM pourraient s'y insérer. Mais il faut bien reconnaître que, d'une manière générale, le CASDAR intervient pour des programmes de recherche qui concernent un cadre tempéré, et non un cadre tropical. Voilà pourquoi nous pensons que les spécificités de l'outre-mer pourraient être abordées et traitées dans le cadre d'un appel à projets spécialement conçu pour les DOM ou les COM.

Je souhaiterais par ailleurs insister sur le volet « transfert » et sur la plus-value apportée par l'Inter-Dom. Ce qui est fait dans un DOM peut servir – mais pas forcément systématiquement – dans un autre, et réciproquement. Voilà pourquoi, en collaboration notamment avec le CIRAD, se tient tous les ans un séminaire d'échanges, où tous les partenaires (techniques, financiers, professionnels, issus du monde de la recherche, etc.) peuvent se retrouver – soit en métropole, soit dans les DOM – et débattre librement de tout ce qui pourrait être mutualisé, ainsi que de toutes les perspectives d'avenir. Le prochain Inter-Dom aura lieu prochainement, sans doute à la même époque que le salon de l'agriculture.

Enfin, il me semblerait important que la prochaine loi d'avenir pour l'agriculture fasse référence aux RITA, et peut-être même que l'on y précise que tout financement public dans les DOM devra obtenir un label RITA. Ce serait en effet, pour nous, une façon d'assurer la cohérence de l'ensemble.

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Merci pour ces exposés extrêmement fournis. À vous écouter, j'ai eu le sentiment – mais je suis une sorte de Candide dans ces matières – que vous étiez heureux et satisfaits : contents de ce que vous faites et conscients de l'intérêt de ce que vous réalisez. Vous avez mis en avant des personnels extrêmement qualifiés, des chercheurs d'excellence. Dans le même temps, vous avez fait allusion à l'état de nos agricultures, opposant parfois la culture traditionnelle d'exportation aux petites structures familiales, davantage tournées vers la satisfaction des besoins locaux. Comment s'articule donc ce niveau de recherche et d'innovation, qui est très performant, avec la réalité du terrain ?

En définitive, la recherche, si elle est nécessaire, ne peut pas rester au niveau des nuages et ne pas s'appliquer. L'une des finalités de la recherche et de l'innovation est son application sur le terrain, pour faire progresser nos agricultures. Avez-vous réussi, ou non, à appliquer les résultats de la recherche aux structures des agricultures ultramarines et à améliorer le niveau de formation des agriculteurs ? J'aimerais connaître votre évaluation.

Enfin, vous avez cité à plusieurs reprises, parmi vos partenaires, les collectivités et les décideurs politiques. Comment est-ce que cela se passe ? Comment les décideurs locaux reçoivent-ils ce qui est apporté par la recherche et l'innovation ?

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Gérard Mathéron

Je vais vous répondre, au moins pour le CIRAD que je connais.

Vous nous faites remarquer que, d'une part, les organismes de recherche semblent bien faire leur travail mais que, de l'autre, les agricultures ou les agriculteurs semblent être en retrait. Et vous nous demandez notre point de vue sur la question.

Comme vous le savez, au CIRAD, chaque activité est construite autour d'un projet. La plupart du temps, ce projet est conduit en partenariat, notamment avec les collectivités. Il s'agit d'un pari conjoint entre les collectivités, les professionnels, les organisations de producteurs et nous-mêmes, qui décidons d'engager nous aussi des moyens, des forces, des connaissances, des compétences et des réseaux sur des questions qui suscitent des interrogations à un moment donné. Je peux vous donner quelques exemples de ces types de collaboration : la lutte contre le ver blanc à La Réunion, qui s'est traduite par un succès évident ; dans le cadre du plan « banane durable », aux Antilles, la réduction de l'utilisation des pesticides qui a été de 70 %. Mais on ne peut pas dire que, si réussite il y a, elle est due aux organismes de recherche. Il s'agit de projets collectifs, et donc d'évaluations collectives.

J'observe que, lorsqu'il y a plusieurs partenaires dans un projet, chacun d'entre eux doit préciser ce qu'il en attend. C'est ce qui lui fera dire que, selon lui, ce projet a réussi ou n'a pas réussi. Or, les critères de réussite ne sont pas forcément les mêmes pour les producteurs, les chercheurs ou les collectivités. Il est donc important que chacun exprime bien ses attentes dès le départ. Chacun saura à quoi s'en tenir et saura ce qu'il doit faire.

Cela dit, les succès ne sont pas forcément garantis. Par exemple, dans le domaine de l'utilisation des produits phytosanitaires, nous nous sommes rendu compte que dans les départements d'outre-mer ou les territoires d'outre-mer de l'Europe, à peine moins de 20 % des produits satisfaisaient aux besoins des producteurs. En comparaison, au niveau européen, pour l'agriculture européenne continentale, le pourcentage est de 80 %. Il y a donc, en matière d'innovation, des secteurs orphelins.

Ces secteurs orphelins n'intéressent pas forcément les collectivités, ni les organisations de producteurs. Mais il est possible que les établissements de recherche anticipent et s'engagent sur des thématiques délaissées par ailleurs. À côté des projets conjoints, nous avons la possibilité d'en programmer d'autres, afin d'anticiper des questions qui vont se présenter. Cette programmation, que nous prenons en charge sur nos dotations de fonctionnement, souvent en dehors de tout financement extérieur, pourra d'ailleurs avoir un impact, non seulement dans les DOM, mais également au plan international.

En conclusion, ma réponse à la question sera triple :

Premièrement, nombre de progrès ne résultent pas uniquement de la recherche, mais résultent, globalement, de problématiques collectives et d'un continuum entre la recherche et le tissu social. Les agricultures, quelles qu'elles soient, ont toutes plus ou moins bénéficié de ces engagements collectifs, notamment ceux dans lesquels les collectivités territoriales ont souhaité tout particulièrement s'impliquer. Sans le soutien des collectivités territoriales et du pouvoir politique, les grands projets de recherche ne se mettent pas en oeuvre. Et ces projets collectifs ont donné lieu à des résultats tangibles pour tous les agriculteurs domiens.

Deuxièmement, un travail par projet permet une évaluation. Si tout le monde annonce au départ ce qu'il attend d'un travail collectif, chacun pourra en tirer profit.

Troisièmement, les chercheurs conservent malgré tout un espace de liberté qui est utile au système, dans la mesure où il permet d'anticiper certaines questions qui ne répondent pas forcément aux demandes, aux besoins évoqués par M. Jean Champagne tout à l'heure, mais qui pourraient venir sur le devant de la scène. Cette capacité d'anticipation concerne les organismes de recherche, les instituts techniques, mais aussi vous-mêmes, en tant qu'élus, quand on vous demande de réfléchir très en amont sur certains projets – dans le cadre de contrats de plan, par exemple. Cependant, cette capacité d'anticipation n'est pas toujours facile à exercer, en raison des crises qui interviennent au fil de l'eau.

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François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux, PERSYST du CIRAD

J'apporterai un complément de réponse sur deux points.

Premièrement est-on satisfait de nos recherches ? En tant que chercheurs, nous sommes lancés dans une course, une adaptation permanente à des changements d'enjeux, de contexte, qui font que rien n'est acquis et qu'il faut inlassablement investir dans la recherche.

Compte tenu des attentes, on passe de systèmes qui étaient artificialisés – par exemple qui tenaient sur les pesticides et les intrants – à des systèmes dans lesquels on veut moins d'intrants, et qui sont, de ce fait, beaucoup plus complexes. Cela demande un très fort réinvestissement dans la recherche. Tout cela pour dire que c'est une course sans fin. Nous ne pouvons pas être contents de nous parce que nous sommes toujours rattrapés par un nouveau défi.

Deuxièmement, quel est notre rôle par rapport à la production ? Ce rôle est souvent plus facile à apprécier rétrospectivement. Je reprends le cas que j'ai déjà cité relatif aux productions de bananes en Afrique : parce que l'on avait abandonné la recherche pendant quelques années, on s'est subitement trouvé démuni lorsque la grande distribution a fait savoir qu'elle ne voulait plus simplement acheter des bananes, mais avoir une certification sur la façon dont celles-ci avaient été produites. Il ne s'agissait plus seulement d'optimiser les rendements et on s'est alors retourné précipitamment vers les chercheurs. Le phénomène est observable dans d'autres filières. Cependant, après cinq ou dix ans, celles-ci ont du mal à intégrer les nouveaux concepts et elles perdent leur capacité de réaction. J'ai bien l'impression que c'est ce qui est en train de se passer pour la filière de la canne à sucre. Mais tout cela est plus facile à mesurer sur une longue période.

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Jean Champagne, directeur adjoint chargé de l'outre-mer à l'ACTA

Le transfert entre les acquis de la recherche et l'amélioration du niveau des agriculteurs se fait d'autant plus facilement qu'il y a en face une organisation professionnelle forte. Or, les territoires ultramarins, davantage peut-être que la métropole, souffrent de la faiblesse de leurs organisations professionnelles. Cette faiblesse explique d'ailleurs que, pour certaines productions, les taux de couverture soient très bas.

Cela m'amène à soulever un point que l'on n'a pas encore évoqué : si les agricultures ultramarines sont soumises à des contraintes spécifiques, notamment climatiques, elles doivent également faire face à la concurrence des importations de la métropole et, de plus en plus, à celle des pays de la zone.

Selon moi, l'organisation professionnelle va de pair avec le transfert. C'est aussi le moyen d'évaluer le taux de pénétration et l'efficacité, et d'améliorer la vitesse de ce transfert.

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C'est parce que vous avez insisté tout à l'heure sur le mot « transfert » que j'ai posé cette question. Par ailleurs, je tiens à préciser que je n'ai pas voulu être offensant en utilisant le mot « satisfaits ». Je ne voulais pas dire « satisfaits de vous ».

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Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture » de l'INRA, Institut national de la recherche agronomique

Je partage beaucoup de ce qui s'est dit, mais j'observe que la situation a évolué avec le temps. La recherche s'est professionnalisée et « fondamentalisée ». Nous sommes contents d'avoir des équipes sur site, qui publient bien et font de la bonne recherche, et une recherche très générique. Et pour nous, à l'INRA, il est important que les thématiques soient déclinées en métropole et sous les tropiques, pour mieux cerner la généricité des processus.

Mais aujourd'hui, quid de l'innovation pour les acteurs locaux ? Je pense que nous sommes aujourd'hui à une période charnière. Si les premiers progrès ont été rapides, nous devons maintenant changer complètement de braquet. Il faut réorganiser tout le dispositif de rechercheformationdéveloppement, en particulier sous les tropiques en raison de l'émiettement des représentations professionnelles. Il y a là un enjeu très fort, qui concerne aussi bien la recherche, que la formation et le transfert. Et je pense que les RITA sont précisément à même d'opérer cette liaison.

Depuis trente ans, la présence des instituts de recherche dans les territoires d'outre-mer a évolué. On a assisté à un recentrage sur certaines zones et, depuis cinq ou six ans, ces instituts se regroupent dans certaines structures – comme Agreenium, ACTA et les réseaux RITA – qui les rapprochent des professionnels du monde agricole.

Si je me réfère aux propos de tous les intervenants, l'agriculture outre-mer avancera en s'appuyant sur l'innovation et le transfert. Mais alors, comment, par exemple, accompagner la demande des professionnels, qui déplorent qu'à peine de 20 % des produits phytosanitaires leur apportent satisfaction ? Que peuvent proposer, en ce domaine, les instituts de recherche ? Nous pourrions reprendre, dans le rapport, vos préconisations, évoquer certaines pistes de recherche et d'innovation, qui pouraient, par la suite, faire l'objet de transferts.

J'aimerais également que le représentant de l'INRA qui a évoqué les fermes expérimentales dans les lycées agricoles, développe son propos. Quel rôle peuvent jouer les lycées agricoles et leurs fermes d'exploitation ? Les professionnels souhaitent que l'on fasse vivre ces espaces, qui participent à la vie rurale et contribuent à la formation des agriculteurs, qu'il s'agisse de formation initiale ou continue. De votre côté, êtes-vous prêts à vous impliquer ? Comment ?

Ensuite, vous avez tous dit que les agricultures outre-mer avaient des défis à relever. Mais M. Jean Champagne ou M. Jean-Louis Peyraud ont observé que le transfert des connaissances exigeait la structuration des professionnels, laquelle, dans certaines zones de l'outre-mer, est un peu hésitante. De la même façon, vous avez dit que vous manquiez d'interlocuteurs, s'agissant de l'agriculture familiale. Mais je suppose que, compte tenu de votre expérience à l'étranger, vous avez été confrontés, dans d'autres pays, au même problème. Comment faites-vous, dans de telles situations, pour assurer ce transfert ?

Enfin, je souhaiterais que vous nous parliez du lien entre l'international et le local, qui est aussi à rechercher.

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Gérard Mathéron

Je répondrai d'abord à propos des produits phytosanitaires. Ceux-ci ont fait l'objet à la fois des plans Écophyto DOM et du plan Écophyto national. Or, on a constaté que, par rapport aux engagements qui avaient été pris par les différentes filières, la seule qui ait satisfait et même dépassé ses engagements est la filière banane, toutes filières françaises confondues. Non seulement les filières continentales n'ont pas réduit l'usage des pesticides, mais certaines l'ont même accru.

Ensuite, que faut-il faire concrètement ? Comme l'ont souligné mes collègues, il est possible de s'appuyer sur l'expérimentation « plate-forme » ou sur d'autres systèmes qui permettent de tester des innovations en dehors des laboratoires : expérimentations menées sur des fourrages chez des éleveurs pionniers, systèmes de cultures remplaçant les produits phytosanitaires, etc. Il y a des innovations sur lesquelles on peut s'adosser pour progresser. Mais les espaces RITA sont indispensables. C'est un peu comme dans une entreprise, lorsque l'on veut passer du prototype mis au point par le laboratoire à la présérie.

Les DOM possèdent, par ailleurs, des collections qui ont été évoquées par M. François Cot. Les organismes de recherche (INRA, CIRAD, etc.) entretiennent sur place toute la variabilité génétique disponible au plan international. Ces collections ont été ramenées dans les DOM, certes pour des raisons domiennes, mais aussi parce que, dans de nombreux pays, l'accès à la biodiversité est parfois contraint par des problèmes de sécurité.

Cette diversité génétique présente sur les territoires est pour nous un espace d'exploration. Les collections nous permettent, notamment, de développer des plates-formes pour travailler sur tout ce qui concerne l'hybridation ou la création variétale – et dans ce contexte, par exemple, d'étudier les résistances à telle ou telle pathologie chez les animaux ou les végétaux. Il est possible de tester dix variétés de banane par an ou dix variétés de canne à sucre par an. Et si l'on multiplie par dix la capacité de testage, on peut aller dix fois plus vite dans les retombées pratiques. C'est le moyen de changer d'échelle.

Il est utile pour nous, d'une part, de disposer d'espaces qui nous permettent de tester plus rapidement les innovations qui sont dans les cartons – en effet, beaucoup de choses existent au plan international ; d'autre part, de faire en sorte que cette capacité d'innovation soit sanctuarisée dans la loi.

Prenons l'exemple des groupements d'intérêt économique et environnemental, ou GIEE. Sans innovation, les producteurs auront beau se regrouper pendant cinquante ans, il n'y aura pas de changement de pratiques. D'où l'importance de suggérer à ces GIEE de contractualiser avec des espaces où l'innovation se crée, se teste ou peut être présente. Ce serait un facteur de richesse pour tout le monde. Les chercheurs, les instituts techniques seront incités à étudier, par exemple, pourquoi telle variété d'oignon qui réussit très bien à La Réunion ne réussit pas en Guadeloupe, et cela en allant faire des essais chez les producteurs. Mais l'expérimentation ne peut pas se faire ex nihilo, hors du contexte.

Ainsi, les connaissances mondiales et la diversité sont disponibles dans les DOM. Les coopérations « Inter-Dom » et les collaborations régionales qui sont mises en place par les DOM dans les zones d'influence où ils sont présents nous permettent d'avoir accès à de nombreuses informations et connaissances. Il faut maintenant tirer des applications pratiques de ces connaissances – sachant, bien entendu, que toute découverte n'est pas applicable partout.

En conclusion, il faut investir sur le changement d'échelle et faire en sorte qu'aucune initiative collective de production, aucune forme d'organisation de producteurs, quelle qu'elle soit, ne soit déconnectée de cette capacité d'innovation qui, selon moi, est présente partout et ne demande qu'à prospérer.

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François Cote, directeur du département des systèmes de production et de transformation tropicaux, PERSYST du CIRAD

Vous nous avez interrogés sur la possibilité de remplacer les pesticides à usage tropical par d'autres produits plus respectueux de l'environnement, la recherche butant, en ce domaine, sur la difficulté de mettre au point des prophylaxies dont l'utilisation reste très limitée géographiquement – on parle d'usage orphelin. Je pense qu'il est possible, pour ce type de recherche, de créer des circuits courts – en effet, en matière d'innovation, il faut essayer d'aller le plus vite possible – et il me semble que l'on pourrait développer, dans cette perspective, un réseau mixte de technologie (RMT). Ainsi, le CIRAD est en train de mettre en place, actuellement, un RMT « santé végétale », afin de trouver des alternatives aux molécules chimiques par le biais de produits biologiques. Cette initiative est certainement transposable à d'autres secteurs dont les besoins seraient relativement semblables.

Il est par ailleurs essentiel de se doter d'outils d'évaluation multicritères. Produire sera de plus en plus une question de compromis. L'étude menée par le consortium Agreenium sur l'agro-écologie montre que l'on dispose de solutions techniques pour produire différemment, mais que cela aura des répercussions en termes de temps de travail, d'effets sur la diversité ou d'utilisation des ressources. En fait, la recherche doit, avec ses partenaires, fournir des outils permettant d'évaluer les conséquences des choix.

Les DOM ont donc à se doter d'outils d'évaluation multicritères, ce qui doit se discuter collectivement. Parmi les techniques, il existe celle des analyses des cycles de vie, ou ACV. On pourrait aller plus loin avec, par exemple, des ACV « sociales » que l'on pourrait préconiser pour l'évaluation des petites agricultures.

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Jean-Louis Peyraud, chargé de mission-direction scientifique « agriculture » de l'INRA, Institut national de la recherche agronomique

Vous nous avez interrogés sur les fermes des lycées agricoles.

Dans un objectif de formation, je considère qu'il y a sûrement lieu d'utiliser plus et mieux les fermes des lycées agricoles dans les cursus d'enseignement : ce sont des lieux privilégiés de travaux dirigés pour les étudiants ou les élèves ; et aussi des lieux de recueil et d'analyse de données.

Dans un objectif pédagogique, je considère que ce qui se fait dans une ferme de lycée agricole permet l'imprégnation progressive des apprenants sur de nouvelles façons de faire. Aujourd'hui, les changements vers l'agro-écologie sont freinés par les anciennes façons de penser. Par le passé, on a fait des progrès autrement, et, aujourd'hui, il faut reprendre la question à la base. D'où l'intérêt de passer par ces fermes des lycées agricoles, qui ont, par ailleurs, le mérite d'être assez nombreuses par rapport aux dispositifs expérimentaux – ceux de l'INRA, par exemple.

Enfin, les fermes des lycées agricoles sont un lieu de démonstration pour les visiteurs, par exemple les parents d'élèves.

Je considère donc qu'elles contribueront grandement à l'émergence de systèmes plus agro-écologiques.

Par ailleurs, on voit bien aujourd'hui qu'il faut s'engager vers des approches systémiques. Je ne reviens pas sur l'évaluation multicritères, ni sur les trade-off entre performances. Reste que si on concilie productivité et environnement, cela peut avoir un impact négatif sur le travail ou les investissements. Comment le faire toucher du doigt à toutes les personnes concernées, et comment raisonner sur ces questions ?

En outre, il faut potentialiser notre dispositif dans tous les territoires, en particulier dans les DOM. Les essais systèmes sont très lourds. Je suis convaincu, pour en avoir fait, que la modélisation apporte des réponses. Mais on ne peut pas se contenter de systèmes modélisés sur ordinateur. Un jour, il faut procéder à des tests en vraie grandeur. Mais ces tests sont également très lourds et on ne peut pas les multiplier sur les sites. Voilà pourquoi il faudrait réussir à mettre ces sites en réseau. Bien sûr, cela dépend de la capacité d'investissement de chacun ; tous les lycées n'ont pas la même. Malgré tout, il serait bon d'y réfléchir. Au-delà de la démonstration, il faut de l'expérimentation. On apprend en faisant. On ne fera pas tout par de l'analyse multicritères et de la modélisation sur ordinateur. Il faut bien, à un moment donné, tremper dans la réalité concrète de ces systèmes.

Encore une fois, nous sommes à une période où il faudra faire des arbitrages entre les différentes performances pour choisir ce que l'on veut faire. Et ce que l'on veut faire sera probablement différent selon les territoires. Les équilibres à trouver seront également différents, et il nous faudra multiplier les sites d'observation – avec quelques contrôles minimaux.

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Jean Champagne, directeur adjoint chargé de l'outre-mer à l'ACTA

C'est la raison pour laquelle, dans les RITA, nous considérons qu'il est très important d'associer les lycées agricoles et leurs fermes exploitations. Leur rôle de démonstration, de pépinière, est fondamental, à la fois pour les jeunes en formation et pour les agriculteurs. C'est sans doute un des défis que nous devrons relever dans les années à venir : développer tout ce réseau au sein du réseau des RITA.

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Gérard Mathéron

Je voudrais insister une dernière fois sur l'importance des organisations de producteurs. Par exemple, en Martinique, il suffirait que quelqu'un installe trois hectares de serres destinées à la production de salade pour saturer le besoin local ; de même, il suffirait que quelqu'un décide de planter 10 hectares de tomates pour ruiner, du jour au lendemain, les petites exploitations familiales et pour placer tous les autres producteurs en dehors du système.

La table ronde s'achève à 19 heures 05.