Intervention de Didier Migaud

Réunion du 17 octobre 2013 à 11h00
Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis heureux de vous présenter un rapport que le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques a demandé à la Cour le 6 novembre 2012 au titre de l'article L. 132-5 du code des juridictions financières, et qui vous a été adressé le 30 septembre dernier. Ce rapport a pour objet l'évaluation du réseau culturel de la France à l'étranger ; avec celui consacré à la mise en oeuvre par la France du paquet « climat-énergie » de 2008, il constitue l'une des deux contributions que la Cour s'est engagée, par lettre du 24 décembre 2012, à apporter au CEC en 2013.

Alors même que notre juridiction vient de préciser le cadre interne, notamment procédural et méthodologique, de la mise en oeuvre de sa nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques, je me réjouis du concours que la Cour apporte et continuera d'apporter à votre comité. Le rapport qui vous est présenté aujourd'hui ne peut pas être considéré comme une évaluation stricto sensu, car il porte non sur une politique publique, mais sur un instrument. Toutefois, ses conditions de préparation ont fait appel, autant que possible, à des méthodes originales de travail qui s'inspirent de certaines pratiques évaluatives : organisation de tables rondes, établissement d'un sociogramme ou appui d'un consultant. Tout au long de l'enquête, comme nous en étions convenus dans l'échange de lettres annexé au rapport, une coordination étroite a été entretenue entre les responsables de l'enquête à la Cour et les deux rapporteurs du Comité, M. François Loncle et Mme Claudine Schmid, que je salue. Grâce à la méthode retenue pour l'enquête, et au terme d'un processus mené à un rythme soutenu, qui nous permet de vous présenter ce résultat dès aujourd'hui, nous pouvons affirmer que le dialogue avec les parties prenantes s'est déroulé, tant au sein de l'administration centrale que sur le terrain, dans des conditions très satisfaisantes : en témoignent le ton des réponses écrites et l'accord obtenu sur la plupart des constats et recommandations émises à titre provisoire. Les procédures habituelles de la Cour, fondées notamment sur les principes de contradiction et de collégialité, n'en ont pas moins été bien entendu respectées.

Je suis aujourd'hui entouré de M. Jean-Philippe Vachia qui, président de la quatrième chambre, a succédé récemment à M. Jean-Pierre Bayle, et de M. Philippe Hayez, conseiller maître et coordonnateur de l'enquête. Je tiens à remercier le président de section, M. Patrice Vermeulen, et les autres rapporteurs, M. Philippe Rousselot, conseiller maître, Mme Isabelle Latoumarie-Willems, conseillère référendaire, Mme Tsiporah Fried et M. Guillaume Delbauffe, rapporteurs, ainsi que M. Jean-Pierre Lafaure, conseiller maître et contre-rapporteur.

L'enjeu du réseau culturel français à l'étranger, dont le budget représente près de 200 millions d'euros pour l'État, peut sembler modeste au regard de celui des finances publiques. Il est pourtant significatif par le rôle du réseau dans la politique d'influence extérieure qu'appellent de leurs voeux les pouvoirs publics, et qui est considéré comme une priorité par les ambassades elles-mêmes. Il doit être apprécié dans le contexte institué par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de la France. Ce texte, comme vous le savez, a notamment créé deux établissements publics à caractère industriel et commercial : Campus France, chargé d'accompagner la mobilité étudiante, et l'Institut français, chargé de l'action culturelle à l'étranger.

Vous vous souvenez du contexte de la création de ce dernier établissement, soutenue par le ministre d'alors. L'idée, qui avait ses partisans, d'un rattachement du réseau culturel à un nouvel opérateur public n'avait pu être mise en oeuvre en raison de réticences diverses. La loi a donc prescrit une période d'expérimentation qui arrive à échéance ce mois-ci. C'est donc à un moment opportun, avant que le Gouvernement ne propose au Parlement une solution pérenne pour le réseau, que la Cour a été invitée à apporter un regard objectif sur le fonctionnement du réseau culturel.

De plus, le travail qui vous est présenté vient, d'une certaine manière, achever un cycle d'analyse des divers réseaux relevant du ministère des affaires étrangères. Après le réseau diplomatique, objet d'un référé au ministre des affaires étrangères du 13 février dernier, le réseau de l'enseignement français à l'étranger, objet d'un référé du 3 juillet dernier, et le réseau consulaire, qui vient de faire l'objet du rapport adressé à votre commission des finances le 14 septembre, la quatrième chambre a fait le tour des réseaux du ministère. Un certain nombre des recommandations déjà émises par la Cour dans ces interventions conservent d'ailleurs leur pertinence pour le réseau culturel, aujourd'hui placé sous l'autorité des ambassadeurs.

Le rapport de la Cour contient une description des forces et des faiblesses du réseau culturel, au lendemain de réformes et d'évolutions résultant de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la fusion des services culturels et des instituts des ambassades. Il répond aux questions évaluatives identifiées avec les députés rapporteurs, et offre de nombreuses illustrations des constats, faites sur la base des missions de terrain, des inspections de l'Inspection générale des affaires étrangères ou de la correspondance des ambassadeurs. Il présente enfin des comparaisons internationales centrées sur les expériences du Royaume-Uni et de l'Allemagne. Sur la base de ses constats, la Cour a formulé dix recommandations visant à conforter l'action du réseau. Je tenterai de vous les résumer en répondant à cinq questions, correspondant aux cinq chapitres du rapport : Quel est l'état du réseau et de ses acteurs ? Le réseau est-il capable de renforcer l'attractivité de la France ? Les diverses interventions du réseau sont-elles cohérentes entre elles ? Peut-on améliorer l'efficience locale du réseau culturel ? Comment améliorer la pertinence des actions du réseau dans un contexte de concurrence internationale ?

Le réseau culturel français, qui compte, au sens large, plus de 1 500 implantations dans presque tous les pays de la planète, est sans conteste le premier réseau culturel au monde. Près de la moitié de ces implantations bénéficient d'un soutien direct ou indirect de l'État. En l'absence de définition explicite de l'action culturelle extérieure, ce réseau exerce une multitude d'activités, conséquence d'un héritage exceptionnel et d'une tradition d'intervention de l'État dans ce domaine depuis plus d'un siècle. Il est essentiel de bien mesurer que cette action va très au-delà de l'image traditionnelle de l'action de promotion artistique.

L'action est guidée par le principe d'universalité, propre à notre diplomatie, tant par les domaines qu'elle recouvre – arts, langue française, éducation, enseignement supérieur ou sciences – que par les territoires où elle s'exerce. Elle est de plus en plus conçue par les autorités nationales, à l'âge de ce que l'on appelle désormais le « soft power » – ou « puissance douce » –, comme une contribution majeure à l'influence nationale justifiant une implication directe des autorités et des diplomates.

Reposant sur une double structure – un réseau public d'instituts rattachés aux ambassades et le mouvement des Alliances françaises –, le réseau culturel est financé par le ministère des affaires étrangères. Sur une enveloppe globale d'un peu plus de 1,3 milliard d'euros dédiés à l'action culturelle extérieure en 2013, le ministère des affaires étrangères assume près de 60 % des crédits, une part importante du solde correspondant à l'action audiovisuelle extérieure. Le programme 185, « Diplomatie culturelle et d'influence », représente actuellement près de 750 millions d'euros, soit une croissance de 17 % à périmètre constant depuis 2008. Au sein de ce programme, l'effort de l'État porte d'abord sur l'enseignement français à l'étranger, le budget du réseau culturel public stricto sensu ne représentant, comme je l'ai indiqué, qu'environ 200 millions d'euros.

Confronté à une érosion de ses crédits – moins 7 % depuis 2007 pour les crédits de fonctionnement et moins 25 % pour les crédits d'intervention –, ce réseau a réussi à accroître significativement ses ressources propres, dont le montant est estimé à près de 290 millions d'euros, au titre des cours et examens de langues et des cofinancements de manifestations culturelles. Ce dynamisme, il ne faut pas s'en cacher, s'accompagne néanmoins d'une certaine précarité, les ressources du réseau étant désormais « indexées », si l'on peut dire, sur des facteurs extérieurs, tels que la politique d'immigration du Québec – pour les cours de langues – ou la situation économique locale – pour les cofinancements.

Le réseau connaît également des difficultés, qui ne sont pas nouvelles, en matière de ressources humaines. Le nombre d'agents, d'environ 6 200 aujourd'hui, diminue régulièrement. Le réseau dépend largement d'agents contractuels, dont la présence est limitée à quelques années, et pas assez du recrutement local. Cette situation crée un besoin particulier de formation des agents et pose depuis plusieurs années le problème de la professionnalisation, qui a été l'une des raisons de la création d'un nouvel opérateur en 2010. Cette démarche doit être poursuivie et – c'est l'objet de notre première recommandation – fondée sur une analyse des compétences requises et des formations nécessaires.

Le pilotage du réseau et des opérateurs présente en outre des insuffisances. Le ministère des affaires étrangères n'associe pas assez les autres ministères principalement concernés, ceux de la culture, de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Il ne fonde pas encore suffisamment son action sur une démarche stratégique – malgré l'adoption récente d'un document cadre – ou sur une évaluation des actions financées. Ainsi le dynamisme réel du réseau et des deux opérateurs spécialisés – Campus France et l'Institut français –, qui contribuent à la modernisation de ses outils, est-il insuffisamment relayé. Il est donc nécessaire d'améliorer le pilotage interministériel de l'action du réseau, et de s'assurer que la stratégie d'action culturelle extérieure que le ministère a commencé à formaliser est bien partagée par les divers acteurs centraux. Peut-être faudra-t-il identifier une instance où débattre des orientations et de l'évaluation des résultats ; c'est l'objet de notre deuxième recommandation.

L'expérimentation du rattachement de douze postes du réseau à l'Institut français, prévue par la loi de 2010, a été analysée avec soin. Elle n'a en réalité pas dépassé une durée de dix-huit mois, compte tenu de sa mise en oeuvre progressive, et la clause de réversibilité en a limité la portée. Ces résultats, peu probants à ce stade, ne permettent pas de recommander un rattachement du réseau à l'opérateur culturel, au regard d'un coût de transition qui avoisinerait les 50 millions d'euros.

L'action culturelle apparaît comme un levier essentiel pour la promotion de l'image de la France, mais elle repose presque exclusivement sur un modèle traditionnel, centré sur la qualité des établissements français d'enseignement et sur la défense de la langue ; or l'efficacité de ce modèle tend hélas à décroître. Si la langue française continue d'attirer un public important, animé de motivations variées, d'autres approches sont nécessaires pour atteindre les élites non francophones, majoritaires dans nombre des pays à enjeux qui sont présentés comme prioritaires.

Sur le plan artistique, le dynamisme des instituts français à l'étranger est impressionnant, avec près de 50 000 manifestations annuelles recensées. Cette vitalité presque foisonnante masque toutefois une grande variété, en termes d'audience et d'impact, lesquels restent trop peu mesurés ; aussi la Cour propose-t-elle, par sa troisième recommandation, la mise en place d'une procédure d'évaluation des projets, comme il en va dans le domaine de l'aide au développement.

Sur le plan scientifique, la contribution du réseau apparaît peu déterminante, la coopération en ce domaine s'affranchissant en général des canaux diplomatiques, en raison de sa spécificité. Le champ universitaire est peut-être devenu, à cet égard, le premier des enjeux. Jusqu'à présent, le réseau a été principalement mobilisé pour la satisfaction d'objectifs quantitatifs, permettant à la France d'occuper le quatrième rang mondial pour l'accueil des étudiants étrangers. C'est pourquoi le rôle des deux opérateurs spécialisés, l'Institut français et Campus France, doit encore être précisé. Il faut notamment conforter leur rôle d'intermédiation entre les acteurs nationaux – établissements culturels ou universités, par exemple – et le réseau : c'est l'objet de notre quatrième recommandation.

L'Institut français doit pouvoir s'appuyer avec plus d'autorité sur le réseau pour des actions communes, par exemple en matière de modernisation des outils de promotion et de communication, comme nous le proposons dans notre cinquième recommandation.

La dimension culturelle est une composante essentielle de l'action des ambassades françaises ; elle peut aujourd'hui s'appuyer sur un dispositif public unifié autour de ce que l'on appelle la « marque France ». Le large périmètre de l'action culturelle, qui recouvre huit domaines différents et repose sur une vingtaine d'outils mis en évidence par la Cour, n'est cependant pas suffisamment analysé comme un ensemble cohérent. Cette lacune empêche de dégager des synergies entre les différents acteurs, notamment avec les grands opérateurs ou les établissements d'enseignement français à l'étranger.

Dans ces différents domaines, la logique de flux prend malheureusement le pas sur la logique de capitalisation. Comment, par exemple, accepter que le suivi des anciens étudiants et boursiers ne soit toujours pas assuré – alors qu'il l'est chez nos voisins –, ce qui réduit les bénéfices des efforts consentis par le ministère en faveur de la mobilité étudiante ? Nous préconisons, dans notre sixième proposition, la mise en place dès 2014 d'un outil en ce sens par Campus France.

Sur le terrain, la dualité des réseaux, celui de l'État et celui des Alliances françaises, doit être perçue non seulement comme une force, mais aussi comme un facteur de complexité. Une approche plus coordonnée entre ces deux catégories d'acteurs est nécessaire pour améliorer l'efficience locale de l'action culturelle, tant pour le soutien à la langue française que pour la promotion des actions artistiques. C'est l'objet de notre septième recommandation, qui suppose la réalisation d'une analyse détaillée, pays par pays, des avantages respectifs des deux vecteurs et la définition d'une cartographie souhaitée des implantations.

Le modèle de financement du réseau doit également être optimisé. Il n'est pas acceptable, selon nous, alors que le constat est connu depuis plusieurs années, que le statut des établissements à autonomie financière – statut qui leur permet notamment de conserver leurs recettes propres et d'employer des agents non soumis au plafond d'emploi ministériel – ne soit toujours pas compatible avec les principes d'universalité et d'unité budgétaires posés par l'article 6 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). La Cour souhaite donc, à travers sa huitième recommandation, que cette mise aux normes intervienne avant la fin de l'année prochaine. Les financements extrabudgétaires peuvent par ailleurs être mieux mobilisés, tout en restant maîtrisés.

En outre, malgré les efforts du réseau et des opérateurs parisiens, notamment sur les réseaux sociaux, des marges d'amélioration demeurent pour tirer un meilleur parti des nouvelles technologies.

Alors que les élites locales sont presque systématiquement désignées comme les cibles de l'action du réseau, les études spécifiques font défaut au sein du ministère des affaires étrangères. La connaissance des publics et des bénéficiaires des actions est très insuffisante au regard des ambitions affichées. La Cour, par sa neuvième recommandation, préconise la création d'un instrument de mesure de l'impact des actions du réseau auprès des médias locaux et des publics.

La définition des priorités stratégiques reste difficile, malgré le besoin ressenti de faire des choix et de rompre avec l'approche universaliste. En dépit du sentiment largement répandu, au sein du réseau, que la France demeure l'acteur culturel dominant, la concurrence internationale est en effet vive, en particulier dans le domaine de l'attractivité universitaire. Les bonnes pratiques britanniques et allemandes, mises en évidence par la Cour, doivent inspirer le réseau.

Enfin, malgré l'affichage appuyé de priorités en faveur de la « diplomatie économique », le cloisonnement entre les mondes de la culture et de l'économie persiste. Jusqu'à présent, les acteurs du réseau n'ont pas suffisamment tenu compte des retombées économiques potentielles de leurs actions. Comme le suggère notre dixième et dernière recommandation, une meilleure prise en compte de cette dimension passe par la tenue d'une concertation avec les acteurs publics chargés du soutien des entreprises françaises et les organismes représentant les secteurs professionnels concernés.

Au terme de notre analyse, il n'y a nul doute que le réseau culturel représente un actif majeur pour la diplomatie et, plus généralement, pour l'influence française. Cet actif doit être adapté aux modalités d'action nouvelles du réseau, mais aussi aux ambitions exprimées par les autorités. La Cour estime que, pour atteindre ces objectifs, l'alternative que représenterait un opérateur doté d'un réseau propre – à l'instar du British Council ou, dans un autre registre, de l'Agence française de développement – ne s'impose pas comme une évidence. En effet, au-delà même des difficultés que cette solution poserait dans le contexte de la loi de 2010 – avec la création de deux opérateurs spécialisés –, l'existence d'un opérateur culturel disposant d'un réseau autonome ne paraît correspondre ni à la vision française d'un champ large, qui dépasse de beaucoup le champ culturel, ni aux efforts d'adaptation engagés depuis 2008 par le ministère, au premier rang desquels la fusion entre les services culturels des ambassades et les instituts français, qui vient de s'achever pour l'ensemble du réseau.

Aussi les recommandations de la Cour s'inscrivent-elles dans une approche adaptative du système actuel. Nous estimons que le réseau doit pouvoir relever les défis auxquels il est confronté dans le cadre actuellement défini par la loi. Une mobilisation de l'ensemble des acteurs est cependant nécessaire si nous voulons que le réseau tire pleinement parti de la richesse de l'offre nationale, soit en mesure de recentrer ses actions, ne voie plus s'évaporer ses compétences humaines, parvienne à capitaliser ses interventions et, enfin, apprenne à valoriser ses actions en termes de retombées économiques.

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