L'audition débute à onze heures cinq.
Monsieur le Premier président, soyez le bienvenu. Je rappelle que nous avons décidé de réaliser l'évaluation du réseau culturel de la France à l'étranger à la demande de la commission des affaires étrangères ; c'est dans ce cadre que nous avons demandé l'assistance préalable de la Cour des comptes.
Vous êtes accompagné de M. Jean-Philippe Vachia, président de la quatrième chambre, et de M. Philippe Hayez, conseiller maître, rapporteur de la présente évaluation. Nos deux rapporteurs sur le sujet sont M. François Loncle pour la majorité et Mme Claudine Schmid pour l'opposition.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis heureux de vous présenter un rapport que le Comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques a demandé à la Cour le 6 novembre 2012 au titre de l'article L. 132-5 du code des juridictions financières, et qui vous a été adressé le 30 septembre dernier. Ce rapport a pour objet l'évaluation du réseau culturel de la France à l'étranger ; avec celui consacré à la mise en oeuvre par la France du paquet « climat-énergie » de 2008, il constitue l'une des deux contributions que la Cour s'est engagée, par lettre du 24 décembre 2012, à apporter au CEC en 2013.
Alors même que notre juridiction vient de préciser le cadre interne, notamment procédural et méthodologique, de la mise en oeuvre de sa nouvelle mission d'évaluation des politiques publiques, je me réjouis du concours que la Cour apporte et continuera d'apporter à votre comité. Le rapport qui vous est présenté aujourd'hui ne peut pas être considéré comme une évaluation stricto sensu, car il porte non sur une politique publique, mais sur un instrument. Toutefois, ses conditions de préparation ont fait appel, autant que possible, à des méthodes originales de travail qui s'inspirent de certaines pratiques évaluatives : organisation de tables rondes, établissement d'un sociogramme ou appui d'un consultant. Tout au long de l'enquête, comme nous en étions convenus dans l'échange de lettres annexé au rapport, une coordination étroite a été entretenue entre les responsables de l'enquête à la Cour et les deux rapporteurs du Comité, M. François Loncle et Mme Claudine Schmid, que je salue. Grâce à la méthode retenue pour l'enquête, et au terme d'un processus mené à un rythme soutenu, qui nous permet de vous présenter ce résultat dès aujourd'hui, nous pouvons affirmer que le dialogue avec les parties prenantes s'est déroulé, tant au sein de l'administration centrale que sur le terrain, dans des conditions très satisfaisantes : en témoignent le ton des réponses écrites et l'accord obtenu sur la plupart des constats et recommandations émises à titre provisoire. Les procédures habituelles de la Cour, fondées notamment sur les principes de contradiction et de collégialité, n'en ont pas moins été bien entendu respectées.
Je suis aujourd'hui entouré de M. Jean-Philippe Vachia qui, président de la quatrième chambre, a succédé récemment à M. Jean-Pierre Bayle, et de M. Philippe Hayez, conseiller maître et coordonnateur de l'enquête. Je tiens à remercier le président de section, M. Patrice Vermeulen, et les autres rapporteurs, M. Philippe Rousselot, conseiller maître, Mme Isabelle Latoumarie-Willems, conseillère référendaire, Mme Tsiporah Fried et M. Guillaume Delbauffe, rapporteurs, ainsi que M. Jean-Pierre Lafaure, conseiller maître et contre-rapporteur.
L'enjeu du réseau culturel français à l'étranger, dont le budget représente près de 200 millions d'euros pour l'État, peut sembler modeste au regard de celui des finances publiques. Il est pourtant significatif par le rôle du réseau dans la politique d'influence extérieure qu'appellent de leurs voeux les pouvoirs publics, et qui est considéré comme une priorité par les ambassades elles-mêmes. Il doit être apprécié dans le contexte institué par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de la France. Ce texte, comme vous le savez, a notamment créé deux établissements publics à caractère industriel et commercial : Campus France, chargé d'accompagner la mobilité étudiante, et l'Institut français, chargé de l'action culturelle à l'étranger.
Vous vous souvenez du contexte de la création de ce dernier établissement, soutenue par le ministre d'alors. L'idée, qui avait ses partisans, d'un rattachement du réseau culturel à un nouvel opérateur public n'avait pu être mise en oeuvre en raison de réticences diverses. La loi a donc prescrit une période d'expérimentation qui arrive à échéance ce mois-ci. C'est donc à un moment opportun, avant que le Gouvernement ne propose au Parlement une solution pérenne pour le réseau, que la Cour a été invitée à apporter un regard objectif sur le fonctionnement du réseau culturel.
De plus, le travail qui vous est présenté vient, d'une certaine manière, achever un cycle d'analyse des divers réseaux relevant du ministère des affaires étrangères. Après le réseau diplomatique, objet d'un référé au ministre des affaires étrangères du 13 février dernier, le réseau de l'enseignement français à l'étranger, objet d'un référé du 3 juillet dernier, et le réseau consulaire, qui vient de faire l'objet du rapport adressé à votre commission des finances le 14 septembre, la quatrième chambre a fait le tour des réseaux du ministère. Un certain nombre des recommandations déjà émises par la Cour dans ces interventions conservent d'ailleurs leur pertinence pour le réseau culturel, aujourd'hui placé sous l'autorité des ambassadeurs.
Le rapport de la Cour contient une description des forces et des faiblesses du réseau culturel, au lendemain de réformes et d'évolutions résultant de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et de la fusion des services culturels et des instituts des ambassades. Il répond aux questions évaluatives identifiées avec les députés rapporteurs, et offre de nombreuses illustrations des constats, faites sur la base des missions de terrain, des inspections de l'Inspection générale des affaires étrangères ou de la correspondance des ambassadeurs. Il présente enfin des comparaisons internationales centrées sur les expériences du Royaume-Uni et de l'Allemagne. Sur la base de ses constats, la Cour a formulé dix recommandations visant à conforter l'action du réseau. Je tenterai de vous les résumer en répondant à cinq questions, correspondant aux cinq chapitres du rapport : Quel est l'état du réseau et de ses acteurs ? Le réseau est-il capable de renforcer l'attractivité de la France ? Les diverses interventions du réseau sont-elles cohérentes entre elles ? Peut-on améliorer l'efficience locale du réseau culturel ? Comment améliorer la pertinence des actions du réseau dans un contexte de concurrence internationale ?
Le réseau culturel français, qui compte, au sens large, plus de 1 500 implantations dans presque tous les pays de la planète, est sans conteste le premier réseau culturel au monde. Près de la moitié de ces implantations bénéficient d'un soutien direct ou indirect de l'État. En l'absence de définition explicite de l'action culturelle extérieure, ce réseau exerce une multitude d'activités, conséquence d'un héritage exceptionnel et d'une tradition d'intervention de l'État dans ce domaine depuis plus d'un siècle. Il est essentiel de bien mesurer que cette action va très au-delà de l'image traditionnelle de l'action de promotion artistique.
L'action est guidée par le principe d'universalité, propre à notre diplomatie, tant par les domaines qu'elle recouvre – arts, langue française, éducation, enseignement supérieur ou sciences – que par les territoires où elle s'exerce. Elle est de plus en plus conçue par les autorités nationales, à l'âge de ce que l'on appelle désormais le « soft power » – ou « puissance douce » –, comme une contribution majeure à l'influence nationale justifiant une implication directe des autorités et des diplomates.
Reposant sur une double structure – un réseau public d'instituts rattachés aux ambassades et le mouvement des Alliances françaises –, le réseau culturel est financé par le ministère des affaires étrangères. Sur une enveloppe globale d'un peu plus de 1,3 milliard d'euros dédiés à l'action culturelle extérieure en 2013, le ministère des affaires étrangères assume près de 60 % des crédits, une part importante du solde correspondant à l'action audiovisuelle extérieure. Le programme 185, « Diplomatie culturelle et d'influence », représente actuellement près de 750 millions d'euros, soit une croissance de 17 % à périmètre constant depuis 2008. Au sein de ce programme, l'effort de l'État porte d'abord sur l'enseignement français à l'étranger, le budget du réseau culturel public stricto sensu ne représentant, comme je l'ai indiqué, qu'environ 200 millions d'euros.
Confronté à une érosion de ses crédits – moins 7 % depuis 2007 pour les crédits de fonctionnement et moins 25 % pour les crédits d'intervention –, ce réseau a réussi à accroître significativement ses ressources propres, dont le montant est estimé à près de 290 millions d'euros, au titre des cours et examens de langues et des cofinancements de manifestations culturelles. Ce dynamisme, il ne faut pas s'en cacher, s'accompagne néanmoins d'une certaine précarité, les ressources du réseau étant désormais « indexées », si l'on peut dire, sur des facteurs extérieurs, tels que la politique d'immigration du Québec – pour les cours de langues – ou la situation économique locale – pour les cofinancements.
Le réseau connaît également des difficultés, qui ne sont pas nouvelles, en matière de ressources humaines. Le nombre d'agents, d'environ 6 200 aujourd'hui, diminue régulièrement. Le réseau dépend largement d'agents contractuels, dont la présence est limitée à quelques années, et pas assez du recrutement local. Cette situation crée un besoin particulier de formation des agents et pose depuis plusieurs années le problème de la professionnalisation, qui a été l'une des raisons de la création d'un nouvel opérateur en 2010. Cette démarche doit être poursuivie et – c'est l'objet de notre première recommandation – fondée sur une analyse des compétences requises et des formations nécessaires.
Le pilotage du réseau et des opérateurs présente en outre des insuffisances. Le ministère des affaires étrangères n'associe pas assez les autres ministères principalement concernés, ceux de la culture, de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. Il ne fonde pas encore suffisamment son action sur une démarche stratégique – malgré l'adoption récente d'un document cadre – ou sur une évaluation des actions financées. Ainsi le dynamisme réel du réseau et des deux opérateurs spécialisés – Campus France et l'Institut français –, qui contribuent à la modernisation de ses outils, est-il insuffisamment relayé. Il est donc nécessaire d'améliorer le pilotage interministériel de l'action du réseau, et de s'assurer que la stratégie d'action culturelle extérieure que le ministère a commencé à formaliser est bien partagée par les divers acteurs centraux. Peut-être faudra-t-il identifier une instance où débattre des orientations et de l'évaluation des résultats ; c'est l'objet de notre deuxième recommandation.
L'expérimentation du rattachement de douze postes du réseau à l'Institut français, prévue par la loi de 2010, a été analysée avec soin. Elle n'a en réalité pas dépassé une durée de dix-huit mois, compte tenu de sa mise en oeuvre progressive, et la clause de réversibilité en a limité la portée. Ces résultats, peu probants à ce stade, ne permettent pas de recommander un rattachement du réseau à l'opérateur culturel, au regard d'un coût de transition qui avoisinerait les 50 millions d'euros.
L'action culturelle apparaît comme un levier essentiel pour la promotion de l'image de la France, mais elle repose presque exclusivement sur un modèle traditionnel, centré sur la qualité des établissements français d'enseignement et sur la défense de la langue ; or l'efficacité de ce modèle tend hélas à décroître. Si la langue française continue d'attirer un public important, animé de motivations variées, d'autres approches sont nécessaires pour atteindre les élites non francophones, majoritaires dans nombre des pays à enjeux qui sont présentés comme prioritaires.
Sur le plan artistique, le dynamisme des instituts français à l'étranger est impressionnant, avec près de 50 000 manifestations annuelles recensées. Cette vitalité presque foisonnante masque toutefois une grande variété, en termes d'audience et d'impact, lesquels restent trop peu mesurés ; aussi la Cour propose-t-elle, par sa troisième recommandation, la mise en place d'une procédure d'évaluation des projets, comme il en va dans le domaine de l'aide au développement.
Sur le plan scientifique, la contribution du réseau apparaît peu déterminante, la coopération en ce domaine s'affranchissant en général des canaux diplomatiques, en raison de sa spécificité. Le champ universitaire est peut-être devenu, à cet égard, le premier des enjeux. Jusqu'à présent, le réseau a été principalement mobilisé pour la satisfaction d'objectifs quantitatifs, permettant à la France d'occuper le quatrième rang mondial pour l'accueil des étudiants étrangers. C'est pourquoi le rôle des deux opérateurs spécialisés, l'Institut français et Campus France, doit encore être précisé. Il faut notamment conforter leur rôle d'intermédiation entre les acteurs nationaux – établissements culturels ou universités, par exemple – et le réseau : c'est l'objet de notre quatrième recommandation.
L'Institut français doit pouvoir s'appuyer avec plus d'autorité sur le réseau pour des actions communes, par exemple en matière de modernisation des outils de promotion et de communication, comme nous le proposons dans notre cinquième recommandation.
La dimension culturelle est une composante essentielle de l'action des ambassades françaises ; elle peut aujourd'hui s'appuyer sur un dispositif public unifié autour de ce que l'on appelle la « marque France ». Le large périmètre de l'action culturelle, qui recouvre huit domaines différents et repose sur une vingtaine d'outils mis en évidence par la Cour, n'est cependant pas suffisamment analysé comme un ensemble cohérent. Cette lacune empêche de dégager des synergies entre les différents acteurs, notamment avec les grands opérateurs ou les établissements d'enseignement français à l'étranger.
Dans ces différents domaines, la logique de flux prend malheureusement le pas sur la logique de capitalisation. Comment, par exemple, accepter que le suivi des anciens étudiants et boursiers ne soit toujours pas assuré – alors qu'il l'est chez nos voisins –, ce qui réduit les bénéfices des efforts consentis par le ministère en faveur de la mobilité étudiante ? Nous préconisons, dans notre sixième proposition, la mise en place dès 2014 d'un outil en ce sens par Campus France.
Sur le terrain, la dualité des réseaux, celui de l'État et celui des Alliances françaises, doit être perçue non seulement comme une force, mais aussi comme un facteur de complexité. Une approche plus coordonnée entre ces deux catégories d'acteurs est nécessaire pour améliorer l'efficience locale de l'action culturelle, tant pour le soutien à la langue française que pour la promotion des actions artistiques. C'est l'objet de notre septième recommandation, qui suppose la réalisation d'une analyse détaillée, pays par pays, des avantages respectifs des deux vecteurs et la définition d'une cartographie souhaitée des implantations.
Le modèle de financement du réseau doit également être optimisé. Il n'est pas acceptable, selon nous, alors que le constat est connu depuis plusieurs années, que le statut des établissements à autonomie financière – statut qui leur permet notamment de conserver leurs recettes propres et d'employer des agents non soumis au plafond d'emploi ministériel – ne soit toujours pas compatible avec les principes d'universalité et d'unité budgétaires posés par l'article 6 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). La Cour souhaite donc, à travers sa huitième recommandation, que cette mise aux normes intervienne avant la fin de l'année prochaine. Les financements extrabudgétaires peuvent par ailleurs être mieux mobilisés, tout en restant maîtrisés.
En outre, malgré les efforts du réseau et des opérateurs parisiens, notamment sur les réseaux sociaux, des marges d'amélioration demeurent pour tirer un meilleur parti des nouvelles technologies.
Alors que les élites locales sont presque systématiquement désignées comme les cibles de l'action du réseau, les études spécifiques font défaut au sein du ministère des affaires étrangères. La connaissance des publics et des bénéficiaires des actions est très insuffisante au regard des ambitions affichées. La Cour, par sa neuvième recommandation, préconise la création d'un instrument de mesure de l'impact des actions du réseau auprès des médias locaux et des publics.
La définition des priorités stratégiques reste difficile, malgré le besoin ressenti de faire des choix et de rompre avec l'approche universaliste. En dépit du sentiment largement répandu, au sein du réseau, que la France demeure l'acteur culturel dominant, la concurrence internationale est en effet vive, en particulier dans le domaine de l'attractivité universitaire. Les bonnes pratiques britanniques et allemandes, mises en évidence par la Cour, doivent inspirer le réseau.
Enfin, malgré l'affichage appuyé de priorités en faveur de la « diplomatie économique », le cloisonnement entre les mondes de la culture et de l'économie persiste. Jusqu'à présent, les acteurs du réseau n'ont pas suffisamment tenu compte des retombées économiques potentielles de leurs actions. Comme le suggère notre dixième et dernière recommandation, une meilleure prise en compte de cette dimension passe par la tenue d'une concertation avec les acteurs publics chargés du soutien des entreprises françaises et les organismes représentant les secteurs professionnels concernés.
Au terme de notre analyse, il n'y a nul doute que le réseau culturel représente un actif majeur pour la diplomatie et, plus généralement, pour l'influence française. Cet actif doit être adapté aux modalités d'action nouvelles du réseau, mais aussi aux ambitions exprimées par les autorités. La Cour estime que, pour atteindre ces objectifs, l'alternative que représenterait un opérateur doté d'un réseau propre – à l'instar du British Council ou, dans un autre registre, de l'Agence française de développement – ne s'impose pas comme une évidence. En effet, au-delà même des difficultés que cette solution poserait dans le contexte de la loi de 2010 – avec la création de deux opérateurs spécialisés –, l'existence d'un opérateur culturel disposant d'un réseau autonome ne paraît correspondre ni à la vision française d'un champ large, qui dépasse de beaucoup le champ culturel, ni aux efforts d'adaptation engagés depuis 2008 par le ministère, au premier rang desquels la fusion entre les services culturels des ambassades et les instituts français, qui vient de s'achever pour l'ensemble du réseau.
Aussi les recommandations de la Cour s'inscrivent-elles dans une approche adaptative du système actuel. Nous estimons que le réseau doit pouvoir relever les défis auxquels il est confronté dans le cadre actuellement défini par la loi. Une mobilisation de l'ensemble des acteurs est cependant nécessaire si nous voulons que le réseau tire pleinement parti de la richesse de l'offre nationale, soit en mesure de recentrer ses actions, ne voie plus s'évaporer ses compétences humaines, parvienne à capitaliser ses interventions et, enfin, apprenne à valoriser ses actions en termes de retombées économiques.
Je veux vous remercier, monsieur le Premier président, ainsi que vos équipes, pour ce travail auquel nous avons été associés dans des conditions très agréables, comme en témoigne le colloque que vous aviez organisé.
Depuis 1994, l'action culturelle de la France à l'étranger est pour ainsi dire le seul secteur à avoir vu décroître les crédits qui lui sont alloués par l'État, et ce sous tous les gouvernements, à l'exception de celui de Lionel Jospin pendant deux ans. Ce déclin se poursuit, avec, aux termes du programme triennal, une réduction budgétaire de 7 % en 2013, de 4 % en 2014 et de 4 % encore en 2015. Vous avez vous-même souligné le mérite des acteurs, grâce auxquels notre réseau conserve son rang dans le monde ; reste que, comme Mme Schmid et moi le répétons en d'autres lieux, en qualité de rapporteurs pour avis du programme « Diplomatie culturelle et d'influence », il est temps de mettre un terme à cette évolution, d'autant que les sommes en jeu ne sont pas si considérables.
On connaît le regard que les spécialistes de la finance peuvent parfois porter sur le monde de la culture : je me souviens de débats virulents, à ce sujet, entre M. Lang et M. Charasse, débats que le Président de la République avait heureusement la sagesse d'arbitrer dans le bon sens… Ce n'est donc pas sans une certaine appréhension que j'attendais le rapport de la Cour en cette matière ; or celui qui nous est présenté me semble équilibré et souvent pertinent, même si l'on peut déplorer un certain manque d'originalité, beaucoup de recommandations ayant déjà été formulées, jusqu'à récemment, en d'autres lieux.
Les dépenses de personnels constituent l'essentiel des dépenses du réseau ; c'est donc à juste titre que le rapport considère la professionnalisation comme une priorité. Vous préconisez une approche globale touchant à la formation, à la carrière, à la rotation et aux débouchés. Pourriez-vous préciser ce point ? Il me semble, par ailleurs, que l'on a tort de vanter les modèles étrangers au détriment du nôtre : devons-nous vraiment envier les pratiques et les résultats du British Council ou du Goethe Institut ? Je n'en suis pas sûr, loin s'en faut. Cessons donc de nourrir des complexes par rapport à ces organismes, au demeurant respectables.
Suite à la réforme de 2010, une expérimentation a conduit au « rattachement » à l'Institut français de douze postes du réseau public. Selon le rapport, cette expérimentation, qui a duré dix-huit mois, « a été trop brève » pour que l'on puisse juger de son éventuelle inefficience. Je n'en suis pas aussi sûr, et j'espère qu'une décision politique sera prise dans quelques jours. Quel bilan tirez-vous de cette tentative de réforme, qui fut entravée par certaines réticences ? Si un retour au statu quo ante ne vous paraît pas souhaitable, quelle alternative suggérez-vous ?
Le rapport pointe la modestie des compétences de l'Institut français en matière de promotion du livre et du cinéma. Comment optimiser les moyens en ce domaine ? Quels soutiens publics peut-on identifier ? J'ai fait part de mon pessimisme si la chute des crédits publics alloués au réseau devait se poursuivre. Il faut savoir que ceux-ci ne représentent plus qu'un petit tiers des ressources du réseau, les deux autres tiers provenant respectivement des financements de l'étranger et, dans une proportion légèrement supérieure encore, de l'autofinancement, notamment à travers les cours de langue. Le réseau va-t-il devenir un Berlitz d'État ? Je n'y crois pas, mais prenons garde.
La dernière question est sans doute la plus importante à mes yeux. Comment le réseau culturel peut-il contribuer à la diplomatie économique ? Quels projets peut-il mener de concert avec Ubifrance, Atout France ou les conseillers économiques des ambassades ? La culture et l'économie sont les deux vitrines de notre pays à l'étranger. Ces deux secteurs doivent donc travailler ensemble, de manière coordonnée et dynamique.
Vous déplorez, à juste titre, un pilotage interministériel défaillant. Le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement (CICID) peut-il d'ores et déjà assurer ce rôle ? Pour ma part je n'en suis pas sûr. J'aimerais en tout cas avoir votre point de vue sur la question.
Nous aurons bien entendu l'occasion de revenir sur ces différents sujets à partir de mardi prochain, dans le cadre de l'examen des missions budgétaires.
Je m'associe aux remerciements adressés à la Cour pour cette collaboration de plusieurs mois, qui nous a grandement facilité la tâche. Je remercie également le président Bartolone d'avoir mandaté la Cour sur ce thème, encore mal connu dans notre pays, des réseaux culturels à l'étranger.
Le présent rapport, dont je veux saluer la grande qualité, était très attendu par l'ensemble des milieux culturels, en France comme à l'étranger, tant il est vrai que la culture ignore les frontières. Je regrette cependant qu'il n'ait pas été rédigé au terme des trois années de l'expérimentation menée dans douze pays, laquelle avait débuté avec un an et demi de retard : s'il l'avait été, le jugement aurait peut-être été un peu différent, car les mises en route sont souvent difficiles.
Je ne reviens pas sur les difficultés budgétaires qui, comme l'a noté François Loncle, entravent l'action de notre réseau culturel. Celui-ci pourrait devenir un levier économique important avec moins de cloisonnement, phénomène qui apparaît de façon flagrante lorsque l'on se trouve à l'étranger. La Cour, dans sa dixième recommandation, préconise d'ailleurs de mieux associer Ubifrance et l'ensemble des entreprises françaises. M. Fabius a fait de la « diplomatie économique » l'une des priorités de son ministère. Quelles synergies peut-on envisager, de ce point de vue, entre les actions culturelles et les actions économiques ? Lors de nos déplacements, nous avons pu constater que cette synergie demeurait faible.
Le Goethe Institut ou le British Council sont des « marques » reconnues mais, comme l'observait M. Loncle, ils ne sont peut-être pas tout à fait à la hauteur de la réputation qu'on leur fait. Pour notre réseau culturel, cela semble être l'inverse. La création de l'Institut français tendait à remédier à cet état de fait, mais il faut envisager la question à l'échelon local : dans certains pays, l'organisme le plus connu est l'Alliance française ; dans d'autres, c'est l'Institut. Faut-il vraiment une seule marque pour l'ensemble du monde ? Si oui, comment la promouvoir ? Un changement de dénomination poserait en effet certains problèmes dans plusieurs pays.
Je remercie les deux rapporteurs de l'intérêt qu'ils portent à notre rapport, même si M. Loncle déplore un manque d'originalité qui, au demeurant, traduit aussi la constance de nos observations.
Les quelque 6 200 agents qui constituent notre réseau culturel sont une force tout autant qu'un talon d'Achille. La question de la professionnalisation n'est pas neuve, mais elle demeure ambiguë. La première façon de remédier aux problèmes que vous avez soulevés, s'agissant notamment du manque de qualification et de la rotation très élevée des agents, serait de placer ces derniers au sein d'un établissement public autonome, sur le modèle de l'Agence française de développement (AFD) ou, à l'étranger, du British Council. Cette solution présente un certain nombre de difficultés décrites dans le rapport. L'option retenue par la Cour – en accord, je crois, avec beaucoup d'acteurs concernés – est celle d'une amélioration de la gestion des ressources humaines dans le cadre actuel. Le préalable est cependant une analyse des compétences et des formations, qui fait l'objet de notre première recommandation. En d'autres termes, les responsables et les partenaires du réseau doivent définir la part assignée, dans les réseaux culturels, aux managers – notamment dans les grands instituts –, aux généralistes et aux spécialistes de terrain que sont a priori les recrutés locaux.
Une solution globale requiert selon nous l'action simultanée de trois leviers. Le premier est l'association de l'ensemble des réseaux relevant du ministère des affaires étrangères : la gestion des agents s'inscrit dans ce cadre, et les passerelles peuvent être salutaires ; elles sont au demeurant déjà à l'ordre du jour avec le rapprochement entre consulats et instituts français en Allemagne.
Tous les aspects de la gestion des agents doivent en deuxième lieu être concernés : la sélection, la formation, l'évaluation, les parcours et les réemplois éventuels hors du réseau. Bref, comme nous l'avons déjà indiqué dans notre récente analyse du réseau diplomatique, la gestion administrative du ministère doit être remplacée par une véritable gestion des compétences.
Cette solution globale doit enfin associer plus étroitement l'ensemble des acteurs, aussi bien les ministères associés – culture, éducation nationale et enseignement supérieur – que les opérateurs spécialisés – Institut français, Campus France, France Médias Monde ou Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).
Nous ne préconisons pas la création d'un corps de personnels s'inspirant des pratiques du British Council ou du Goethe Institut. La notion de « corps » est inappropriée dans la perspective d'un établissement public, et la création d'un nouveau corps de fonctionnaires ne présente guère d'avantages : elle irait au rebours des nouveaux modes de gestion de la fonction publique, qui tendent à créer des corps de plus en plus larges, et ne saurait de surcroît répondre aux besoins de renouvellement des compétences et d'irrigation des organismes. Il nous semble préférable, dans le domaine culturel, de raisonner à partir de la notion de « métier ».
Même si l'on ne s'inscrit pas dans une logique de rattachement organique du réseau à l'Institut français, le rôle de celui-ci peut et doit être affirmé dans le domaine des ressources humaines. L'Institut, aujourd'hui, s'implique essentiellement dans la formation des agents, où des progrès sont également possibles, par exemple à travers le rapprochement des quatre catalogues existants, ceux de l'Institut, du ministère, de Campus France et de l'Alliance française. À l'avenir, l'Institut devrait être présent, ne serait-ce qu'à titre consultatif, à chaque étape de la sélection ou de l'évaluation des agents.
Quant à l'expérimentation, les conditions dans lesquelles elle a été conduite ne nous permettent pas de conclure qu'elle a été probante. Son cahier des charges aurait dû prévoir davantage de flexibilité, et l'Institut français aurait dû y être plus étroitement associé, y compris sur l'évaluation par le ministère. Celui-ci a continué de fixer les dotations pour les douze postes ; aucune flexibilité n'a été introduite pour les personnels, au nom de la préservation de la réversibilité de l'expérimentation ; enfin, il n'y a eu aucune possibilité de redéploiement au niveau régional. Les observations faites par la Cour s'agissant des pays visés – l'Inde, le Royaume-Uni et les Émirats arabes unis – confirment que, si le rattachement n'a pas produit certains des effets négatifs redoutés – tels que la fiscalisation des activités –, il n'a pas non plus révélé d'avantages significatifs en termes de programmation des activités, de mobilisation de ressources propres, de gestion des ressources humaines ou d'innovations dans les relations avec les partenaires locaux.
Revenir au statu quo ante supposerait de remettre en question l'existence de l'Institut français et de Campus France : cette solution, que personne ne propose, serait de surcroît contraire à plusieurs de nos recommandations antérieures. Le schéma général d'organisation relève de la loi, donc de votre assemblée. Les recommandations de la Cour montrent que des progrès sont possibles dans le cadre de la loi de 2010, qu'il s'agisse des ressources humaines, du positionnement de l'Institut comme opérateur central au service du réseau ou de sa convergence avec Campus France.
Si l'on sort de la problématique du rattachement organique du réseau, il est manifeste que l'Institut français ne peut demeurer en l'état. Ses compétences doivent être élargies dans plusieurs domaines comme le livre, le cinéma ou le soutien à la recherche. L'Institut doit aussi bien être conforté dans son rôle indispensable d'interface avec les acteurs culturels français que dans son action de modernisation et d'appui au réseau.
Si l'ambition de tirer parti du réseau culturel pour nos intérêts économiques n'est pas neuve – elle figurait déjà dans le rapport de Jacques Rigaud en 1979 –, elle s'est affirmée fortement depuis 2010 dans le cadre de la « diplomatie économique ». En l'absence d'études précises sur le sujet, il est possible de dégager trois cercles principaux : le noyau des industries culturelles et créatives – celles du livre, du cinéma, du patrimoine ou du spectacle vivant –, pour lequel la synergie repose avant tout sur une relation plus étroite entre le réseau et les acteurs concernés ; le domaine des industries et services à forte connotation culturelle, tels que le luxe ou le tourisme, où beaucoup reste à faire entre les acteurs du réseau culturel, les professionnels et les acteurs publics ; enfin, l'ensemble des secteurs de l'économie nationale concernés par les ventes ou les investissements étrangers, pour lesquels tout, ou presque, reste à faire. Cette dimension est méconnue, mais les missions effectuées par la Cour, à Hong-Kong par exemple, ont montré l'importance de l'imprégnation culturelle chez les décideurs étrangers.
De manière générale, il faut que les réseaux culturels et économiques de l'État travaillent ensemble ; c'est l'objet de notre dixième recommandation. À Paris, il est nécessaire d'associer les administrations et organismes, par exemple en établissant une convention entre l'Institut français et Ubifrance. Dans nos ambassades, les deux réseaux doivent travailler ensemble, sous l'autorité des ambassadeurs, à des plans d'action. Lors du montage de projets culturels comme les « saisons » ou les tournées, les retombées économiques, directes ou indirectes, doivent faire l'objet d'une analyse spécifique. Il ne suffit donc pas de solliciter les entreprises françaises présentes à l'étranger pour cofinancer des manifestations : il faut également intégrer leurs objectifs plus en amont, par exemple pour répondre aux besoins linguistiques de leurs salariés locaux.
Quant au pilotage interministériel, dont la Cour pointe les défaillances, il ne saurait être l'apanage d'un seul ministère, compte tenu des nombreuses parties prenantes. Le CICID pourrait être une structure utile ; la Cour, qui avait fait une recommandation en ce sens dans son rapport thématique de juin 2012, se réjouit que cette instance se soit réunie en juillet dernier. Son objet, l'aide au développement, ne paraît toutefois pas en adéquation avec les priorités géographiques ou thématiques de notre action culturelle à l'étranger. Il existe d'autres structures interministérielles, mais leur objet est également différent. Le Comité interministériel relatif aux moyens de l'État à l'étranger ne s'intéresse, comme son nom l'indique, qu'aux moyens des ministères présents à l'étranger. Un repositionnement du Comité d'orientation stratégique de l'Institut français, qui se tient actuellement en présence de deux ministres et dont le champ est encore trop étroit, pourrait être une piste plus féconde.
La coopération avec les agences culturelles de pays européens existe localement ; mais le potentiel de coopération, par exemple avec les organismes britanniques ou allemands, ne doit pas être surestimé compte tenu des caractéristiques propres de notre action culturelle centrée sur la promotion de la langue française et le souci d'un juste retour en termes d'influence ou pour l'économie. La compétition entre nos pays n'est au demeurant pas absente, par exemple en matière d'attractivité universitaire.
Des progrès sont possibles sur l'élaboration de réponses communes à des appels à projets de l'Union européenne, mais ils supposent une meilleure organisation française : la Cour a observé que les capacités d'attraction des financements européens dans le champ culturel étaient, à ce jour, faibles et dispersées.
La relation entre le réseau public et le mouvement des Alliances françaises ne saurait se borner à une cohabitation subie, voire à une guerre froide. Chaque organisation a sa place et sa légitimité : la Cour a pu vérifier sur le terrain la pertinence et l'efficacité de chacune d'elles. Pour autant, deux principes doivent être plus activement mis en oeuvre, à commencer par celui de la subsidiarité. Nous recommandons une analyse détaillée sur les avantages respectifs des deux vecteurs et la cartographie souhaitée des implantations. Cette subsidiarité peut exister entre les pays, voire au sein d'un même pays – avec une répartition des rôles dans la capitale et les villes de province –, comme de manière fonctionnelle. Une synergie est également nécessaire lorsque les deux réseaux sont présents dans un même pays, voire dans une même ville, comme à Madrid ou à Mexico, aussi bien dans les actions de promotion de la langue française que dans les manifestations culturelles. Le festival « Bonjour India », en Inde, offre un bon exemple de bonnes pratiques en matière de coopération.
Je partage, dans une très large mesure, l'approche qui vient d'être exposée. Cela fait effectivement un certain temps, monsieur Loncle, que le ministère des affaires étrangères subit une purge budgétaire à nulle autre pareille, dont peu de gens, dans l'appareil d'État, semblent s'être inquiétés.
La culture est le premier vecteur de l'action politique. L'ambassadeur de France à Washington m'avait déclaré un jour que, vu des États-Unis, la France était une hyper puissance en ce domaine. Chaque année, ce sont, de fait, 550 manifestations culturelles françaises qui sont organisées aux États-Unis.
La coordination, comme l'a justement souligné M. le Premier président, est indispensable, tant au niveau national qu'au niveau local. À Tripoli, où je me suis récemment rendu avec Jean Glavany, l'Institut français dispense des cours de langue auprès de chefs d'entreprise et même de policiers qui viennent effectuer des stages sur notre sol. C'est d'abord à l'ambassadeur d'imposer de telles actions, car il dispose des pouvoirs pour le faire ; en d'autres termes, l'action culturelle est plus souvent une question d'hommes que de textes. Un jour, un conseiller économique a refusé de communiquer à l'ambassadeur une information utile dans ce cadre, mais il est vite venu à résipiscence après que le même ambassadeur eut biffé son nom de la liste des invités aux manifestations du 14 juillet…
La coordination doit également être assurée au niveau national entre les trois ministres concernés, à travers un plan stratégique, pourquoi pas sous l'autorité directe du Président de la République qui, jusqu'à preuve du contraire, représente la France à l'étranger. N'oublions pas, néanmoins, que c'est le ministre des affaires étrangères qui délivre les pouvoirs de signature des accords.
L'absence de suivi des étudiants est en effet une aberration : une liaison entre les niveaux central et local est indispensable – elle est d'ailleurs parfois assurée.
Je terminerai par la spécialisation. Andreï Gromyko a passé toute sa carrière politique en Europe. Les personnels diplomatiques russes, à son exemple, connaissaient très bien les problématiques européennes. De notre côté, nous nommons des arabisants au Brésil ou en Argentine. Sur ce point, la politique du quai d'Orsay n'est pas acceptable.
Je ne fais pas partie de la mission, mais je siège à la commission des affaires étrangères et j'ai quelque expérience, notamment personnelle, de ces questions. J'ai le tort de ne pas avoir fait l'ENA, monsieur le Premier président ; en revanche, je suis allé à Harvard – excusez du peu ! –, mais grâce à des bourses, notamment américaines. Je suis membre d'associations d'anciens élèves ; j'ai aussi enseigné à l'université Galatasaray, en Turquie. Le fait d'avoir consacré ma vie à ces sujets me donne quelque légitimité pour vous apporter mon éclairage.
Le pays dont l'influence culturelle est la plus puissante au monde, les États-Unis, est dépourvu de ministère de la culture. Son influence s'exerce grâce au réseau de l'industrie audiovisuelle, à l'industrie tout court, l'économie, et par l'intermédiaire des universités et des bourses que celles-ci délivrent. Le système est très décentralisé et la fiscalité américaine permet de créer un musée par mois aux États-Unis sans recours à l'action publique. Mais nous savons depuis Tocqueville que nos traditions divergent et que nous, Français, comptons sur l'État. Quelle est donc l'action de l'État aujourd'hui ?
Le problème, c'est que le Quai d'Orsay est à l'os, comme d'ailleurs, monsieur le Premier président, l'ensemble du domaine régalien. L'on assiste à une véritable explosion des dépenses parapubliques ou d'accompagnement social relevant du pacte républicain, au détriment des missions régaliennes de l'État, dont la défense nationale et les affaires étrangères. À l'étranger, où je me rends très souvent, j'entends partout, sur le front culturel, la même lamentation : les établissements culturels français sont à l'os et doivent se débrouiller comme ils le peuvent en levant de l'argent pour parvenir à organiser les fameuses 50 000 manifestations annuelles, lesquelles résultent souvent de bricolages ou d'aumône. On en est à financer la fête du 14 juillet en sollicitant les entreprises pour réunir des fonds !
« Contrairement à ses principaux partenaires », écrivez-vous au troisième paragraphe de l'introduction du rapport, « la France fait reposer l'action de son réseau sur une vision globale et politique ». On croit rêver ! Où est-elle, cette vision ? Vous notez d'ailleurs dans une autre partie du rapport que, depuis la nouvelle loi, il n'y a eu en tout et pour tout que deux réunions entre le ministre des affaires étrangères et le ministre de la culture, ou leurs représentants. La coordination est inexistante. Mes fonctions gouvernementales m'ont conduit à Bercy, puis au Quai d'Orsay ; la seule réunion entre les deux ministères à propos de notre action extérieure, que j'ai provoquée, a duré une demi-heure et n'a pas eu le moindre effet sur la fluidité des carrières entre Ubifrance et le ministère des affaires étrangères. Bref, la France n'a aucune stratégie globale à l'extérieur qui articule nos impératifs géopolitiques, nos intérêts nationaux, nos ambitions économiques dans certaines régions, et les vecteurs d'influence – de soft power – par l'éducation et la langue. Aucune concertation entre ministères, tous gouvernements confondus, ne le permet.
Voilà ce par quoi il faudrait peut-être commencer : se donner une stratégie et décider des actions à mener dans ce cadre. Un excellent article paru avant-hier dans Le Monde présentait notre nouvelle politique africaine, menée sous l'égide du gouvernement actuel, qui consiste à tenter de se tourner vers les anglophones au détriment des anciens francophones. La langue française, sur laquelle nous avons tout misé, est-elle le meilleur vecteur de notre action économique en Afrique ? Il est permis d'en douter lorsque l'on voit des powerhouses – pardon, des zones en développement – comme le Ghana, dont la croissance atteint 14 %, l'Afrique du Sud, dont revient le Président de la République, ou les pays de l'Est africain.
Pour procéder à cet indispensable recentrage, pour élaborer cette stratégie, pourquoi ne pas créer, comme je le demande depuis longtemps en vain, un conseil de sécurité nationale placé auprès du Président de la République, réunissant tous les instruments de l'influence française à l'étranger et chargé de fixer des actions prioritaires par zone géographique ? Le réseau actuel, fait de strates accumulées depuis le début du xxe siècle, privilégie l'enseignement de la langue au détriment de toutes les autres formes d'action.
Alors que l'influence des bourses et des boursiers peut être décisive, nous délivrons très peu de bourses privées, faute de fondations que ni notre tradition ni notre fiscalité ne favorise. Parallèlement, les bourses du Gouvernement français ne représentent plus que 74 millions d'euros, selon le rapport. L'année dernière, nous avons royalement permis de venir en France à 100 Chinois, 70 Brésiliens et 30 Russes, à comparer aux milliers d'étudiants chinois ou russes qui se trouvent actuellement aux États-Unis, aux frais des fondations et des universités américaines.
Je partage l'avis de M. Myard, en raison peut-être de notre commune expérience du terrain, outre mon passage au Quai d'Orsay : l'ambassadeur est seul capable de gérer une politique dans un pays donné. Il faut donc lui confier à nouveau le pilotage de notre politique extérieure. Un ambassadeur est comme un préfet ; donnons-lui les moyens de coordonner notre action économique, culturelle et politique. Si l'on fragmente l'action de la France au point de faire dépendre tel poste de Bercy ou d'Ubifrance et la coopération culturelle d'un autre institut, il ne restera plus à l'ambassadeur qu'à s'occuper des petits-fours et à participer, de temps en temps, à des réunions avec d'autres ambassadeurs. Voilà qui va démobiliser un ministère qui est bon, mais déjà à l'os, qui va le priver de compétences et émietter notre action entre des directions et des ministères qui ne se parlent pas.
Nous n'investissons pas moins d'1,3 milliard d'euros dans notre action culturelle extérieure, et c'est une véritable gabegie. Outre l'enseignement des langues, cette somme inclut le réseau audiovisuel dont les chaînes de télévision se battent en duel. Allez comprendre ce que c'est qu'une chaîne de télévision française lorsque vous êtes dans un hôtel à l'étranger ! Quel est le message de la France ? Voilà une question qui reste sans réponse.
Je suis très heureux que la Cour des comptes se soit emparée de ce dossier. Mais, monsieur Migaud, de l'audace ! Allez plus loin, beaucoup plus loin ! J'étais au gouvernement au moment du vote de la loi de 2010 ; je n'ai jamais cru que la direction générale de la mondialisation fût une magnifique invention. Je n'ai toujours pas compris ce qu'elle faisait. Je ne sais pas comment les Instituts français et les Alliances françaises sont coordonnés. La variation est telle d'un pays à l'autre que le capharnaüm est total. En somme, la France n'exerce pas son influence comme elle le devrait. J'aimerais que vous le criiez beaucoup plus fort, monsieur Migaud, et que vous appeliez sans hésiter à une refonte complète de nos instruments, pour que nous puissions ensuite aller de l'avant. Inspirons-nous de ce qui fonctionne autour de nous : d'autres pays se débrouillent très bien sans un tel fatras administratif.
Je vous invite à venir sur le terrain, monsieur Lellouche : on y voit beaucoup de choses qui fonctionnent.
Je vous félicite, monsieur le Premier président, de la qualité de votre rapport. Élu des Français de l'étranger, je constate que nombre de vos recommandations, dont la cartographie des Instituts français et des Alliances françaises pour plus de cohérence, le suivi des anciens étudiants ou l'amélioration du pilotage interministériel, correspondent aux besoins qui se font sentir sur le terrain. En ce qui concerne l'enseignement supérieur, la loi que nous avons votée il y a peu devrait également accroître l'attractivité de nos universités.
L'enseignement – très peu évoqué dans le rapport, sans doute pour de très bonnes raisons – fait partie intégrante de notre action culturelle. Dans un autre rapport, destiné au ministre des affaires étrangères, que vous avez consacré à l'enseignement français à l'étranger et au rôle de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, vous pointiez les risques inhérents à la diversification des outils de l'enseignement. Parmi eux, le Label France Éducation ou le programme FLAM – français langue maternelle –, lequel offre à des enfants français, mais aussi étrangers, une initiation à la langue française qui favorise la francophonie et, par là, notre action culturelle. Dans le rapport sur le même sujet auquel j'ai contribué pour Hélène Conway-Mouret, qui en a récemment repris les conclusions en Conseil des ministres, nous suggérons au contraire d'accentuer cette diversification et de doter ces deux instruments de moyens budgétaires supplémentaires. Le réseau scolaire actuel ne pouvant être développé davantage en raison des contraintes budgétaires qui s'imposent à nous, la recherche de partenariats sur place et la diversification devraient en effet permettre de développer la pratique de notre langue parmi les jeunes scolarisés à l'étranger, qu'ils soient étrangers ou français, ce qui est essentiel à notre rayonnement et à notre diplomatie culturelle.
L'idée d'intérêts communs au niveau européen est utopique. Nous devons vivre en paix avec nos partenaires, mais, en matière économique et commerciale, la concurrence est âpre. Voilà pourquoi c'est une connerie monumentale – je pèse mes mots ! – d'installer dans le même bâtiment le Goethe Institut et l'Alliance française, voire l'Institut français. Car toutes les informations qui y seront diffusées parviendront aux entreprises allemandes, d'une manière ou d'une autre. Les Allemands savent travailler ; ils ne laissent rien échapper ; toutes les informations qu'ils pourront grappiller, y compris dans des cocktails mondains, iront aux acteurs économiques. C'est une erreur phénoménale que de ne pas le comprendre.
Nous soulignons dans le rapport la nécessité d'une meilleure coordination et d'orientations stratégiques plus marquées. Nous insistons également sur le rôle central de l'ambassadeur, représentant de l'État français, en matière de coordination : il doit avoir autorité sur tous les réseaux qui représentent la France. Nous proposons également de développer le comité d'orientation stratégique.
S'agissant de la vision globale et politique, ne soyez pas si pessimiste, monsieur Lellouche.
Nous partageons en grande partie ce réalisme. Mais si c'est la France qui – ne l'oublions pas – a créé le modèle des centres culturels à l'étranger, n'était-ce pas en vertu d'une certaine vision globale et politique ? Naturellement, celle-ci doit aujourd'hui être actualisée, développée, et correspondre à des orientations stratégiques définies au plus haut niveau. Tel est le sens de l'une de nos propositions.
D'après les données dont nous disposons, les boursiers chinois en France sont un peu plus nombreux que vous ne le disiez : l'on en dénombre 500, sur 30 000 étudiants chinois dans notre pays.
Manifestement, ils le peuvent, et heureusement, d'ailleurs : ce n'est pas parce que l'on est étranger que l'on est nécessairement boursier ! Du reste, un grand nombre de ces 30 000 étudiants perçoit sans doute des bourses de l'État chinois.
Enfin, si vous le permettez, monsieur le président, je laisserai Philippe Hayez répondre à M. Cordery, puisqu'il est à l'origine de notre référé daté du 3 juillet dernier et portant sur le réseau de l'enseignement français à l'étranger.
Il est primordial de mieux coordonner l'action culturelle au sens strict, sur laquelle porte le présent rapport – celle des conseillers culturels ou des instituts –, et celle de notre réseau d'enseignement français à l'étranger. Celui-ci, le plus vaste au monde, nous distingue des modes et leviers d'influence que les États-Unis ont développés ; il est probablement notre premier actif. Il regroupe plus de 400 établissements et représente 60 % des crédits du programme 185, le solde, si l'on peut dire, allant au réseau culturel.
Pour atteindre cet objectif, nous avons formulé des propositions dont vous trouverez le détail dans le tout récent référé que le Premier président a cité. La coordination entre les deux dispositifs repose sur le rôle des ambassadeurs. Il convient en outre de tempérer l'orientation – légitime – de l'enseignement français à l'étranger vers le service rendu à nos concitoyens, que nous soulignons dans le référé. L'enseignement français à l'étranger possède en effet une double mission : le soutien à nos expatriés et le rayonnement. Or, sur la seconde, nous manquons d'indicateurs. Nous ne suivons pas les élèves étrangers susceptibles de « monter » dans l'enseignement supérieur français. Je vous renvoie à l'ensemble de nos recommandations à ce sujet.
Je vous remercie, monsieur le Premier président, de cette contribution de la Cour aux travaux du CEC. Je remercie également le président de la quatrième chambre et le conseiller maître.
Il appartient maintenant à nos deux rapporteurs de formuler des propositions pour améliorer l'action culturelle de la France à l'étranger. Ils nous présenteront leur propre rapport le 28 novembre prochain.
Le Comité autorise la publication du rapport de la Cour des comptes.
L'audition s'achève à douze heures vingt-cinq.