Intervention de Yves Censi

Séance en hémicycle du 16 octobre 2012 à 15h00
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Censi :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. » : telle est l'idée générale qui se dégage du projet de loi de finances pour 2013 que vous nous présentez. Oui, monsieur le ministre, vous êtes un peu comme Candide – n'y voyez pas une insulte –, tout acquis aux leçons du docteur Pangloss, avant que les ennuis ne commencent.

Le budget que vous nous présentez, c'est un budget de dépenses généreuses conçu pour un monde idéal, dans lequel les plus riches permettraient aux pauvres de l'être un peu moins, le budget d'un État à ce point parfait qu'aucune réforme structurelle ne devrait y être entreprise, le budget d'un pays riche et où il existerait un trésor caché au sein des entreprises.

Malheureusement, la réalité étant tout autre, c'est un budget de déni de réalité que vous nous présentez aujourd'hui.

Cette réalité, quelle est-elle ? C'est celle d'un pays qui se débat, au milieu d'une crise économique et financière mondiale sans précédent. La réalité, c'est notre dette qui atteint 91 % du PIB, et qui vient juste de dépasser ce que l'on appelle le point de non-retour. Nous remboursons 40 milliards d'intérêts par an et produisons, hélas, 5 millions de chômeurs.

La France se distingue par son taux de prélèvements obligatoires, qui est l'un des plus forts de l'OCDE – 44 % du PIB, contre 39,5 % en Allemagne – et par le niveau de ses dépenses publiques, le plus élevé de la zone euro, avec 56 % du PIB contre 48 % en moyenne dans les autres pays. Bref, notre économie est en sursis, et vous savez, monsieur le ministre – mais vous gardez un peu trop bien ce secret – que nous sommes à la veille d'une débâcle économique sans précédent.

Face à cette situation économique sombre et préoccupante, votre budget est un véritable déni de réalité, d'abord parce que la barque des dépenses reste trop chargée – le président de la commission des finances et Hervé Mariton l'ont bien montré – et que vous refusez de choisir une vraie priorité ; ensuite, parce que vous faites, encore et toujours, le choix de l'impôt, alors même que la Cour des comptes, le FMI, et l'ensemble des économistes vous exhortent à agir en priorité sur les dépenses, à l'instar de la plupart de nos voisins européens.

Dans ce budget, chaque euro dépensé devrait porter le label de l'attractivité et amorcer de véritables réformes de fond, sans lesquelles les chemins de la productivité et de la compétitivité nous resteront malheureusement, désespérément, inaccessibles. Un tel déni de réalité est sans équivalent dans les démocraties européennes, qui toutes, sans exception, ont engagé des réformes structurelles douloureuses, mais indispensables. Pendant ce temps, vous vous obstinez à nier les problèmes et à refuser de les traiter.

Notre endettement atteint 1 830 milliards d'euros, ce qui représente plus de 90 % de notre PIB, et il a déjà atteint ce que les experts appellent le point de non-retour. La Cour des comptes ayant chiffré à 120 milliards sur cinq ans l'effort nécessaire pour retrouver le point d'équilibre, votre gouvernement décide donc de mener bataille, mais à sa manière. Une manière bien à lui, ignorant totalement les stratégies de désendettement conduites dans des pays tels que le Canada, la Suède et, bien entendu, l'Allemagne, qui ont fait la démonstration que le redressement s'acquiert grâce à un rapport particulier d'impôts et d'économies, à savoir un tiers environ de ponction fiscale sur les ménages et les entreprises, et deux tiers de coupes dans la dépense publique.

Inutile de vous dire, mes chers collègues que nous sommes très loin du compte, puisque c'est exactement l'inverse que nous propose le ministre : sur le choc global de 30 milliards d'euros, la baisse de la dépense publique ne représente que 10 milliards. Et peut-on vraiment parler d'une baisse ? J'y reviendrai tout à l'heure.

Dans les mêmes pays, l'austérité budgétaire s'est systématiquement doublée de réformes structurelles touchant à la réglementation du travail, au financement de la protection sociale ou au train de vie de l'État. Rien de tel dans ce projet de loi de finances. Vous vous raccrochez à la dépense publique, à l'impôt et à la taxation du travail, déjà si élevés que notre compétitivité se réduit comme peau de chagrin.

Votre budget est bâti sur une prévision de croissance à 0,8 % quand tous les économistes et le FMI affirment que l'expansion sera au mieux de 0,5 % l'an prochain, et probablement autour de 0,3 % avec le budget que vous nous présentez. Pour respecter l'objectif d'un déficit ramené à 3 % du PIB en 2013, l'effort requis n'est pas de 30 milliards d'euros mais au moins de 40 milliards. Si l'on ajoute le fait que les 20 milliards de recettes attendues sont surévalués, on voit mal comment vous parviendrez à résoudre l'équation budgétaire de 2013.

Dans votre projet de loi de finances, on cherche désespérément des éléments dynamiques et des signaux clairs, mais en vain.

À l'heure où il faut donner à notre pays un véritable projet pour l'investissement, l'industrialisation, l'emploi, votre seule préoccupation est de ne pas heurter le plus grand nombre de Français en maintenant l'illusion que notre modèle est viable sans réformes et de faire payer ceux que vous appelez les riches. Après tout, le candidat Hollande n'avait-il pas déclaré qu'il n'aimait pas « les riches » ? Désormais, il le leur prouve.

Il est en effet plus confortable et silencieux de matraquer la minorité que constituent les entreprises et les classes plutôt aisées tout en prétendant en plus recevoir les lauriers de la justice fiscale. Encore faudrait-il que cela soit efficace.

On reproche à François Hollande de n'avoir pas encore assez investi la fonction présidentielle. C'est une erreur : il a au contraire endossé magnifiquement les habits de son prédécesseur socialiste d'il y a trente ans qui souhaitait « donner du temps au temps ». Du temps, nous n'en avons pas aujourd'hui, et il n'y aura pas de coup d'après.

Il n'y aura que de la désolation parce que vous n'avez pas le courage de lancer les grands chantiers de la réforme de l'État, de la sécurité sociale et du marché du travail, parce que vous êtes tétanisés par l'éventualité d'une colère de rue.

Il n'y aura que de la désolation parce que vous n'êtes pas capable d'anticiper l'inexorable dérive industrielle et de gérer la modernisation, la transformation ou même la conversion des bassins d'emploi. M. Montebourg, si coutumier des leçons de vertu économique par le passé, découvre les réalités de la mondialisation et de la compétition internationale et s'enlise dans son impuissance. Ce n'est pas à coups de slogans et de faux espoirs distillés que vous empêcherez la cascade de plans sociaux qui s'annonce.

La clé de la réduction du chômage et de la dette ne se trouve que dans le rétablissement d'un appareil productif compétitif, comme l'a indiqué le président de la commission des finances. Sans compétitivité, les hausses d'impôts seront inefficaces car la chute de l'activité ira plus vite que les hausses de taux. Le problème, c'est que les recettes des entreprises vont chuter et que nous assisterons dès l'année prochaine à un effondrement des recettes de l'État. Le retour à l'équilibre des comptes publics ne pourra se faire sans un pacte productif et un pacte social de flexibilité pour l'emploi et de sécurité pour les travailleurs, telle est la réalité.

Sans une véritable stratégie alliant une politique budgétaire responsable et une vision de la France dans le monde, vous grèverez toute perspective de retournement.

Il faut mettre de côté les hausses d'impôt, car nous sommes déjà au maximum de la pression fiscale possible, l'une des plus élevées au monde. Si vous l'augmentez encore, vous allez casser le peu de croissance qu'il reste et réduire davantage la compétitivité de nos entreprises, donc détruire des emplois. De la sorte, le chômage va encore augmenter et les revenus baisser. Autant d'évolutions qui réduiront l'assiette fiscale, donc les recettes publiques à venir. En augmentant les impôts, vous finirez par aggraver les déficits publics.

Croyez-vous réellement que c'est en déployant le chiffon rouge d'une fiscalité confiscatoire que vous parviendrez à faire venir en France les investisseurs dont nous avons besoin ? D'ailleurs, nos amis anglais ne s'y sont pas trompés, mais visiblement cela ne vous fait ni chaud ni froid, mais plutôt sourire.

Croyez-vous réellement que les investisseurs prendront le chemin de notre pays quand vous ne leur offrez que de l'opacité et de l'instabilité fiscale ?

Au vu du projet de loi que vous nous présentez, vous agissez comme s'il n'y avait aucune relation entre compétitivité, croissance, stratégie industrielle et fiscalité. Quand comprendrez-vous que dans le monde globalisé d'aujourd'hui, et avec la mobilité accrue des agents économiques, la fiscalité est devenue un facteur important de la compétitivité des territoires et donc de la croissance économique ?

Est-il bien raisonnable pour l'attractivité de notre pays de claironner : « les grandes entreprises paieront », quand la balance des investissements directs entre l'étranger et la France est obstinément négative ? Or ce sont plutôt les grands groupes qui peuvent décider de s'installer dans l'hexagone. Ce qu'ils veulent également, c'est une visibilité fiscale à long terme pour leur permettre de construire des modèles financiers stables et crédibles. Or, que peut offrir de séduisant, du point de vue de ces grandes entreprises, le budget 2013 ? Rien.

Quant à nos entreprises françaises, elles n'en finissent plus d'absorber un déluge de taxes et d'impôts qui les condamnent à plus ou moins brève échéance. Aujourd'hui, leur taux de marge n'a jamais été aussi bas. Avec 28 %, il est le plus bas des pays développés quand celui des entreprises allemandes est de 40 %. Vous allez réduire encore ce taux et vous le savez très bien.

Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, les prélèvements sur les entreprises ne concerneront pas que les grandes entreprises. À titre d'exemple, vous avez fait le choix d'abaisser à 250 millions d'euros, contre 500 millions actuellement, le seuil du chiffre d'affaire minimum à partir duquel les grandes entreprises sont tenues de s'acquitter du dernier acompte d'impôt sur les sociétés. Cet abaissement de seuil ne concernera pas seulement les très grandes entreprises.

Plus généralement, les prélèvements prévus sur les entreprises sont d'une ampleur sans précédent : 10 milliards. Au seul titre de la limitation de la déductibilité des intérêts d'emprunts, nos grands groupes vont ainsi devoir acquitter 4 milliards d'euros, soit 10 % des recettes nettes d'IS entre fin 2012 et début 2013, puisque cette mesure porte sur les exercices clos à compter du 31 décembre 2012.

Dès lors, qui peut croire que le durcissement de la fiscalité pesant sur les grandes entreprises ne pèsera pas sur leurs fournisseurs, sous-traitants et prestataires de services, qui sont en majeure partie des PME et des ETI ?

En rabotant la déductibilité des emprunts des entreprises, vous les privez d'un véritable outil de croissance et faites le choix de la définanciarisation de l'économie, vous vous en êtes même vanté, ce qui veut dire en réalité que vous faites fuir l'argent de l'économie.

Cette mesure, en s'appliquant aux dettes souscrites pour financer des investissements industriels, des extensions de bâtiments ou encore des développements d'activité, sera dévastatrice notamment pour toutes les sociétés qui gèrent des concessions ou des partenariats publics-privés et qui s'endettent à très long terme sur des sujets précis.

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