Intervention de EM Mouhoud

Réunion du 11 octobre 2012 à 9h00
Mission d'information sur les coûts de production en france

EM Mouhoud, professeur d'économie à l'Université de Paris-DauphineCNRS :

Je suis très honoré de l'occasion qui m'est offerte de vous livrer quelques éléments de réflexion sur les questions de relocalisation, et de délocalisation des activités et, plus généralement, de la compétitivité industrielle. Sachant qu'il m'a été demandé de centrer mon propos sur les logiques qui sont aujourd'hui à l'oeuvre en France en matière de restructurations, mon intervention s'articulera en trois temps. Après un préambule dégageant les différentes logiques de délocalisation qui sont à l'oeuvre, je vous décrirai ces logiques, qui sont liées aux différences de coût de main d'oeuvre et de production. J'évoquerai enfin les relocalisations et les perspectives de réindustrialisation, qu'il est important de ne pas confondre, de même d'ailleurs que la délocalisation et la désindustrialisation.

J'ai rédigé il y a une vingtaine d'années une thèse sur l'impact du progrès technique sur les avantages comparatifs. J'avais donc commencé à travailler sur les questions de relocalisation et de recomposition des processus de production dans les pays industrialisés. J'ai également exercé durant une quinzaine d'années les fonctions de conseiller scientifique au Commissariat général du Plan, où j'ai travaillé sur la stratégie de l'État en direction des régions et la vulnérabilité des territoires. Plus récemment, j'ai rédigé un rapport pour la DATAR sur l'économie des services et le développement des territoires.

Il convient de distinguer les différentes logiques de délocalisation qui sont à l'oeuvre. En effet, il règne une certaine confusion en la matière, alors que les deux grandes logiques dont je vais vous parler n'ont pas du tout les mêmes effets. Certains investissements à l'étranger sont liés aux différences de croissance et de demande. Il s'agit le plus souvent d'investissements directs, dont l'objectif est la conquête de marchés. La plupart des restructurations auxquelles nous faisons face aujourd'hui dans l'industrie automobile ou l'industrie manufacturière plus généralement, sont liées à l'atonie de la demande dans les pays européens. Les groupes sont alors tentés de rechercher de nouveaux marchés, principalement dans les pays à forte croissance et les pays émergents. Dans la mesure où il est coûteux pour les entreprises d'exporter lorsqu'il s'agit d'activités industrielles relativement pondéreuses, elles préfèrent investir à l'étranger en procédant à des fusions-acquisitions, en rachetant des entreprises existantes, ou en s'assurant le contrôle de la production – comme l'a fait Renault avec Nissan au Japon. Leur principale motivation tient non pas à une différence des coûts de production, mais à stratégie de conquête de marchés en raison de la faiblesse de la demande en Europe et au déplacement du centre de gravité de la croissance vers l'Asie. La majorité des restructurations en cours obéissent à cette logique.

La seconde logique est plus inquiétante, car elle remet directement en cause l'activité sur notre territoire. Je veux parler des délocalisations qui sont motivées par les différences de coût de main-d'oeuvre. Il s'agit ici d'envoyer des composants pour faire assembler des biens de consommation dans des pays à bas salaires. Cela concerne des secteurs comme le textile, l'habillement, le cuir ou la chaussure. Une fois assemblé dans les pays à bas salaires, le produit final revient ensuite en France. Cette logique verticale est inverse de la précédente : on fragmente la chaîne de production.

Les deux logiques sont donc extrêmement différentes. Les restructurations en cours en France dans des secteurs comme l'automobile ont longtemps été favorables à l'économie nationale : les investissements directs permettaient de tirer les exportations et de créer des emplois, surtout en période de croissance. Mais aujourd'hui, l'atonie de la demande et la faible croissance en Europe font que l'on a affaire à des stratégies d'investissement pour des motifs d'accès aux marchés, qui se traduisent désormais par un déplacement de la production et de l'emploi. Ce phénomène est tout à fait nouveau : depuis 2008, les groupes multinationaux (dont ceux du CAC 40) ont créé plus d'emplois dans les pays émergents que dans les pays industriels pour la simple raison que les marchés se trouvent là-bas. Or, l'essentiel des délocalisations pour des motifs d'accès aux marchés s'opèrent par des fusions-acquisitions, ce qui conduit aussi à délocaliser la recherche et développement (R&D), au risque d'une dilution de nos avantages comparatifs à long terme.

Contrairement aux précédentes, les délocalisations liées aux différences de coût de main-d'oeuvre ne passent pas par des investissements à l'étranger. Il s'agit simplement de sous-traiter des opérations intensives en travail non qualifié à des entreprises implantées en Chine ou encore dans le bassin méditerranéen. Ces délocalisations ne se mesurent pas par des investissements directs. Si tel était le cas, seuls 5% des investissements directs français à l'étranger s'expliqueraient par des différences de coût de production. L'essentiel passe par de la sous-traitance internationale, par la voie d'accords entre donneurs d'ordres et sous-traitants. Il ne s'agit pas d'investissements directs, mais ce sont tout de même des délocalisations puisqu'on substitue à l'assemblage en France, un assemblage au Maroc, en Tunisie, en Chine ou en Inde.

Ces délocalisations se mesurent à partir des statistiques du commerce international, notamment celles des importations de biens contenant des exportations préalables de composants et de biens finis destinés à la consommation finale des ménages. Si l'on considère l'ensemble de la production manufacturière, ce phénomène de délocalisation reste relativement marginal. Il frappe néanmoins lourdement certains territoires très spécialisés dans des secteurs soumis à la concurrence des pays à bas salaires.

Disons-le sans ambages, les politiques publiques mises en oeuvre depuis trente ans ne sont pas adaptées à ces phénomènes de délocalisation. Elles passent presque toujours par des aides aux entreprises en difficulté, alors que les stratégies auxquelles obéissent les délocalisations verticales sont assez hétérogènes. Il est intéressant de connaître ces dernières pour comprendre en quoi les politiques publiques y sont souvent inadaptées.

Trois logiques très typées peuvent expliquer pourquoi les entreprises sont conduites à délocaliser une partie du processus de production pour réimporter le produit final.

La première est une logique défensive. Elle s'observe aussi bien dans le secteur des biens de consommation comme le textile-habillement, le cuir, la chaussure ou le jouet, que dans celui des services depuis le développement des technologies de l'information et de la communication, qui rendent possible la délocalisation des activités de services aux entreprises tels que les centres d'appel ou la saisie informatique. Pour maintenir notre compétitivité dans ces secteurs, autrement dit continuer à fabriquer des biens qui incorporent beaucoup de main- d'oeuvre à bon marché, une solution est de délocaliser dans les pays à bas salaires. Réimporter le produit final pour être consommé en France permet à l'entreprise de diminuer ses prix afin de rester dans la course de la compétitivité. Ainsi ces entreprises délocalisent, réimportent le produit final, baissent leurs coûts de production, alignent leurs prix de vente sur les coûts de production tout en maintenant leur marges, et regagnent ainsi en compétitivité. C'est ce que j'appelle la délocalisation compétitive ou défensive, qui est pratiquée par environ 30% de nos entreprises, en particulier des PME.

Une deuxième logique concerne les entreprises qui développent des comportements de marge. Même si nos enquêtes montrent que le phénomène est problématique dans le cas français, il n'est pas propre à notre pays : il peut également être observé aux États-Unis ou dans d'autres pays industrialisés. Les entreprises – notamment les grands distributeurs, qui sont les champions de cette logique – délocalisent l'ensemble de leur processus de production. Le produit revient ensuite pour être consommé en France. L'entreprise aligne cependant le prix de vente final non pas sur le coût de production du pays de délocalisation, comme dans la logique défensive, mais sur le coût de production français. Le différentiel entre le coût de production du pays à bas salaires et le coût de production français passe essentiellement dans la marge. Il s'agit d'entreprises qui investissent dans la marque ou la logistique. Aucune aide publique ne les incitera à revenir en France, car ce comportement leur permet de concilier une stratégie de sous-traitance internationale, ou outsourcing, et une rapidité de réponse à la demande. Leur avantage compétitif réside souvent moins dans le produit vendu que dans la marque, le marketing et la logistique. Environ 40% des entreprises de biens de consommation qui délocalisent adoptent ce type de comportement, ce qui justifie une réflexion spécifique.

Contrairement aux précédentes, la troisième logique n'est pas toujours liée aux coûts de main-d'oeuvre. Il s'agit des délocalisations forcées. Comme vous le savez, les technologies ne sont pas les mêmes à l'amont et à l'aval des filières de production. Prenons l'exemple du textile : l'amont – filature, tissage – est totalement automatisé depuis 1979. C'est donc une industrie capitalistique, qui est plus performante en France que dans les pays à bas salaires en termes de coût par unité produite. En revanche, les secteurs de l'aval – habillement, bonneterie – restent complètement manuels, car les activités à matières souples ne sont pas automatisables. Dans l'habillement ou la chaussure, la main-d'oeuvre représente ainsi plus de 70% du coût d'assemblage, alors qu'elle est passée de 40% de ce coût en 1979 à 4% en 1982 dans l'industrie des semi-conducteurs, grâce à la robotisation et à l'automatisation – les sources de relocalisation sont donc plus nombreuses dans les secteurs dits « solides » que dans les secteurs à activité souple. Si les technologies ne sont pas les mêmes dans les différents segments de la filière de production, la délocalisation de l'assemblage peut induire une délocalisation de la filière amont – quand bien même celle-ci n'a pas de raison objective d'être – par le seul jeu des effets de demande et d'offre à l'intérieur de la filière. C'est ce que j'appelle les délocalisations forcées. Nous observons d'ailleurs là des problèmes liés aux relations entre distributeurs et fabricants, qui sont une spécificité française. Ce n'est pas un mythe que le secteur des PME est très atomisé dans notre pays. En revanche, les distributeurs sont de grande taille, si bien qu'ils ont un avantage par rapport aux fabricants. Ce déséquilibre très ancien entre distributeurs et fabricants perdure : les premiers ont un pouvoir de marché qui leur permet d'imposer des conditions de livraison et de marge très difficiles. Dès lors, les fabricants sont contraints de délocaliser pour reconquérir les marges qui leur ont été confisquées. Les rapports inégaux entre distributeurs et fabricants concourent donc à expliquer les délocalisations forcées.

Je vous ai dit que les aides publiques n'étaient pas toujours adaptées aux différentes logiques de délocalisation. En effet, elles interviennent ex post, une fois que le choc a eu lieu. Par ailleurs, elles visent surtout les délocalisations défensives.

Avant d'en venir à l'industrie et aux relocalisations en France, permettez-moi de souligner une différence particulièrement intéressante entre l'Allemagne et la France. Patrick Artus évoquera certainement avec vous le débat sur la compétitivité globale. Si nos coûts unitaires globaux sont plus élevés qu'en Allemagne, nos coûts industriels et manufacturiers ne le sont pas, car, dans notre pays, les services ont été fortement externalisés. L'industrie ne représente que 12% des emplois en France, contre 20% en Allemagne. Les entreprises françaises ont beaucoup plus externalisé les activités de services, en particulier les services aux entreprises – services de la connaissance, consulting, marketing –, que ne l'ont fait les entreprises allemandes. Une partie de nos emplois se sont donc déplacés de l'industrie vers les services.

La particularité que je souhaitais évoquer est la suivante. Les firmes allemandes délocalisent depuis longtemps la production de morceaux de biens intermédiaires dans les pays d'Europe centrale et orientale, ce qui leur donne un avantage de coût. Elles maîtrisent bien ce processus. Contrairement aux entreprises françaises, qui ont brutalement accéléré les délocalisations à la fin des années 80, les entreprises allemandes pratiquent depuis 1958 une stratégie de division du travail dans les pays d'Europe centrale et orientale : elles ont délocalisé plus et plus tôt que nous, mais principalement les biens intermédiaires. Elles incorporent ainsi dans le bien final des biens fabriqués à des niveaux de productivité et de qualification élevés, mais pour des coûts – en particulier salariaux – plus faibles. Cela leur donne un avantage de en termes de coûts de production.

Le cas français est très différent. Nos entreprises délocalisent plutôt l'assemblage, pour des raisons qui tiennent notamment au différentiel de spécialisation entre la France et l'Allemagne et au rôle des grands distributeurs. Elles ont plutôt tendance à tout sous-traiter dans les pays à bas salaires et à réimporter le produit fini. Cela explique le différentiel de compétitivité. Ce n'est donc pas un mythe que l'Allemagne est plutôt spécialisée dans les biens d'équipement, les biens intermédiaires et les machines-outils, tous biens très sensibles à la croissance mondiale, ce qui donne un fort avantage à ses exportations. Les spécialisations françaises, elles, sont polarisées à la fois sur l'ultra-haute technologie, par exemple l'aérospatiale, et les biens de consommation, mais très peu sur les produits de moyenne technologie et les biens d'équipement. L'intensité de la production en R&D est donc inférieure à ce que l'on peut observer dans d'autres pays industrialisés.

La polarisation de nos spécialisations nous donne un avantage séculaire dans les filières des biens de consommations – textile, habillement, cuir, chaussure, jouet – et dans les services, mais nous confronte directement à la concurrence des pays à bas salaires. Nos entreprises ont délocalisé plus tardivement que les autres, parce que notre industrie était beaucoup plus protégée. Elles ont encaissé d'autant plus fortement les chocs que ceux-ci n'avaient pas été anticipés. Nous savions dès les accords de Marrakech de 1994 que l'accord Multifibres viendrait à échéance en 2005, mais nous avons attendu que le choc touche les territoires spécialisés dans l'habillement et le textile pour agir.

Les relocalisations sont le phénomène inverse des délocalisations verticales. Elles concernent assez peu les secteurs qui ont développé des stratégies d'accès aux marchés. Intéressons-nous par exemple à celui de l'automobile : la crise est liée à la saturation des marchés en Europe. Comme la demande est très faible et que les produits fabriqués ne sont pas adaptés à elle, la tentation est d'aller chercher des marchés ailleurs. Mais il n'y a pas de fatalité : si la croissance reprenait et si les fabricants modifiaient leurs produits pour les adapter à la demande européenne, l'industrie automobile repartirait. Elle n'est en effet pas concernée par les délocalisations verticales vers des régions éloignées géographiquement : il n'y a aucun intérêt à éclater la production pour réimporter le produit final dans un contexte de hausse des coûts du transport et de l'énergie. En revanche, la fragmentation de la chaîne de valeur se fait sur des bases intra-régionales comme c'est le cas du marché unique européen. Les firmes ont tendance à relocaliser les activités pondéreuses en Europe. Dans ce type de secteurs, les coûts de coordination sont très importants. Si les entreprises vont en Asie, c'est pour accéder plus facilement aux marchés. Si la croissance reprend en Europe, on peut donc espérer une reprise de l'industrie automobile ou de l'industrie mécanique.

En revanche, les entreprises sont incitées à compenser le surcoût de production qu'elles vont subir en relocalisant leur production dans des endroits à coûts élevés pour des activités pondéreuses et industrielles et en délocalisant de plus en plus les activités de services, pour lesquelles les coûts de transport et de coordination sont nuls ou quasi nuls. Cette tendance peut déjà être observée : la « délocalisabilité » des activités de services en Europe et dans les pays de l'OCDE est estimée à près de 30% des emplois. Là encore, ce choc sur les services n'est pas anticipé par les politiques publiques.

Les relocalisations qui font suite à une délocalisation verticale sont motivées par trois facteurs. Le premier est l'automatisation de la production. Automatisation de la production et délocalisation dans les pays à bas salaires pour réimporter le bien final sont en effet deux techniques concurrentes. Une entreprise qui réduit la part des coûts salariaux dans les coûts de production grâce à l'automatisation et à la robotisation gagne aussi en compétitivité coût unitaire ; en étant proche des marchés, elle peut faire de petites séries et « coller » mieux à la demande.

Le deuxième facteur d'explication de ces relocalisations tient à l'imperfection des produits finis en provenance des pays de délocalisation, à une époque où la demande est particulièrement versatile. Nous en avons des exemples avec l'entreprise Geneviève Lethu ou encore les Taxis bleus : ces entreprises ont perdu en parts de marché ce qu'elles avaient gagné en termes de coûts de production.

Le troisième facteur est nouveau : il réside dans les coûts de transport et de coordination, qui ont augmenté ces dernières années alors qu'ils avaient diminué sur le siècle.

Compte tenu de ces différents facteurs, les entreprises concernées par la relocalisation appartiennent plutôt aux secteurs des activités industrielles solides. Comme il n'existe pas de robots capables de travailler des matières souples, un secteur comme celui de l'habillement ne peut pas automatiser l'assemblage. Toute une série d'activités vont donc rester délocalisées, mais les Japonais travaillent sur un prototype de robot capable de manipuler des matières souples, qui permettra peut-être de relocaliser un jour dans ces secteurs.

Que penser des aides publiques à la relocalisation ? Au moment de l'instauration de la prime à la relocalisation, j'ai publié une tribune dans le quotidien Le Monde. Mon propos était de mettre en cause non pas le principe de cette prime, mais le fait que la décision d'y affecter 200 millions d'euros ait été prise sans évaluation préalable des effets du crédit d'impôt relocalisation instauré en 2005. Selon nos évaluations, pratiquement aucune entreprise ne l'avait utilisé ! La prime à la relocalisation a eu à peine plus de succès. En réalité, ces aides directes sont moins à même de faire revenir les activités délocalisées que l'environnement dans lequel on produit. On distingue d'ailleurs deux types de relocalisations. Certaines sont pérennes, alors que d'autres ne visent qu'à profiter des aides fiscales et sociales octroyées par l'État ou les collectivités locales : les entreprises repartent sitôt ces avantages arrivés à terme. J'appelle celles-ci les entreprises « tayloriennes flexibles » : très mobiles, elles ne sont pas sensibles aux actifs des territoires. Leurs avantages dépendent non pas des territoires, mais d'elles-mêmes. Ce sont ces entreprises-là qui adoptent le plus fréquemment des comportements de marge.

Certaines entreprises qui ont relocalisé ont en revanche fait revenir leurs sous-traitants, et donc créé des sortes de pôles de compétitivité avant l'heure – bien qu'elles n'aient guère été aidées. Dans certains secteurs, délocaliser fait en effet perdre des avantages d'innovation aux entreprises, en les mettant en position d'être imitées par leurs concurrents. La délocalisation devient alors l'ennemi de l'innovation. Dans ces secteurs où le mode de concurrence dominant est non pas le coût mais l'innovation, délocaliser pour réimporter le produit final induit une déconnexion entre l'innovation et la production en raison des écarts technologiques. Ces entreprises ont en effet besoin de proximité, d'où l'idée des clusters et des pôles de compétitivité.

Ces relocalisations ne recréent pas les emplois perdus du fait des délocalisations : on ne compte qu'un emploi recréé pour dix délocalisés. En revanche, elles créent des emplois indirects, du tissu industriel. Sans être négligeable, cela ne saurait être à l'origine de la réindustrialisation. En termes de politiques publiques, il est donc important de concentrer les aides sur les territoires.

Deux politiques publiques sont à mon avis confondues, ce qui est dangereux pour nos stratégies de réindustrialisation. La première consiste à réindustrialiser et à faire de la compétitivité technologique pour résister à la compétition mondiale : cela passe par une stratégie nationale d'investissement dans la R&D et l'innovation, car nous sommes en retard par rapport à d'autres pays, ainsi que par des stratégies d'attractivité. La deuxième stratégie, censée répondre aux délocalisations verticales, se fonde sur l'idée qu'il est possible d'aider certains secteurs en difficulté à revenir. Je pense que ce qui a été fait jusqu'à présent est peu efficace. En revanche, il y a place pour une stratégie d'anticipation des chocs et de polarisation des aides publiques non plus sur les entreprises, mais sur les personnes et les territoires. Les personnes mises au chômage du fait des restructurations se retrouvent « verrouillées » sur place tandis que de nombreuses zones d'emplois se trouvent en difficulté de recrutement. Il n'y a pas de véritable mobilité du travail car les personnes peu qualifiées ont besoin de formation. Il faut distinguer la stratégie de compétitivité technologique, qui n'est pas nécessairement une stratégie d'emploi, et la stratégie d'emploi et de lutte contre la vulnérabilité des personnes sur les territoires, qui passe par la création d'un véritable Observatoire d'anticipation des chocs et la définition de stratégies d'anticipation secteur par secteur.

J'achèverai mon propos en rappelant que la question des services est sous-estimée dans ce débat. Nous pensons toujours que les services sont tirés par l'industrie. Or la situation a évolué. Les services de la connaissance représentent aujourd'hui 12% de nos emplois. Nous l'avons dit, ils ont été externalisés de l'industrie vers les services bien davantage qu'en Allemagne. Ce sont des activités attractives pour les activités industrielles, qui se répartissent sur nos territoires de manière dispersée et donnent ainsi leurs chances à de nombreuses villes moyennes, par exemple en Bretagne. Notre rapport pour la DATAR, qui s'intitule justement Économie des services et développement des territoires, définit une nouvelle typologie des services. Nous avons mesuré la vulnérabilité et les performances des territoires à un niveau très fin, celui des zones d'emploi. Nous avons ainsi constaté que l'on exagère les vulnérabilités de certains territoires dont les performances dans les services n'ont jamais été prises en considération, tandis que l'on sous-estime les forces de territoires spécialisés dans des services facilement « délocalisables ».

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