Intervention de professeur EM Mouhoud

Réunion du 11 octobre 2012 à 9h00
Mission d'information sur les coûts de production en france

professeur EM Mouhoud :

Je vous remercie pour vos questions et vos remarques.

J'ai axé mon propos, comme vous me l'aviez demandé, sur les différentes logiques de délocalisations, la compétitivité étant un problème différent. Il importe, en effet, de dissocier ces logiques de celles concernant les pertes de parts de marché.

Si l'on s'intéresse à ces dernières, je suis d'accord avec vous : il faut tenir compte des asymétries au sein de la zone euro. Dans le cadre du Commissariat au Plan, j'ai commis en 1997 un rapport intitulé « La convergence perverse » montrant l'insuffisance de la seule convergence nominale. En effet, à la différence de l'Allemagne et des pays de la « zone Mark », l'Italie, l'Espagne, ainsi que la France – compte tenu de sa spécialisation –, connaissent une situation difficile par rapport au taux de change de l'euro : des spécialisations différentes suscitent des réactions différentes face aux chocs de change.

La compétitivité coût est plutôt satisfaisante sur le plan manufacturier ; la compétitivité globale coût, quant à elle, ne l'est pas puisqu'elle inclut les services qui, par rapport à l'Allemagne, sont plus chers chez nous. Pour quelle raison ? J'ai émis l'hypothèse du transfert des activités de service de l'industrie vers les services, lequel a engendré des coûts supplémentaires qui sont liés non pas nécessairement au coût du travail, mais aux coûts d'intermédiations. Je le répète : on compte 12% des emplois dans les services de la connaissance dont une part non négligeable a été externalisée depuis l'industrie vers les services. La moitié de nos pertes de parts de marché s'explique par une compétitivité moins bonne que celle de l'Allemagne, mais il s'agit plutôt d'une compétitivité hors-prix, nos efforts d'innovation et la qualité de nos produits étant moins satisfaisants, que ce soit dans l'automobile ou dans d'autres secteurs. Nous souffrons donc d'un manque d'adaptation. Cela dit, nous n'avons pas intérêt à tout mélanger sous peine de confusion. Il convient plutôt de décomposer l'ensemble des phénomènes par secteurs et par zones d'emploi.

Paradoxe qui peut sembler incroyable : comme l'a montré l'INSEE à partir de bases de données géo-localisées d'établissements, les délocalisations verticales motivées par des différences de coût de main-d'oeuvre comptent presque pour rien dans les destructions d'emplois globales puisque seul un emploi détruit sur 300 est concerné, l'essentiel des pertes résultant des progrès techniques, des gains de productivité, des restructurations et de l'augmentation de la demande de services. En revanche, il est vrai que 20% des zones d'emplois françaises sont presque entièrement impactées par ces délocalisations verticales. Il est donc dommageable que les politiques publiques ne tiennent pas compte du non-ajustement entre ces chocs locaux et les aspects globaux. En France, la mobilité du travail est inexistante. Les salariés qui perdent leur emploi sur un site ne bougent pas.

C'est au niveau des territoires que les paradoxes se révèlent le mieux. Contrairement à ce qu'énonce la théorie économique, les chocs locaux ne sont pas compensés par les ajustements globaux. Finalement, la mondialisation a du bon, mais les ajustements doivent se faire ! À ce jour, 40% de nos 340 zones d'emplois connaissent des difficultés de recrutement et 20% sont dans une situation dramatique de verrouillage, avec des poches résiduelles de chômage. En 2005, le ministre de l'industrie, M. Thierry Breton avait pris une bonne mesure, mais hélas insuffisante, en instituant une prime de mobilité de 1 000 euros pour les salariés qui avaient perdu leur emploi après une restructuration. Nous savons que la mobilité ne se décrète pas, mais qu'elle implique des investissements dans le « capital » humain, la formation, la qualification, le logement.

Je suis d'accord : le coût du travail n'est pas seul en cause comme le montre l'étude des trois logiques de délocalisation. La carte des 340 zones d'emploi et de leur spécialisation dans les services montre qu'après avoir connu un choc industriel certaines d'entre elles ont regagné des activités dans les services – je songe aux centres d'appel en particulier –, mais comme elles sont « mono-spécialisées », elles subiront le prochain choc. Je le répète : la question de la mondialisation et des chocs sur l'emploi qu'elle induit est devenue extrêmement compliquée. Les économistes ne peuvent plus prétendre que son impact sur l'emploi est faible en se bornant au plan macro-économique, puisque cet impact est énorme sur le plan local. De surcroît, le coût social est considérable.

Par ailleurs, les emplois industriels ne basculent pas nécessairement vers les services. Jadis, nous pensions que ces derniers étaient non échangeables et non « délocalisables », or, ce n'est pas le cas pour la plupart d'entre eux. La compensation intersectorielle est des plus limitées.

Enfin, si toutes les entreprises jouaient le jeu de la délocalisation défensive de compétitivité, les effets seraient positifs sur la compétitivité globale. Or, les baisses de prix attendues des délocalisations ne se produisent pas pour les raisons de traçabilité que vous avez évoquées, mais pas uniquement. Notre déficit industriel continue donc de se dégrader.

Trois types de compensations sont donc en crise, mais celles-ci ne sont pas manifestes si l'on se borne à étudier les différences de coût de production. Il convient de sérier ce problème et d'y ajouter ceux du coût du capital, des immobilisations, des biens intermédiaires – de ce point de vue-là, nous avons évalué à 20% l'avantage dont bénéficient les firmes allemandes grâce aux importations en provenance des pays d'Europe centrale et orientale.

S'agissant de la compétitivité hors coûts et de la qualité des produits, nous rencontrons de vraies difficultés. En moyenne, les marges ont baissé dans l'ensemble de l'industrie manufacturière, mais si l'on affine les analyses secteur par secteur, les comportements de marge sont patents. Il suffit de s'intéresser à la confection des jeans. Le problème de la traçabilité se pose, en effet, en raison de la suppression, en 1987, de l'obligation de mentionner le « made in » dans le secteur du textile et de l'habillement. Certaines délocalisations sont maquillées et ne se voient pas.

Je reviens à la comparaison avec l'Allemagne, même si vous avez raison de souligner qu'il existe d'autres modèles productifs efficaces.

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