Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 23 juillet 2013 à 15h00
Adaptation dans le domaine de la justice au droit de l'union européenne et aux engagements internationaux de la france — Présentation

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

Madame la rapporteure, vous avez eu raison de vous réjouir de la qualité du travail qui a été élaboré par les deux chambres sous votre propre impulsion et celle de M. Alain Richard, remarquables rapporteurs de ce texte, un texte pourtant difficile et complexe. Il transpose en effet dans notre législation pénale plusieurs instruments juridiques de l’Union européenne et adapte notre législation à plusieurs instruments internationaux et européens, notamment des conventions et des protocoles. Des matières très diverses sont concernées puisque, avec cette transposition, non seulement nous modifions le code pénal et le code de procédure pénale, mais nous touchons aussi à la matière du droit international, en particulier du droit humanitaire international.

Pour ce qui concerne le droit pénal matériel, nous transposons notamment la directive concernant la lutte contre la traite des êtres humains, la convention sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes ainsi que la directive relative à la lutte contre les abus sexuels perpétrés sur les enfants et la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

En matière procédurale, l’interprétation et la traduction des pièces principales de procédure deviennent obligatoires. Nous introduisons également le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires lorsque la personne mise en cause était absente lors du jugement et pour les décisions judiciaires privatives de liberté.

Enfin, comme vous l’avez indiqué tout à l’heure, nous renforçons Eurojust. Il y a d’ailleurs eu des discussions entre les deux chambres sur la forme et le niveau de ce renforcement.

Vous avez accompli un travail de très grande qualité ; le texte s’est considérablement enrichi au cours de la navette. Par ailleurs, vous avez fait preuve d’originalité en mettant en place un groupe de travail commun aux deux assemblées. J’avais annoncé ici même, à la tribune de l’Assemblée, et confirmé au Sénat, que les services de la Chancellerie seraient à votre disposition pour tous les éléments juridiques et techniques nécessaires. Vous avez procédé à des auditions qui ont été d’une grande richesse. Le résultat en est aujourd’hui l’accord sur un certain nombre de dispositions qui faisaient encore l’objet de divergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Au premier rang de ces divergences, il y avait la définition et l’incrimination de l’esclavage et de la servitude, dont les concepts figuraient dans l’instrument juridique européen et en droit international, mais qui n’existaient pas encore dans notre droit pénal.

Nous avons eu des échanges qui ont fait apparaître la difficulté d’élaborer dans un délai bref une définition acceptable et couvrant suffisamment le champ des incriminations concernées, mais aussi les sanctions qui pouvaient être envisagées.

Vous avez donc choisi, après la première lecture dans chacune des deux chambres, de vous donner un peu de temps. Ce temps a été très bien utilisé, puisque le groupe de travail s’est réuni à deux reprises à la Chancellerie et a procédé à des auditions. Des définitions et des incriminations en sont sorties, qui permettront de couvrir tout le champ que nous envisagions et que nous n’avions pas défini de façon assez précise lors de la première lecture. Ainsi, les délits et crimes relatifs au travail forcé, à la servitude et à l’esclavage sont dorénavant définis dans notre code pénal, de même que leurs sanctions.

Vous avez choisi de retenir quatre niveaux de gravité.

L’un existe déjà dans notre code : ce sont les conditions indignes de travail et d’hébergement, punis de cinq ans d’emprisonnement.

Vous avez également introduit une définition et une incrimination du travail forcé faisant l’objet de menaces, de violences et de contraintes, qui sera puni de sept ans d’emprisonnement. Des circonstances aggravantes peuvent s’ajouter, notamment lorsque le travail forcé concerne des personnes mineures.

Vous avez créé, en outre, une nouvelle incrimination en ce qui concerne la réduction en servitude, qui est en fait une aggravation du travail forcé. Ce délit sera puni de dix ans de réclusion – quinze en cas de circonstances aggravantes. Cette réduction en servitude s’apprécie aussi au regard du préjudice subi par des personnes dont la vulnérabilité est reconnue, mais aussi sur lesquelles le travail forcé s’exerce de façon habituelle.

Vous avez par ailleurs défini et introduit un nouveau crime, la réduction en esclavage, établi à partir du moment où s’exerce au moins un attribut du droit de propriété sur une personne, laquelle cesse d’être un sujet de droit et devient un objet. L’exploitation de la réduction en esclavage est une incrimination distincte que votre groupe de travail – et vous avez été la première à le souhaiter – a introduite. Ces deux incriminations sont punies de vingt ans de réclusion criminelle, avec des circonstances aggravantes – notamment lorsqu’une personne réduite en esclavage fait en plus l’objet d’exploitation, d’agressions sexuelles, de séquestration et de réduction au travail forcé – la portant à trente ans.

Vous avez donc produit un travail d’élaboration qui enrichit considérablement notre code pénal. Je vous le dis franchement : cela constitue un véritable exploit. En effet, même si vous vous êtes donné plus de temps que d’habitude au regard du calendrier parlementaire, vous avez, en un mois, procédé à des auditions et réussi à définir de nouvelles incriminations et une échelle des peines qui soient parfaitement cohérentes, non seulement avec notre droit pénal actuel, mais aussi avec les engagements internationaux de la France, puisqu’elles s’articulent parfaitement avec la définition contenue dans la convention internationale de 1926 de la Société des nations, qui définit l’esclavage et qu’a reprise l’Organisation des Nations unies en 1956.

D’autres sujets ont été tranchés à l’occasion de ce temps de travail entre les deux assemblées en vue de la préparation de cette commission mixte paritaire.

L’un d’entre eux est celui d’Eurojust. Comme vous l’avez dit, il y a eu, au départ, une divergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Vous avez choisi de faire droit à la proposition du Sénat, c’est-à-dire de conférer au membre national d’Eurojust un pouvoir de proposition. Cela me semble, en effet, plus conforme à l’état de notre droit, à notre architecture judiciaire et aux missions du ministère public, mais aussi aux règles constitutionnelles.

Vous nous dites que cette disposition, que vous aviez introduite à l’Assemblée – je me souviens d’ailleurs que nous avions eu des échanges extrêmement nourris sur ce point –, n’est pas une préfiguration du parquet européen. Je vous ai répondu en première lecture que nous étions en train de travailler à l’élaboration de ce parquet européen. J’ai le plaisir de vous dire aujourd’hui que nous avons bien avancé depuis la dernière fois, qui n’est d’ailleurs pas si lointaine, puisque c’était le 16 mai. Sur l’initiative de la France et de l’Allemagne, un projet a été soumis à la Commission. Nous avons réussi à entraîner à notre suite plusieurs pays européens. Il existe aujourd’hui un groupe informel qui s’est enrichi d’autres pays. Nous en sommes à quatorze participants, la Finlande nous ayant rejoints jeudi dernier lors du conseil des ministres européens à Vilnius. Nous avançons donc bel et bien sur le parquet européen.

Le renforcement d’Eurojust va incontestablement contribuer à établir un socle solide sur lequel sera érigé le parquet européen. Le travail que vos assemblées effectuent en ce moment sera donc d’une extrême utilité dans la mesure où il permettra à ce parquet européen de reposer sur des fondations qui augurent d’une capacité en matière de procédure, d’enquête et de décision. Il lui conférera aussi de l’efficacité. Dans un premier temps, bien sûr, il s’agira de protéger les intérêts financiers de l’Union européenne, mais, dans un second temps, il jouira d’un certain nombre de prérogatives en matière pénale qui donneront vraiment du corps à l’espace de liberté, de sécurité et de justice, établi dans le cadre du programme de Stockholm et que l’Union européenne est en train de consolider.

Il restait aussi la question de l’abrogation du délit d’offense au chef de l’État, que l’Assemblée nationale avait abrogé et que le Sénat avait rétabli. Nous avons en effet considéré qu’il n’y avait pas lieu de priver totalement le chef de l’État d’une protection juridique en cas d’injures et de diffamation. Autant nous considérons que ce délit est effectivement désuet, autant nous estimons que, parce que le chef de l’État, dans toute démocratie, est exposé, il doit pouvoir se défendre lorsqu’il fait l’objet d’injures et de diffamation.

Vous avez d’ailleurs rappelé que, dans notre droit, la procédure consiste à saisir le procureur de la République par l’intermédiaire du garde des sceaux. Cette procédure vaut également pour les membres du Gouvernement. Cela étant, le procureur conserve toute sa liberté d’appréciation ; le garde des sceaux n’a qu’une compétence liée. Au demeurant, cette procédure est elle aussi désuète ; il n’y a pas lieu de la conserver.

Vous avez donc maintenu le choix de l’Assemblée nationale quant à l’abrogation de ce délit d’offense au chef de l’État. En revanche, vous avez choisi – et je crois que vous avez vraiment bien fait – d’évoluer vers une procédure ordinaire, celle qui vaut aussi pour les parlementaires et qui consiste à saisir directement le procureur de la République. Le chef de l’État ne bénéficie donc pas d’un régime spécial. Il est traité de la même façon que les parlementaires et les membres du Gouvernement – ainsi, d’ailleurs, que tout fonctionnaire, c’est-à-dire de toute personne exerçant une fonction publique et dépositaire de l’autorité publique.

Deux autres sujets demeuraient en discussion. L’un d’entre eux, que vous avez abordé, est extrêmement important. Je tiens d’abord à vous remercier pour le travail que vous avez fait et pour la manière dont vous avez introduit dans le texte les dispositions qui visent à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel à la suite de la question prioritaire de constitutionnalité qui contestait l’élargissement d’un mandat européen à des incriminations qui ne faisaient pas partie de la première demande. Cette contestation visait l’absence de voie de recours.

Le Conseil constitutionnel a d’abord interrogé la Cour de justice de l’Union européenne pour savoir ce qu’entendait la décision-cadre s’agissant des délais brefs, lesquels avaient conduit, lors de la transposition des directives européennes dans notre droit, à supprimer la possibilité de se pourvoir en cassation.

La réponse de la Cour de justice est parvenue fin mai. Le Conseil constitutionnel, pour sa part, s’est prononcé le 14 juin. La Cour de justice a rappelé son attachement au respect de délais brefs, tout en précisant que cela ne supposait pas l’interdiction de toute voie de recours. Le Conseil constitutionnel en a tiré les conséquences en considérant que l’absence de voie de recours était contraire à la Constitution. Sa décision étant d’application immédiate, il nous faut, depuis le 14 juin, rétablir la possibilité de se pourvoir en cassation dans les cas visés. C’est ce que vous avez fait ; nous vous en remercions.

Reste un dernier point, qui est l’objet de l’amendement que nous vous présentons. Il est exceptionnel, même si la procédure est tout à fait prévue par le règlement, que le Gouvernement présente un amendement au texte d’une CMP, mais nous sommes dans une situation exceptionnelle.

Je le dis très clairement pour éclairer et informer les parlementaires : cet amendement vise à prévenir un vide juridique qui risque de survenir au début du mois de septembre 2013. Les services de la Chancellerie se sont rendu compte récemment que, à l’occasion de la transposition de directives européennes concernant un système de contrôle préventif et simplifié sur les armes modernes, le délit de port et de transport d’armes de sixième catégorie – il s’agit essentiellement d’armes blanches – a été involontairement supprimé.

Si nous ne remédions pas à cette malfaçon, le 6 septembre 2013, avec l’entrée en vigueur de ces dispositions transposées, les personnes détenant des armes blanches ne seront plus considérées comme étant en situation délictueuse.

Nous vous soumettons cet amendement parce que nous n’avons pas d’autre véhicule législatif pour rétablir ce délit. Cela n’est d’ailleurs pas choquant en soi, puisqu’il s’agit justement ici de transposer des instruments juridiques européens. Au demeurant, les armes en question permettent de commettre des atteintes aux personnes et aux biens. Elles servent aussi dans les violences conjugales, notamment celles visant les femmes. Il y a donc bien, si l’on se donne la peine de chercher la justification de la présence de cet amendement dans ce véhicule législatif, une double pertinence.

Le travail que vous avez effectué – je le répète une dernière fois – a été d’une très grande qualité et d’une grande densité. Il est également extrêmement original. Il serait bien qu’il fasse école, à défaut de faire jurisprudence. En effet, nous n’avons pas fait une transposition mécanique et automatique, sans nous interroger sur la portée des textes que nous transposons.

Nous avons été confrontés à une difficulté particulière avec la définition de l’esclavage et de la servitude. La capacité d’échange et de réflexion commune des députés et des sénateurs, dans le cadre du groupe de travail, a produit un résultat de très grande qualité, et cela dans un délai relativement contraint. C’est là une prouesse qu’il faut saluer : le Parlement sait en accomplir et, quand elles sont aussi admirables et utiles, il est bon que le Gouvernement le dise solennellement.

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