Je veux vous donner des éléments très précis, pour vous montrer que l’on peut aborder les questions de finances publiques tous ensemble, par-delà les différences politiques qui nous séparent. Dès le départ, il faut respecter une exigence d’honnêteté intellectuelle et de rigueur à l’égard des chiffres.
D’abord, vous indiquez que si l’année 2012 a été en fin de compte moins mauvaise qu’elle aurait pu l’être, c’est grâce aux efforts de la précédente majorité. Vous prétendez dans le même temps que si le déficit a été plus important que prévu, c’est à cause des errements de la nouvelle majorité. Sur ce point, j’apporterai quelques éléments de correction, sur lesquels nous pourrons tomber d’accord ; bien que vous siégiez à la droite de cet hémicycle, vous connaissez ces chiffres aussi bien que moi. Vous avez donc parfaitement à l’esprit le contenu du rapport de la Cour des comptes, réalisé à notre demande et rendu en juillet 2012. Ce rapport contient des éléments assez précis sur les conditions de l’élaboration de la loi de finances pour 2012.
Que dit ce rapport ? D’abord, qu’il y avait une impasse de 2 milliards d’euros sur les dépenses. Cela rendait difficile à atteindre l’objectif de déficit que le précédent Gouvernement s’était assigné, à hauteur de 4,5% du PIB. Nous avons d’ailleurs fait en sorte, en gelant 1,5 milliards d’euros de crédits qui n’ont ensuite pas été dégelés, d’éviter cette impasse, d’éviter le dérapage des dépenses.
J’insiste sur un deuxième point : il existe un décalage entre le déficit prévu par les lois de finances rectificatives, soit 4,5% du PIB, et le déficit effectivement constaté, de 4,8% du PIB. Voilà ce que je comprends de votre raisonnement : vous nous dites que malgré nos efforts pour éviter le dérapage des dépenses – alors que la Cour des comptes avait signalé qu’elles pouvaient déraper –, si le déficit est supérieur de 0,3 % à notre objectif, c’est de notre faute.
Laissez-moi donc rappeler pourquoi le déficit est supérieur de 0,3 % à l’objectif de 4,5% dont vous parlez. Ce n’est pas le fruit du hasard : plusieurs éléments expliquent cela. Premier élément : nous avons dû prendre des mesures concernant la banque Dexia, à une hauteur très significative. Je pense que personne, sur les bancs de l’opposition, n’aura l’audace, l’outrance, de considérer que les problèmes de Dexia sont apparus avec l’alternance ! Non, ils existaient préalablement, ils étaient déjà lourds, et n’avaient pas été traités suffisamment à temps pour nous épargner la tâche de nous en occuper au moment où nous sommes arrivés aux responsabilités. Cela représente beaucoup dans le déficit.
Deuxièmement, vous avez mené une certaine politique en matière de budget de l’Union européenne, dont j’ai mesuré toute la portée, tout l’impact, dans mes précédentes fonctions au Gouvernement. En novembre 2010, le précédent Président de la République, ainsi que les chefs d’État et de Gouvernement conservateurs de l’époque, ont signé une lettre destinée au président de la Commission européenne lui disant : « nous faisons des efforts budgétaires, il n’y a donc pas de raison que nous continuions à allouer à l’Union européenne les crédits de paiement dont elle a besoin pour financer ses politiques correspondant aux budgets sur lesquels nous sommes tombés d’accord. » Monsieur Mariton, je tiens cette lettre à votre disposition. Puisque vous aimez les textes, je ne doute pas que vous la citerez au bon moment, lorsque d’autres débats auront lieu sur ces questions.
Cela veut dire que, pour la première fois dans l’histoire de l’Union européenne, la France – avec d’autres gouvernements – a décidé de ne pas tenir ses engagements budgétaires à l’égard de la Commission européenne. C’est ce qu’elle a fait : elle n’a pas tenu ses engagements, elle n’a pas alloué les crédits de paiements. Cela vous a d’ailleurs conduits – non pas vous personnellement, mais un certain nombre de vos collègues – à poser beaucoup de questions à l’actuel Gouvernement au mois de novembre dernier au sujet du programme Erasmus, des fonds structurels, demandant pourquoi les financements nécessaires n’étaient pas réunis. Vous oubliiez alors – peut-être même ne le saviez-vous pas – que si nous en étions là, c’est parce que les crédits de paiement nécessaires au financement des politiques de l’Union européenne avaient été sciemment rabotés !
Ces deux éléments rassemblés, la contribution de la France au prélèvement sur recettes en faveur de l’Union européenne et les fonds consacrés à la banque Dexia, expliquent une grande partie de l’écart de 0,3 % entre les prévisions de déficit et le déficit effectivement réalisé. Je trouve donc qu’il y a une forme de malhonnêteté intellectuelle dans vos reproches. Nous devrions nous interdire une telle attitude, quelle que soit notre appartenance politique. Ces questions sont trop anxiogènes pour les Français : nous devons leur restituer, avec pédagogie et transparence, la réalité. Il y a une forme de malhonnêteté, lorsque l’on examine les raisons pour lesquelles le déficit est passé de 4,5 % à 4,8% du PIB, à ne pas dire ce que je viens de dire. Voilà le premier élément sur lequel je voulais dire quelques mots.
Deuxième élément, à propos des impôts : vous avez raison, MM. Mariton et Vigier, de dire que les hauts taux tuent les totaux. À partir d’un certain moment, le produit fiscal n’est plus élastique à l’augmentation des taux, ce qu’explique la situation économique, la récession, ou même peut-être l’excès de pression fiscale. C’est vrai, mais il n’est pas juste, au regard de la trajectoire des prélèvements obligatoires de notre pays au cours des dernières années, d’imputer cela à cette majorité. C’est encore moins juste au regard des engagements pris par le précédent Président de la République et des conditions dans lesquelles le précédent Gouvernement a dessiné, en avril 2012, c’est-à-dire quelques semaines avant son départ, la trajectoire de finances publiques dans laquelle notre pays s’engageait.
Je veux vous donner des éléments précis, incontestables : Nicolas Sarkozy a été élu Président de la République sur un engagement, celui de diminuer de 0,4 % du PIB la pression fiscale au cours de son quinquennat. La réalité, c’est qu’au cours de son quinquennat, les prélèvements qui pèsent sur les Français ont augmenté de plus de 30 milliards d’euros. Le décalage entre sa promesse et les hausses de prélèvements obligatoires qu’il a effectuées représente 100 milliards d’euros !
Vous avez augmenté les prélèvements obligatoires de 20 milliards d’euros en 2011 et de 13 milliards en 2012. Nous en avons ajouté 7 milliards. Lorsque nous ajoutons 7 milliards d’euros de prélèvements, c’est scandaleux, mais quand vous en ajoutez 13 milliards, c’est normal : j’ai un peu de mal à comprendre ce raisonnement !