En supprimant la création du procureur national financier, le Sénat a choisi, d’une certaine façon, de décapiter l’édifice que nous avions mis en place : la loi ordinaire et ses mesures pour une répression plus efficace et plus fine des infractions ; la loi organique qui permettait la création de ce parquet, en transposant les dispositions dans l’ordonnance du 22 décembre 1958.
C’est par l’adoption d’un amendement présenté par le président Jean-Jacques Hyest que le Sénat a supprimé ce parquet financier national, donné à la juridiction interrégionale spécialisée, la JIRS, de Paris une compétence sur les affaires qui concernent au moins deux JIRS et renforcé la compétence du tribunal de grande instance de Paris et du parquet de Paris.
Votre commission, mesdames et messieurs les députés, a choisi de rétablir le procureur financier national ; je vous en remercie d’autant que vous en avez profité pour enrichir les dispositions concernées en tenant compte des travaux de la commission des lois du Sénat. Il était effectivement indispensable de rétablir les dispositions instaurant ce parquet financier national, pour qu’il exerce les compétences prévues et annoncées par le Président de la République, sur toutes les atteintes à la probité, qu’il s’agisse de la prise illégale d’intérêts, de la corruption, du favoritisme, du détournement de fonds publics ou de ce qu’on appelle le pantouflage. Le procureur financier national a également une compétence en matière de fraude fiscale complexe, complexe en raison de sa dimension internationale et des méthodes utilisées, et une compétence en matière de fraude à la taxe à la valeur ajoutée.
La compétence du procureur financier est concurrente, ce qui apporte une sécurité dans les procédures. Cela signifie effectivement que, lorsqu’une procédure qui aurait été ouverte par une autre juridiction est reprise par le parquet national, cela n’annule pas les actes accomplis antérieurement. Cette compétence concurrente offre donc une véritable garantie.
L’indépendance du procureur, qui avait suscité des interrogations, est également garantie. Je rappelle simplement l’engagement qu’a pris le Gouvernement – il a même essayé d’en faire l’objet d’une réforme constitutionnelle – de respecter l’avis du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination des magistrats du ministère public. Notre pratique est conforme à cet engagement, même si la réforme constitutionnelle n’a pas été adoptée. « Pas encore », ai-je presque envie de dire, car je sais quelle est la pugnacité de votre assemblée, qui l’avait adoptée en première lecture. L’indépendance du procureur financier national est garantie, comme celle de tous les procureurs de la République et de tous les magistrats du ministère public, par sa nomination à la suite d’un avis conforme. Je rappelle que, dès le 31 juillet 2012, j’ai ouvert à la transparence toute la hiérarchie du ministère public. De même, j’ai ouvert au Conseil supérieur de la magistrature la totalité des dossiers des magistrats, ce qui lui permet de vérifier que la proposition faite par le garde des sceaux est bien conforme au parcours, au profil et aux états de service des magistrats en concurrence sur un même poste.
Le procureur financier national sera donc l’objet des mêmes garanties. Il occupera son poste durant sept ans, comme les autres procureurs de la République. C’est pour inscrire cela dans notre droit que nous avons présenté ce projet de loi organique qui modifie l’ordonnance du 22 décembre 1958.
Le procureur financier doit évidemment disposer de moyens dédiés. Le Gouvernement s’y est engagé. Dès 2014, une trentaine de postes seront créés ; ils sont inscrits dans le projet de loi de finances pour l’an prochain. Cela nous permettra de respecter les dispositions de l’article 22 du projet de loi, et ce parquet national prévu par le texte pourra fonctionner dès le mois de février 2014.
Reste un point rejeté par le Sénat : la possibilité pour les associations de se constituer partie civile. Les dispositions qui concernent les repentis et les lanceurs d’alertes et la possibilité pour les associations de se porter partie civile relèvent de la même logique, procèdent du même souci de créer les conditions de la dénonciation des faits délictueux visés. C’est dans cette logique, mais aussi en tirant les enseignements de la pratique et de la jurisprudence de la Cour de cassation que le Gouvernement a souhaité que les associations puissent se porter partie civile ; sur ce point, votre commission des lois avait d’ailleurs amélioré le projet du Gouvernement en première lecture.
Il ne s’agit pas, pour les pouvoirs publics, de répondre à une demande quelconque des associations : c’est une demande fondée et légitime, c’est aussi l’objet d’une recommandation d’organismes internationaux tout à fait officiels, comme l’OCDE. Lorsque, au mois d’octobre 2012, vous vous en souvenez, j’ai rendu public l’avis du Gouvernement sur le rapport de l’OCDE sur la lutte contre la fraude fiscale et la délinquance économique et financière, je m’étais engagée non seulement à inscrire dans notre code pénal ses préconisations visant à donner cohérence et efficacité à la lutte contre ces infractions mais aussi à permettre aux associations de se constituer partie civile. Le Sénat, considérant que les associations pourraient déclencher l’action publique et estimant que cette disposition comportait des risques, a souhaité récuser cette possibilité.
Affirmons-le avec force : ces inquiétudes ne sont pas fondées. Elles sont tout à fait concevables, certes, mais elles ne sont pas fondées, parce que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation dans la procédure relative aux biens mal acquis suscitée par une plainte de Transparency International que le parquet avait d’abord rejetée, pourront se porter partie civile les associations dont l’objet social est la lutte contre la corruption, et ce dans quatre cas précisément définis, dont la corruption, le trafic d’influence et le blanchiment. Ces associations auront fait l’objet d’un agrément, dans des conditions tout à fait transparentes fixées par un décret en Conseil d’État.
Les inquiétudes ne sont donc pas fondées. Ces associations sont des personnes morales tout à fait essentielles dans la lutte contre la corruption et contre les atteintes à la probité. En effet, dans ces situations, très souvent, il n’y a pas de victime identifiée ou identifiable ; la victime, c’est, globalement, la société. Il est important qu’il y ait des personnes morales qui fassent oeuvre sociale et juridique en luttant contre les atteintes à la probité et en déclenchant ainsi l’action publique.
Votre commission a choisi de rétablir cette disposition, ce dont le Gouvernement la remercie très vivement, et le texte a, à nouveau, été enrichi. Merci, mesdames et messieurs les députés, de votre travail de très grande qualité, éclairé par toutes les personnalités – professionnels et universitaires – qui ont réfléchi à ce problème, que vous avez sollicitées. Nous avons, je crois, toutes les raisons de nous satisfaire du texte présenté aujourd’hui à l’Assemblée nationale. C’est donc avec confiance que j’attends l’examen des articles et des amendements.
Nous aurons quelques discussions, dont certaines pourront être délicates ; je pense notamment aux amendements qui concernent les avocats. Nous allons en tout cas enrichir encore le texte, et je suis sûr que nous disposerons, à l’issue de cette nouvelle lecture, d’un texte de très grande qualité qui manifeste très clairement la volonté résolue de la puissance publique de lutter contre ces infractions et qui crée les conditions d’une politique publique efficace de lutte contre toutes les atteintes à la probité, contre toutes les corruptions, qui sont absolument, profondément, terriblement et définitivement insupportables pour des citoyens qui traversent en ce moment une période difficile, dont ils ne savent pas forcément quand elle se terminera.