Nous examinons aujourd’hui, en nouvelle lecture, le projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière et le projet de loi organique relatif au procureur de la République financier. Comme l’a rappelé Mme la garde des sceaux, nous n’avons pas réussi à nous mettre d’accord avec nos amis du Sénat en commission mixte paritaire à la fin du mois de juillet dernier. Il revient donc en nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, où il avait été adopté à la fin du mois de juin dernier.
Avant d’en venir à la présentation du texte adopté par la commission des lois, je veux rappeler, très brièvement, quelques éléments de contexte.
Faut-il encore le répéter ? Je crois que, grâce à notre travail collectif, de plus en plus de nos concitoyens en ont conscience : la fraude fiscale représente entre 40 et 80 milliards d’euros par an qui échappent aux caisses de l’État. Précisons, puisque cela m’a été demandé à plusieurs reprises, que ce que nous appelons l’évasion fiscale est le fait de concitoyens qui déposent leur argent dans des paradis fiscaux, et non pas de nos 2,5 millions de compatriotes qui habitent légalement à l’étranger. Mon collègue Pouria Amirshahi y a, une nouvelle fois, insisté auprès de moi, ainsi qu’Axelle Lemaire qui était intervenue à plusieurs reprises sur cette question. Il faut bien distinguer l’évasion fiscale, qui est le fait de Français qui se soustraient à l’impôt, et nos nombreux concitoyens qui vivent à l’étranger et paient leurs impôts, soit dans leur pays de résidence soit en France, selon les dispositions applicables.
Cette précision faite, je veux le répéter très solennellement : dans la période économique difficile que nous traversons, et malgré le budget de justice que présentera M. le ministre Bernard Cazeneuve dans les prochains jours, il n’est plus acceptable, au vu de l’état de nos finances publiques, que l’on se soustraie à l’impôt. Il faut, je le crois, saluer la volonté du Gouvernement de s’atteler à cette priorité qu’est la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Avec ce texte, dont je vous appelle à rétablir les dispositions supprimées par le Sénat, nous allons enfin donner à la justice et aux services de police et de douane les moyens d’enquête qui leur permettront d’être à la hauteur de l’enjeu. Nous allons aussi durcir la législation en vigueur, afin que ces délits ne soient plus considérés, ce qui était parfois le cas, comme accessoires, annexes, tolérablec. Aujourd’hui, il ne peut plus y avoir de tolérance pour l’évasion fiscale dans notre pays.
On en prend conscience non seulement en France mais aussi au niveau international. Vous le savez, le Gouvernement français a donné des impulsions fortes, notamment à l’OCDE, au mois de novembre 2012, lors du Conseil européen du 22 mai 2013, où le Président de la République avait insisté pour que cette question de la fraude fiscale soit à l’agenda européen, ou encore lors du G8 du mois de juin 2013, où tous les États se sont engagés sur la voie de l’échange automatique d’informations, qui est l’une des solutions pour lutter contre la fraude fiscale au niveau européen et mondial.
La lutte contre la corruption est un autre domaine dans lequel des évolutions internationales très positives sont en cours. Ainsi, la déclaration finale du dernier G20 tenu à Moscou au début du mois réaffirme l’importance capitale de la lutte contre le fléau de la corruption, et prône l’adoption au sein de l’OCDE de règles internationales plus contraignantes pour les États. Je sais, madame la garde des sceaux, que vous y êtes particulièrement attachée.
Dans ce contexte international favorable à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales et contre la corruption, la France doit, comme je l’ai indiqué, donner plus de vigueur, plus d’efficacité à son droit interne. En renforçant les sanctions pénales, en donnant des moyens supplémentaires à nos forces de l’ordre, nous pourrons éradiquer ce fléau.
J’en viens maintenant au texte adopté par la commission des lois.
Avant de présenter rapidement les modifications qu’elle a adoptées, je veux souligner le fait que, sur un grand nombre de dispositions du projet de loi, les positions de l’Assemblée nationale et du Sénat ont convergé. Nos positions sont effectivement les mêmes pour trente des soixante-trois articles du texte, notamment en ce qui concerne l’aggravation des peines du délit de fraude fiscale aggravée et la création du délit de fraude fiscale en bande organisée, l’application du statut de repenti en matière de corruption, de blanchiment et de fraude fiscale, la possibilité de porter les peines encourues par les personnes morales à 10 % de leur chiffre d’affaires en matière correctionnelle et 20 % en matière criminelle, l’aggravation des peines encourues pour les faits de corruption, la création d’un délit d’abus de biens sociaux aggravé, la protection des lanceurs d’alerte à l’article 9 septies, dont le Sénat a approuvé le principe, même s’il en a un peu modifié la portée ; je vous proposerai d’y revenir.
Mentionnons également les articles sur les saisies et confiscations, tous adoptés conformes ; la création d’un registre des trusts, disposition introduite à l’initiative de notre collègue Éric Alauzet ; l’encadrement de la politique transactionnelle de l’administration fiscale ; enfin, l’encadrement des prix de transfert, dispositif que notre assemblée avait voté à l’initiative de Sandrine Mazetier et de Karine Berger.
Par ailleurs, le Sénat a complété le projet de loi par dix-sept nouveaux articles destinés à renforcer les moyens d’action des administrations fiscale et douanière, dont certains sont parfaitement compatibles avec le texte adopté par l’Assemblée nationale. La commission a conservé ces articles, le cas échéant en améliorant leur rédaction.
Cependant, et sans remettre en cause l’utilité ni l’importance des articles votés par le Sénat, nos deux assemblées avaient adopté des attitudes très éloignées sur les articles qui constituaient le coeur des textes proposés par le Gouvernement puis adoptés par l’Assemblée nationale. Cela explique l’échec de la commission mixte paritaire. Pour moi, les textes adoptés par nos deux assemblées divergent principalement sur quatre points.
La première divergence porte sur l’article 1er, qui prévoit la possibilité pour les associations de lutte contre la corruption de se constituer partie civile. Le Sénat l’a supprimé, invoquant une possible privatisation de l’action publique. Sa position me paraît difficilement compréhensible, s’agissant de faits dont la dénonciation est rarissime car ils ne font pas de victimes directes – ou alors des victimes qui s’ignorent. De plus, la défiance exprimée à l’égard des associations anticorruption existantes me paraît totalement infondée, car elles accomplissent un travail de très grande qualité pour sensibiliser l’opinion publique au phénomène de la corruption et pour promouvoir la probité des agents publics et des élus. La commission a donc très logiquement rétabli l’article 1er tel qu’il avait été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture.
La deuxième divergence – qui est importante, vous l’avez souligné, madame la ministre – porte sur la création du procureur de la République financier. Le Sénat a rejeté cette création, et l’a remplacée par une extension des compétences du parquet et du tribunal de Paris. Le défaut de la solution adoptée par le Sénat est qu’elle ne répond ni à la nécessité d’une autonomie des moyens dédiés à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ni au besoin d’incarnation de la lutte contre cette délinquance, à la différence du texte proposé par le Gouvernement et adopté par notre assemblée.
Il ne s’agit pas, ici, de personnifier de façon excessive une fonction judiciaire, comme notre collègue M. Fenech l’a dit en commission, mais de faire du procureur financier le responsable national de la lutte contre la fraude fiscale complexe et la grande délinquance économique et financière, et de lui permettre d’être l’interlocuteur privilégié des autorités judiciaires européennes et du futur Procureur européen. La commission des lois a donc rétabli le texte de l’Assemblée nationale instituant ce procureur financier, en reprenant toutefois une modification opérée par la commission des lois du Sénat, concernant les modalités de désignation des magistrats.
La troisième divergence porte sur la possibilité de recourir aux techniques spéciales d’enquête en matière de fraude fiscale en bande organisée et de grande délinquance économique et financière, ainsi qu’en matière d’abus de biens sociaux aggravé. Le Sénat avait supprimé l’article 16 qui prévoyait cette possibilité. La commission des lois a rétabli cette possibilité, qui est indispensable pour que la justice puisse agir efficacement contre une délinquance qui s’est considérablement complexifiée et internationalisée.
Enfin, la quatrième divergence entre l’Assemblée nationale et le Sénat portait sur la possibilité pour les administrations fiscale et douanière de se fonder sur des preuves d’origine illicite dans le cadre de redressements ou d’enquêtes administratives. Le Sénat avait fortement restreint la portée du texte adopté par l’Assemblée nationale, au point de le priver d’une bonne partie de son intérêt. Sur la proposition de Mme Mazetier au nom de la commission des finances, la commission des lois a rétabli la rédaction de l’Assemblée nationale pour ces différents articles.
Voilà, mes chers collègues, très brièvement présenté, le contenu des deux projets de loi qui vous sont aujourd’hui soumis. Je vous demande de les adopter, pour poursuivre et consolider les efforts accomplis depuis plus d’un an à l’initiative du Président de la République et du Gouvernement, en vue de redresser nos comptes publics et de rétablir la justice fiscale dans notre pays.