Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le ministre, chers collègues, après l’intervention de Mme la garde des Sceaux, le rapporteur de la commission des lois, Yann Galut, a exposé avec son efficacité habituelle le cheminement de ce texte et les raisons pour lesquelles la commission mixte paritaire du 23 juillet dernier a échoué. C’est en raison de cet échec que nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner ces deux textes en nouvelle lecture. Je m’intéresserai singulièrement au projet de loi relatif à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, sur lequel la commission des finances s’est penché.
Au fil de nos travaux, en commission puis en séance, de nombreuses dispositions portant sur des sujets relatifs aux finances publiques ont été introduites dans ce texte. Le centre de gravité du texte s’est déplacé, et sa composante relative à la lutte contre la fraude fiscale s’est beaucoup renforcée. C’est pourquoi la commission des finances ne pouvait se désintéresser de cette nouvelle lecture.
Au cours de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, nous avons introduit de nombreuses dispositions. Je ne peux les énumérer toutes ; Mme a garde des Sceaux et Yann Galut y ont d’ailleurs fait référence à l’instant. Il me semble cependant utile de rappeler quelques avancées très importantes. Il me semble également utile de signaler que ces avancées ont pour point commun d’accroître l’information du Parlement, c’est-à-dire la capacité des représentants du peuple – que nous sommes – à juger de l’efficacité des mesures que nous votons, et surtout de l’effectivité de leur mise en oeuvre par l’administration.
D’abord, nous avons adopté plusieurs dispositions pour améliorer la transparence de l’engagement des poursuites pénales en matière de fraude fiscale. La composition de la Commission des infractions fiscales a ainsi été diversifiée, avec l’introduction de magistrats de la Cour de cassation, mais aussi de personnalités qualifiées désignées par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat – donc, d’une certaine manière, par nous-mêmes. En outre, la commission des infractions fiscales publiera désormais un rapport d’activité qui fera l’objet d’un débat parlementaire. L’information et les possibilités d’action des parlementaires sont donc accrues.
Par ailleurs, à mon initiative, nous avons prévu la remise au Parlement, par l’administration fiscale, d’un rapport sur les informations transmises par la justice dans le cadre de l’article L. 101 du Livre des procédures fiscales, afin de renforcer et d’améliorer les relations entre la justice et l’administration fiscale. Cette intention a été affichée et réaffirmée par Mme la garde des Sceaux, comme par M. le ministre du budget, en première lecture comme au cours des travaux ultérieurs sur ce texte.
Ensuite, s’agissant de la politique transactionnelle, nous avons défini de façon claire et explicite les conditions dans lesquelles l’administration fiscale peut transiger, et surtout les conditions dans lesquelles elle ne peut pas le faire. Aussi étrange que cela puisse paraître s’agissant de finances publiques, cela ne relevait pas du domaine de la loi, ce qui autorisait des pratiques très disparates d’un point à l’autre du territoire national. Par exemple, le nombre de transactions conclues varie dans un rapport de un à quarante entre la Loire-Atlantique et les Alpes-Maritimes. C’est évidemment en totale contradiction avec les principes d’égalité devant la loi, d’égalité devant la sanction et d’égalité devant l’impôt, qui forment le socle de notre pacte social. Cette disparité était si grande que certains ont pu écrire récemment, cet été, dans une tribune de presse, que « l’épaisseur du carnet de chèques permet de transiger avec Bercy là où le vulgum pecus connaît les affres de la justice ». Eh bien, désormais c’est fini, ce ne sera plus le cas, et les parlementaires seront là pour y veiller.
La portée de la disposition prévue dans le projet de loi à propos de la recevabilité des preuves avancées par l’administration fiscale, quelle que soit leur origine, a été accrue : son champ d’application est étendu aux douanes. Les modalités de transmission des preuves ont été assouplies, et le champ des actes d’investigation que ces preuves pourront permettre d’accomplir a été élargi, avec l’accord du Gouvernement.
Je ne reviendrai pas sur l’importante disposition que Mme la garde des Sceaux a rappelée tout à l’heure dans son propos liminaire : le statut de repenti fiscal, qui permet d’éviter une peine de sept ans de prison. Ce statut ne permet cependant pas d’éviter toute peine de prison, et certainement pas les sanctions fiscales qui punissent la fraude. Cette disposition permettra de démanteler des filières extrêmement sophistiquées et opaques. C’est une très grande avancée : je remercie le Gouvernement de nous avoir accompagnés sur ce chemin.
Nous avons en outre adopté de nombreuses mesures permettant d’améliorer l’efficacité du contrôle fiscal ou de combler ses failles. J’évoquerai, à l’initiative de plusieurs groupes de la majorité, l’amélioration du contrôle des prix de transfert, par exemple par la modification – introduite par un amendement du groupe SRC – des obligations de documentation incombant aux entreprises. J’évoquerai également le renforcement de l’efficacité des contrôles fiscaux inopinés et la modernisation du droit de visite des douanes en matière de perquisitions informatiques. Il me faut aussi mentionner le contrôle de la délivrance des numéros individuels d’identification de TVA intracommunautaire, mesure introduite au moyen d’un amendement très astucieux, très intelligent et très efficace du groupe GDR, que Nicolas Sansu a défendu – je tenais à lui en rendre hommage. Je citerai enfin l’alourdissement des sanctions pour non déclaration de trusts – amendement important défendu ardemment par Éric Alauzet au nom du groupe écologiste.
S’agissant de la lutte contre les paradis fiscaux, je rappellerai également qu’à l’initiative – cette fois-ci – du Gouvernement nous avons introduit une disposition faisant de l’absence d’échange automatique d’informations un critère permettant de considérer un État ou un territoire comme non coopératif. La France est ainsi arrivée en position de force au dernier G20 – qu’évoquait tout à l’heure Yann Galut – à Saint-Pétersbourg, où la lutte contre la fraude fiscale a fait l’unanimité. Vous aurez remarqué que peu de sujets faisaient l’unanimité lors de ce dernier G20 ! Lors de ce sommet, la France a pesé pour que l’échange automatique de données devienne désormais la norme, en lieu et place des échanges à la demande.
Le Sénat a adopté ces différentes mesures soit de façon conforme, soit en y apportant des améliorations. Plus rarement, il y a apporté des restrictions. Pour les dispositions concernées par ce dernier cas de figure, nous sommes revenus en commission au texte de l’Assemblée nationale. C’est particulièrement vrai de la question – pour nous centrale – de la recevabilité des preuves pour l’administration fiscale et les douanes. On peut dire que c’était notre principal point de désaccord : le Sénat avait fortement restreint la portée du texte que nous avions adopté, au risque de le priver en grande partie de son efficacité. Les articles 10 à 10 quater ont donc été rétablis dans leur rédaction issue de nos travaux.
Nous avons également modifié en commission, en nouvelle lecture, des dispositions relatives à l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, en indiquant de façon explicite que les rapporteurs généraux et les présidents des commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat auront accès, dans le cadre de leurs missions de contrôle, aux informations dont dispose l’ACPR. Là encore, il s’agit d’une augmentation des pouvoirs du Parlement. Dans ce domaine, je crois que nous n’en avons jamais assez – d’ailleurs, dans aucun domaine nous n’avons assez de pouvoirs.
Enfin, le Sénat a introduit une dizaine d’articles nouveaux visant à améliorer les moyens et les procédures en matière de lutte contre la fraude fiscale. Nombre d’entre eux apportent d’utiles améliorations aux dispositifs existants, notamment s’agissant des logiciels dits permissifs.
À l’issue de travaux ayant duré plusieurs mois, il me semble que nous sommes parvenus à un texte qui comporte de nombreuses avancées et améliore sensiblement nos outils de lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Il n’épuise pas, bien sûr, le sujet : d’autres dispositions, notamment en matière d’optimisation fiscale des entreprises, devraient trouver leur place dans le projet de loi de finances. Je sais que beaucoup de groupes – en tout cas, plusieurs groupes de la majorité – feront des propositions dans ce sens.
Je salue la conviction et l’énergie de tous les groupes de la majorité, mais aussi de certains collègues de l’opposition, aussi déterminés que nous à trouver des solutions efficaces contre ce fléau – même si nous ne sommes pas toujours d’accord quant aux moyens proposés. Je remercie le Gouvernement pour son écoute et pour son respect du travail parlementaire, dont témoigne le nombre d’amendement et d’articles additionnels adoptés avec avis favorable du Gouvernement. Je tiens aussi à rendre hommage à Yann Galut, dynamique rapporteur de la commission des lois…