Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 10 septembre 2013 à 15h00
Accès au logement et urbanisme rénové — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

…à ceux qui tentent de s’en sortir dans les foyers d’hébergement saturés, à ceux qui sont cantonnés aux immeubles insalubres et dangereux, à ceux qui n’ont d’autre choix que de payer à prix d’or un marchand de sommeil, à ceux qui dorment dans des habitats provisoires et précaires, en mobil-home, sous tente, en squat. Et à ceux, enfin, de plus en plus nombreux, qui sont à la rue, alors même que des dizaines de milliers de logements et de bâtiments sont vacants.

Face à cela, la droite et certains lobbies prétendent que les locataires sont trop protégés en France. Comment accepter un tel discours ? Vous avez répondu avec des mots fermes et justes, madame la ministre. Comment en effet accepter ces protestations indécentes de grands propriétaires qui se victimisent, prétendant subir les oukases du Gosplan sitôt que le législateur tente d’arranger la situation ? Comment accepter le chantage de ceux qui dorment au chaud et qui menacent de laisser leurs appartements vacants s’ils ne peuvent pas en tirer un profit maximal ? Comment accepter l’arrogance d’une droite responsable en grande partie de la situation dramatique, et qui vient aujourd’hui donner des leçons ?

Ne soyons pas dupes de ces discours. IIs sont au service d’intérêts bien précis. Pour notre part, nous défendons l’intérêt du plus grand nombre, le bien commun, tout simplement. Aussi, ne pouvons-nous pas nous résoudre à l’impuissance organisée et aux mesures cosmétiques.

Madame la ministre, monsieur le rapporteur, pour constituer et finaliser ce vaste projet de loi, vous avez pris le temps de consulter et de concerter, ce que je salue. Pourtant, cette concertation n’a pas abouti à des choix suffisamment forts. Dans votre volonté louable de répondre à l’urgence, vous avez, de fait, trop sacrifié l’essentiel. Vous avez oublié, pourrait-on dire, l’urgence de l’essentiel. J’en veux pour preuve votre dispositif d’encadrement des loyers. Vous le savez, nous sommes partisans résolus d’un encadrement efficace des loyers. D’ailleurs, nous avions déposé deux propositions de loi dans ce sens lors de la précédente législature. Or, avec votre projet de loi, le compte n’y est pas.

Pour vous le démontrer, je voudrais citer le rapport. Page 23, il est dit : « Dans les zones tendues, le déséquilibre entre l’offre, restreinte, et la demande, forte, a généré une hausse exponentielle des loyers qui […] a conduit à des niveaux de loyers irrationnels, et parfois indécents au regard des caractéristiques des logements. » Or, cinq phrases plus loin, il est écrit à propos du dispositif d’encadrement mis en place : « L’objectif poursuivi n’est pas de faire baisser les loyers moyens. »

Pourquoi diable ne pas vouloir baisser les loyers, même moyens, s’ils atteignent des niveaux irrationnels ? Comment se satisfaire d’un tel manque d’ambition, à l’heure où la situation des ménages les plus modestes est véritablement désespérée ? Pourquoi annoncer un encadrement des loyers si celui-ci ne vise qu’un petit nombre de baux exorbitants, qualifiés d’exagérément élevés par vous-même, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques ?

Pour notre part, nous estimons qu’une baisse n’est pas souhaitable, mais indispensable. Les loyers sont trop élevés, vous le dites vous-même dans le rapport : 40 % des ménages dépensent pour se loger plus de 40 % de leurs revenus. C’est une véritable confiscation des ressources des familles, une déprédation du pouvoir d’achat populaire. Je rappelle que celui-ci connaît, ces derniers mois, une chute qui constitue un record depuis l’année 1984. Il ne faut pas se résoudre à prendre simplement acte de la hausse vertigineuse des loyers de la dernière décennie, et encore moins se contenter de l’avaliser en la gravant dans le marbre légal ! Il faut la combattre, cette hausse des loyers. C’est pourquoi nous proposons des amendements qui introduisent un encadrement plus rigoureux et, à nos yeux, plus efficace.

D’autre part, votre dispositif comporte de nombreuses possibilités de dérogation pour les bailleurs. Il ne s’applique que dans le parc privé. Il ne s’applique que dans les zones tendues. Il peut être contourné pour tout logement présentant des « caractéristiques exceptionnelles », ainsi que pour tout logement qui fera l’objet de projets de rénovation. Aucun contrôle n’est prévu. Aucune sanction n’est prévue. Le recours judiciaire permis au locataire n’aura quasiment jamais lieu, car comme vous l’établissez à la page 36 de votre rapport, « les locataires n’intentent que très peu d’actions en justice ».

Et pour cause ! Comment pourraient-ils le faire alors que les propriétaires peuvent si facilement faire pression sur un locataire gênant, au moyen du congé, par exemple ? Quel locataire, après les mois de galère que constitue la recherche d’un logement en zone tendue, osera se retourner contre le propriétaire qui a consenti à lui louer son bien ?

Marcel Aymé a eu cette phrase forte et tellement juste : « L’injustice sociale est une évidence si familière, elle est d’une constitution si robuste, qu’elle paraît facilement naturelle à ceux mêmes qui en sont victimes. » On retrouve cela dans les difficultés que pourraient avoir les locataires à se retourner contre les bailleurs.

Aussi, madame la ministre, comme les associations spécialisées, nous n’attendons pas – et je le dis sans vouloir faire un procès d’intention – des résultats tangibles de votre encadrement des loyers. Je le dis tranquillement, sans posture, parce que c’est ma conviction à la lecture du texte.

En autorisant un plafond supérieur de 20 % au loyer médian, il risque d’inciter les propriétaires à se rapprocher de ce plafond pour tirer le maximum de bénéfices de leurs surfaces louables. Tels sont en quelque sorte les effets contre-productifs, voire pervers, que pourraient avoir les mesures que vous proposez.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion