Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du 1er octobre 2013 à 15h00
Simplification et sécurisation de la vie des entreprises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République :

Il s’agit, certes, d’un projet de loi d’habilitation, mais il n’en requiert pas moins un examen attentif par le Parlement du champ et de la portée des habilitations sollicitées par le Gouvernement.

Le délai accordé est d’autant plus insuffisant que ce texte souffre, contrairement aux deux lois d’habilitation que j’ai évoquées tout à l’heure, d’une très grande hétérogénéité de ses dispositions.

Pour remédier à ces difficultés, la commission des lois souhaite adresser au Gouvernement deux suggestions. La première, qui ne pourra s’appliquer qu’aux futurs – et éventuels – projets de loi d’habilitation, serait de consulter, en amont, les présidents des assemblées ainsi que ceux des commissions concernées sur le champ de l’habilitation que le Gouvernement envisage de solliciter. À ma connaissance, et même si le texte a été préparé pour partie avec un parlementaire en mission, cela n’a pas été fait pour le présent projet de loi, alors que c’est la méthode qui avait été suivie, par exemple en 2004, pour la transposition de directives par ordonnances. Les présidents des assemblées et des commissions compétentes avaient alors été consultés sur la liste des directives à transposer par ordonnances, et les avant-projets d’ordonnances avaient également été transmis avec le projet de loi d’habilitation, lorsqu’ils étaient prêts. C’est une bonne pratique qui gagnerait à être suivie, naturellement dans le respect de l’article 38 de la Constitution.

La seconde suggestion pourra, elle, s’appliquer au présent projet de loi. Elle vise à améliorer le suivi de l’habilitation par le Parlement. Au lieu de se limiter à ratifier l’ordonnance adoptée, en y apportant, le cas échéant, des modifications, il serait souhaitable que le Parlement soit tenu informé de l’état d’avancement des travaux des ordonnances que le Gouvernement a été autorisé à adopter. Le Gouvernement pourrait ainsi adresser aux présidents des commissions saisies au fond et pour avis, dès qu’ils seront prêts, les avant-projets d’ordonnance. Il pourrait également associer des parlementaires aux groupes de travail chargés de préparer ces ordonnances.

Pour ne prendre qu’un exemple, la réforme du droit des entreprises en difficulté qu’autorise l’article 2 intéresse nombre de nos collègues, en particulier ceux qui ont été membres de la mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale.

Je me félicite que la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et de l’économie numérique, Mme Fleur Pellerin, ait répondu favorablement à cette suggestion lors de l’examen du texte par la commission des lois. Nous serons attentifs au respect de la démarche annoncée.

J’en viens maintenant au contenu du texte, sur lequel je serai rapide, compte tenu de l’excellent exposé qui en a déjà été fait par le ministre. Ce contenu est très divers, et le ministre l’a reconnu lui-même.

Les mesures qui sont proposées concernent, pour partie, la simplification et la sécurisation de la vie des entreprises. Parmi les plus significatives, je citerai l’allégement des obligations comptables des très petites entreprises et des petites entreprises, le développement de la facturation électronique entre l’État, les collectivités territoriales et leurs établissements publics et leurs fournisseurs ou encore la suppression de certaines obligations administratives et l’allégement du régime des conventions réglementées, prévues par les articles 1er et 3. Signalons également l’assouplissement de l’obligation de reporting social et environnemental pesant sur les mutuelles et les établissements de crédit, lorsqu’ils ne dépassent pas certains seuils, ce que prévoit l’article 9.

L’article 2, que j’ai déjà mentionné, vise à habiliter le Gouvernement à réformer le droit des entreprises en difficulté, sans remettre en cause l’architecture générale des procédures collectives. En matière de droit des entreprises en difficulté, ce ne sont cependant pas tant les différentes procédures elles-mêmes qui sont en cause, mais leur mise en oeuvre. Procéder par ordonnance en la matière revient à légiférer sans le recours à une étude approfondie des dysfonctionnements dénoncés qui ont des conséquences lourdes sur notre économie, sur l’emploi et sur les chefs d’entreprise mis en liquidation, notamment.

Plusieurs dispositions concernent les professions juridiques réglementées. L’article 4 vise à faciliter l’accès au statut de notaire salarié, en assouplissant la règle du « un pour un », qui limite leur nombre à un par notaire titulaire d’office ou associé. L’article 5 autorise la création du statut d’avocat aux conseils salarié. L’article 6 autorise le Gouvernement à modifier la réglementation applicable aux experts-comptables.

Les dispositions suivantes sont pour le moins très variées. Certaines concernent les obligations déclaratives des établissements où sont pratiquées des activités sportives, la société du Grand Paris, l’État actionnaire, la transposition de directives et l’adaptation de notre législation à des règlements adoptés récemment par l’Union européenne en matière bancaire et financière. J’appelle d’ailleurs l’attention de nos collègues de la commission des finances sur l’importance des textes transposés, parmi lesquels figurent la directive dite « CRD4 », qui met en oeuvre en droit européen les accords dits de « Bâle III », ainsi que les futurs règlements européens créant le mécanisme de surveillance unique du secteur bancaire par la Banque centrale européenne. Ils marquent une étape importante vers l’union bancaire, et je ne doute pas que le Gouvernement associera cette commission à l’élaboration des ordonnances prévues, comme je l’ai évoqué plus tôt pour la réforme du droit des entreprises en difficulté.

D’autres dispositions du projet de loi visent à moderniser le droit de l’environnement et à mettre en place, à titre expérimental, des procédures simplifiées innovantes pour la réalisation de leurs projets d’activités économiques.

Enfin, l’article 16, qui n’est pas d’habilitation, tend à reporter du 1er janvier 2012 au 1er janvier 2015 l’obligation de mettre en place une signalétique commune sur les produits recyclables soumis à un dispositif de responsabilité élargie des producteurs, afin d’informer les consommateurs que ce produit relève d’une consigne de tri.

Le présent projet de loi s’inscrit dans une démarche de simplification nouvelle, la « modernisation de l’action publique », qui tire les leçons des dysfonctionnements du processus de simplification mené sous la précédente législature ainsi que de la révision générale des politiques publiques. Je déplore cependant que, s’éloignant de cette ambition, le texte souffre d’une grande hétérogénéité et d’un manque de cohérence de ses dispositions. Il comporte, en effet, de trop nombreuses dispositions ne relevant pas de la simplification de la vie des entreprises. Les habilitations proposées sur ces sujets sont, certes, utiles et justifiées. Leur insertion dans le présent projet de loi affaiblit cependant sa cohérence et sa lisibilité. Prises isolément, elles relèveraient d’ailleurs de la compétence d’au moins trois autres commissions. Deux d’entre elles, celles des affaires économiques et celle du développement durable, se sont d’ailleurs saisies pour avis, et je tiens à saluer la qualité du travail effectué par leurs rapporteurs. Le caractère hétéroclite du texte va sans doute s’accroître à l’issue de nos travaux, compte tenu des amendements déposés par le Gouvernement, qui portent sur des sujets aussi variés que la caisse commune de sécurité sociale de la Lozère, le mode de calcul du taux d’intérêt légal ou le cadre juridique de la gestion d’actifs.

Pour l’avoir dénoncé en son temps, je souhaite pour ma part que nous évitions de renouer avec les dérives constatées sous la précédente législature, dont la loi du 22 mars 2012, relative à la simplification du droit et à l’allégement des démarches administratives fut sans doute la pire illustration. Ce texte, issu d’une proposition de loi qui comportait 94 articles, a « enflé » au fil des travaux, jusqu’à en compter 133 ! Il a donné lieu à l’annulation, par le Conseil constitutionnel, de pas moins de onze cavaliers législatifs. Le texte final, malgré ces annulations, donne l’impression d’une juxtaposition de dispositions éparses, sans rapport les unes avec les autres, souvent suggérées par des administrations ou des représentants du monde professionnel heureux de trouver là un véhicule juridique permettant l’adoption de diverses mesures en toute fin de législature. Sa densité et son hétérogénéité, combinées au recours à la procédure accélérée, n’avaient pas permis un examen parlementaire serein et approfondi, pourtant indispensable pour assurer la qualité de la loi.

Le présent texte est, heureusement, fort éloigné de telles dérives. Son caractère hétéroclite, je le répète, et le calendrier de son examen me conduisent cependant à formuler une mise en garde, afin d’éviter que le Gouvernement ne renoue avec ces pratiques. Sous cette réserve, de forme et non de fond, parce que les mesures proposées sont toutes utiles, la commission des lois vous invite à adopter le projet de loi dont notre assemblée est saisie.

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