Intervention de Victorin Lurel

Réunion du 17 octobre 2012 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Victorin Lurel, ministre des Outre-mer :

Je remercie les président Jean-Paul Chanteguet et Jean-Claude Fruteau d'avoir organisé cette table ronde, qui me donne l'occasion de préciser notre feuille de route. Le Président de la République a inclus, dans ses trente engagements pour l'outre-mer, l'objectif d'en faire des territoires d'excellence environnementale et d'y défendre la ruralité. Ceci implique des actions en matière de biodiversité, de transition énergétique, de soutien aux communautés, de ressources phyto-génétiques – ce point est susceptible de soulever des questions constitutionnelles quand aura lieu la ratification du protocole de Nagoya. Ces engagements pour l'outre-mer s'inscrivent dans le cadre général des soixante engagements pour la Nation.

Sur la méthode, le Gouvernement persiste et signe. Elle passe d'abord par la concertation, malgré les critiques. Elle se fait en amont et implique tous les acteurs, toutes les collectivités, tous les chercheurs. La conférence environnementale a donné quelques orientations, en matière d'énergie et de biodiversité, à décliner par des stratégies territoriales, dans un calendrier contraint puisque cela devra être fait cet automne. Il en sortira deux projets de loi qui seront adoptés, je l'espère, d'ici juin ou au plus tard septembre 2013.

Des problèmes d'organisation apparaissent quand il faut plusieurs conférences sur un même territoire : une conférence sociale, une conférence environnementale, une conférence sur la transition énergétique… Il a donc été demandé aux préfets d'organiser une conférence environnementale doublée d'une conférence économique et sociale.

Quels sont aujourd'hui les besoins dans les outre-mer ? Ils portent sur des éléments basiques : l'énergie, l'eau potable, le traitement des eaux usées et des déchets, les transports collectifs, les risques naturels, la lutte contre les pollutions. C'est une nouvelle ambition à affirmer. La plupart des réseaux d'équipement ne sont plus aux normes. Quelques évaluations avaient été faites en vue d'une rénovation pour des stations d'épuration et des canaux d'évacuation : la facture s'élevait à 300 millions d'euros pour la seule Guadeloupe.

Le traitement des déchets est un problème outre-mer, même si quelques actions ont été engagées. La France se trouve régulièrement condamnée par la Cour de justice de l'Union européenne.

Certains élus n'ont pas compris pourquoi l'État allait prendre en charge à 100 % la construction de certains équipements, par exemple de Centres de stockage de déchets ultimes (CSDU). Je considère qu'il a objectivement intérêt à assurer intégralement le financement de ces installations. Agir dans le sens du développement durable doit permettre de préserver l'héritage des générations futures. C'est une ambition à réaffirmer et à accompagner de financements durables. Il y a là une urgence mobilisatrice.

Sur les transports collectifs, le débat public est engagé, à La Réunion, en Martinique… Il est évident qu'il faut sortir du « tout automobile » en fléchant les actions sur les vingt ou trente années à venir.

Il est indispensable de réarmer l'État pour opérer un retour en termes d'intervention quand les besoins de base ne sont pas satisfaits. Il faut s'en donner les moyens, et donc abonder le fonds d'investissement pour passer des contrats avec les territoires. Ne nous concentrons sur des thématiques restrictives – c'était le défaut de la stratégie de Lisbonne.

S'agissant des risques naturels, il y aurait beaucoup à dire. Pour le plan séisme, certaines collectivités ont refusé la contractualisation. Il faut rapidement réévaluer le dispositif.

Sur l'épandage aérien au-dessus les bananeraies, l'État a décidé de faire appel des deux jugements rendus, le 3 octobre, par les tribunaux administratifs de Basse-Terre et de Fort-de-France. Nous réaffirmons le principe ferme d'interdiction d'épandage aérien de produits phytosanitaires. Mais les dommages économiques peuvent être rapides ; on l'a vu à Sainte-Lucie où toute la bananeraie d'exportation a disparu en neuf mois. Ce problème concerne aussi 100 000 hectares de cultures dans l'Hexagone, ainsi que le riz de Guyane. Actuellement, des dérogations sont données presque tous les six mois pour répandre des fongicides mêlés d'un adjuvant, le banole. En l'état des connaissances scientifiques, rien n'indique une toxicité de ces produits. Les tribunaux ont censuré l'arrêté préfectoral dérogatoire, au nom du principe de précaution, au motif que le banole n'a pas fait l'objet d'analyse spécifique. L'ANSES doit remettre une étude sur le sujet d'ici la fin du mois. En attendant, un nouvel arrêté pris hier autorise la reprise de l'épandage aérien de fongicides sans banole. Évidemment, si l'ANSES donne l'alerte, le Gouvernement prendra les mesures nécessaires. Toutefois, je le répète, l'enjeu est de trouver un équilibre entre le développement d'une agriculture familiale et vivrière et le maintien d'une agriculture d'exportation. Comme ancien directeur de chambre d'agriculture, je vous assure qu'il s'agit d'un sujet des plus complexes. Le Gouvernement n'est, bien sûr, pas favorable à une systématisation de l'épandage aérien. M. Stéphane Le Foll et moi-même avons d'ailleurs évoqué la révision de l'arrêté encadrant les dérogations ce matin : il conviendra à terme d'identifier une alternative mais, d'ici là, l'encadrement strict est une solution que nous assumons.

S'agissant de l'accès aux ressources génétiques et de la mise en place d'un partage équitable des avantages au profit des populations locales, je le répète, la ratification du protocole de Nagoya risque de nous placer face à de sérieuses difficultés vis-à-vis des peuples dits « premiers » de Guyane.

Le Président de la République s'est engagé à développer la chimie verte et à encourager l'utilisation durable des ressources phyto-génétiques. Or l'enjeu principal demeure la lutte contre la brevetabilité. Nous disposons en France d'un puits de carbone grâce à la partie guyanaise de l'Amazonie. Cette forêt regorge de molécules qui pourraient être exploitées si elles n'étaient pas d'ores et déjà brevetées. Le combat est engagé, je tiens à vous en assurer. Bien évidemment, s'agissant de la préservation de la biodiversité, la principale difficulté tient à l'identification d'un équilibre juste entre préservation de la nature et activités humaines.

C'est pourquoi la rédaction d'un projet de loi sur la biodiversité nécessite une profonde réflexion et une large concertation. À titre d'exemple, en Guadeloupe, la création d'aires marines protégées a entraîné des conflits d'usage, notamment avec les pêcheurs. Il en va de même des parcs naturels marins et terrestres, de la protection des mammifères et du plan chlordécone : il faut proposer des solutions équitables. Nous sommes le pays le plus protégé au monde ! Dans l'Hexagone, ces débats existent également, mais l'insularité leur confère un caractère plus passionné.

En conclusion, je souhaite dire un mot du programme du Gouvernement s'agissant de l'agriculture outre-mer. Nous étions face à une alternative : déposer un projet de loi spécifique ou consacrer aux outre-mer un volet du texte que déposera prochainement M. Stéphane Le Foll. Nous avons choisi cette dernière option, par souci de rapidité. Le titre du projet de loi relatif à l'outre-mer comportera deux parties : d'abord une codification à droit constant de dispositions éparpillées dans divers textes, ensuite une modernisation de l'agriculture outre-mer. Il convient en effet de repenser le modèle familial basé sur deux UTH – unité travailleur humain – afin de prendre en compte les spécificités ultramarines. Le projet de loi traitera évidemment des facteurs de développement mais également des acteurs : les agriculteurs eux-mêmes, leurs conjoints, leurs associés, leurs salariés, leurs revenus d'activité et leurs retraites – trop souvent parmi les plus faibles de la République.

Ces pays sans hiver méritent une attention particulière du législateur pour des adaptations indispensables. Je vous remercie vivement de votre écoute, et de l'organisation de cette table-ronde sur des sujets trop rarement abordés, ce qui permet au Gouvernement de préciser son action.

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