Intervention de Éric Alauzet

Séance en hémicycle du 30 octobre 2013 à 21h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière-procureur de la république financier — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet :

Le soutien du groupe écologiste au projet de loi contre la fraude est évidemment acquis. C’est un projet de loi qui n’était pas initialement inscrit au programme législatif et que nous devons à la réaction bienvenue du Gouvernement à une désastreuse affaire de fraude au plus haut niveau. Une loi qui transforme un événement malheureux en progrès réel pour notre société. Une loi par laquelle le Gouvernement et les groupes parlementaires de la majorité ont fait preuve d’un bel opportunisme pour répondre à des questions qui étaient posées depuis si longtemps.

Je veux insister sur le lien entre la loi sur la fraude et nos priorités, pour mieux mettre en lumière la profondeur de ce texte. Nous avons, au Gouvernement et au Parlement, une obsession commune : lutter contre le chômage et créer de l’emploi. Pour y parvenir, nous avons besoin de moyens financiers : intervention de l’État et des collectivités, moyens privés, notamment des banques. Nous avons aussi besoin de confiance. Pour retrouver les moyens financiers et la confiance, il faut réduire la dette. Baisser la dette, c’est redonner des moyens à la puissance publique, garantir des taux bas, accessibles aux ménages et aux entreprises, et mobiliser des prêteurs. Réduire la dette, pour restaurer les comptes publics, c’est donc la condition d’une économie saine et offensive pour assurer la transition écologique.

Ce redressement des comptes publics, nous voulons le faire dans la justice. Cela signifie que chacun doit contribuer à hauteur de ses moyens à la solidarité nationale. Il est de notre responsabilité d’éliminer les échappatoires à l’impôt, même si, sur certains bancs de cet hémicycle, à droite, on donne un peu facilement l’absolution à celles et ceux qui tentent de s’y soustraire au motif que son niveau serait confiscatoire, argument peu raisonnable dans la mesure où chacun sait que la tentation de l’évitement existe dans tous les pays, y compris ceux qui ont la fiscalité la plus faible.

Quels sont les leviers pour réduire la dette ? L’augmentation des impôts d’abord. Nous l’avons fait, vous l’avez fait – pour ce qui nous concerne en visant les plus favorisés. Reconnaissons toutefois que cela a parfois éclaboussé les classes moyennes, d’autant que nous n’avons pu effacer immédiatement les mesures prises par le précédent gouvernement. La réduction de la dépense publique ensuite. Chacun s’y emploie, à tous les niveaux, mais quand elle est trop violente, l’objectif de justice lui-même est remis en cause. Bref, l’augmentation des impôts comme la réduction de la dette peuvent troubler nos objectifs de justice.

Devant les limites de ces leviers, mieux lutter contre la fraude et la grande délinquance économique et financière apparaît désormais comme une évidence, pour donner de l’air à l’économie, soutenir le pouvoir d’achat des ménages et créer de l’emploi. Dans la mesure où l’impôt ne pourra pas beaucoup augmenter, où la baisse de la dépense publique devra être modérée pour ne pas nous exposer à l’austérité, nous ne devons pas manquer la présente occasion. La restauration de l’assiette fiscale constitue désormais le troisième pilier du renouveau économique.

Cet enjeu répond précisément au double défi qui est devant nous. Le premier est le défi financier, celui du rendement, alors que la fraude et l’évasion fiscales font s’évaporer entre 30 et 80 milliards de recettes fiscales tous les ans. Les sommes en jeu représentent tout simplement ce qui permettrait que la dette ne pèse plus sur notre économie ! Le second enjeu est le défi de la justice et de l’ordre moral. Il est désormais impensable d’imaginer que des efforts de quelque nature, augmentation des impôts ou réduction de l’action publique, puissent être consentis quand tant d’injustice fiscale demeure. Il incombe à chaque citoyen, plus que jamais en période de crise, d’honorer sa charge. C’est le contrat républicain qui est en jeu et le consentement à l’impôt de l’ensemble de nos concitoyens. Si les plus riches échappent à l’impôt, pourquoi l’ensemble des Français devraient-ils y consentir ?

Depuis des mois, c’est pas à pas et avec détermination que la majorité construit un arsenal législatif permettant à notre pays de mieux s’armer contre la fraude et l’évasion fiscales : loi de finances rectificative de 2013, dont les mesures sont parfois passées inaperçues, loi sur la transparence des activités bancaires, présente loi sur la fraude qui revient ce soir en dernière lecture, loi de finances initiale pour 2014, encore en discussion, avec des dispositions importantes pour lutter contre l’optimisation fiscale des grandes entreprises.

Sur cette question de l’optimisation fiscale, nous ne sommes qu’à l’aube du premier jour. Pourtant, les résultats sont bien tangibles, les rendements des mesures sont réels. Le bilan de la lutte contre la fraude en 2012, publié par la délégation nationale à la lutte contre la fraude, témoigne d’une meilleure efficacité. Ainsi, nous sommes capables de détecter plus de fraudes et donc de récupérer des montants plus élevés qui avaient été injustement soustraits aux réglementations en vigueur. Le contrôle fiscal réalisé en 2012 a permis de générer 18 milliards d’euros de droits et de pénalités, soit 10 % de plus que l’année précédente. Le résultat de cette lutte, à laquelle le Gouvernement souhaite donner toute son ampleur pour ne plus regarder, impuissant, les milliards s’évaporer, doit aujourd’hui être pris en compte dans les analyses de la Commission européenne, du Fonds monétaire international ou encore de la Cour des comptes sur la situation française et la trajectoire de réduction de la dette.

Si les objectifs de réduction de la dette sont clairs, rien ne dit comment nous devons y parvenir : réduction de la dépense, augmentation des impôts, restauration de l’assiette fiscale. Or les organismes européens ou français, dans leur orthodoxie bien connue, n’ont pas encore pris en compte cette dernière dimension. Il est plus que temps qu’ils prennent enfin en considération la volonté de lutter contre l’évasion fiscale et de restaurer l’assiette fiscale.

Cette prise en compte est d’autant plus nécessaire que la communauté internationale trouve aujourd’hui des convergences plus fortes sur ce sujet que sur la question de l’harmonisation fiscale ou de la réduction de la dette publique. Nous ne sommes pas seuls, même si la France est en pointe, à avoir déclaré la guerre aux paradis fiscaux : un mouvement international est en marche. Les États-Unis ont été pionniers, en mettant en oeuvre dès 2010 le FATCA, qui impose à l’ensemble des banques mondiales de déclarer aux autorités américaines tous les mouvements affectant un compte détenu par un citoyen américain. En Angleterre, David Cameron, qui incarne pourtant le libéralisme en Europe, a pu ouvrir le G8 de juin dernier en Irlande du Nord – tout un symbole – en annonçant qu’il avait obtenu de dix de ses territoires d’outre-mer, qui sont tous des paradis fiscaux, qu’ils signent l’accord de l’OCDE sur le partage automatique des données fiscales. Depuis, David Cameron a fait de la lutte contre l’optimisation fiscale l’une de ses priorités. Il a d’ailleurs annoncé qu’il utiliserait sa présidence du G8 cette année pour mener une action transfrontalière contre l’évasion fiscale.

Les discussions porteront également sur la nécessité de créer des registres internationaux, afin de débusquer les identités cachées derrière les trusts, ces sociétés écrans qui permettent de contourner les contraintes fiscales des différents pays. Les scandales des derniers mois autour de Google, de Starbucks ou encore d’Amazon, accusées de ne pas payer assez d’impôts dans les pays où elles sont implantées, ont entraîné une forte réaction des opinions publiques. La Commission européenne, en raison de ses pouvoirs en matière de contrôle et de concurrence, a réclamé cet été à trois États membres, les Pays-Bas, l’Irlande et le Luxembourg, des renseignements sur les accords fiscaux qu’ils négocient au cas par cas pour attirer sur leur sol les multinationales, afin de vérifier que certaines entreprises ne bénéficient pas d’avantages indus. L’Irlande, pays à fiscalité privilégiée pour un grand nombre d’entreprises, a décidé de se montrer moins clémente. S’il ne semble pas d’actualité de modifier son taux réduit d’impôt sur les sociétés, actuellement de 12,5 %, il est par contre envisagé de rendre impossibles les montages permettant de loger les profits réalisés dans des holdings, avant de les localiser dans des juridictions à fiscalité nulle, comme les îles Caïman, les Îles Vierges britanniques ou les Bermudes. Pour cela, les entreprises enregistrées en Irlande ne devraient plus bénéficier du statut d’apatrides fiscales.

C’est dans cet esprit général que s’inscrit ce projet de loi renforçant les moyens de lutte contre la fraude, durcissant les peines et instaurant de la transparence dans ce milieu opaque. Je retiendrai, à titre de satisfaction personnelle pour notre groupe, la protection donnée aux lanceurs d’alerte et la transparence faite sur les trusts, parmi d’autres mesures proposées par les groupes de la majorité qui ont, comme nous, enrichi le projet du Gouvernement.

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