Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les présidents de commission, mesdames et monsieur les rapporteurs, chers collègues, l’accord franco-italien concernant le projet de ligne ferroviaire de fret et de voyageurs Lyon-Turin, qui nous est présenté aujourd’hui, mérite que l’on s’y arrête un peu, compte tenu de son coût global, de l’ordre de 26 milliards d’euros, même si l’accord franco-italien soumis aujourd’hui à notre vote ne concerne que la portion qui va de Montmélian au tunnel de l’Orsiera.
Premièrement, ce projet ne tient pas compte de l’état actuel du trafic. Il faut en effet rappeler qu’il date du début des années quatre-vingt-dix, époque où les prévisions de trafic entre la France et l’Italie faisaient état d’une augmentation très importante. La réalité a démenti les prévisions : après un pic de trafic en 1998, avec 34,7 millions de tonnes transportées, celui-ci est redescendu à 26,7 millions de tonnes en 2006, soit bien avant la crise, pour continuer à décroître ensuite. Tout démontre que le fret entre la France et l’Italie est en diminution constante depuis quinze ans, et aucun élément ne peut étayer la thèse d’un retournement de situation : l’essentiel du trafic européen se fait par les grands ports du nord de l’Europe vers le sud, selon un axe nord-sud. Le trafic d’ouest en est, depuis la péninsule ibérique vers les pays de l’Est, n’est qu’un trafic secondaire, sans augmentation significative prévisible. Ce projet, je le répète, est fondé sur des hypothèses de croissance de trafic anciennes, qui ne sont plus exactes à ce jour.
Deuxièmement, la ligne existante est sous-employée et pourrait être suffisante. La ligne transalpine actuelle, celle du Mont-Cenis, pourrait absorber l’essentiel des besoins : sa capacité a été portée à 20 millions de tonnes par an, mais son trafic se limite actuellement à 3,4 millions de tonnes de trafic réel, soit à peine 20 % de sa capacité reconnue. Les conditions de sécurité y sont en outre suffisantes : M. le ministre des transports lui-même nous l’a assuré en juillet dernier.
Remarquons qu’au début des années quatre-vingt, bien avant la rénovation, ce sont plus de 11 millions de tonnes qui passaient par ce corridor. La rénovation qui a été faite, pour 1 milliard d’euros, portait essentiellement sur la sécurisation, l’abaissement des plates-formes dans les tunnels et le remplacement de ponts, sur le Rhône et à Brison-Saint-Innocent ; les améliorations qui restent à faire sont essentiellement liées au pilotage par informatique du trafic. Les innovations technologiques existent et fonctionnent : mon excellent collègue, François-Michel Lambert, vous en parlera dans quelques instants. Pour information, la ligne actuelle du Saint-Gothard, avec des rampes plus fortes que celles de la Maurienne, permet le passage de 14,4 millions de tonnes de fret chaque année.
Troisièmement, des sommes très importantes seront nécessaires, qui ne sont pas financées à ce jour. La Cour des comptes, dans son rapport et son référé de l’été 2012, déplorait que les pistes alternatives au percement d’un tunnel n’aient pas été explorées. Dans le même temps, elle pointait que le coût annoncé du tunnel de base, à savoir 8,4 milliards d’euros, était sous-évalué ; elle l’estimait pour sa part supérieur à 11 milliards d’euros, soit 3 milliards d’euros d’écart. La Cour des comptes ajoutait que ce projet serait d’une faible rentabilité socio-économique.
Pour l’heure, le seul financement assuré est celui de l’Union européenne, qui prendrait en charge 40 % du seul tunnel de base, soit un peu plus de 4 milliards d’euros, mais on ignore si elle irait au-delà. Je ferai en outre remarquer que lorsque l’Union européenne paie, ce n’est pas gratuit : ce sont bien les contribuables qui paient. Pour le reste, la Cour des comptes parle, dans son rapport, d’un financement non défini. De son côté, la commission Mobilité 21, sans avoir été saisie de ce projet qui a une dimension européenne, a tout de même remarqué que l’heure n’était plus aux grands projets, mais qu’il fallait répondre aux besoins locaux, qui sont urgents et bien réels. Dans une période où chaque euro dépensé doit être soupesé, cela mérite qu’on y regarde à deux fois.
Quant aux conditions économiques de l’exploitation, elles ne sont pas déterminées, aux dires M. Louis Besson lui-même. Or s’il y a un déficit d’exploitation, l’argent public sera sollicité : voilà un autre sujet de réflexion. On nous parle de relance économique, mais celle-ci est pour le moins incertaine. De grandes annonces, assez diverses, ont été faites sur l’emploi : on a entendu qu’il pourrait y avoir jusqu’à 6 000 emplois créés ; tout à l’heure, c’était 3 500.