La séance est ouverte.
La séance est ouverte à neuf heures trente.
L’ordre du jour appelle la discussion, selon la procédure d’examen simplifié, en application de l’article 103 du règlement, de quatre projets de loi autorisant l’approbation d’un traité et de trois accords internationaux (nos 1377,1474 ; 1330,1464 ; 1331,1465 ; 1332,1466).
Ces textes n’ayant fait l’objet d’aucun amendement, je mets directement aux voix, en application de l’article 106 du règlement, l’article unique de chacun d’entre eux.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.
L’article unique est adopté, ainsi que l’ensemble du projet de loi.
L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (nos 1475, 459, 1496).
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la rapporteure pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur de la commission des affaires étrangères, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de me retrouver avec vous ce matin pour échanger sur la nécessité de ratifier l’accord passé le 30 janvier 2012 entre le Gouvernement français et le gouvernement italien concernant la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne à grande vitesse dite « Lyon-Turin ».
Je suis heureux, parce que la ratification de cet accord est un beau rendez-vous parlementaire. Il permet à votre assemblée de participer à la construction européenne, à travers une avancée importante, sur un projet de très grande envergure à l’échelle du continent européen. Il est en effet essentiel, ne nous y trompons pas, d’apprécier la pertinence de cette nouvelle ligne ferroviaire au-delà de son seul impact régional.
Certes, il est évident que pour les régions concernées en France et en Italie, une nouvelle infrastructure de cette qualité, reliant des pôles économiques stratégiques et améliorant la mobilité des citoyens européens, représente un formidable intérêt. Mais un tel projet mérite de prendre un peu de distance et d’examiner ce qu’il représente au regard de la structuration des échanges à l’échelle du continent européen tout entier.
Observons la carte de l’Europe en considérant l’ensemble des réseaux européens qui se développent aujourd’hui, et au coeur de ces réseaux, la place que notre pays occupe.
Aujourd’hui, force est de constater qu’une part de l’avenir de l’Europe se joue dans le transfrontalier et le développement des échanges, à l’image du tunnel de Lötschberg entre la Suisse et l’Italie, ou encore de celui du Brenner qui sera mis en service en 2025 entre l’Italie et l’Autriche. Ces pays voisins investissent dans de grandes liaisons leur permettant de dessiner de nouveaux horizons pour leurs citoyens comme pour leurs entreprises en même temps qu’il renforce l’armature des échanges entre le nord et le sud.
Avec la liaison Lyon-Turin, il s’agit de relier non pas seulement la France à l’Italie mais aussi la péninsule ibérique au sud-est de l’Europe, aux Balkans, aux pays du partenariat oriental, ce qui veut dire, en pratique, replacer la France au centre de gravité de l’Europe.
Nous devons faire preuve d’ambition pour l’avenir de notre territoire, pour l’avenir de nos concitoyens, pour la compétitivité de nos entreprises, pour la durabilité de notre environnement naturel. Alors, ce que je souhaitais vous dire aujourd’hui, c’est qu’avec la ratification de cet accord, nous avons la possibilité de franchir une étape, de marquer un pas, pour l’avenir géographique, stratégique et économique de notre pays au coeur du projet européen. Ce pas revêt une importance toute particulière alors que nous sommes, comme vous le savez, engagés depuis maintenant dix-huit mois avec le Président de la République dans une réorientation de l’action européenne.
Quel est le rapport, me demanderez-vous ? Je vous répondrai que ce rapport est on ne peut plus clair, et ce, au regard d’au moins trois des objectifs que nous nous sommes fixés pour mettre en oeuvre ce projet.
Le premier objectif, c’est celui de construire une France forte qui entretient de solides relations avec ses plus proches partenaires européens. Lorsque nous sommes arrivés aux responsabilités, notre objectif était clair : tout mettre en oeuvre pour que la France soit à l’impulsion de la réorientation de l’Europe, qui n’avait d’autre objectif que l’austérité à perte de vue vers une politique équilibrée, tournée vers la relance, la croissance et l’emploi.
Pour y parvenir, pour dessiner ce nouvel horizon, il fallait avant tout que la France retrouve sa place au coeur de la construction européenne, en lien naturellement avec l’Allemagne. Nous l’avons fait avec succès. Je l’ai rappelé à plusieurs reprises devant vous, en particulier cette semaine lors de mon audition devant la commission des affaires étrangères et lors des questions au Gouvernement de mardi.
Mais il fallait aussi redonner de la vigueur aux relations privilégiées qui nous unissent à d’autres partenaires européens. L’Italie occupe à cet égard une place singulière. Et depuis mai 2012, et plus encore depuis la nomination d’Enrico Letta, elle est redevenue un partenaire prioritaire et privilégié de la France. Sur de très nombreux sujets européens comme internationaux – la réorientation en faveur de la croissance, le soutien aux initiatives accompagnant la jeunesse vers l’emploi, la construction d’une politique de voisinage Sud, la politique de sécurité et de défense –, nos deux pays ont des intérêts et des approches très similaires. Notre partenariat avec Rome s’est donc renforcé et constitue un moyen de mieux défendre nos intérêts communs au niveau européen.
Après une période durant laquelle la France et l’Italie ont connu des relations que je qualifierai de façon diplomatique de « mouvementées », elles se sont donc retrouvées. Les changements politiques dans nos deux pays y ont fortement contribué.
Ce rapprochement était une nécessité. Nous ne devons pas perdre de vue notre histoire commune. Il n’y a pas tant de pays au monde qui peuvent dire que leur amitié repose sur plus de deux millénaires d’échanges, d’apports mutuels, de destins communs et de croisements culturels aussi étroits et intenses que ceux qui existent entre nous. Ce rapprochement s’explique par notre convergence sur de nombreux dossiers européens, et par notre volonté de travailler ensemble. Il s’illustre au quotidien par les importants échanges commerciaux entre nos deux pays : l’Italie est, ne l’oublions pas, notre deuxième client et notre troisième fournisseur.
C’est donc dans ce contexte que va prendre place le prochain sommet bilatéral, le 20 novembre à Rome. Et le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin sera au coeur de ce rendez-vous. L’Italie a déjà bien engagé le processus de ratification de son côté. Je peux attester de la motivation de nos voisins transalpins qui, à chacune de nos rencontres, me font part de leur volonté d’aboutir rapidement. J’en ai eu encore la confirmation ce week-end à l’occasion d’un échange sur ce dossier avec le président du Conseil italien, M. Letta.
Nous devons nous aussi montrer à l’Italie que la France s’investit et croit en l’avenir commun de nos deux pays. Nos relations ont rarement été aussi étroites et productives – c’est même peut-être sans précédent –, et la ratification de cet accord dont vous allez décider constitue une pierre supplémentaire à l’édifice du partenariat franco-italien. Il traduit une même vision de l’avenir de l’Europe que nous partageons : celle d’une Europe ambitieuse, qui se projette vers l’avenir, et qui se bâtit au travers de grands projets d’envergure transfrontalière, à l’image du futur Lyon-Turin.
Le deuxième objectif dans lequel s’inscrit la ratification de cet accord, c’est notre investissement pour la croissance durable et pour l’emploi.
Cet accord pose un cadre : celui de la future construction de la liaison ferroviaire entre les agglomérations de Lyon et de Turin. Ce projet recèle un haut potentiel en matière de développement économique, de croissance et d’emploi. Ce potentiel repose sur les deux finalités de ce projet, qui méritent l’une comme l’autre notre soutien : améliorer la liaison pour les usagers de cette future ligne à grande vitesse, en termes de facilité d’accès comme de rapidité ; basculer de la route vers le fret le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes.
Dans les deux cas, ce projet a un intérêt économique indéniable. Les régions Rhône-Alpes, Piémont et Lombardie représentent des pôles économiques importants, et la barrière des Alpes constitue un frein à leur développement, développement qui serait favorisé par cette liaison.
Le chantier lui-même représente déjà un potentiel important en termes de créations d’emplois, sachant que plus de la moitié des emplois du futur promoteur seront créés en France. Par ailleurs, nous savons tous ici que la mobilité est une des clés pour l’accès à l’emploi et à de nouveaux marchés. Ainsi, le temps de parcours entre Paris et Milan passera de sept à quatre heures. Nous savons tous aussi à quel point il est important pour les entreprises dans nos territoires de pouvoir acheminer leurs marchandises, ou d’être livrées rapidement. C’est également une donnée déterminante de la compétitivité de notre économie à laquelle répond la création de ce corridor à priorité fret ambitieux.
Ajoutons que ce projet aura également des incidences réelles en termes de développement durable. La France et les États de l’arc alpin, se sont tous engagés et de manière concertée dans une politique volontariste de report modal, visant à réduire la part de fret routier longue distance et à favoriser les modes alternatifs. Sa réalisation permettra à terme d’augmenter sur ce corridor la part modale du transport ferroviaire de 20 à 55 % et de reporter près d’un million de poids lourds par an de la route vers le rail.
Combien d’entre nous ne se sont pas dit, en doublant des files entières de camions, qu’il suffirait finalement d’un train pour rendre ces embouteillages, ces risques et cette pollution inutiles ? Il faut en finir avec le mur de camions qui traverse les Alpes. C’est une dimension très importante du projet Lyon-Turin. Il permettra ainsi de réduire les nuisances et la production des gaz à effet de serre subis par les vallées alpines du fait de leur forte fréquentation par les poids lourds, et la pollution ne connaît pas de frontière. La multimodalité, c’est l’avenir de notre économie comme de notre planète.
Le troisième objectif, c’est celui d’une France ambitieuse, qui se saisit de l’espace européen pour bâtir son avenir et celui de ses concitoyens.
Investir les espaces transfrontaliers, c’est investir pour l’avenir. Ce n’est pas par hasard si, de François Mitterrand à François Hollande, en passant par Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy,…
…tous les Présidents de la République qui se sont succédé étaient convaincus et se sont engagés sur ce projet, comme leurs gouvernements, comme les ministres des transports ou de l’écologie qui se sont succédé.
Bâtir l’avenir de nos concitoyens, c’est saisir toutes les opportunités pour faire avancer les politiques et les chantiers qui auront des bénéfices directs pour leur quotidien.
Bâtir leur avenir, c’est aussi leur proposer de nouveaux challenges, de nouvelles ambitions, de nouveaux projets, positifs, concrets, et dont ils pourront être fiers. C’est précisément ce que propose cet accord, en poursuivant notre investissement dans les espaces transfrontaliers, en redessinant les cartes, en pensant un aménagement du territoire qui offrira à la France comme à l’Europe de nouvelles perspectives d’avenir.
Il y a deux semaines, j’étais à Grenoble, cher Michel Destot, où j’ai eu la chance de réunir des représentants de sept gouvernements européens, dont l’Italie, la Slovénie, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, le Liechtenstein pour le lancement de la stratégie macrorégionale alpine. Derrière ce nom se révèle un projet ambitieux qui sera porté par l’Union européenne pour créer un espace transfrontalier autour de toute la chaîne des Alpes, pour fédérer nos moyens financiers et nos idées au service des territoires concernés par le massif alpin. Alors, forcément, je me dis que la ratification de cet accord vient s’ajouter à cette dynamique transfrontalière que nous sommes en train de créer entre pays européens et dont la charte a été signée, il y a quinze jours, dans la capitale des Alpes.
Au-delà de la liaison entre la France et l’Italie, il permettra de relier l’Espagne à la Slovénie et à la Hongrie. Ce projet créera un arc qui rapprochera 350 millions de citoyens européens. Barcelone sera ainsi à cinq heures de Turin. Ce tunnel, à lui seul, devrait permettre la mise en réseau de 5 000 km de lignes existantes dans l’arc est-ouest. À l’image de ce que l’axe Rhin-Danube est aujourd’hui à l’Europe et à notre pays, nous créerions ainsi un « Lisbonne-Kiev ».
Il faut aussi observer le sens de ce que nous faisons ensemble pour l’avenir de notre pays en Europe. Nous nous sommes battus, au cours du second semestre 2012 et au début de 2013 pour préserver les moyens budgétaires de ce que nous appelons la politique de cohésion, et pour que l’Europe relance ses investissements d’avenir, parmi lesquels les infrastructures de transport au coeur des territoires.
Dans le prochain cadre financier pluriannuel pour 2014-2020, ce sont ainsi plus de 13 milliards d’euros qui seront mis à disposition pour créer de nouvelles infrastructures de transport, via le mécanisme d’interconnexion européen. Il doit être approuvé par le Parlement européen le mois prochain et l’Europe, toute l’Europe nous envie ce projet dont nous parlons aujourd’hui. Il nous faut saisir cette opportunité. Ce projet est éligible aux 40 % de l’Union européenne. Cela a été confirmé le 17 octobre dernier à Tallinn par le commissaire Siim Kallas à mon collègue et ami Frédéric Cuvillier, très impliqué dans ce dossier Lyon-Turin. Il resterait donc 35 % à l’Italie et 25 % seulement à la France. La volonté de l’Italie dans ce dossier est on ne peut plus claire, et s’est déjà traduite par des engagements.
Il ne faut pas se tromper : la ratification de cet accord n’engage pas nos finances publiques : ce sera un autre débat et vous y participerez. Elle amorce un projet qui inscrit la France au coeur du XXIe siècle, une France qui sait se saisir des opportunités pour l’avenir de son pays et de ses concitoyens, une France intégrée et motrice aux côtés de ses partenaires.
Je ne peux conclure sans vous dire un dernier mot sur ce que représente réellement la ratification de cet accord à l’heure où l’euroscepticisme monte, où les Français doutent de notre capacité à répondre à leurs attentes et à leurs besoins et à relever de grands défis. La seule réponse, comme le dit le Président de la République, c’est la réponse par les actes. Ces actes sont autant de symboles manifestes de notre volonté de prendre la morosité ambiante à revers.
Renouer avec les grands projets européens est une réponse, un symbole sans faille. Ce sont eux qui, demain, rendront les Français fiers d’être des Européens. C’est avec tous ces éléments en tête, et notamment au regard de l’importance que revêt l’approfondissement de nos relations avec notre partenaire italien, que le Gouvernement vous demande, de bien vouloir ratifier cet accord franco-italien.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Michel Destot, rapporteur de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, c’est un grand honneur et un plaisir pour moi de rapporter ce matin, devant vous, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord franco-italien du 30 janvier 2012 pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin. Un honneur, car l’examen de ce texte en commission des affaires étrangères, la semaine dernière, laisse entrevoir un soutien significatif de la représentation nationale pour un projet concret, majeur et structurant sur lequel je souhaite revenir brièvement.
Pourquoi vouloir créer une nouvelle liaison ferroviaire transalpine ? Le constat est simple : l’existant n’est pas satisfaisant. Les principaux axes qui relient notre pays à l’Italie, qui est notre deuxième partenaire économique avec près de 70 milliards d’euros d’échanges par an, sont soit saturés soit obsolètes et dangereux. Mon rapport recense l’ensemble de ces inconvénients. Par exemple, la voie ferrée qui conduit au tunnel ferroviaire actuel souffre de pentes excessives, allant jusqu’à 3,3 %, soit bien au-delà du seuil de référence fixé à 1,2 % pour les trains de marchandises. Ce facteur, auquel s’ajoute la sinuosité de la ligne, limite fortement la vitesse des convois qui ne peut excéder 30 kilomètres heure sur certains tronçons.
Aussi, aujourd’hui, l’essentiel du trafic transalpin passe par la route, que ce soit par les tunnels du Mont-Blanc ou du Fréjus ou par l’autoroute A 8 qui longe la côte méditerranéenne. Ces axes constituent une vraie nuisance pour l’environnement et posent un réel problème en matière de sécurité, comme l’ont montré les accidents dans les deux tunnels routiers, en 1999 et 2005.
Le projet d’une nouvelle liaison ferroviaire entre Lyon et Turin vise donc à pallier ces insuffisances en permettant de basculer, de la route vers le fer, le trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes. Près de 2,7 millions de poids lourds franchissent annuellement les passages franco-italiens, soit près de 7 400 camions par jour. Au total, 40 millions de tonnes transitent chaque année par les divers modes de transport, à travers les passages franco-italiens, entre Léman et Méditerranée. Cet ordre de grandeur de 40 millions de tonnes est d’ailleurs celui de la capacité de la future ligne Lyon-Turin, capacité qui sera donc disponible pour le fret indépendamment des trains de voyageurs. Le projet est donc cohérent pour permettre un report modal efficace de la route vers le rail – et c’est là l’élément essentiel du projet – et un transfert de passagers des avions vers les trains puisque les gains de temps escomptés pourraient drainer plus d’un million de personnes par an. Lyon et Turin seront reliés en une heure quarante cinq environ, contre près de quatre heures aujourd’hui, Paris et Milan seront reliés en quatre heures trente environ, contre sept heures aujourd’hui, et cela vaut aussi pour la desserte d’Annecy, de Chambéry et de Grenoble.
Et d’Aix-les-Bains !
Sourires.
Vous avez raison, monsieur le ministre !
Mes chers collègues, à ce jour les travaux de la ligne en tant que telle n’ont pas commencé. Bien évidemment, de nombreuses études ont été menées et, en ce qui concerne le tunnel de base, le principal ouvrage transfrontalier de cinquante-sept kilomètres de long, trois galeries – trois descenderies – ont été construites côté français et une est en train de l’être côté italien. L’accord dont nous sommes saisis vise à aller plus avant dans le processus de réalisation de la ligne et fixe les conditions dans lesquelles cet ouvrage, au terme de sa réalisation, sera exploité.
L’une des principales dispositions de l’accord est la création d’un nouveau promoteur public qui succédera à celui créé en 2001 et qui était chargé de mener les études et travaux préparatoires. Ce nouveau promoteur sera chargé de la conduite opérationnelle et stratégique de la partie transfrontalière du projet, c’est-à-dire, pour l’essentiel, du tunnel de cinquante-sept kilomètres que je viens d’évoquer. Jusqu’à présent, le promoteur dépendait des gestionnaires d’infrastructures des réseaux ferrés nationaux, RFF pour la France et RFI pour l’Italie. À l’avenir, il sera directement contrôlé par les États eu égard à l’importance de l’investissement. Je signale que la réalisation de cet ouvrage majeur devrait générer, au plus haut de l’activité des chantiers de la section transfrontalière, plus de 3 500 emplois directs et indirects, en France et en Italie.
Par ailleurs, l’accord revêt une dimension financière importante. En particulier, il fixe une clé de répartition pour la réalisation du tunnel. La France ne financera que 42 % environ des travaux et l’Italie 58 %, alors que le tunnel étant majoritairement situé en France, une application rigide du principe territorial aurait conduit notre pays à payer plus que l’Italie pour un ouvrage profitant aux deux États. En fait, les accès français étant plus coûteux, la clé de répartition retenue permet de mieux assurer une parité globale entre les deux pays dans la réalisation du tunnel de base et des accès côté français et côté italien.
Mes chers collègues, la ratification de l’accord est indispensable pour envisager le début des travaux de la section transfrontalière, lesquels ne pourront débuter qu’après la conclusion d’un nouveau traité, comme le prévoit l’article 4 de l’accord franco-italien initial du 29 janvier 2001.
Autant en parler dès à présent, car j’imagine que ces questions seront soulevées au cours de la discussion générale : je ne partage pas les conclusions de la Cour des comptes dans son référé d’août 2012.
L’augmentation des coûts prévisionnels entre 2002 et aujourd’hui est indéniable ; mais elle est due, pour une large part, à l’inflation et à un renforcement significatif des règles de sécurité. On ne peut s’en plaindre.
De même, il est inexact de dire qu’on n’aurait pas étudié suffisamment l’hypothèse d’une amélioration de la voie ferroviaire qui existe déjà.
Transformer la ligne historique serait extrêmement coûteux, puisqu’en fait il faudrait tout casser petit à petit – ce qui veut dire interrompre le trafic – et cela durerait beaucoup plus longtemps que les dix ans de travaux du Lyon-Turin.
De même, je veux affirmer ici que le rapport de la commission Duron ne remet pas du tout en cause le projet de cette nouvelle ligne ferroviaire. Elle avait exclu le tunnel de son périmètre d’analyse, qui ne prenait pas en compte les projets européens. Mais pour ce qui est des accès français, elle a souligné l’intérêt, à terme, de leur réalisation ; et si elle a évoqué des incertitudes sur le calendrier du tunnel, elle n’en a pas moins recommandé un suivi spécifique d’ici à cinq ans, autrement dit à 2018. Et c’est là une échéance parfaitement compatible avec une durée de chantier d’une dizaine d’années au minimum, pour le tunnel de base.
Enfin, non seulement la commission « Mobilité 21 » n’a pas écarté le projet de ligne ferroviaire mixte, mais elle a aussi souligné la dimension européenne de ses enjeux, puisqu’elle a pris soin de rappeler que la France devait inscrire sa politique de mobilité « dans une cohérence avec l’espace et les flux européens pour assurer une meilleure interopérabilité et au-delà une meilleure intégration de notre territoire dans l’Union », ce qu’a rappelé, à l’instant, M. le ministre.
C’est d’ailleurs sur cette dimension européenne que je souhaite conclure. Bruxelles soutient le projet du Lyon-Turin, lequel est un pilier du réseau trans-européen de transport. L’Union européenne est prête à apporter une contribution financière significative, puisque sa part va atteindre 40 % du coût des travaux du tunnel transfrontalier, évalués à 8,5 milliards d’euros, pour lequel la contribution française sera finalement de 25 % : 40 % pour l’Europe, 35 % pour l’Italie et 25 % pour notre pays.
Cette contribution européenne est un élément décisif pour la poursuite du projet. Les gouvernements français et italien l’ont souligné l’an dernier, en réaffirmant leur attachement à la participation financière la plus élevée possible de la part de l’Union européenne ; ils ont été entendus.
Il appartient désormais à notre assemblée de marquer son soutien à la future liaison ferroviaire mixte, à quelques semaines de l’ouverture du prochain sommet franco-italien qui aura lieu à Rome le 20 novembre prochain. Ce sera là un geste fort, qui confirmera l’engagement de la France en faveur du projet et qui ne pourra que conforter l’Italie dans sa démarche volontariste. Un engagement qui, je tiens à le rappeler, a pris forme durant la présidence de François Mitterrand et qui a été renouvelé par tous ses successeurs, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et aujourd’hui François Hollande.
Albert Camus, dans L’Homme révolté, écrivait que « la vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». C’est dans cet esprit, mes chers collègues, que je vous invite à adopter, comme l’a fait la commission des affaires étrangères à une large majorité, avec détermination, responsabilité et enthousiasme, le projet de loi qui nous est soumis.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme Catherine Quéré, rapporteure pour avis de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Pour la première fois, la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire se saisit pour avis d’un projet de loi de ratification d’un accord international. Il est en effet particulièrement important que nous puissions ratifier le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin, quelques semaines avant le sommet bilatéral franco-italien prévu le 20 novembre prochain. Mais avant d’aborder le fond du projet, je tiens à préciser deux points.
Premièrement, il s’agit d’une liaison ferroviaire et non, comme on l’entend souvent, d’une ligne à grande vitesse : sur la future liaison, aucun train n’atteindra la vitesse de 250 kilomètres heure qui constitue la définition européenne de la grande vitesse. Il s’agit certes d’aller plus vite, tant pour les voyageurs que pour le fret, mais le « tout TGV » n’est plus d’actualité. La terminologie des années 1980, quand on parlait d’un TGV Lyon-Turin uniquement consacré aux voyageurs, est totalement dépassée : l’accent est désormais mis sur le fret, et le fait de porter la vitesse des trains de fret à 120 kilomètres heure représente déjà un progrès considérable.
Deuxièmement, nous sommes nombreux dans cet hémicycle, et plus particulièrement parmi les membres de la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à nous montrer très attentifs à la durabilité des projets qui nous sont proposés.
Venons-en au projet de liaison entre Lyon et Turin, aux arguments politiques, techniques et diplomatiques.
La nouvelle ligne ferroviaire mixte – voyageurs et fret – bénéficiera aux déplacements régionaux, nationaux et européens à travers les Alpes. Bien plus qu’un projet d’infrastructure de transport, c’est un projet de territoire, porteur d’enjeux environnementaux, économiques et sociaux importants pour les régions concernées - et bien au-delà, en raison de sa valeur ajoutée européenne.
Si la saturation technique de la liaison ferroviaire historique n’est pas encore avérée - et pour cause, j’y reviendrai - le seuil de saturation sociale dû au passage des poids lourds à la frontière franco-italienne est largement dépassé. En 2010 et 2011, ce sont près de 7 400 poids lourds qui ont franchi chaque jour les passages routiers entre la France et l’Italie.
Par le report modal massif de la route vers le rail qu’elle rendra possible, la liaison Lyon-Turin contribuera à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, de la quantité de produits nocifs rejetés dans l’atmosphère et des nuisances sonores, dans les vallées alpines comme sur le littoral méditerranéen, sans parler des risques d’accident.
La nouvelle liaison ferroviaire constituera en outre une prouesse technique remarquable. L’ouvrage central sera le tunnel bi-tube long de 57 kilomètres, auquel s’ajouteront sur le territoire français huit autres tunnels, dont celui de Chartreuse, qui fera près de 25 kilomètres, six viaducs ainsi qu’une cinquantaine d’ouvrages d’art.
Comme l’a dit M. le rapporteur, la commission « Mobilité 21 » présidée par notre collègue Philippe Duron n’a pas remis en cause la légitimité du projet. Elle ne s’est pas prononcée sur le projet de tunnel de base, exclu de son périmètre d’analyse, en raison de son caractère international. Elle a en revanche souligné l’intérêt de faciliter et de consolider les accès français inclus dans le périmètre d’analyse et dans le classement final, en confirmant la nécessité de leur réalisation et en les intégrant aux secondes priorités de son scénario numéro deux, celui retenu ensuite par le Gouvernement, tout en préconisant un réexamen tous les cinq ans. Le premier aurait donc lieu en 2018.
Le Lyon-Turin est soutenu par une volonté politique forte, constamment réaffirmée depuis les années 1990 par les autorités françaises et italiennes, en particulier en France par quatre présidents de la République successifs. Il a déjà fait l’objet de deux accords bilatéraux, en 1996 et en 2001, et le texte qu’il est aujourd’hui question de ratifier, signé à Rome le 30 janvier 2012, constitue la troisième étape de ce processus.
Il s’agit, soulignons-le, d’une étape intermédiaire, puisque c’est en 1994, dans le cadre de l’Union européenne, qu’il a été décidé de mener ce projet. Le lancement des travaux définitifs de construction devra faire ultérieurement l’objet d’un nouvel accord bilatéral.
Il s’agit, réaffirmons-le, d’une étape importante de la réalisation du Lyon-Turin dans sa partie internationale. Le texte précise ainsi la gouvernance du projet par les deux États, définit le droit applicable au règlement des différends et clarifie le partage des coûts de la section internationale, sur laquelle il porte exclusivement.
Sa participation au financement des travaux de réalisation de la partie transfrontalière pourra atteindre 40 %. C’est donc un bond capacitaire qu’il faut accomplir. C’est une véritable autoroute ferroviaire à grand gabarit et à haut débit qu’il s’agit de réaliser, au bénéfice de l’environnement dans les régions alpines franco-italiennes, de la sécurité des usagers des passages routiers alpins et du développement économique de toute l’Europe du sud.
Pour toutes ces raisons, au nom de mon attachement à notre territoire et de l’équilibre nécessaire entre le développement technique et le respect de notre patrimoine naturel, je considère que le projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin est un bon projet. C’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à voter ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires étrangères.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues – mais je tiens également à saluer Louis Besson, notre ancien collègue et toujours ami, qui a beaucoup travaillé sur ce projet et qui assiste à nos débats dans les tribunes –, il est rare que nous ayons à examiner des textes qui revêtent des enjeux aussi importants et structurants que le projet de loi dont nous sommes aujourd’hui saisis.
Je ne vais pas revenir sur le contenu même de l’accord du 30 janvier 2012 puisque, après le ministre, nos rapporteurs Michel Destot et Catherine Quéré ont apporté les précisions nécessaires. Je voudrais surtout mettre l’accent sur la dimension européenne de cette initiative, qui a très tôt été inscrite parmi les projets du réseau transeuropéen de transports.
Celui-ci compte aujourd’hui trente grands projets prioritaires en matière de transports, dont dix-huit projets ferroviaires, parmi lesquels l’axe prioritaire qui va de Lyon à la frontière ukrainienne – car ce n’est pas seulement un projet franco-italien – et qui inclut donc la ligne ferroviaire mixte entre Lyon et Turin.
Cette inscription dans le réseau transeuropéen de transports est importante, car elle implique que le projet Lyon-Turin est appelé à recevoir un financement substantiel de la part de l’Union européenne. L’Union prévoit une enveloppe conséquente pour les projets de transport, dans le prochain cadre financier pluriannuel 2014-2020 - le Président de la République et vous-même y avez personnellement veillé - puisqu’au total, ce sont plus de 23 milliards d’euros qui devraient être alloués au mécanisme européen d’interconnexion pour les transports. Et la Commission européenne a confirmé que la nouvelle liaison Lyon-Turin serait éligible à des subventions européennes, et ce, comme l’a souligné Michel Destot, jusqu’à 40 % des dépenses.
C’est là un point extrêmement positif, décisif à vrai dire. Grâce à cet apport significatif de l’Europe, ainsi qu’à la clef de financement retenue par la France et l’Italie, notre pays ne paiera que 25 % du coût du tunnel transfrontalier de 57 kilomètres de long, maillon essentiel de la ligne Lyon-Turin. Je crois vraiment qu’il faut saisir cette chance.
Le Lyon-Turin ancre l’Union européenne dans une dimension concrète que comprennent nos concitoyens. En ces moments de défiance à l’encontre de l’Union européenne, je crois important de montrer ce qu’elle nous apporte dans notre vie quotidienne, alors qu’on l’accuse trop souvent d’être déconnectée de la réalité et des préoccupations des Européens. Nous avons là un projet qui contribuera à lui donner un visage et une portée concrète, au service du fret, des passagers, de l’environnement en réduisant, comme l’a souligné Catherine Quéré, la pollution dans cette région. De surcroît, ce projet inscrira les Alpes au coeur des grands flux de transports européens et donc des grandes dynamiques économiques. Nous pouvons donc, à bien des égards, en espérer des retombées positives en termes de croissance et d’emploi.
Un des membres de la commission des affaires étrangères, élu du Massif central, a eu cette expression que je reprends : « Les Alpes sont aujourd’hui le Massif central de l’Europe. » Cette liaison renforcera cette définition. Je veux souligner d’ailleurs que c’est la stratégie de l’Union européenne pour la région alpine. Vous avez joué, monsieur le ministre, un rôle déterminant pour faire reconnaître l’importance de ce territoire atypique mais central à l’échelle européenne ; il faut vous en remercier.
Il est vrai que nous ne pouvons pas rester à l’écart, nous, la France, des profondes transformations qui sont à l’oeuvre au sein du massif des Alpes. La Suisse, après avoir ouvert en 2007 le tunnel ferroviaire du Lötschberg, ouvrira bientôt le nouveau tunnel du Gothard, un ouvrage semblable, par sa dimension, au futur tunnel franco-italien. L’Autriche, quant à elle, s’est engagée avec l’Italie dans un projet similaire, le tunnel du Brenner. Je crois vraiment que notre pays doit participer à ses évolutions. Nous ne pouvons pas laisser les Alpes franco-italiennes à l’écart du maillage d’infrastructures modernes, durables et efficaces qui est en train d’être réalisé sur notre continent.
Le Lyon-Turin sera un facteur de croissance durable que nous devons soutenir : croissance pour l’Europe, pour notre pays, pour les régions concernées mais au-delà aussi – même si, évidemment beaucoup de députés aujourd’hui présents appartiennent à cette région. La députée de Seine-Saint-Denis que je suis veut insister sur l’intérêt national et européen de ce projet.
Je voterai donc résolument pour ce texte. J’espère un vote très large – je n’ose croire qu’il sera unanime – en faveur d’un projet soutenu, depuis François Mitterrand, par tous les Présidents de la République et, activement, par leurs majorités.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
La parole est à M. Hervé Gaymard, premier orateur inscrit dans la discussion générale.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, l’évidence des grands ouvrages se révèle toujours une fois qu’ils ont été réalisés.
Nous devons aujourd’hui prendre une décision de ratification d’un traité, douze ans après le précédent traité de Turin qui, si j’ose dire sans mauvais jeu de mot, avait « mis sur les rails » ce grand projet, un projet qui n’est pas seulement franco-italien mais bel et bien européen, comme vient de le rappeler Mme Guigou.
Bien sûr, chaque fois qu’il est question d’un grand projet, il y a des débats, des controverses, des disputes : c’est naturel. Mais nous pensons qu’il est désormais temps de décider. C’est pourquoi le groupe UMP votera pour la ratification de ce traité. Tout simplement parce que nous croyons aux grands projets qui pavent le chemin des générations futures.
Une première précision pour commencer : nous parlons bien aujourd’hui du tunnel de base, dans la section internationale, et nullement des accès depuis Lyon, dont l’engagement a été reporté après 2030 à la suite du rapport Duron. Je comprends bien sûr la crainte des agriculteurs d’une consommation excessive du foncier mais cela ne concerne pas, sinon très marginalement, le projet soumis aujourd’hui à notre ratification.
Ce projet, on l’a dit, est un véritable investissement d’avenir : sur le plan économique d’abord, puisqu’il crée les conditions du développement économique du sud de la France et du nord de l’Italie et, au-delà, de toute l’Europe ; sur le plan environnemental ensuite, car le ferroutage est une des solutions privilégiées pour réduire le nombre de camions en circulation ; pour l’emploi enfin, car ce grand chantier va irriguer pour plusieurs décennies notre économie régionale.
Cela étant, d’autres précisions doivent être apportées.
La première concerne les prévisions de trafic. J’entends bien que, sur le court terme, les projections faites voilà dix ans ne se sont pas réalisées aujourd’hui, surtout après la crise de 2008. Mais durant ces mêmes dix années, on se rend compte qu’en Europe le trafic fret ferroviaire a augmenté de 26 % et même de 44 % en Allemagne, même s’il a baissé chez nous de 26 %. Pourquoi donc se résoudre à ne pas investir et à ne pas promouvoir le ferroviaire ? J’ajoute que si 37 millions de tonnes suivent par rail l’axe nord-sud, par la Suisse et l’Italie, le même tonnage passe par l’axe est-ouest, mais en empruntant la route… C’est donc cette logique qu’il faut inverser.
Deuxième précision : il n’est pas possible de se contenter de la ligne historique actuelle. Bien sûr, la mise au gabarit B+ a amélioré la situation ; bien sûr, le ferroutage Aiton-Orbassano, depuis la réouverture, a beaucoup augmenté. Mais il est clair que pour des raisons techniques – vétusté de l’itinéraire, pentes, etc. – on ne peut pas compter sur la ligne historique ; et pour ce qui est de l’axe de Vintimille, le mer-routage restera toujours marginal par rapport à l’axe central que constituent la vallée de la Maurienne et le Val de Suse.
Troisième précision sur laquelle je ne m’attarde guère tant elle est évidente : la question de la sécurité, fondamentale pour la coexistence du trafic voyageurs et du trafic de marchandises, à plus forte raison de matières dangereuses.
Quatrième et dernière précision, sur les paramètres financiers. Nous savons tous que les finances publiques sont contraintes. Nous savons que nous ne pouvons pas tout faire en même temps – et de ce point de vue, le rapport Duron aura dégrisé ceux qui pensaient pouvoir multiplier les lignes nouvelles à l’infini sur le territoire national. Mais il faut savoir ce que sont les priorités et ce tunnel de base en est une, d’autant plus que l’Europe est au rendez-vous avec un plan de financement exceptionnel : sur 8,5 milliards, elle prendra en charge 40 %, l’Italie 35 % et la France 25 %. Cela constitue pour nous un formidable effet de levier pour un ouvrage qui sera situé majoritairement en territoire français.
Mes chers collègues, au XIXe siècle, des hommes entreprenants ont pris l’initiative du tunnel ferroviaire pour la ligne Paris-Rome. Au XXe siècle, Pierre Dumas, dont je salue la mémoire dans cet hémicycle, a pris l’initiative du tunnel routier du Fréjus et de l’autoroute de Maurienne. Aujourd’hui, au XXIe siècle, nous devons ensemble prendre et confirmer une décision que quatre Présidents de la République successifs ont soutenue. C’est pourquoi, avec pragmatisme et ambition, nous ratifierons ce traité.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe SRC.
La vie politique est parfois cruelle, monsieur le ministre : nous voici réunis pour autoriser la France et l’Italie à engager les travaux de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, immense projet au coût particulièrement important, alors que vous venez tout juste d’enterrer la principale source de financement des infrastructures de notre pays.
Applaudissements sur les bancs du groupe UDI.
Comment d’ailleurs ne pas être étonné par l’absence du ministre des transports, sans doute gêné par les questions précises que nous aurions pu lui poser ? Comment également ne pas être troublé par l’absence de la quasi-totalité des membres de la commission Duron, beaucoup évoquée tout à l’heure, dont je me retrouve à être le seul représentant ?
Nous avons soutenu la décision de différer l’écotaxe, provisoirement, compte tenu des nombreuses oppositions liées à ses conditions de mise en oeuvre, notamment son absence d’affectation totale pour les infrastructures de transport. Se pose donc avec plus d’acuité encore la question du financement de l’AFITF pour 2014, voire pour les années suivantes.
Ce sujet n’est pas sans lien avec le texte qui nous réunit ici, et le groupe UDI souhaite que vous puissiez éclairer l’opinion publique, particulièrement sur ce point. Ce n’est pas en asséchant la trop faible source de financement des infrastructures de transport en France que l’on réglera la question du financement du Lyon-Turin. Nous sommes d’ailleurs à la disposition du Gouvernement pour participer à la réflexion, assumer les décisions prises – au lieu de chercher à rejeter les fautes sur l’ancienne majorité, comme vous avez voulu le faire très maladroitement hier lors des questions au Gouvernement.
Mais j’en reviens à l’essentiel de ce projet de loi qui autorise l’accord entre la France et l’Italie pour la réalisation et l’exploitation de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, signé à Rome en janvier 2012.
Ce traité est le fruit d’une longue histoire, vous l’avez rappelée tout à l’heure. L’Italie et la France étaient convenues en 2004 d’une clé de répartition du financement des travaux dans le cadre d’un mémorandum qui reposait sur le principe d’un financement à parts égales de la liaison assurant le franchissement des Alpes. Mais compte tenu de l’évolution du projet, d’une part, et de la nécessité de pouvoir mettre en oeuvre le calendrier transmis à l’Union européenne, d’autre part, une commission intergouvernementale a été chargée de préparer cet accord qui porte sur le tracé définitif et sa prise en charge.
L’opportunité de créer cette nouvelle ligne ferroviaire se justifiait à l’origine pour plusieurs raisons : la concentration des flux de poids lourds, la saturation de la voie ferrée sur la côte méditerranéenne, l’inadaptation de la ligne de la Maurienne et l’insuffisance des liaisons ferroviaires entre les agglomérations alpines. La ligne ferroviaire Lyon-Turin devait permettre de basculer de la route vers le fer le trafic de marchandises traversant les Alpes entre la France et l’Italie et d’améliorer les liaisons entre les grandes agglomérations.
Au-delà des enjeux économiques, la réalisation de cette infrastructure ferroviaire autorisait à terme le report d’un million de poids lourds de la route vers le rail, report jugé indispensable à la survie des vallées alpines menacées d’asphyxie par le transport routier. Il fallait également compter avec des considérations impérieuses de sécurité semblant justifier à elles seules la nécessité de réaliser un ouvrage moderne bi-tube. Nous gardons évidemment tous en mémoire le drame du tunnel du Mont-Blanc qui a coûté la vie à trente-neuf personnes en mars 1999.
Je préfère donc le dire tout de suite au nom du groupe UDI : si une majorité d’entre nous ne s’oppose pas au principe du lancement d’un projet profondément européen, porté par toutes les majorités qui se sont succédé depuis vingt ans et qui rassemble l’immense majorité des élus concernés, nous ne pouvons que nous faire l’écho de beaucoup trop d’interrogations et, en ce qui me concerne – ainsi que mes collègues de la commission du développement durable – de réserves, voire de vrais troubles. À titre personnel, je dois vous faire part de mes doutes et de mon opposition à ce projet qui s’inscrit dans un contexte marqué par une crise économique et budgétaire sans précédent, une chute spectaculaire du trafic franco-italien,…
Je citerai les chiffres dans quelques instants.
…mais aussi par la révision de notre doctrine et de nos priorités de nos modes de transports – la commission Mobilité 21 est passée par là. Vous en parliez, j’y étais et je regrette que les autres membres ne soient pas présents pour en parler, ce qui témoigne tout de même d’une certaine fragilité dans la défense de ce dossier.
Sans parler de son prix : 26 milliards d’euros, contre 12 milliards prévus en 2002 ! C’est le coût estimé par la Cour des comptes. Pourtant, pas une ligne de l’accord que nous nous apprêtons à voter n’évoque de façon satisfaisante le montant du financement de ce projet ni surtout son calendrier précis de réalisation, et pour cause : la France sait que l’Italie ne s’engagera pas avant des années et des années de façon substantielle, et nos voisins sont convaincus que nous ferons de même. Nous sauvons évidemment la face avec cet accord mais nous ne ferons rien avant très, très longtemps.
Michel Destot affirme que la ligne de la Maurienne est vieille et qu’elle ne peut plus être améliorée. Mais pourquoi ce qui se fait en Suisse et ailleurs ne pourrait-il pas se faire chez nous ? Pourquoi sommes-nous aussi aveugles face aux risques que présentent les grands projets de ce type et à des conditions de financement aussi aléatoires ?
Il est certes confirmé que l’Union européenne pourra participer à hauteur de 40 % des dépenses…
…entre 2014 et 2020 pour la section internationale. Nous discutons donc avec l’Union européenne, qui nous demande d’affiner nos choix – les financements étant partout, ils sont peut-être nulle part – mais rien, aucun financement n’est prévu pour la section française qui comprend notamment le contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise et le tunnel sous Belledone évalué à 5 milliards ! Rien ! Comment la France va t-elle pouvoir financer des montants aussi considérables compte tenu de l’état de ses finances publiques et de la faible marge de manoeuvre budgétaire de l’AFITF ? Répondez à nos questions !
Renoncez-vous, d’ailleurs, à utiliser des partenariats public-privé ? Quel est votre calendrier précis ? On parle d’une ouverture de la ligne en 2030 ; c’est inimaginable. Vous savez que ce délai ne sera pas tenu : cela supposerait que la France y consacre au moins 1 milliard par an, soit, plus du double que ce que consacre actuellement l’AFITF aux projets nouveaux ! Comment allons-nous faire ?
Ce projet est d’ailleurs en contradiction avec les conclusions du rapport de la commission Mobilité 21, qui avait conclu : « Dans un contexte économique et budgétaire contraint, la priorité des investissements en matière d’infrastructures de transport doit aller vers la modernisation et la mise à niveau du réseau existant, plutôt que vers des projets de développement dispendieux. » Ce projet n’entrait certes pas dans le champ des travaux de la commission, mais il est tout de même étonnant de voir l’enthousiasme avec lequel vous soutenez un projet qui va absorber une large part des maigres financements dévolus à nos infrastructures de transport, alors que, dans le même temps, vous n’abandonnez pas d’autres grands projets – notamment le canal Seine-Nord, que vous avez justifié en relançant une nouvelle étude sur le sujet. J’en veux pour preuve la page 41 du rapport de la commission Mobilité 21, qui explique ne pas étudier le Lyon-Turin au motif que, je la cite, « aucune possibilité de financement d’autres projets par l’AFITF ne serait plus alors ouverte avant 2028 ou 2030. »
Plus grave enfin, la réalité du transport dans la région alpine ne correspond plus à celle qui avait été estimée à l’origine du projet. En 1998, ce sont 35 millions de tonnes de marchandises qui transitaient entre nos deux pays ; il n’y en avait plus que 26 millions en 2007, 23 millions en 2011 !
La disparition de la sidérurgie en France et des activités liées à Fiat en Italie a réduit considérablement le flux des marchandises, qui se transportent désormais davantage du nord au sud que d’est en ouest.
Les réseaux de transport existants pourraient d’ailleurs être optimisés : la ligne historique du Mont-Cenis, entre Lyon et Turin, est très largement sous-utilisée, avec moins de 3,4 millions de tonnes par an contre 10 millions en 1983, alors qu’elle peut atteindre 17 à 19 millions de tonnes par an, à condition que des investissements continuent d’être engagés, comme ils l’ont déjà été il y a quelques années, lorsque nous avons consacré 1 milliard d’euros au renforcement de cette ligne.
Il est donc indispensable, et vous le savez tous, d’utiliser au mieux le réseau existant, ainsi que l’a récemment rappelé la Cour des comptes, en développant le ferroutage, comme l’a fait la Suisse sur des lignes identiques, par l’arrivée de wagons téléguidés. Il faut aussi, je le conçois, des agents qui travaillent comme ailleurs ; il faut enfin achever l’isolation phonique des voies. Ce n’est pas en mettant des milliards d’euros dans de nouvelles lignes que nous allons régler le problème du transport de marchandises en France, cher collègue Gaymard, c’est d’abord en étant attentif aux conditions de travail, en améliorant l’existant et en veillant à ce que la SNCF travaille véritablement à développer ce type de trafic.
J’aurais pu aussi, mais je n’en ai pas le temps, signaler les nombreuses oppositions qui se font jour un peu partout.
Vous avez aimé Notre-Dame-des-Landes ; vous allez vraisemblablement adorer le Lyon-Turin, avec toutes les oppositions qui vont se manifester !
Puisqu’il n’est pas de tradition de s’opposer à la ratification d’un traité international, la majorité du groupe UDI se prononcera par conséquent en faveur de ce projet, au calendrier plus qu’incertain…
…sous réserve de réponses claires du Gouvernement – mais nous ne les aurons pas. Mais pour ce qui me concerne, à titre personnel, et au nom de mes collègues de la commission du développement durable, je ne pourrai y apporter mon soutien.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les présidents de commission, mesdames et monsieur les rapporteurs, chers collègues, l’accord franco-italien concernant le projet de ligne ferroviaire de fret et de voyageurs Lyon-Turin, qui nous est présenté aujourd’hui, mérite que l’on s’y arrête un peu, compte tenu de son coût global, de l’ordre de 26 milliards d’euros, même si l’accord franco-italien soumis aujourd’hui à notre vote ne concerne que la portion qui va de Montmélian au tunnel de l’Orsiera.
Premièrement, ce projet ne tient pas compte de l’état actuel du trafic. Il faut en effet rappeler qu’il date du début des années quatre-vingt-dix, époque où les prévisions de trafic entre la France et l’Italie faisaient état d’une augmentation très importante. La réalité a démenti les prévisions : après un pic de trafic en 1998, avec 34,7 millions de tonnes transportées, celui-ci est redescendu à 26,7 millions de tonnes en 2006, soit bien avant la crise, pour continuer à décroître ensuite. Tout démontre que le fret entre la France et l’Italie est en diminution constante depuis quinze ans, et aucun élément ne peut étayer la thèse d’un retournement de situation : l’essentiel du trafic européen se fait par les grands ports du nord de l’Europe vers le sud, selon un axe nord-sud. Le trafic d’ouest en est, depuis la péninsule ibérique vers les pays de l’Est, n’est qu’un trafic secondaire, sans augmentation significative prévisible. Ce projet, je le répète, est fondé sur des hypothèses de croissance de trafic anciennes, qui ne sont plus exactes à ce jour.
Deuxièmement, la ligne existante est sous-employée et pourrait être suffisante. La ligne transalpine actuelle, celle du Mont-Cenis, pourrait absorber l’essentiel des besoins : sa capacité a été portée à 20 millions de tonnes par an, mais son trafic se limite actuellement à 3,4 millions de tonnes de trafic réel, soit à peine 20 % de sa capacité reconnue. Les conditions de sécurité y sont en outre suffisantes : M. le ministre des transports lui-même nous l’a assuré en juillet dernier.
Remarquons qu’au début des années quatre-vingt, bien avant la rénovation, ce sont plus de 11 millions de tonnes qui passaient par ce corridor. La rénovation qui a été faite, pour 1 milliard d’euros, portait essentiellement sur la sécurisation, l’abaissement des plates-formes dans les tunnels et le remplacement de ponts, sur le Rhône et à Brison-Saint-Innocent ; les améliorations qui restent à faire sont essentiellement liées au pilotage par informatique du trafic. Les innovations technologiques existent et fonctionnent : mon excellent collègue, François-Michel Lambert, vous en parlera dans quelques instants. Pour information, la ligne actuelle du Saint-Gothard, avec des rampes plus fortes que celles de la Maurienne, permet le passage de 14,4 millions de tonnes de fret chaque année.
Troisièmement, des sommes très importantes seront nécessaires, qui ne sont pas financées à ce jour. La Cour des comptes, dans son rapport et son référé de l’été 2012, déplorait que les pistes alternatives au percement d’un tunnel n’aient pas été explorées. Dans le même temps, elle pointait que le coût annoncé du tunnel de base, à savoir 8,4 milliards d’euros, était sous-évalué ; elle l’estimait pour sa part supérieur à 11 milliards d’euros, soit 3 milliards d’euros d’écart. La Cour des comptes ajoutait que ce projet serait d’une faible rentabilité socio-économique.
Pour l’heure, le seul financement assuré est celui de l’Union européenne, qui prendrait en charge 40 % du seul tunnel de base, soit un peu plus de 4 milliards d’euros, mais on ignore si elle irait au-delà. Je ferai en outre remarquer que lorsque l’Union européenne paie, ce n’est pas gratuit : ce sont bien les contribuables qui paient. Pour le reste, la Cour des comptes parle, dans son rapport, d’un financement non défini. De son côté, la commission Mobilité 21, sans avoir été saisie de ce projet qui a une dimension européenne, a tout de même remarqué que l’heure n’était plus aux grands projets, mais qu’il fallait répondre aux besoins locaux, qui sont urgents et bien réels. Dans une période où chaque euro dépensé doit être soupesé, cela mérite qu’on y regarde à deux fois.
Quant aux conditions économiques de l’exploitation, elles ne sont pas déterminées, aux dires M. Louis Besson lui-même. Or s’il y a un déficit d’exploitation, l’argent public sera sollicité : voilà un autre sujet de réflexion. On nous parle de relance économique, mais celle-ci est pour le moins incertaine. De grandes annonces, assez diverses, ont été faites sur l’emploi : on a entendu qu’il pourrait y avoir jusqu’à 6 000 emplois créés ; tout à l’heure, c’était 3 500.
Ces chiffres – même le plus bas – paraissent très élevés, si on les compare à celui des travaux en cours du Saint-Gothard, où 1 800 emplois seulement ont été créés.
Qui plus est, rien ne dit que les emplois seront des emplois locaux, que les entreprises ne profiteront pas d’optimisations fiscales à l’étranger et des directives européennes existantes pour aller chercher de la main-d’oeuvre à l’extérieur. Enfin, il faut aussi parler de la situation du côté italien : l’opposition au projet y est extrêmement vive et ne fait que se renforcer. Les choses sont donc plutôt mal engagées de l’autre côté de la frontière.
Monsieur le président, le temps est écoulé ! Dire un tel tissu de bêtises et dépasser son temps, c’en est trop ! Je sais que c’est votre camarade, mais tout de même !
Et pour ce qui est des risques environnementaux, le projet est tout aussi en retard sur notre époque. Il présente un risque réel d’assèchement des nappes souterraines alpines, qui se verraient privées, selon les estimations, de 200 à 300 millions de mètres cubes d’eau par an.
C’est aussi un projet très gourmand en terres agricoles : plusieurs milliers d’hectares seraient perdus et toutes les chambres d’agriculture de la région Rhône-Alpes se sont prononcées contre.
Pour ces raisons, notre groupe ne votera pas la ratification de cet accord. Nous demandons que la ligne existante, rénovée, soit utilisée à la hauteur de ses capacités pour chasser au plus vite et pas dans des décennies, les camions de la vallée de la Maurienne.
Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste et UDI.
Je remercie les orateurs de respecter leur temps de parole, mais aussi tout un chacun de respecter les orateurs.
La parole est à M. Thierry Braillard.
C’est à Lyon, le 3 décembre 2012, que Mario Monti, alors président du conseil italien, et le Président de la République, François Hollande, ont conclu le lancement ferme et définitif du projet de liaison ferroviaire à grande vitesse Lyon-Turin. Ce 3 décembre 2012, c’était l’affirmation d’une volonté commune, c’était la preuve que la France et l’Italie étaient déterminées à construire cette ligne nouvelle de 200 kilomètres, avec un tunnel de 57 kilomètres, à l’horizon 2025.
Ce 3 décembre 2012, c’était aussi la confirmation de l’engagement des deux pays, qui nous amène aujourd’hui à ratifier l’accord du 30 janvier 2012 passé entre les deux gouvernements, qui est une étape essentielle.
Le groupe des radicaux de gauche et apparentés est très favorable à ce grand projet pour trois raisons principales : c’est un projet européen, un projet pour la croissance et pour l’emploi, et surtout un projet qui présente une haute qualité environnementale.
C’est un projet européen, qui améliorera le lien entre l’Europe méditerranéenne et l’Europe danubienne, qui renforcera les relations entre la région Rhône-Alpes et le Piémont, et qui favorisera le trafic de voyageurs.
Je tiens à signaler que la région Rhône-Alpes a pris récemment une position claire en faveur de ce projet, que son président Jean-Jack Queyranne a qualifié d’extrêmement fédérateur.
C’est un projet européen, particulièrement bienvenu à une époque où nos concitoyens se questionnent sur ce qu’est véritablement l’Europe, sur ce qu’elle apporte et sur ce qu’elle peut encore apporter. En cette période de doute et d’inquiétude, il est extrêmement salutaire que ce projet puisse aboutir. Nous saluons d’ailleurs la participation financière de l’Europe, qui sera l’un des financeurs les plus importants de ce projet, à hauteur de 40 % du montant.
Le projet de la ligne ferroviaire Lyon-Turin est aussi un projet pour la croissance et pour l’emploi. En effet, les travaux, qui dureront plusieurs années, constitueront une occasion exceptionnelle pour le développement économique des territoires concernés ; les chantiers créeront plus de 3 500 emplois directs, en France et en Italie, pour la réalisation de la section transnationale. L’article 10 de cet accord précise d’ailleurs bien qu’en matière de conditions de travail, c’est le code du travail français qui sera appliqué, ce qui nous semble une bonne chose.
Absolument !
Alors que nous avons des difficultés à endiguer la courbe du chômage – même si les radicaux de gauche croient qu’elle va bientôt baisser, grâce à l’action du Gouvernement –, comment peut-on aujourd’hui fermer les yeux sur un projet qui créera autant d’emplois ? D’autant que des clauses d’insertion sociale feront certainement que les Rhône-Alpins eux-mêmes seront les premiers à bénéficier de cette création d’emplois. Comment peut-on encore fermer les yeux sur une telle source de croissance ? Ces grands travaux aménageront le territoire et seront surtout créateurs de richesse, et donc d’emplois.
C’est enfin un projet à haute valeur environnementale. Mettre des camions sur des trains aura des conséquences écologiquement bénéfiques, qu’il s’agisse de réduire les émissions de gaz à effet de serre, d’améliorer la qualité de l’air ou de limiter les nuisances sonores. Cela permettra surtout d’éliminer la très forte circulation routière aux principaux passages alpins français, qui représente presque 40 millions de tonnes en volume.
J’entends dire et je lis que le trafic des poids lourds serait en baisse. J’invite ceux qui nous assènent ces allégations à se rendre au tunnel du Mont-Blanc, et à faire le point sur ce qui s’y passe tous les jours. Qu’ils aillent voir tous les citoyens qui habitent près de ce tunnel et qui voient cette file continue de camions qui ne font que passer, et les nuisances sonores qui les accompagnent. Il est vrai que lorsque l’on n’y habite pas, quand on ne voit pas cela, il est toujours plus facile de venir donner des leçons aux autres !
De plus, mettre Lyon à une heure et quarante-cinq minutes de Turin, quelle formidable ouverture ! Quel formidable levier pour le développement économique, social et touristique de Lyon, de Grenoble, de Chambéry,…
…de la région Rhône-Alpes et, au-delà, de tout le sud de la France ! Comment peut-on encore fermer les yeux sur un tel projet source de croissance ? Il s’agit d’un formidable projet pour la France, pour l’Italie, mais aussi pour l’Europe. Et comme l’a justement rappelé l’excellent rapporteur Michel Destot : « On peut affirmer, avec certitude et sérieux, que l’on pourra transférer l’équivalent de 2 millions de poids lourds par an et réduire les émissions de gaz à effet de serre de 2 millions de tonnes par an sur l’itinéraire de l’ouvrage. » Dans cette phrase, tout est dit sur le bien-fondé de ce projet.
Pour l’ensemble de ces raisons, et parce qu’en politique, s’il faut constamment répondre au présent, il faut avant tout préparer l’avenir, les élus radicaux de gauche et apparentés voteront en faveur de cette ratification.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Très clairement, sans surprise mais avec une conviction totale, le groupe socialiste, républicain et citoyen votera tout à l’heure pour l’approbation de l’accord signé entre la France et l’Italie pour la réalisation et l’exploitation d’une nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Pourquoi ce vote, et pourquoi ces convictions ? Tout simplement parce que nous sommes assurés de la nécessité et du bien-fondé de cette initiative bilatérale et européenne. Je ne reviendrai pas ici sur l’excellent travail réalisé par notre rapporteur Michel Destot qui a décortiqué les tenants et les aboutissants du traité. Je souhaiterais plus modestement, pour rester dans les clous du temps de parole qui m’a été imparti, exposer les trois raisons principales qui ont justifié l’approbation des députés socialistes, républicains et citoyens.
La première de ces raisons relève de la sécurité publique. L’intensité des trafics de marchandises et de passagers sur les cinq points de passage entre la France et l’Italie sature les capacités d’absorption des lieux de transit existants. Les accidents de tunnels tels que celui du Mont-Blanc en 1999 et plus récemment celui du Fréjus en 2005 sont encore très présents dans les mémoires. Ils ont eu des conséquences humaines tragiques. L’éboulement qui a affecté l’autoroute côtière A8 en 2006 doit également être mentionné, bien qu’heureusement il n’ait pas eu d’incidences aussi dramatiques. Il était donc – et il est toujours aujourd’hui – de la responsabilité des pouvoirs publics d’en tirer les conséquences. Le commerce, le tourisme et les voyages en général exigent fiabilité et garanties optimales.
La deuxième raison motivant notre vote positif relève d’une autre exigence : il s’agit de pallier une autre forme de saturation, celle de la qualité de l’air et plus généralement de l’environnement. Près de 90 % du trafic entre la France et l’Italie se fait par la route. Or la voie ferrée utilise aujourd’hui des infrastructures très anciennes, qui ont plus d’un siècle et demi. Elle n’est pas en capacité d’absorber les flux de marchandises et de voyageurs du XXIe siècle. Du coup, 7 500 camions passent la frontière quotidiennement par la route. Les conséquences de ces va-et-vient de poids lourds sont faciles à imaginer : les riverains absorbent quotidiennement des mètres cubes de COµ2 doivent cohabiter nuit et jour avec les nuisances sonores générées par ces véhicules.
La troisième motivation relève de l’économie. L’Italie est le deuxième partenaire économique de la France. Des deux côtés de la frontière des Alpes on trouve des régions particulièrement dynamiques : Rhône-Alpes d’une part, Piémont et Lombardie de l’autre. Ces complémentarités nationales et régionales sont porteuses d’activités et d’emplois, toutes choses qui exigent des infrastructures permettant de les accompagner et de les bonifier, ce que permettent plus les voies actuelles, insuffisantes pour les plus récentes et inadaptées pour les plus anciennes.
Le projet qui nous est soumis apporte des réponses positives à ces trois défis. Fruit de plus de vingt ans de réflexions, il offre le meilleur des compromis possibles : pour la région Rhône-Alpes, bien sûr, comme mes collègues élus de cette région vous l’expliqueront de façon circonstanciée, mais, au-delà, pour l’intérêt général du pays. Les infrastructures prévues, comme le rapporteur l’a excellemment signalé, appliquent les normes de sécurité les plus exigeantes. Elles vont également permettre le développement du ferroutage et ainsi, avec le transfert de la route vers le rail d’environ un million de véhicules, d’améliorer l’environnement sonore, la qualité de l’air, et plus généralement la vie des habitants des vallées affectées.
Elles vont enfin mettre les relations économiques et humaines des deux pays à l’heure du XXIe siècle. Nos économies, italienne comme française, vont en tirer un coup de pouce bienvenu.
Cerise sur le gâteau, ce grand projet a été considéré par nos partenaires européens comme d’intérêt collectif. À ce titre, il a été intégré dans le réseau transeuropéen de transport et bénéficie d’un financement communautaire exceptionnel, appelé à couvrir 40 % de la dépense.
En cette année 2013, nous célébrons également le deux-centième anniversaire de la naissance du grand compositeur Giuseppe Verdi. Alors, mes chers collègues « Unissons-nous, aimons-nous », comme nous y appelle si bien l’hymne national italien qu’il a lui-même composé. Permettez-moi de conclure en plaçant cette brève intervention sous le parrainage de ce créateur, qui a construit en son temps un pont d’amitié entre nos deux pays. D’une autre manière, le nouveau tunnel alpin et la ligne ferroviaire qui l’accompagne et dont nous allons voter le principe créent eux aussi, à leur manière, un pont entre nos deux peuples et nos deux pays.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
« L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait. » C’est au cours de cette déclaration historique que Robert Schumann proposa, le 9 mai 1950, la création d’une Communauté européenne du charbon et de l’acier, posant ainsi les fondations de ce qui deviendra l’Union européenne.
Alors que les pays du vieux continent pansaient encore les blessures causées par les ravages de la Seconde guerre mondiale qui avait pris fin cinq ans plus tôt, l’un des plus grands projets humains du siècle dernier et de notre siècle à l’échelle de la planète voyait le jour : la construction européenne. Depuis soixante-dix ans, ce projet européen que nous bâtissons jour après jour avec nos partenaires a permis d’assurer aux jeunes générations la préservation de la paix, richesse inestimable.
Construit sur les échanges des biens et des personnes, sur des politiques communautaires telles que la politique agricole commune, la politique commune de la pêche ou encore la politique monétaire, ce grand projet européen ne pourra continuer à se développer et évoluer sans infrastructures modernes, compatibles et interconnectées, assurant le transport de personnes mais aussi de biens.
Notre pays, de par sa configuration géographique, est situé au coeur de l’Europe, au coeur des échanges et des grands projets d’équipements de transport, d’énergie et des nouvelles technologies. Notre défi désormais est de nous engager fermement dans ces différents chantiers, afin de bâtir le fabuleux destin de la communauté de vie à l’échelle européenne. La future ligne ferroviaire du Lyon-Turin fait partie de ces grands projets et je salue ici l’engagement des quatre présidents de la République et des majorités successives qui l’ont soutenu avec détermination et conviction.
La pollution de l’air, vous le savez, chers collègues, est en train de devenir la première cause de mortalité en Europe pour nos concitoyens. Elle a même été récemment déclarée cancérigène pour l’homme par l’Organisation mondiale de la santé, au même titre que l’amiante. En France, 10 % des émissions de gaz à effet de serre et 17 % des émissions de PM10 – les particules fines – proviennent du transport routier. Face à ce constat alarmant et en raison de la faiblesse du développement du fret ferroviaire qui ne représente actuellement que 8 % du transport de marchandises dans notre pays, il est impératif que nous nous engagions à développer les modes de transports alternatifs à la route d’autant plus que le massif alpin est particulièrement sensible à la qualité de l’air, et donc à sa pollution.
Qui plus est, la topographie montagneuse et escarpée des vallées alpines rend beaucoup plus difficile la desserte de ce territoire pourtant stratégique au carrefour de l’Europe. Actuellement, seuls cinq axes supportent le trafic entre le lac Léman et la mer Méditerranée : le tunnel routier du Mont-Blanc ; celui du Fréjus ; l’autoroute côtière A8 qui traverse l’agglomération niçoise ; la voie ferrée historique empruntant le tunnel du Fréjus et la ligne ferroviaire côtière.
Comme le souligne l’étude d’impact, le mode routier reste prépondérant dans les différents échanges entre la France et l’Italie avec plus de 2,7 millions de poids lourds répartis sur les trois axes principaux. Ce qui n’est pas sans causer d’importantes nuisances, notamment en termes d’émissions de gaz à effet de serre. La réalisation et la construction de la liaison ferroviaire Lyon-Turin aura donc nécessairement un impact environnemental non négligeable. L’allégement d’une partie du trafic routier sur le mode ferroviaire devrait ainsi permettre de diminuer d’environ 2 millions de tonnes par an les rejets de gaz à effet de serre sur cet axe. Nos voisins suisses et autrichiens ont déjà choisi de privilégier le fer au détriment de la route pour la circulation des poids lourds. Nous devons nous aussi nous engager résolument dans cette voie.
Au-delà de l’impact environnemental, la mise en oeuvre de ce projet entraînera aussi des conséquences économiques favorables pour les vallées alpines.
L’étude d’impact le rappelle à juste titre : la nouvelle liaison entre Lyon et Turin « permettra d’améliorer et de développer la capacité du transport de marchandises au sein de l’arc alpin ». L’incendie du tunnel du Mont-Blanc, qui a causé trente-neuf morts en 1999, dans la circonscription dont j’ai été député pendant dix ans, et celui du tunnel du Fréjus en 2005 ont entraîné l’amélioration de la sécurité dans les tunnels. Ils ont également démontré, tout comme l’éboulement rocheux sur l’autoroute A8 en 2006, qu’une solution alternative à la route s’imposait en l’absence de réduction notable du trafic routier. De plus, la modernisation des lignes existantes ne saurait suffire à elle seule à diminuer les nuisances actuelles malgré les travaux déjà réalisés. Voies uniques sur plusieurs dizaines de kilomètres, pentes excessives, tunnel situé à 1 300 mètres d’altitude, traversée de sites à haute valeur environnementale, notamment certains grands lacs alpins, autant de contraintes qu’aucune rénovation des lignes existantes ne saurait réduire de façon pérenne.
Le projet bénéficiera de financements européens d’une ampleur conséquente. L’Union européenne contribuera à hauteur de 3,4 milliards d’euros soit près de 40 % pour le financement du tunnel de base.
Je reste intimement convaincu que la réalisation de cette liaison ferroviaire sera un grand projet européen de transport de personnes et de marchandises améliorant considérablement la desserte entre la France et l’Italie, et plus largement entre le nord et le sud de l’Europe. À titre personnel, je ne doute absolument pas de la pertinence de ce projet et je suis persuadé que nos successeurs sur les bancs de cet hémicycle nous remercieront d’avoir ainsi soutenu le projet du Lyon-Turin.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe SRC.
Le sujet dont nous traitons ce matin est plein de passions. L’Italie fait partie de notre histoire, la France est enracinée dans l’histoire latine, et nous ne souhaitons pas mettre un coup de canif dans une alliance passée avec l’Italie, notre voisine. Mais il faut parfois se poser les bonnes questions.
Ces passions sont aussi liées au fait que nous sommes confrontés à un enjeu, celui de l’insupportable et incessant trafic de poids lourds qui passent en tous lieux. Je vous rassure, chers collègues, c’est aussi le cas dans les circonscriptions qui ont élu des députés écologistes, et peut-être même plus,…
…notamment du côté d’Aix et Marseille, région qui souffre le plus de la pollution atmosphérique en France. Chez nous, un jour sur trois la pollution atmosphérique dépasse les seuils fixés !
Nous savons donc de quoi nous parlons, nous savons de quoi souffrent nos concitoyens.
Quant à la réalité des flux, parlons-en. Chaque année, 6 millions de camions traversent le passage pyrénéen : nous sommes bien loin de répondre à ce problème !
De même, 2,7 millions de camions traversent les Alpes. Où passent-ils ? Dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. Mes collègues ici présents le savent aussi bien que moi : ils empruntent le passage de Vintimille.
On est bien loin de Lyon : d’autres questions doivent donc être posées.
D’où viennent la plupart de ces camions ? Participent-ils aux échanges économiques et à la valorisation de notre pays ? Non, c’est du transit. Ces camions doivent donc payer leur part.
Il existait une solution que mon collègue Pancher a évoquée tout à l’heure : elle s’appelait – malheureusement, je parle au passé – l’écotaxe. Elle a disparu,…
…alors qu’elle aurait permis de freiner ces transits inutiles, plutôt que de dépenser de l’argent dont on a bien besoin par ailleurs dans un projet pharaonique ! Autrement dit, la disparition de l’écotaxe est une double peine…
Premièrement, on continue à permettre le transit dans notre pays ; deuxièmement, on ne récupère pas les moyens financiers pour construire nos infrastructures. Commençons par ce qui est à faire !
Maintenant, parlons d’autre chose. Je l’ai déjà dit devant la commission du développement durable : les ministères ont financé des projets dans le cadre du programme de recherche et d’innovation dans les transports terrestres. Des moyens financiers importants ont été mobilisés pour réfléchir aux transports de demain. Dans un rapport que tout le monde a bien lu, vous trouverez les innovations réelles que nous pouvons mettre en oeuvre aujourd’hui – on ne parle pas d’un futur tunnel. Parmi ces innovations, il y a désormais le wagon automoteur. Il fonctionne dans les autres pays, il sera bientôt lancé chez nous ; il permettra de requalifier les voies du XIXe siècle aujourd’hui jugées obsolètes.
Je vous invite à lire ce rapport : il est à votre disposition !
Il y a aussi l’ERTMS, déjà en place en Suisse depuis longtemps : ce système permet de faire passer 175 trains par jour dans un monotube, sur une seule voie. C’est une réalité que les Suisses savent mettre en place : pourquoi n’y arriverions-nous pas, nous Français, avec nos amis italiens ? Je n’arrive pas à comprendre.
Citons aussi le R-Shift-R. Ce nouveau système, que nous avons financé, donne des résultats. Son lancement effectif est prévu en 2014 – je ne parle pas de 2040 ! – et permettra également de requalifier le modèle logistique du ferroviaire.
Quant à l’internet physique, que les grands donneurs d’ordre sont en train de mettre en place, il va bouleverser les flux de marchandises. Mon collègue Bertrand Pancher nous a rappelé combien les échanges de marchandises ont évolué entre les années 1980 et 1990, au cours desquelles nous avons pensé ce projet, et les années 2010 et 2020.
Je n’oublierai pas les autoroutes de la mer, qui constituent également une réponse et se déploient un peu partout. Pourquoi n’existe-t-il pas d’autoroutes de la mer entre l’Espagne et l’Italie, voire entre la France et l’Italie, afin d’éviter ces transits inutiles ? Il n’y en a pas !
Enfin, on me dit qu’il faut un grand gabarit comme le tunnel sous la Manche. Certes, la ligne est à grand gabarit, mais seulement sous la Manche : arrivés à l’entrée du tunnel sous la Manche, les camions entrent dans un grand gabarit et traversent la mer de façon efficace avant de redevenir des camions de l’autre côté du tunnel. Mais dans le cas présent, on parle d’un axe allant de Lisbonne jusqu’à Kiev : autrement dit, tout l’axe doit être au grand gabarit, et pas seulement un maillon. Cela n’a aucun sens ! Du reste, la commission Mobilité 21 n’a pas qualifié la liaison ferroviaire Perpignan-Montpellier, ce qui aurait permis préserver une certaine logique.
Ce projet est vraiment illogique. C’est ce que dit, d’une certaine manière, Yves Crozet : ce membre non politique de la commission Mobilité 21 est très critique à l’égard du projet de tunnel Lyon-Turin. Je vous invite, mes chers collègues, à relire son courrier puisqu’il s’agit d’un expert. Écoutons aussi de temps en temps les experts !
Depuis nombre d’années, les écologistes plaident pour un autre format d’échanges. Nous proposons un grand débat public sur tous les enjeux des traversées alpines, du Jura jusqu’à la Méditerranée, et non sur un seul maillon qui, comme par hasard, permettrait de résoudre tous ces problèmes alors que la situation est bien plus complexe. Nous proposons donc de lancer un grand débat public sur les traversées alpines…
…au lieu de signer un accord qui, in fine, avec toute l’amitié que j’ai pour l’Italie, ne répondra en rien aux enjeux ni aux problèmes de pollution que vous subissez et n’améliorera même pas nos échanges économiques.
L’accord sur lequel nous devons nous prononcer est une étape décisive. Je peux comprendre qu’il soit encore l’occasion de débats sur l’opportunité de ce projet mais, comme cela a été souligné, il s’inscrit dans le prolongement d’engagements successifs pris au cours de ces vingt dernières années par les présidents de la République, les gouvernements et leurs majorités indépendamment des alternances politiques, en France comme en Italie.
À ceux qui voudraient aujourd’hui le diriger tout droit vers une voie de garage, rappelons que ce projet n’a jamais dévié dans son avancée, quelle qu’ait été la majorité en place. Quand bien même il n’est pas allé au rythme que nous aurions pu souhaiter, cette constance s’explique tout simplement par le fait que le projet de ligne Lyon-Turin porte en lui des enjeux qui dépassent nos attaches partisanes et nos clivages traditionnels.
Je peux témoigner de ces enjeux en ma qualité d’élue de Savoie, qui constate tous les jours, sur le terrain, combien nos vallées alpines, leurs accès et nos agglomérations sont réduits à des couloirs à camions et attendent avec impatience un report massif de la route vers le rail. Le projet de ligne Lyon-Turin est la solution pour leur redonner espoir et, en même temps, pour permettre à la France de respecter enfin les termes de la convention alpine qu’elle a signée il y a maintenant vingt-deux ans.
Il s’agit aussi d’apporter plus de sécurité à ces traversées alpines. Comme d’autres, j’ai vécu de très près, comme élue de la région Rhône-Alpes et de Savoie, les accidents du tunnel routier du Mont-Blanc en 1999 – trente-neuf morts – et du tunnel du Fréjus en 2005 – deux morts. Quand vous avez vu cela, vous souscrivez sans réserve aux nouvelles normes européennes qui imposent de nouvelles infrastructures ferroviaires à deux tubes, où les trains ne se croisent plus directement, et qui réduisent la circulation des camions dans les tunnels routiers les plus dangereux.
Il s’agit encore, en voyant encore plus large, de faire franchir une étape décisive au maillage européen des grandes voies de communication pour construire l’Europe du XXIe siècle avec des infrastructures du XXIe siècle, et non en prolongeant les infrastructures du XIXe siècle.
Quand nous discutons et discutons encore, d’autres tunnels se réalisent : ils captent les flux et les détournent de notre pays, avec les conséquences que l’on devine pour son développement économique.
M. le ministre, M. le rapporteur et plusieurs de mes collègues ont déjà suffisamment développé ces points. Pour ce qui me concerne, je voudrais juste revenir sur quelques idées fausses et contrevérités que j’ai entendues.
Ce projet deviendrait inutile parce que l’évolution des trafics est moins rapide que prévue et la ligne existante loin d’être saturée. Mais justement, si cette ligne n’est pas saturée, c’est certes à cause de la crise économique qui réduit les flux, mais c’est aussi parce que son vieux tunnel de crête, à 1 300 mètres d’altitude, lui ôte toute sa compétitivité,…
…sans parler de ses accès à voie unique sur quarante-trois kilomètres ou en surplomb du lac du Bourget. Nos voisins suisses, eux, ont bien compris les enjeux : alors que leurs lignes historiques voient passer des trafics de marchandises biens supérieurs aux nôtres, ils ne s’en contentent pas et réalisent les investissements nécessaires pour améliorer encore leurs lignes, en creusant des tunnels de plaine comme ceux du Lötschberg et du Gothard. Ils renforcent l’axe nord-sud entre l’Allemagne et l’Italie. Et nous, nous renoncerions à cette nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin et à son tunnel de base, seuls capables de faire de la haute capacité et de rééquilibrer les échanges est-ouest à travers les Alpes ?
Comme vous l’avez rappelé, chers collègues, l’Italie est le deuxième partenaire économique de la France.
Deuxième idée fausse : on pourrait simplement moderniser la ligne ancienne. Tout d’abord, ce serait se résigner à faire passer les marchandises et même à intensifier le trafic le long du lac du Bourget – le plus grand lac naturel de France – et à les faire passer durablement dans nos agglomérations. C’est aussi méconnaître l’ampleur du projet et son ambition, seule à la hauteur des enjeux, d’atteindre à terme 40 millions de tonnes pour répondre aux besoins du report modal et capter les flux du lac Léman à la Méditerranée. Sur la seule partie du projet qui nous intéresse aujourd’hui, notre objectif est de mettre 2 millions de camions sur le rail et d’économiser 2 millions de tonnes de rejets de COµ2.
Oui, le projet de ligne Lyon-Turin est indispensable pour faire gagner le rail sur la route : en cela, ce n’est pas un projet ferroviaire parmi d’autres, une option à prendre ou à laisser parmi tant d’autres qui font débat dans notre pays. Le Lyon-Turin est un projet d’autoroute ferroviaire sans équivalent, qui efface les Alpes en tant que barrière pour les transports et les rend plus belles en tant que massif enfin libéré de ses cortèges de camions !
J’ai la conviction que ne pas réaliser cette infrastructure serait d’abord un service rendu à la route qui, de fait, resterait durablement le moyen de transporter efficacement les marchandises à travers les Alpes. Pour ma part, pour les raisons que je viens d’évoquer, je ne pourrais y souscrire : ce serait un bien mauvais héritage que nous léguerions aux générations futures !
Chers collègues, le Lyon-Turin est une chance pour la protection des Alpes,…
…une chance pour la sécurisation du franchissement des Alpes. C’est une chance pour la France et l’Italie, une chance pour l’Europe.
Il y a plus de cent cinquante ans, un opposant au premier tunnel du Mont-Cenis – celui qui sert encore aujourd’hui – affirmait : « La foi transporte les montagnes, mais elle ne les perce pas. » Aujourd’hui, il n’est pas question de foi mais de raison ; il n’est plus question de transporter les montagnes mais de sauver les vallées et les Alpes. Il ne peut être question de rafistoler les voies du XIXe siècle alors qu’il faut construire les infrastructures durables du XXIe siècle et des siècles suivants. C’est pourquoi il faut ratifier ce traité, afin d’être à la hauteur du courage et de l’esprit visionnaire de nos prédécesseurs qui ont décidé d’engager, il y a plus de cent cinquante ans, le percement du tunnel du Mont-Cenis. C’est ce que nous devons aux générations futures !
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, mes chers collègues, ce traité engage la France dans la réalisation d’un grand tunnel ferroviaire, maillon essentiel du projet Lyon-Turin, pour au moins 2,5 milliards d’euros dès à présent et 20 milliards à terme. À ces prix-là, le grand tunnel et le Lyon-Turin sont-ils vraiment prioritaires ? Pendant longtemps, je l’ai cru, j’ai tenu les mêmes discours et utilisé les mêmes arguments que la plupart d’entre vous : ambition européenne, report modal, partenariat avec l’Italie, créations d’emplois, subventions européennes à hauteur de 40 %… Aujourd’hui, j’en doute sérieusement : je veux donc vous faire part de mes doutes, qui reposent sur des faits.
Le Lyon-Turin est un projet des années quatre-vingt. À l’époque, il était stratégique, en effet, car de nombreux centres de production étaient localisés en Europe où les perspectives de croissance étaient fortes : il fallait donc concevoir un nouvel axe est-ouest, sous peine de prendre le risque que nos routes et notre ligne ferroviaire existante soient saturées. Mais trente ans plus tard, le paysage industriel a été totalement bouleversé : il s’est largement délocalisé, notamment vers l’Asie. Le Lyon-Turin n’a plus le même caractère stratégique car la route qu’empruntent les marchandises s’est déportée.
Oui, la Chine s’est éveillée.
Trente ans plus tard, d’ailleurs, le triplement des flux de marchandises annoncé à l’époque n’a pas eu lieu. Les tonnages ont stagné autour de 20 millions de tonnes ; en revanche, ils ont doublé et représentent maintenant plus de 100 millions de tonnes sur un axe nord-sud,…
…depuis le port de Gênes, où les marchandises arrivent désormais d’Asie, pour remonter à travers les tunnels suisses et autrichiens vers l’Europe du nord, le long de la célèbre « banane bleue ».
Pour moi, cette nouvelle géographie nord-sud des transports de marchandises est un élément considérable ; je ne comprends pas très bien qu’elle ne soit pas davantage prise en compte, si ce n’est – il est vrai, cher Michel Destot – par la Cour des comptes qui a rendu un référé sévère sur le sujet…
…et par la commission Mobilité 21 qui ne classe ce projet qu’en deuxième priorité.
On nous dit que, si le trafic a stagné, c’est à cause de la crise économique en Europe – nous l’avons encore entendu ce matin. Mais si c’est vrai, pourquoi a-t-il doublé à travers l’Autriche et la Suisse ?
On nous dit que le trafic a stagné – on vient de l’entendre encore dans les propos du maire de Chambéry – parce que la ligne historique, sur laquelle on a pourtant réinvesti un milliard d’euros, et le tunnel, qu’on a fait passer au gabarit B+, seraient trop vieux et que la dénivelée serait trop forte. Mais si c’est vrai, pourquoi la ligne du Gothard, qui est seulement deux ans moins vieille que la ligne du Mont-Cenis et connaît une dénivelée de 900 mètres contre 700 pour la nôtre, transporte-t-elle 17 millions de tonnes ?
On nous dit qu’en 2035, les échanges auront triplé, mais on nous avait dit la même chose il y a vingt ans et ici même encore il y a dix ans !
On nous dit encore que faute d’être situé au coeur de cette banane bleue, il faut nous y arrimer d’autant que – Michel Destot l’a dit tout à l’heure – l’Italie du Nord est un bassin économique très important. C’est vrai, mais nous y sommes déjà arrimés, puisque la ligne ferroviaire nous relie à cette zone effectivement riche de notre continent. Et cette ligne n’est utilisée qu’à moins de 20 % de sa capacité ! Nous avons donc de la marge…
On nous dit que ce traité ne concerne que le tunnel et pas le Lyon-Turin, en dépit de son intitulé explicite, et qu’un nouveau tunnel sera utile même sans le Lyon-Turin. Je note que c’est une ambition revue à la baisse. Le tunnel sera sûrement utile, mais à 2,5 milliards, n’y a-t-il pas d’investissement ferroviaire plus utile ?
Ne nous leurrons pas sur l’effet d’une nouvelle infrastructure qui par ailleurs bouleversera les territoires traversés, leur population, les équilibres naturels, les 800 hectares de terres agricoles les plus fertiles qu’ils ficheront en l’air !
Pour assurer le report modal si nécessaire pour soulager nos vallées, cher Martial Saddier, investissons plutôt 500 millions d’euros dans la protection écologique de la ligne existante…
…au bord du lac du Bourget, chère Bernadette Laclais, et dans les agglomérations traversées. Nous pourrons alors charger davantage la ligne existante, sans pour autant la saturer. Investissons plutôt 500 millions d’euros pour le désenclavement ferroviaire d’Annecy, autre priorité alpine au moins aussi importante et beaucoup plus rentable !
Investissons plutôt 500 millions d’euros dans une autoroute de la mer pour les marchandises pour assurer un report modal des marchandises venues de la péninsule ibérique.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
Ces trois chantiers sont réalistes, ils sont à portée de main. Ils peuvent être lancés rapidement et ils donneront du travail à des entreprises locales, faisant ainsi travailler une main-d’oeuvre locale. Nous voulons moins de camions. Nous voulons plus de sécurité dans nos nouvelles infrastructures. Alors, investissons aussi dans de nouveaux matériels ferroviaires. Avec ou sans nouveau tunnel, mes chers collègues, il n’y aura pas de politique de fret ferroviaire en France avec du matériel du début du XXe siècle. Nos trains de marchandises sont obsolètes. Investissons dans des wagons intelligents : les manoeuvres d’attelage manuelles avec des tiges filetées sont d’un autre âge et peuvent être automatisées. Les wagons automoteurs doivent être mis en service.
Ce grand projet n’a aucune rentabilité. Il est l’archétype d’une logique technocratique dépassée, de choix qui remontent à trente ans et ne sont plus adaptés, de prévisions qui se sont toutes révélées fausses, de chiffrages qui ont dérapé et déraperont encore. Décidément, tout a changé autour de nous depuis trente ans, sauf les discours un peu grandiloquents et les arguments en faveur du Lyon-Turin, qui ont tous été battus en brèche.
Mon sentiment est qu’il faut suspendre ce projet, investir mieux et imaginez une autre politique de fret ferroviaire pour la France.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
La parole est à Mme Béatrice Santais, pour le groupe socialiste, républicain et citoyen.
Le projet de loi qui nous est soumis ce matin est une nouvelle étape vers la réalisation définitive du projet de liaison ferroviaire entre Lyon et Turin. C’est une étape importante : l’accord franco-italien qui sera ainsi approuvé fixe les conditions de conduite du projet de ligne nouvelle entre Lyon et Turin, notamment avec l’institution d’un nouveau promoteur public pour la partie transfrontalière du projet et les règles juridiques applicables à la réalisation de l’ouvrage. L’accord fixe aussi les clés de financement de l’opération et détermine entre la France et l’Italie les conditions de l’exploitation future de l’ouvrage.
Le Lyon-Turin est plus que jamais un grand projet européen, nous l’avons vu ce matin. En confirmant encore très récemment sa nouvelle politique en matière d’infrastructures de transports, la Commission européenne a mis en évidence la nécessité de ce type d’infrastructures pour une économie européenne efficace. La croissance a en effet besoin de commerce et d’échanges et les échanges supposent des moyens de transport.
Je me réjouis que le Lyon-Turin ait été reconnu comme un projet majeur dans l’un des neuf corridors imaginés par l’Union européenne, le corridor méditerranéen qui relie la péninsule ibérique à la frontière entre la Hongrie et l’Ukraine. Je me réjouis aussi que dans le cadre de cette nouvelle politique, l’Europe ait décidé de tripler les fonds consacrés au transport sur la période 2014-2020, confirmant le cofinancement des grandes infrastructures transfrontalières à 40 % de leur coût, soit 3,4 milliards d’euros pour percer et aménager le tunnel de base de cinquante-sept kilomètres sous les Alpes, la France gardant à sa charge la somme de 2,2 milliards d’euros et l’Italie 2,9 milliards d’euros.
Le Lyon-Turin répondra à des enjeux majeurs en matière de sécurité et de protection de l’environnement qui nous concernent tous, mais qui prennent peut-être une dimension particulière dans nos vallées savoyardes et alpines. Le Lyon-Turin et ses différents itinéraires d’accès permettront pour les voyageurs de lever enfin l’obstacle des quarante-trois kilomètres de voie unique entre Saint-André-le-Gaz et Chambéry. Bref, d’améliorer la desserte ferroviaire de l’est de la région Rhône-Alpes qui, pour l’essentiel, date du XIXe siècle et qui est aujourd’hui à saturation. Le trafic fret acheminé le long du lac du Bourget traverse les agglomérations d’Aix-les-Bains, de Chambéry, de Montmélian et de la plupart des chefs-lieux de canton de la vallée de la Maurienne jusqu’à Modane.
C’est aussi cela la réalité du fret ferroviaire sur notre territoire. Malgré les récents travaux de modernisation de la ligne historique, le bruit, les nuisances, l’insécurité sont toujours bien présents pour plus de 300 000 Savoyards. À cette traversée de zones urbaines parfois denses, il faut bien sûr ajouter la difficulté physique du franchissement des Alpes par la voie historique avec ses pentes rédhibitoires à l’exploitation technique optimale de la ligne et la nécessité de doubler les locomotives sur les trains de fret trop lourds, en particulier sur le dernier tronçon entre Saint-Michel-de-Maurienne et Modane et jusqu’à 1 300 mètres d’altitude.
Ces caractéristiques structurelles et géographiques constituent des obstacles insurmontables à l’intérêt d’une rénovation totale de la ligne historique et rendent totalement inopérant l’argument de la non-saturation de cette ligne pour contrer le projet qui nous rassemble ce matin. Ce sont 40 millions de tonnes de marchandises, tous modes de transport confondus, qui transitent chaque jour à travers les passages alpins franco-italiens du lac Léman à la Méditerranée, mais 85 % des flux de fret entre la France et l’Italie sont routiers. Dans les dernières décennies, le réseau routier alpin a connu une expansion considérable tandis que le chemin de fer utilise encore essentiellement le réseau installé au XIXe siècle et durant la première moitié du XXe. Notre responsabilité est d’encourager un transport fret qui se fasse dans des conditions de sécurité optimales et de préservation du cadre de vie des riverains. Cela, seul le Lyon-Turin le propose aujourd’hui.
La Savoie et la vallée de la Maurienne, à l’image de la vallée de l’Arve en Haute-Savoie, ont vécu, cela a été dit à plusieurs reprises ce matin, des moments douloureux, avec les accidents routiers des tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus. Comment peut-on accepter que ces vallées voient encore aujourd’hui défiler des milliers de camions chaque jour, à quelques centaines de mètres des plus beaux paysages montagnards, du parc national de la Vanoise, les parcs régionaux des Bauges et de Chartreuse sans que cela ne semble émouvoir quiconque ? Il est plus que jamais temps d’impulser une vraie volonté en faveur du report modal.
L’ancêtre du tunnel de base, le tunnel ferroviaire du Mont-Cenis, a été initié en 1857 par un État de moins de cinq millions d’habitants, le royaume de Piémont-Sardaigne. Les questions sur l’opportunité de la réalisation d’un ouvrage titanesque pour l’époque et pour un si petit État se posaient déjà. Ce sont la combativité et la clairvoyance d’une poignée d’hommes d’État qui ont permis que le tunnel soit creusé – au commencement, à la pelle et à la pioche et sans crédits européens. C’est cette même combativité qui anime les responsables français et italiens sur ce projet depuis maintenant trois décennies. Je souhaite moi aussi saluer tout particulièrement Louis Besson pour la détermination, l’énergie et l’enthousiasme qui président à son action dans ce dossier depuis si longtemps. Il nous revient aujourd’hui de mettre en oeuvre les conditions de réalisation de cet ouvrage visionnaire qui permettra l’exploitation du service ferroviaire du XXIe et au-delà avec toutes les assurances d’un report modal facilité, d’une exigence environnementale et de sécurité renforcées et d’une efficacité économique que nous devons à nos concitoyens.
C’est pourquoi il faut voter le texte que le Gouvernement nous propose ce matin pour la mise en oeuvre du projet Lyon-Turin qui, comme nous l’a écrit récemment Michel Bouvard, qui m’a précédée sur ces bancs…
…constitue un acte de courage, de responsabilité et de conviction dans l’avenir de la France et de l’Europe.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre délégué.
Je souhaite avant tout remercier celles et ceux qui ont apporté un soutien sans faille et argumenté au projet : Hervé Gaymard, Thierry Braillard, Philippe Baumel, Martial Saddier, Bernadette Laclais et Béatrice Santais dont les propos rejoignaient l’analyse fort bien argumentée d’Élisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères, mais également des deux rapporteurs, que je tiens également à féliciter d’avoir porté la discussion au-delà des affrontements politiques nationaux en se projetant – et ce dossier le mérite – à l’échelle internationale.
Monsieur Pancher, si Frédéric Cuvillier n’est pas présent aujourd’hui, c’est parce que le projet de loi qui vous est soumis est signé de Laurent Fabius : il s’agit d’un accord international qui relève de la compétence de la commission des affaires étrangères.
Mais Frédéric Cuvillier s’occupe de ce dossier au quotidien. Il ne vous aura pas échappé que, le 17 octobre dernier, il était à Talinn en train de négocier auprès de la Commission européenne l’engagement qu’elle sera bien là, à hauteur de 40 % du financement. Et ce matin, je m’exprime évidemment au nom du Gouvernement et au nom de mon collègue Cuvillier dont l’appui, dans ce dossier, est incontournable.
Mes remerciements vont également à M. Chanteguet, qui a pris l’initiative, c’est une première, de faire en sorte que la commission du développement durable soit saisie pour avis compte tenu des répercussions d’un tel projet sur l’environnement et la protection de ce grand massif. Vous avez bien fait. Je me réjouis du débat approfondi qui a lieu au sein de votre commission…
…et que vous ayez abouti à une analyse positive.
S’agissant du financement, le coût de la partie commune s’élève à 8,5 milliards d’euros aux conditions de 2010, mais la France n’en supportera que 25 % grâce aux dispositions contenues dans l’accord de Rome. On évoque parfois le chiffre de 26 milliards d’euros. Mais il correspond à une estimation de l’ensemble des travaux, côté italien et purement italien, que nous ne connaîtrons pas, et d’une partie des contournements de grandes agglomérations, je pense à l’agglomération lyonnaise qui, de toute façon, sans ce projet, devait engager un contournement pour désengorger l’agglomération lyonnaise.
Je suis même surpris en entendant certains juger que 26 milliards sur l’ensemble de l’axe, c’est trop, tout en réclamant une mise au gabarit de Kiev à Lisbonne – car c’est bien de cela dont nous parlons aujourd’hui. D’un côté, c’est trop, de l’autre, il faudrait tout mettre au gabarit de Lisbonne et Kiev…
C’est pour le moins contradictoire, mais je vous rejoins quant à l’ambition : il faudra à terme, en effet, mettre au gabarit l’ensemble de l’axe. Il ne s’agit pas d’un simple tracé de quelques centaines de kilomètres entre les deux capitales, mais d’un maillon sur une ligne bien plus longue, qui permettra aussi l’ouverture de l’Europe du sud aux Balkans et aux anciennes républiques de l’Union soviétique.
Quant aux accès français, je sais que cela vous intéresse, ils viennent d’être déclarés d’utilité publique au mois d’août dernier, cela ne vous a pas échappé, et doivent être envisagés de manière progressive, avec une première phase de 4,4 milliards d’euros visant à traiter prioritairement la section Lyon-Chambéry, la plus contrainte en termes de trafic …
…compte tenu de la densité des circulations TER à l’approche de Lyon avec une voie unique.
Cette amélioration permettra de mieux desservir l’ensemble des villes de la chaîne alpine de Grenoble à Annecy. Ils seront également éligibles au financement européen dans le cadre RTE. L’accord prévoit également l’intervention d’un nouvel accord pour engager les travaux qui, le moment venu, sera soumis à la représentation nationale pour approbation. Autrement dit, nous aurons un débat pour les clés de financement pour l’engagement effectif des ressources budgétaires de notre pays. Cela se fera en complète transparence.
S’agissant de la Cour des comptes, beaucoup de choses inexactes ont été dites. Il n’y a pas eu de dérapage du coût, comme certains tentent de le faire croire, puisque le Premier ministre lui-même a répondu à la Cour que le coût projeté du chantier entre 2003 et 2012 n’a évolué que de 5 % à périmètre géographique constant. Celles et ceux qui s’intéressent réellement au contenu de l’analyse de la Cour des comptes devraient se réjouir, car la Cour relève un pilotage insuffisant du projet dans le passé. Cet accord bilatéral franco-italien prévoit justement la création d’un nouveau promoteur public et de règles de gouvernance et de contrôle très strictes, avec par exemple la passation de marchés.
Pourquoi faire cette opération alors que, d’aucuns l’affirment, le trafic baisse ? Le projet Lyon-Turin offrira une vraie alternative à la route, performante et crédible, entre l’Italie et la France. Cette vision stratégique justifie d’ailleurs les autres grands ouvrages ferroviaires alpins : les tunnels suisses du Lötschberg, ouvert depuis 2007, et du Gothard, qui sera mis en service dans quelques années, ainsi que le tunnel austro-italien du Brenner. Il ne s’agit donc pas seulement de répondre à la croissance des trafics sur le long terme, mais d’adopter une approche radicalement différente de nos échanges avec l’Italie. Ce projet s’intègre, je le répète, dans un grand corridor européen des transports, qui s’intéressera à tous les flux de trafics est-ouest au niveau européen.
Il est faux de laisser penser que la ligne ferroviaire actuelle, qui passe par Modane et emprunte le tunnel historique du Fréjus, pourra répondre à ces enjeux à l’avenir puisque, hélas ! ses caractéristiques techniques – pente et gabarit – ne sont plus adaptées. Il est impossible d’avoir un fret ferroviaire compétitif dans ces conditions, a fortiori en concurrence avec deux autoroutes routières passant par les deux tunnels routiers du Mont-Blanc et du Fréjus, qui sont très attractives et pénalisent les Alpes.
J’ai entendu dire aussi que les Italiens ne s’engageaient pas sur ce dossier. C’est faux : le Parlement italien a déjà adopté une loi pluriannuelle de financement de cette infrastructure.
J’indique également que le gouvernement italien est totalement mobilisé sur ce dossier : M. Enrico Letta a même demandé samedi dernier au gouvernement français d’avancer sur ce chantier.
Enfin, à celles et ceux qui pensent que nous ne sommes pas capables de lever les fonds nécessaires pour engager ces travaux, je réponds que mobiliser, dans les trois ans qui viennent, entre 45 et 70 millions d’euros par an pour cette grande infrastructure n’est pas hors de portée de la France.
Je crois à la capacité de mon pays, tout comme je suis sûr que vous croyez, vous aussi, qu’il peut relever de grands défis qui marqueront le siècle.
Y aura-t-il par ailleurs des mesures de report modal ? Oui ! Le projet de liaison Lyon-Turin nécessite une politique globale de transport favorable ; lorsque le projet du Lyon-Turin et les autres grands projets de tunnels ferroviaires transalpins seront en service, il conviendra de définir avec l’ensemble des pays alpins et la Commission européenne des modalités de régulation des flux alpins, notamment de marchandises, avec des mesures incitatives pour utiliser cette infrastructure.
Un dernier mot sur le rapport Duron : ne lui faites pas dire ce qu’il n’a pas dit. La section transfrontalière du Lyon-Turin, qui fait l’objet d’un traité international, n’a pas été soumise à la commission Mobilité 21. Elle n’a donc pas examiné ce projet ni fait de recommandation.
La commission Mobilité 21 a par ailleurs rappelé la nécessité, particulièrement pour les accès, de réexaminer tous les cinq ans les priorités.
Mesdames et messieurs, au-delà de nos combats politiques et de nos divergences sur les choix de politique nationale, il ne nous est pas interdit de nous montrer collectivement solidaires, ambitieux et intelligemment éclairés pour relever des défis, tout à l’honneur de celles et ceux qui auront contribué à les lancer, comme d’autres l’ont fait avant nous pour le Mont-Blanc ou le tunnel sous la Manche.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC et sur divers bancs du groupe UMP.
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, l’article unique du projet de loi.
Sur l’article unique du projet de loi, je suis saisi par le groupe écologiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Bernard Accoyer, inscrit sur l’article.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voterai la ratification de cet accord, car l’engagement de la France est déjà ancien sur ce projet qui s’inscrit dans la structuration des échanges intra-européens.
Ce vote positif n’interdit cependant pas certaines réflexions sur ce dossier, qui doit être suivi avec attention pour plusieurs raisons : la situation de l’endettement de notre pays, comme celle de l’Italie ; les avertissements de la Cour des comptes et ceux du rapport Duron ; la hausse des coûts prévisionnels du tunnel de base et la baisse tendancielle du trafic de poids lourds entre la France et l’Italie.
Ces éléments d’évolution repoussent, à en croire la Cour des comptes et le rapport Duron, la date à laquelle l’axe Lyon-Turin sera saturé. Mais dès lors que nous nous plaçons sur le long terme, il serait illogique de ne pas ratifier ce traité qui finalement, s’il se décline dans le temps, associe audace et raison.
Je veux insister sur une évidence : ce tunnel ne peut se concevoir sans l’aménagement préalable des accès français au Lyon-Turin. Ces accès ont récemment fait l’objet d’une déclaration d’utilité publique, parue au Journal officiel du 25 août dernier. Même si sa durée de validité de quinze ans est longue, on ne peut que se satisfaire de cette déclaration d’utilité publique. Nous pouvons même nous demander, monsieur le ministre, si ces accès français ne seraient pas, sur le plan opérationnel, la priorité.
Il y a là un tronc commun dont la réalisation, combinée avec la modernisation prévue au contrat de plan État-région de la ligne Aix-les-Bains-Annecy, améliorerait grandement la desserte du sillon alpin, d’Annecy à Chambéry, aussi bien pour le désenclavement ferroviaire vers Lyon et Paris que pour les dessertes intercités actuellement très pénalisées par un réseau ferroviaire obsolète qui date, pour mémoire, du XIXe siècle.
Je conclus, monsieur le président.
C’est dans cette vision globale, étalée dans le temps, d’une mise à niveau du service ferroviaire dans les départements savoyards puis d’une infrastructure majeure transeuropéenne, que je voterai la ratification de cet accord.
Favorable à ce projet, je voterai évidemment la ratification de cet accord. Je sais, pour reprendre à mon compte les propos de notre collègue Hervé Gaymard, porte-parole de notre groupe, qu’un grand projet provoque toujours des controverses et des discussions – nous avons eu l’occasion de le constater ce matin. Mais pour ce qui me concerne, je veux vous parler du terrain, du quotidien, en ma qualité d’élue du Mont-Blanc. Chez moi, comme d’autres ont pu le dire également ce matin, il y a une pollution importante : or la pollution ne connaît pas de frontières.
Il faut en finir avec ce mur de camions qui traversent les Alpes ; il faut en finir avec ce mur de camions qui créent de graves problèmes de santé publique pour tous les habitants de la vallée du Mont-Blanc et des vallées avoisinantes.
Il faut en finir avec ce mur de camions qui crée de graves nuisances sonores pour l’ensemble des habitants.
Je vous parle de problèmes que je connais et que je vis au quotidien : c’est un argument fort et constant pour ouvrir l’horizon. Il faut créer un nouvel horizon pour les entreprises, pour les habitants, pour les citoyens. Nous sommes des citoyens européens, et nous devons avoir un nouvel horizon avec notre partenaire historique, notre partenaire de civilisation qu’est évidemment l’Italie ; un nouvel horizon pour nos enfants, pour notre avenir. L’Europe, c’est demain, et nous devons avoir une Europe ambitieuse ; le projet du Lyon-Turin s’inscrit évidemment dans cet avenir.
Ce projet est non seulement ambitieux, mais nécessaire : comme vient de l’expliquer Sophie Dion, il est clair que ce mur de camions doit disparaître et que nous devons mettre ce projet sur les rails. Je m’étonne d’ailleurs des critiques portées contre cette liaison par certains qui se disent justement les tenants du ferroutage. Cela permettra également d’améliorer les voies entre Lyon et Chambéry, qui sont franchement dignes du XVIIe siècle.
N’est-ce pas, monsieur le président Accoyer ? Ce tunnel ne se fait pas pour quelques jours ni pour quelques semaines : il sera en exploitation pendant sans doute plus d’un siècle. C’est donc une affaire qui exige de la ténacité et un peu d’audace ; mais le retour sur investissement sera là.
Il y a quelques jours – je parle en présence de la présidente de la commission des affaires étrangères –, j’étais à Tunis, sur le site de Carthage, et je pensais à Hannibal qui avait traversé les Alpes avec ses éléphants. Et je me suis demandé in petto : comment se fait-il que ces Verts soient toujours en faveur d’Hannibal et refusent le progrès ? Alors, allons-y sans hésiter !
Applaudissements sur divers bancs du groupe UMP.
Cher collègue, puisque vous demandez un écolo, en voici un ! Merci pour l’interpellation ! Vous avez d’ailleurs raison : il faut finir avec ce mur de camions qui traversent les Alpes !
Les Alpes-Maritimes, s’entend ! Vous auriez dû écouter : c’est dans les Alpes-Maritimes que l’on trouve le plus de camions, largement plus que tous ce qui passe dans tous les autres secteurs des Alpes !
Expliquez-moi en quoi un tunnel du Mont-Blanc ferait disparaître des camions en région PACA ! Je me tourne vers mes collègues de la région PACA : je ne doute pas du sens de leur vote, car ils n’iront pas soutenir un projet qui n’apportera, on le sait, aucune réponse !
Cela suffit ! Quelle conception des élus de la République ! C’est incroyable ! Régionaliste !
Vous venez nous parler de progrès, chers collègues : mais le progrès, je vous l’ai expliqué, se trouve dans ce livre du PREDIT, que nous avons payé avec les deniers publics. Les réponses sont là, permettez-moi de vous les rappeler : le wagon automoteur, qui requalifie toutes ces voies qui datent non pas du XVIIe siècle – je vous invite à réviser votre histoire de l’industrie, monsieur Myard : le XVIIe siècle, c’était encore le temps des chariots et des boeufs ! – mais du XIXe ! Du reste, ces voies ne datent même pas du XIXe siècle, mais du XXe !
C’est aussi le R-Shift-R, qui requalifie et qui redonne un sens au système modal ; ce sont également de nouvelles organisations logistiques, un nouveau mode de développement : nous ne ferons pas au XXIe siècle le même type de développement économique qu’au XXe siècle. Oui, il y aura une croissance, mais elle ne se construira pas sur toujours plus de voitures ! Il suffit de demander aux salariés de Renault ou de Peugeot ce qu’il en est !
Y a-t-il réellement toujours plus de voitures ? Aurons-nous plus de voitures ? Non, il n’y aura pas plus de voitures ! Il y aura autre façon de faire de la voiture, une autre croissance qui générera moins de flux logistiques ! Et tout cela, nous savons !
Je conclurai donc sur ce point, calmement.
L’Italie a innervé mon territoire. Les mineurs italiens se sont installés dans mon territoire : l’amitié italienne est donc très forte pour moi. Ce refus du traité aujourd’hui ne signifie pas un refus de l’alliance et de l’amitié avec les Italiens, au contraire : il permet de leur expliquer que le tunnel Lyon-Turin nous place ensemble sur un mauvais axe, qu’il n’apportera aucune réponse et n’aidera pas nos deux pays, inscrits pour toujours dans la nécessité de vivre ensemble et selon d’autres modèles de développement, beaucoup plus raisonnés.
Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste.
Il est procédé au scrutin.
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants: 66 Nombre de suffrages exprimés: 66 Majorité absolue: 34 Pour l’adoption: 57 contre: 9 (L’article unique est adopté.)
L’ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, des dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public (no 1460) et des dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public (no 1459).
La Conférence des présidents a décidé que ces textes donneraient lieu à une discussion générale commune.
La parole est à M. Marcel Rogemont, rapporteur de la commission mixte paritaire pour le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public.
Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, mes chers collègues, nous arrivons au terme de l’examen de cette loi sur l’indépendance de l’audiovisuel public, après un débat probablement trop court pour aller au bout des questions que le Sénat comme l’Assemblée nationale ont abordées.
Cependant, dans le temps imparti à l’examen de ce texte, je crois que nous pouvons être satisfaits du travail parlementaire. Il a été mené en bonne intelligence entre les deux assemblées de notre Parlement, comme le montre l’accord intervenu entre le Sénat et l’Assemblée nationale lors de la commission mixte paritaire.
Le nombre d’articles témoigne de ce travail effectué : nous sommes passés d’une dizaine à une trentaine d’articles. Dans la continuité des travaux de l’Assemblée nationale, le Sénat a précisé plusieurs points notamment l’étendue des pouvoirs que nous avions conférés au CSA : en élargissant le champ du règlement des différends aux services de médias audiovisuels à la demande ; en lui confiant un pouvoir de conciliation en matière de circulation des oeuvres ; en encadrant – c’était particulièrement nécessaire – la possibilité d’autoriser le passage d’une chaîne de la TNT payante à la TNT gratuite ; ou encore en limitant l’obligation de réaliser des études d’impact aux seuls services de télévision ou de radio nationaux.
S’agissant des nominations des présidents des sociétés de l’audiovisuel public, le Sénat a souhaité assurer une transition entre les dirigeants en place et leurs successeurs, et j’y reviendrai dans mon propos. Il a également introduit davantage de parité et une représentation des associations de défense des consommateurs au sein des conseils d’administration de ces sociétés.
Le Sénat a prévu de soumettre la nomination du président de l’Institut national de l’audiovisuel par le Président de la République à l’avis des commissions des affaires culturelles de nos assemblées.
Enfin, il a permis aux chaînes de détenir des parts de coproduction. À cet égard, la détention de droits par France Télévisions sur les programmes qu’elle finance participe pleinement à son indépendance financière. Depuis sa présentation en conseil des ministres, ce projet de loi s’est donc considérablement enrichi.
Certains ont cru bon de parler de « petite » loi, oubliant que la seule question des nominations des présidents de l’audiovisuel public mais aussi des membres du CSA, nommés sur la base d’un vote des commissions compétentes de nos assemblées aux trois cinquièmes, est fondamentale. Elle participe clairement au renforcement de l’indépendance de l’audiovisuel public et du régulateur du secteur.
Le travail parlementaire auquel nous avons été tous conviés permet de proposer une réforme à la fois ambitieuse et lisible. Elle permet de donner corps à l’engagement no 51 du Président de la République, je n’y reviens pas. Elle permet aussi de renforcer le CSA dans ses missions. Pour reprendre les mots de Mme la ministre de la culture, ce projet de loi est un texte clair, direct et efficace, à l’image du principe qu’il défend, l’indépendance.
L’indépendance est le socle d’une régulation de l’audiovisuel modernisée, qui s’adapte aux évolutions des technologies et des usages que connaît le monde audiovisuel. Dans ce monde qui évolue, le CSA doit avoir toute sa place dès lors que son rôle, ses pouvoirs, ses missions et ses devoirs sont clarifiés, renforcés et légitimés.
Permettez que je revienne sur quelques aspects de notre travail qui sont venus compléter l’intention première de ce texte – les nominations dans l’audiovisuel public.
Parlons d’abord de la responsabilité économique du Conseil supérieur de l’audiovisuel. À l’issue de l’examen de ce projet de loi, le CSA se trouve renforcé et le champ de ses compétences élargi. Pour autant, le pouvoir ne peut se concevoir sans un certain nombre d’obligations.
Le texte modernise le fonctionnement du CSA en le rendant plus ouvert aux enjeux économiques et donc plus à même d’y répondre. Un certain nombre de dispositions consacrent donc une plus large place à la prise en compte des équilibres économiques de l’audiovisuel par le CSA.
Cette question des équilibres économiques a été, par exemple, très présente dans le débat sur le passage de la TNT payante à la TNT gratuite. Nous avons travaillé dans le sens de la sécurisation de la procédure permettant au CSA, par décision motivée, de donner son agrément à une modification du modèle économique des chaînes. Préalablement à sa décision, le CSA devra procéder à une étude d’impact, notamment économique, portant sur les équilibres du marché publicitaire des services de télévision hertzienne terrestre.
L’étude d’impact est un outil majeur de notre volonté de responsabiliser économiquement le CSA. La modification des conventions et toute décision d’autorisation de nouveaux services seront désormais accompagnées d’une étude d’impact. Dans son rapport public annuel, le CSA devra rendre compte de l’impact économique de ses décisions d’autorisation d’usage de la ressource radioélectrique.
S’agissant de la responsabilité politique, lors de l’examen au Sénat du projet de loi, madame la ministre de la culture a proposé quatre mots-clés qui définissent la nouvelle régulation audiovisuelle mise en place par ce texte : indépendance, impartialité, lucidité et modernité. J’y ajouterai la transparence.
La transparence est la contrepartie nécessaire à l’indépendance réaffirmée du CSA. Il en est ainsi pour les nominations des présidents des sociétés nationales de programmes qui font l’objet d’une décision motivée de l’autorité. Elle est encadrée et doit se fonder sur des critères de compétence et d’expérience cherchant à obtenir une plus grande diversité professionnelle des membres du CSA. Chaque année, les rapports d’exécution des contrats d’objectifs et de moyens des sociétés nationales de programmes sont transmis pour avis au CSA et aux commissions parlementaires compétentes.
Venons-en maintenant à la continuité des mandats des présidents des sociétés nationales de programmes. Le service public audiovisuel souffre, me semble-t-il, d’un important manque de continuité stratégique. Le renouvellement tous les cinq ans des présidents ne favorise certainement pas cette continuité stratégique pourtant nécessaire à de telles organisations.
Dans cet esprit, il est louable que le Sénat se soit saisi de la question de la transition d’un président à l’autre, compte tenu des dates de passation de pouvoir actuelles. Le dispositif dit de tuilage, proposé par le Sénat et retenu par la commission mixte paritaire, répond à cette vraie question. Bien sûr, une réponse différente aurait pu être proposée comme celle d’arrêter tous les mandats le 31 décembre, évitant ainsi le tuilage et, ce faisant, un risque de confusion au sein de l’entreprise tant au début d’une présidence qu’à son terme. La question a trouvé, pour le moment, une réponse, et l’avenir est devant nous.
En ce qui concerne la publicité en journée, son maintien sur les chaînes du groupe France Télévision met fin à une période d’incertitude, celle de savoir si la publicité serait ou non supprimée le 1erjanvier 2016. Il était grand temps, pour stabiliser France télévisions, d’apporter un peu de visibilité tant pour les personnels de la régie que pour le plan d’affaire de la société.
Voilà mes chers collègues, rapidement rappelé, le contenu de ce texte que j’ai l’honneur, au nom de notre commission, de proposer à votre vote. Il vous propose une plus grande indépendance dans les nominations et un CSA renouvelé pour qu’il puisse emprunter le chemin qui nous fait passer, pas à pas, de l’univers de la réglementation à celui de la régulation de l’audiovisuel public. C’est un chemin nécessaire.
Comprenons que le CSA devra s’ouvrir plus encore aux enjeux de l’internet.
Une des bases importantes de notre système d’exposition et de financement du cinéma et de la production audiovisuelle repose sur la mise à disposition de fréquences radioélectriques gratuites. Qu’en est-il aujourd’hui lorsque la consommation télévisuelle s’effectue à 43 % par le filaire ? Chacun comprend que la question doit se poser.
Qu’en est-il aussi de l’audiovisuel, de la culture, si le ministre chargé des affaires européennes n’est pas disponible pour assurer la permanence nécessaire de notre ambition au sein de l’Union européenne et pas seulement puisque je le vois ici présent ? Qu’il soit remercié de sa compétence et de sa disponibilité mises à la défense de l’exception culturelle française dont nous portons ici l’ambition.
Merci !
Mes chers collègues, un chemin s’ouvre devant nous – celui de l’internet – mais avant de l’emprunter, adoptons ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à Mme Anne-Yvonne Le Dain, rapporteure de la commission mixte paritaire pour le projet de loi organique relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public.
Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, notre hémicycle est aujourd’hui saisi du projet de loi ordinaire et du projet de loi organique relatifs à l’indépendance de l’audiovisuel public, déposé le 5 juin 2013 sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Après une première lecture dans notre assemblée le 24 juillet dernier, puis la traditionnelle navette parlementaire et enfin son passage en commission mixte paritaire le 15 octobre dernier, ce texte important et ambitieux aborde la dernière étape du travail législatif avant d’être transmis à l’exécutif qui le mettra en oeuvre.
Ces textes ont pour objectif de modifier le mode de nomination des présidents des sociétés nationales de programme, que sont respectivement France Télévisions, Radio France et la société de l’audiovisuel extérieur français, devenue le 27 juin dernier France Médias Monde.
Pourquoi les modifier ? En effet, depuis 2009, ces personnes étaient nommées par le Président de la République, certes après avis conforme du Conseil supérieur de l’audiovisuel et après avis public des commissions permanentes compétentes de chaque assemblée.
Or il nous semble que cette procédure jetait un doute sur l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif des personnes appelées à présider ces institutions importantes qui portent la responsabilité d’informer et de donner à voir ce qui compte, ce qui bouge, ce qui change dans nos sociétés, et de le faire au nom de la responsabilité publique. Il importe donc, à notre sens, que ces nominations se fassent d’une manière compatible avec les exigences d’une démocratie moderne, d’une démocratie mature. C’est le sens du texte ici présenté.
Notre collègue Michel Françaix, spécialiste connu et reconnu du monde des médias, à cette même tribune, le mardi 25 novembre 2008, mettait des mots justes et forts sur une situation à laquelle nous remédions aujourd’hui : remise en cause du dispositif anti-concentration et du droit d’auteur des journalistes ; affaiblissement des ressources de France Télévisions ; renforcement de celles des chaînes privées par l’accroissement de leur régime publicitaire ; nomination et révocation, enfin, par le Président de la République du président de France Télévisions. Le texte fut néanmoins voté, il a mené sa vie. Dont acte.
Car la loi peut tout, commettre des erreurs puis les réparer. Là est sa noblesse, son rôle : faire évoluer la société et évoluer avec elle. Souvenons-nous de l’ORTF et des temps où les sujets traités par la « grand-messe du vingt heures » étaient fixés le matin même au ministère. Souvenons aussi de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle et de la mise en place de la Haute autorité de la communication audiovisuelle – devenue en 1989 le Conseil supérieur de l’audiovisuel – qui permis une véritable émancipation de l’audiovisuel public à l’égard du pouvoir exécutif et que soit instaurée une procédure transparente et objective de nomination des présidents des sociétés afférentes par une autorité administrative indépendante.
La loi organique du 5 mars 2009 a donc effectivement marqué un recul puisqu’elle consacrait la nomination des responsables de l’audiovisuel public par le Président de la République lui-même, faisant ainsi peser une présomption de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif, du pouvoir politique et de son administration.
À l’époque, il avait été argué que, finalement, ce retour à une nomination directe par le pouvoir politique était une sorte de sortie de l’hypocrisie. La belle affaire ! C’était faire fi du professionnalisme des personnes nommées au CSA, de la fierté du métier de ces professionnels, de leur souci d’indépendance, et du respect qu’ils ont – parfois même ombrageux – de leur corporation.
Car qui dit ombre dit aussi lumière. C’est en effet sur ce respect mutuel entre pouvoir d’agir et pouvoir d’informer, entre devoir d’agir et devoir d’informer que se construisent les démocraties. Et celles-ci ont besoin de corps intermédiaires pour les réguler.
Ce projet de loi restitue donc au Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité administrative indépendante, le soin de désigner, à la majorité de ses membres, les présidents des trois sociétés nationales de programme. Ainsi revenons-nous aux règles qui étaient applicables avant l’entrée en vigueur de la loi organique du 5 mars 2009.
Ce dispositif est pleinement conforme aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, lequel a constamment veillé à ce que la procédure de nomination des dirigeants des sociétés nationales de programme garantisse l’indépendance de ces derniers. En témoigne d’ailleurs la décision du 26 juillet 1989 selon laquelle la nomination de ces dirigeants par le CSA permet « d’assurer l’indépendance des sociétés nationales de programme chargées de la conception et de la programmation d’émissions de radiodiffusion sonore ou de télévision et de concourir ainsi à la mise en oeuvre de la liberté de communication proclamée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ».
Cette référence nous honore. Elle montre en effet qu’il est tout à l’honneur de notre assemblée de vouloir poser de nouveau ce principe même d’indépendance intellectuelle, morale et constitutionnelle. Ce retour à la nomination des présidents des sociétés nationales de programme par une autorité administrative indépendante, en l’occurrence le CSA, permettra, comme c’était le cas par le passé, de lever tout soupçon d’immixtion du pouvoir exécutif dans ce secteur particulièrement important au regard de la préservation de la liberté de communication. Ainsi l’indépendance des sociétés audiovisuelles et de radiodiffusion publiques sera-t-elle garantie, conformément aux exigences constitutionnelles, de même que celle des journalistes.
Tirant les conséquences de ce nouveau mode de nomination, le projet de loi organique abroge, en son article 1er, la loi organique du 5 mars 2009 et supprime, en son article 2, les références aux présidents de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France dans le tableau annexé à la loi organique no 2010-837 du 23 juillet 2010 relative à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.
Mais, au-delà de l’esprit de cette loi, je souhaite en aborder maintenant la lettre.
Certains, issus de la précédente majorité, n’ont pas manqué durant les débats en première lecture de souligner que l’un des aspects positifs de la loi du 5 mars 2009 avait été de permettre aux assemblées parlementaires de rendre, à l’occasion de leur nomination, un avis sur le projet stratégique des candidats à la présidence des sociétés de l’audiovisuel public. Je tiens à cet égard, et pour répondre à d’éventuelles inquiétudes, à préciser que cette réforme-ci conserve ce principe d’une étroite association du Parlement, car les présidents nouvellement désignés transmettront au président de l’Assemblée nationale et du Sénat, ainsi qu’aux commissions permanentes compétentes, en l’occurrence celles des affaires culturelles, un rapport d’orientation, dans un délai de deux mois après le début de leur mandat. Et nous, parlementaires, conservons la possibilité d’auditionner, si nous le souhaitons, sur la base de ce rapport, les présidents après leur nomination. Dans le respect de la séparation des pouvoirs, cette procédure permettra donc de porter à la connaissance du Parlement les projets stratégiques des présidents de France Télévisions, de Radio France, et de France Médias Monde. Ayant connaissance du projet, nous aurons tout loisir, chers collègues, d’en mesurer ultérieurement l’accomplissement, les évolutions, les changements : il nous sera donc loisible de mesurer et de dire.
Qu’on me permette aussi d’évoquer la grande innovation de cette dernière lecture, qui prouve, s’il en était besoin, que le travail parlementaire est important, et qu’il pèse. A été introduite par le Sénat une nouvelle disposition qui soumet aussi, c’est important, la nomination du président de l’Institut national de l’audiovisuel à l’avis des commissions culturelles respectives de nos deux assemblées avant que le Président de la République ne prenne sa décision. Cette novation intéressante et inattendue marque l’arrivée de l’image animée historique dans le monde institutionnel de la culture médiatique de l’image animée vivante, cette image animée historique dont l’INA s’est vu confier la conservation et la mémoire, cette image animée historique qui est notre mémoire collective. Peut-être oeuvrons-nous ainsi, par cette innovation institutionnelle, à l’ouverture d’autres portes, par exemple pour les nominations futures des responsables de nos établissements culturels et autres lieux d’histoire et de mémoire. À travers cette disposition nouvelle, nous continuons donc à inventer la modernité et dessinons une société nouvelle articulée autour de trois piliers : le politique et son administration ; la communication et les médias ; la société civile. Il nous appartiendra donc, chers collègues, de ne pas reproduire les trois ordres du passé, la noblesse, le clergé et le tiers état, ordres par trop oublieux du peuple et qui, trop souvent, s’affrontaient ou s’arrangeaient dans les lieux feutrés des pouvoirs.
Pour nos sociétés modernes, nous assumons donc ici l’existence non seulement de contre-pouvoirs, comme l’on disait autrefois dans nos sociétés bloquées et frileuses, mais aussi de moments et de lieux explicites qui permettent l’articulation et le dialogue en public. C’est cette publicité qui permet d’éventuelles réfutations, c’est cette publicité qui est la force des démocraties.
Nous faisons donc bien oeuvre originale, une oeuvre qui bousculera bien des codes, des schémas et des habitudes : pas de nomination directe par le politique, mais un pouvoir d’audition du Parlement, et donc d’interpellation, et l’introduction des oeuvres de mémoire dans le dispositif. Dont acte : la loi avance, intègre les lois précédentes et invente l’avenir. C’est son rôle.
Je veux enfin me féliciter de la qualité du travail parlementaire sur ce texte et de l’écoute dont le Gouvernement, notamment Mme la ministre de la culture a su faire preuve. La complémentarité entre les deux chambres du Parlement a parfaitement fonctionné, au service de l’enrichissement du texte, et c’est un texte complet, ambitieux, audacieux, novateur et, oserai-je dire, innovant que nous avons l’honneur de vous demander de voter.
La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.
Monsieur le président, monsieur le président des commissions mixtes paritaires, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de m’exprimer au nom du Gouvernement sur le fruit de ces travaux parlementaires concernant le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public, après que les commissions mixtes paritaires, qui s’étaient réunies le 15 octobre dernier, ont rendu leurs conclusions.
Je suis heureux de le faire, non parce qu’Aurélie Filippetti est absente mais parce que c’est une question importante, au-delà même du champ culturel, importante pour le quotidien de nos citoyens, importante pour la garantie des droits et libertés. C’est dans ce contexte que je souhaite vous exprimer la satisfaction du Gouvernement pour la qualité du travail accompli par la représentation nationale, et aussi vous remercier, au nom d’Aurélie Filippetti, pour la très grande qualité des échanges lors des débats au sein de chacune des chambres. Ils ont permis d’enrichir ce projet de loi de manière, disons-le, déterminante.
Le texte dont vous êtes saisi renforce de manière très importante l’indépendance de l’audiovisuel public, et les travaux parlementaires auront permis de moderniser la régulation audiovisuelle de notre pays. Celle-ci repose sur le Conseil supérieur de l’audiovisuel ; le Gouvernement tient à saluer, sur ce point, votre précieuse contribution. Indépendance, impartialité, lucidité et modernité : voilà les mots que je retiendrai pour qualifier la régulation audiovisuelle que nous souhaitons.
Une régulation indépendante tout d’abord. Je pense avant tout au mode de nomination des présidents des entreprises de l’audiovisuel public. Le projet de loi rétablit enfin une garantie essentielle de leur indépendance : leur nomination par Conseil supérieur de l’audiovisuel. En outre, l’indépendance de ce dernier est renforcée. En réformant le mode de nomination des membres de l’instance de régulation, nous avons en effet accompli un autre progrès : la majorité et l’opposition parlementaires seront associées à la nomination des futurs membres du CSA. Cette réforme aura un impact profond sur le fonctionnement même d’un CSA à l’indépendance renforcée. Ainsi, et en complète cohérence avec les objectifs de renforcement de l’indépendance du secteur audiovisuel fixés par le projet de loi, vous avez modifié le statut du CSA, qui devient ainsi une autorité publique indépendante.
Une régulation impartiale ensuite. S’agissant du mode de nomination et du statut des membres du CSA, vos travaux ont également enrichi le projet de loi en prévoyant, premièrement, que les membres soient désormais nommés sur la base de critères de qualification, afin d’assurer la nomination de personnalités aux compétences incontestables, mais aussi, deuxièmement, que les règles relatives aux incompatibilités auxquelles les membres du Conseil sont soumis soient améliorées. En outre, les modalités de communication du collège sur ses décisions sont clarifiées et il est prévu que le CSA rende compte, dans son rapport annuel, des études appuyant ses décisions d’attribution de fréquences, et ce, afin que le sens des décisions du régulateur et les arguments sur lesquels celles-ci se fondent soient mieux compris. Enfin, les nominations au CSA devront, c’est une bonne chose, respecter la parité.
Une régulation lucide, aussi, au regard des enjeux économiques pour le secteur de l’audiovisuel. Des dispositions ont été adoptées en vue d’assurer une meilleure prise en compte des équilibres économiques de l’audiovisuel par le CSA. Ainsi, toute décision d’autorisation de nouveaux services nationaux susceptibles d’affecter significativement le marché sera précédée d’une étude d’impact. Par ailleurs, le maintien de la publicité en journée sur les chaînes de France Télévisions permettra de sécuriser des recettes commerciales pour l’entreprise publique, alors que la loi votée par la majorité précédente prévoyait une suppression complète de la publicité sur les antennes du groupe à l’horizon 2016. Le maintien de la publicité en journée est en effet nécessaire pour le redressement des comptes de France Télévisions et pour alléger la pression qui s’exerce sur nos finances publiques.
Une régulation modernisée enfin, adaptée à l’ère du numérique. D’autres dispositions issues des travaux parlementaires permettent en effet une modernisation de notre droit sur des sujets arrivés à maturité. Vous avez ainsi prévu que le CSA réserve un appel d’offres sur une fréquence disponible à des chaînes qui souhaitent passer en haute définition sans changer pour autant de profil éditorial. Il s’agit d’accompagner une évolution attendue des téléspectateurs. Par ailleurs, il est désormais prévu que le CSA enregistre les déclarations des distributeurs et des éditeurs pour les services de médias audiovisuels à la demande ; il pourra aussi régler les différends portant sur la distribution de ces services. Le CSA voit également son rôle accru dans l’organisation du marché de la télévision numérique terrestre. Il pourra autoriser les changements de modèle économique des chaînes, par exemple un passage du payant au gratuit. Votre assemblée avait souhaité confier cette responsabilité au CSA ; le Sénat l’a entériné, en prévoyant que cette compétence soit encadrée. Le Gouvernement partage totalement votre souhait, l’agrément délivré par le CSA pour le passage de la diffusion payante à la diffusion gratuite ne doit mettre en péril ni le pluralisme ni les équilibres publicitaires du secteur.
Nous sommes tous conscients du fait que l’examen de certains aspects techniques évoqués pendant les débats doit se poursuivre. Ils seront traités dans le cadre de textes législatifs ultérieurs. Le Gouvernement sait qu’il peut compter sur l’implication de l’Assemblée nationale pour oeuvrer à ce que notre paysage audiovisuel soit un espace d’indépendance, de création et de développement. Et, pour répondre à votre interpellation, cher Marcel Rogemont, vous pouvez compter sur moi, y compris pour porter cette ambition à l’échelle de l’Union européenne.
La parole est à M. Patrick Bloche, président des deux commissions mixtes paritaires.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai déjà eu l’occasion de rappeler, lors de la première lecture de ce texte, c’était l’été dernier, combien il était nécessaire, indispensable et même, d’un certain point de vue, osons-le dire, urgent de revenir sur la funeste loi de 2009, tant elle allait à rebours de toute l’évolution de notre législation, qui conduisait jusqu’alors à garantir toujours plus de pluralisme et à garantir aux médias, notamment aux chaînes publiques, l’indépendance nécessaire dans une démocratie. C’est la raison pour laquelle je me réjouis aujourd’hui, avant les nombreux orateurs qui s’exprimeront, du fait que nous soyons amenés à redonner au Conseil supérieur de l’audiovisuel le pouvoir qu’il n’aurait jamais dû perdre, ce pouvoir de désignation des trois présidents de l’audiovisuel public. Il était important de le rappeler.
Mais, je tiens à nouveau à le dire ici, il est une indépendance qu’aucune loi, malheureusement, ne saura rétablir. Aucune loi ne permettra de redonner à l’audiovisuel public, en particulier à France Télévisions, l’indépendance budgétaire, l’indépendance financière qui était la sienne jusqu’au vote de la loi de 2009. Rappelons-le une nouvelle fois, pour mesurer aujourd’hui, quatre ans après son vote, toutes les conséquences de cette suppression brutale de publicité en soirée, autrement dit de 450 millions d’euros de recettes publicitaires. Rappelons que jusqu’alors, France Télévisions n’était financée que par la redevance, pour une part très importante, et par 800 millions d’euros de recettes publicitaires. Il n’y avait pas besoin de dotation budgétaire de l’État pour assurer l’équilibre financier de France Télévisions.
De ce fait, le coup politique que le président Sarkozy a cru jouer à l’époque aura eu pour effet de fragiliser ce groupe dans un contexte marqué, pour les raisons que vous savez, par la baisse du marché de la publicité. C’est pour cela que la situation du groupe France Télévisions est une préoccupation constante pour le Gouvernement, mais aussi pour le Parlement et tous les membres de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, quelle que soit leur appartenance politique. Rappelons, si c’est encore nécessaire, qu’au moment du vote de la loi de 2009, les ressources publicitaires en journée s’élevaient à 350 millions d’euros. Par un effet d’aubaine, elles sont montées à 420 millions d’euros en 2011. Aujourd’hui, malheureusement, on note un retard sur les recettes prévues pour l’année 2013 : nous avoisinons les 320 millions d’euros.
De ce fait, le maintien – nous l’avons tous compris – de la publicité en journée et des ressources qu’elle procure était évidemment impératif. C’est l’une des dispositions les plus importantes de ce projet de loi, qui permet de donner une visibilité au groupe France Télévisions pour les années à venir. Comme Marcel Rogemont et Anne-Yvonne Le Dain l’ont rappelé, l’objectif initial de la loi était de tenir l’engagement no 51 du candidat François Hollande, devenu Président de la République. Il sera naturellement atteint après le vote de cette loi. Cela fait un engagement de plus de tenu !
Mais le texte issu de la CMP dont nous débattons aujourd’hui, en fin de processus législatif, va au-delà de cet objectif initial. Nous avons en effet abouti à un texte très complet, qui répond à une question essentielle, celle des moyens que nous souhaitons donner au régulateur de l’audiovisuel du XXIe siècle. En effet, grâce à cette loi, le CSA, devenu autorité publique indépendante, sera non seulement renouvelé dans sa composition même, par la modification du nombre de ses membres et de leur mode de nomination, mais sera, de surcroît, doté des moyens nécessaires pour jouer un rôle essentiel de régulation économique, rôle qu’il n’avait pas ou n’exerçait pas suffisamment jusqu’à présent.
Permettez-moi de revenir un instant sur le futur mode de nomination des membres du CSA. C’est une vraie novation législative : il faudra trois cinquièmes d’approbation dans les commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cela signifie qu’à l’avenir, les membres du collège du CSA ne pourront être désignés que par un accord préalable entre la majorité et l’opposition. Cela représente un acquis démocratique essentiel. J’espère que nous pourrons étendre ultérieurement cette procédure à d’autres instances du même type.
Pour garantir le pluralisme et lutter contre la concentration – à laquelle, comme nous le savons, tend naturellement le paysage audiovisuel français – à l’heure de la télévision connectée et alors qu’il faut relever les nombreux défis de la révolution numérique, il fallait armer le CSA afin qu’il puisse jouer pleinement ce rôle. C’est dans cet esprit que les travaux des commissions mixtes paritaires que j’ai eu l’honneur de présider se sont déroulés. Nous sommes parvenus assez aisément, en fin de compte, à un texte dont la cohérence est réelle et qui préserve au mieux les apports de chaque assemblée. Ce faisant, nous avons toujours gardé en tête l’objectif initial, qui a été le fil rouge de l’examen de ce texte au Parlement : garantir l’indépendance de l’audiovisuel public et celle du régulateur de l’audiovisuel.
C’est en ce sens que nous avons donné un rôle accru au CSA dans l’organisation du marché de la télévision numérique terrestre, notamment en lui donnant la capacité d’autoriser les changements de modèle économique des chaînes, singulièrement le passage du payant au gratuit, dans des conditions bien encadrées, dont les modalités ont d’ailleurs été précisées en commission mixte paritaire.
La commission mixte paritaire est à cet égard parvenue à une rédaction optimale. Le texte donne aussi des pouvoirs de conciliation au CSA, entre les éditeurs de service et les éditeurs d’oeuvres ou de programmes audiovisuels ou leurs mandataires ou les organisations professionnelles qui les représentent. Corollaire du renforcement de son indépendance, le CSA sera désormais amené à rendre compte, dans son rapport annuel, des études ayant fondé ses décisions d’attribution de fréquences, afin que le sens de ses décisions et les arguments sur lesquels elles sont fondées soient mieux compris.
Je ne déclinerai pas toutes les dispositions de ce texte. Marcel Rogemont, notre rapporteur, s’en est fort opportunément chargé, ainsi qu’Anne-Yvonne Le Dain. Je tenais cependant, s’il le fallait encore, à montrer sa cohérence. Le champ de ce texte est bien plus large que certains ne le prétendent en le qualifiant improprement de « petite loi ». Monsieur le ministre, mes chers collègues, je pense que nous pouvons collectivement nous réjouir d’être parvenus, au terme de ce beau processus d’élaboration législative, et grâce à la qualité des débats en commission mixte paritaire, à un texte dont nous pouvons être fiers. Ce n’est en rien une petite loi, c’est une grande loi pour l’audiovisuel public et son indépendance.
Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et RRDP.
La parole est à M. Michel Pouzol, premier orateur inscrit dans la discussion générale commune.
Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission mixte paritaire, mes chers collègues, nous sommes sur le point de voter en dernière lecture un texte important pour l’indépendance de l’audiovisuel public. Ce texte marque clairement la fin d’une tradition française obsolète, je veux parler de l’ingérence du pouvoir politique dans les médias.
Depuis 1944, de nombreux responsables politiques ont considéré que l’organisation de la presse ou de l’audiovisuel relevait naturellement de leurs prérogatives, effrayés sans doute de voir éclore une liberté de pensée et de réflexion mise à la portée de chaque citoyen, d’où qu’il vienne. Nous pouvons être fiers de la rupture que nous opérons aujourd’hui, en votant ce texte, avec les habitudes précédentes. Il s’agit aussi d’une rupture – cela a déjà été noté – avec la réforme de 2009 voulue par le président Nicolas Sarkozy. Cette réforme s’apparentait à ce qui se fait chez nos voisins européens – pour n’en citer qu’un, le gouvernement italien contrôle à 99 % le principal groupe audiovisuel public. In fine, cela ressemblait plus à une dangereuse tentative d’instaurer une dictature des idées, qu’à une démarche pour encadrer de manière responsable les libertés collectives.
Que le pouvoir en place – quelle que soit, d’ailleurs, sa couleur politique – puisse influer sur le traitement des informations, leur lecture, leur hiérarchisation, ou puisse critiquer la ligne éditoriale d’une chaîne, n’est absolument pas compatible avec les principes de pluralisme et de séparation des pouvoirs qui permettent le débat démocratique. Au-delà de ces principes, la chose n’est tout simplement plus tolérable. Oui, il était bien d’une impérieuse nécessité d’en finir avec ce que d’aucuns ont appelé « radio-Sarkozy » et « TV-Élysée », tout en se gardant bien d’user des méthodes utilisées précédemment, qui s’apparentaient trop souvent à une véritable chasse aux sorcières. Revenir sur la loi du 5 mars 2009 va ainsi, à l’évidence, dans le bon sens.
En effet, cette loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision a retiré au CSA le pouvoir de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public pour le confier au Président de la République, consacrant ainsi la mainmise du chef de l’État sur ce service public. Cela a logiquement eu pour effet de faire peser sur ces dirigeants d’entreprise publique une présomption de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Cette présomption était encore aggravée par le fait que les ressources de l’audiovisuel public, composées de la redevance et des nouvelles taxes destinées à se substituer à la publicité, dépendaient exclusivement des pouvoirs publics.
Le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui, après plusieurs mois de débats, confie au CSA le soin de désigner les présidents des trois sociétés nationales de programme : France Télévisions, Radio France, et France Médias Monde. De plus, une seconde avancée en faveur de l’indépendance de cette autorité est réalisée : la nomination de ses membres s’appuiera sur des critères de qualification, afin de s’assurer que les personnalités ainsi nommées aient une compétence et une expérience indiscutables. Désormais, le Président de la République nommera uniquement le président de l’institution, et non trois de ses membres comme c’est actuellement le cas. La nomination des six autres membres – trois choisis par le président du Sénat, trois par celui de l’Assemblée – devra recevoir l’avis conforme des commissions des affaires culturelles à la majorité des trois cinquièmes. La représentation nationale, opposition comprise, sera ainsi étroitement associée au choix des gardiens de la liberté audiovisuelle.
Nous pouvons nous satisfaire également des mesures prises en faveur de l’adaptation de la régulation à l’ère numérique et aux mutations du secteur audiovisuel, encouragées par le rapport Lescure.
Ce texte est d’abord symbolique : il traduit l’engagement no 51 du candidat François Hollande. Il s’inscrit également dans un ensemble cohérent. Avec la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature, nous redonnerons de l’indépendance aux magistrats et à la justice. De même, un texte tendant à renforcer la protection du secret des sources des journalistes est actuellement en préparation. Notre volonté est donc de redonner confiance à ces « chiens de garde de la démocratie » que sont les acteurs du monde de l’information et de l’audiovisuel dans son ensemble.
Ce texte participe donc de la dynamique politique qui tend à réaffirmer les piliers fondamentaux de la vie démocratique et son caractère contradictoire. J’espère qu’il recevra le soutien de tous les républicains attachés au principe d’indépendance des médias. L’ensemble de ces textes a aussi pour but de redonner confiance aux citoyens en leurs institutions et à ces espaces de liberté que sont les médias. Les médias font exister les débats d’opinions et les échanges idéologiques, qui sont si nécessaires pour faire vivre et évoluer notre conscience politique et nos moeurs, et, pour tout dire, pour notre démocratie.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
Monsieur le ministre, je regrette l’absence de Mme Filippetti, mais le fait qu’elle soit représentée par un membre du Gouvernement d’origine savoyarde est un moindre mal ! (Sourires.)
Monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur et madame les rapporteurs, chers collègues, nous voici réunis ce matin pour clore le débat sur le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public. Avant toute remarque sur le fond, je souhaiterais faire plusieurs remarques sur la méthode. En première lecture à l’Assemblée nationale, notre groupe déplorait déjà à la fois le périmètre restreint de la loi, et le choix qu’a fait le Gouvernement de déclarer l’urgence sur ce texte. La suite de son examen nous a donné raison.
Le Gouvernement a choisi de faire voter une petite loi, dans l’attente d’une loi plus importante que nous ne voyons toujours pas venir. À cause de ce choix, les députés de la majorité ont eu la tentation de déposer des amendements élargissant considérablement l’objet de ce texte. C’est ainsi qu’ont été votées à la sauvette et sans étude d’impact préalable des mesures aussi importantes que les conditions de passage d’une chaîne du secteur payant au secteur gratuit et inversement. C’est également ainsi que ce texte, qui portait principalement sur la nomination des présidents de l’audiovisuel public, est devenu un texte sur les pouvoirs du CSA.
Mais il y a plus grave : les sénateurs ont cédé à la même tentation que les députés. En vertu de la procédure accélérée, nous nous prononcerons donc dans quelques minutes sur un texte dont certaines dispositions n’ont pas même été débattues à l’Assemblée. Je pense notamment aux mesures sur la coproduction, sur lesquelles le statu quo s’est imposé en commission mixte paritaire, un peu par défaut. Cette disposition sera inscrite dans la loi alors que nous manquons de recul et de temps pour évaluer ses effets, faute d’avoir pu mener les consultations qui s’imposaient. Cela ressemble peu à une réforme réfléchie ! De même, les dispositions relatives aux services de médias audiovisuels à la demande ont été inscrites dans le texte à l’insu des députés et au mépris de la procédure de consultation actuellement menée par la direction générale des médias et des industries culturelles.
On ne peut s’empêcher de penser que ces nouvelles dispositions sont des mesures d’appel qui seront nécessairement revues à l’occasion d’un prochain texte. Cela décrédibilise l’initiative parlementaire. Cela démontre également que ce projet de loi, comme la plupart des textes présentés par le Gouvernement, a été insuffisamment préparé.
Me voilà donc, jeune députée, un peu déçue par cette manière de légiférer au lance-pierre. Si le Gouvernement avait pris ses responsabilités en présentant une réforme d’envergure, ainsi que le rapport Lescure le laissait espérer, nous n’aurions pas eu le sentiment d’avoir été privés de débat. Mais on peut comprendre que l’échéance prochaine des mandats de l’un des présidents de l’audiovisuel public ait quelque peu pressé le Gouvernement. Dès la promulgation de ce projet de loi, son article 5 rendra possible une chasse aux sorcières, en permettant de mettre fin aux fonctions des actuels présidents de sociétés de l’audiovisuel public : nous le regrettons.
Sur le fond, l’examen du texte par les sénateurs et les décisions prises en commission mixte paritaire ne changent pas la position de notre groupe sur ce texte. Au cours de nos débats, nous avons bien compris que la notion d’indépendance est, contre toute attente, source de clivage entre la majorité et l’opposition. Et pour cause : pour nous, parler de l’indépendance de l’audiovisuel public, c’est parler de l’indépendance financière des sociétés du secteur public. Pour vous, garantir l’indépendance de l’audiovisuel public, c’est revenir à un mode de nomination qui était déjà en vigueur en 1982. En effet, vous confiez ce pouvoir de nomination au collège du CSA. Mme Filippetti soutient que le changement du mode de nomination des membres du CSA, incluant une procédure d’avis conforme des commissions compétentes des deux assemblées, est une révolution.
Le raisonnement est le suivant : l’indépendance du collège garantira l’indépendance des nominations auxquelles il procède. Mais il y a un petit grain de sable qui vient enrayer cette chaîne vertueuse de l’indépendance : le président du collège reste nommé par le Président de la République.
Pour aller au bout de votre logique, et je ferai mienne cette remarque de Jacques Legendre : il aurait fallu laisser le CSA élire lui-même son président.
Nous sommes donc au milieu du gué : l’avis conforme des commissions ressemble à un lot de consolation pour le Parlement, qui ne pourra plus exercer son pouvoir de contrôle des nominations des présidents de l’audiovisuel public.
Si le lien avec la présidence de la République avait été rompu, cet avis conforme des commissions aurait ressemblé au gros lot, c’est certain.
Mais ce n’est pas le cas : en l’état actuel des choses, votre loi s’apparente à un énième petit détricotage, qui rendra les nominations des présidents de l’audiovisuel public moins transparentes, mais en aucun cas moins politiques.
En outre, cela mérite d’être redit, les prochaines nominations seront effectuées par un CSA qui ne sera pas encore auréolé d’une indépendance incontestable – du moins au sens où vous l’entendez. En effet, en mai 2014 prochain, date de la fin de mandat de M. Hees, le collège n’aura pas été nommé avec avis conforme de nos commissions.
Cette absence de parallélisme des formes, que vous avez évacuée tout au long du débat, prouve bien que nous avons affaire à une énième loi d’affichage.
La prétendue révolution que vous nous proposez méritait bien une petite révolte de notre part.
Non, mes chers collègues de la majorité, vous qui souhaitiez à tout prix éliminer le doute et la suspicion qui à vous entendre pèseraient sur les présidents des sociétés nationales de programme, vous ne vous êtes pas donné les moyens de lutter contre une éventuelle présomption de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif.
On notera également qu’il n’était pas évident de revenir à un mode de nomination confié au CSA : pouvoir de nomination et pouvoir de régulation dans un même secteur ne font pas bon ménage. Comme l’a dit notre collègue Franck Riester à plusieurs reprises, c’est comme si le président de l’ARCEP nommait le PDG d’Orange.
Or la concurrence existe entre opérateurs audiovisuels privés et publics, que ce soit en matière de marché publicitaire ou d’attribution de fréquences, comme en atteste l’existence de contentieux entre ces opérateurs. Ce n’est donc pas parce que le CSA avait ce pouvoir de nomination avant 2009 qu’il était logique d’y revenir, bien au contraire.
Toutes les « avancées démocratiques majeures » que vous nous présentez ont non seulement un petit goût de déjà-vu mais sont en plus largement contestables.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera contre ce texte.
Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.
Monsieur le président, monsieur le ministre – à défaut de Mme la ministre –…
Je sais qu’elle est irremplaçable !
…chers collègues, l’examen ultime de ce projet de loi par l’Assemblée nationale est l’occasion de dresser le bilan d’une discussion parlementaire qui a incontestablement enrichi le texte initial, malgré le choix du Gouvernement d’agir de façon précipitée en choisissant la procédure accélérée.
Je signalerai néanmoins l’encadrement de la procédure de passage des chaînes de la TNT gratuite à la TNT payante, qui paraît nécessaire pour préserver les équilibres en place, ou encore la procédure de tuilage, permettant aux nouveaux présidents des sociétés de se familiariser avec le fonctionnement de celles-ci.
Mais nous regrettons la précipitation du Gouvernement, parce que nous avons le sentiment d’être passés à côté des vrais enjeux du secteur audiovisuel public, qui ne pouvaient être traités par les dix articles du texte initial et qui ne le sont pas davantage par les amendements adoptés, aussi pertinents soient-ils.
Car, au fond, quel objet ultime un texte comme celui-ci devrait-il viser, si ce n’est de permettre au secteur public de l’audiovisuel d’exercer pleinement sa mission ?
Cette mission, c’est la question des publics et de la démocratisation. C’est la diffusion des oeuvres de l’esprit vers le plus grand nombre. C’est l’enjeu de l’émulation et de la vitalité de la création. C’est le contraire des grandes féodalités publiques, qui permettent rarement l’émergence de grands talents. C’est la capacité du secteur audiovisuel public à être un passeur solide de talents, en dehors de critères de choix trop souvent éloignés de l’exigence culturelle.
Voilà la belle vocation humaniste et démocratique de notre secteur audiovisuel public. Et j’oserais dire qu’il faut parvenir à honorer ce postulat optimiste selon lequel les oeuvres de qualité, même les plus exigeantes, ont par nature un vaste public.
Aucune traduction de cela dans ce projet de loi, qui se réduit ici à un Meccano qu’on révise, mais qu’on ne repense pas.
Nous aurions préféré examiner la grande loi sur l’audiovisuel que l’on nous promet pour 2014, plutôt qu’un texte initialement assez modeste, sans message de fond, mais assorti de quelques slogans habituels, notamment celui de l’indépendance.
Sur l’objectif d’indépendance de l’audiovisuel que vous affichez, reconnaissons qu’en prévoyant que la nomination du président de l’Institut national de l’audiovisuel par le Président de la République serait soumise pour avis aux commissions de la culture de l’Assemblée nationale et du Sénat et en accordant aux chaînes de télévision la possibilité de détenir des parts de coproduction, nous faisons un pas. Mais permettez-nous de vous faire part de notre inquiétude en voyant que quatre-vingt-dix emplois de journalistes doivent être supprimés, et que toute l’antenne de l’Agence internationale d’images de télévision dédiée à l’actualité africaine a été jugée non prioritaire.
Il faut des moyens humains pour assurer l’indépendance. Or le COM, on le sait, impose à France Télévisions une diminution des dotations de l’État de 42 millions d’euros d’ici à 2015.
Et si nous sommes favorables sur le fond à un retour sur investissement pour les chaînes du service public, amendement introduit par le sénateur Jean-Pierre Plancade, il nous semble bien prématuré de voter ces dispositions par cette voie, notamment parce qu’elles ne sont pas sans conséquences dans le contexte de forte concurrence internationale que nous connaissons.
Quant au nouveau mode de nomination des présidents des sociétés nationales de programmes par le CSA, qui vise à lever toute suspicion de favoritisme, c’est un choix qui rappelle simplement les modalités de nomination mises en place en 1982 pour ce qui était alors la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. Et finalement, ce mode de nomination obéit toujours à une logique purement institutionnelle : elle dépend toujours des pouvoirs en place, de ceux qui jusqu’ici prenaient la décision, et qui la prendront encore demain.
Le groupe UDI avait proposé que ce soient les acteurs de la création et de la diffusion qui siègent au CSA. Nous souhaitions nous tourner vers les contenus et les vrais enjeux. Nous n’avons pas été entendus. Nous ne visions pas à la représentation de catégories ou à établir des quotas dans la composition de ce qui est désormais une autorité publique indépendante, mais à imposer des compétences qui signeraient indubitablement une véritable exigence d’excellence.
Qu’entendons-nous par « excellence » dans ce cas précis, si ce n’est la confrontation des points de vue de personnalités qui incarnent la plus haute qualité possible de l’offre culturelle ? C’est la raison pour laquelle le groupe UDI souhaitait que la composition du CSA soit radicalement repensée autour des seules compétences utiles : l’exigence culturelle, la création, le journalisme et la connaissance transversale des enjeux de la société civile.
Vous disposiez là d’une formidable occasion de renforcer le rôle du CSA, comme autorité, partenaire, régulateur et défenseur de la diversité. Il fallait résolument se donner les moyens de s’extraire du feuilleton législatif des changements de format, pour redessiner en profondeur le visage de cette institution, et à travers lui, du paysage audiovisuel, pour un temps aussi long que possible. Cet édifice-là ne naîtra pas du dispositif que vous proposez.
Mon collègue Rudy Salles vous avait également suggéré d’instaurer la parité au sein du CSA. C’est là un sujet de fond. Vous la lui avez refusée, sous prétexte qu’une disposition semblable figurerait ultérieurement dans un texte à vocation générale.
Finalement, la ministre a bien déposé un amendement similaire qui figure désormais dans le texte.
Ce n’est pas seulement un mauvais traitement fait à la représentation nationale, c’est une absence d’identification d’un enjeu important qui avait été ignoré et qui a été géré comme une pièce supplémentaire du mécano.
Après ces constats, comment pourrait-on supposer, comme vous le prétendez, que ce projet de loi visait à une réforme si fondamentale ? À l’évidence ce n’était pas le cas. Et ce n’est toujours pas le cas aujourd’hui.
Au fond, notre sentiment, c’est que vous êtes passés à côté de l’essentiel, parce que la liberté n’est pas une fin en soi pour une institution, mais une méthode et un moyen pour faire mieux et pour répondre, en l’espèce, à de nouveaux enjeux. Et parmi ces enjeux, le seul qui importait, comme l’avait très bien rappelé mon collègue Rudy Salles, c’était bien celui de la création. Il s’agissait de faire en sorte que l’audiovisuel remplisse toujours mieux sa mission de service public. À l’évidence, ce n’était pas l’objet de ce projet de loi qui, du coup, s’est révélé condamné à inventer un concept d’indépendance sans repère.
Le groupe UDI était au premier abord bien disposé à l’égard de ce texte. Rudy Salles a eu l’occasion de le dire plusieurs fois. Mais nous attendions une intention et une ambition qui donnent du sens aux dispositifs parfois techniques de ce texte.
Au final, nous nous interrogeons sur l’existence ou non d’un grand texte sur l’audiovisuel. Si c’était celui-là, c’est un échec. S’il est à venir, et si ce projet de loi n’est qu’intermédiaire, on se demande bien pourquoi il s’est enrichi de tant d’articles.
Ainsi, paradoxalement, nous nous trouvons dans une incertitude, qui amène le groupe UDI à voter contre ce projet de loi.
Applaudissements sur les bancs des groupes UDI et UMP.
Nous voici donc réunis pour voter le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public, tel qu’il ressort des travaux de la commission mixte paritaire qui s’est tenue il y a deux semaines à l’Assemblée.
L’apport des amendements des parlementaires écologistes a notablement amélioré le texte. Je tiens à remercier mes collègues sénateurs pour le travail accompli.
L’adoption de plusieurs amendements importants que nous avons proposés nous conduit à voter en faveur de ce texte.
Je dois témoigner aussi de l’esprit constructif de nos collègues de l’opposition lors de la discussion en CMP.
Cette loi ouvre le champ à une véritable indépendance de notre audiovisuel public et, en particulier, de l’autorité en charge de sa régulation et de la nomination, sous le contrôle renforcé du Parlement, des présidents des sociétés nationales de programmes.
Ce projet de loi comporte deux avancées majeures : la réforme du mode de nomination des présidents de l’audiovisuel public français, et la réforme des nominations au CSA. Le Parlement aura un rôle nouveau et important dans la nomination de ses membres.
Hormis le président du CSA nommé par le Président de la République, ils seront nommés par les présidents des deux chambres – trois pour l’Assemblée, trois pour le Sénat – après avis conforme de leur commission des affaires culturelles à la majorité des trois cinquièmes. L’opposition aura donc un pouvoir accru dans ces nominations puisqu’elle pourra, en théorie, bloquer un candidat.
Le président du CSA reste nommé par le Président de la République, conformément à l’article 13 de la Constitution. Il s’agit donc bien d’une démocratisation dans les nominations des membres du CSA et des dirigeants de l’audiovisuel. C’est une excellente chose.
Là où le président Sarkozy avait décidé de renforcer son pouvoir au nom de la fin de l’hypocrisie, ce projet de loi propose exactement l’inverse, conformément aux promesses de François Hollande.
Ces changements sont d’autant plus importants que le CSA pourrait avoir bientôt des pouvoirs accrus en prenant en charge la régulation d’internet. Cela est préconisé dans le rapport Lescure. Cette évolution envisagée porte en elle de nombreux dangers. Les écologistes seront très attentifs à ce qu’une législation modifiant les missions du CSA ne vienne pas restreindre indûment les libertés individuelles des citoyens qui utilisent internet.
N’oublions pas que ce moyen de communication est le premier à rendre effectif le principe de liberté d’expression, deux cents ans après sa définition dans la loi par les révolutionnaires de 1789.
À ce sujet, les articles 6 octies A et 6 octies B de cette loi méritent que l’on s’y arrête. Les nouvelles obligations faites aux services de médias audiovisuels à la demande, notamment le dépôt d’une déclaration préalable au CSA, nous interpellent. Par définition, le réseau internet est mondial.
La simple possibilité d’application de l’article 33-1 de la loi du 30 septembre 1986 après nos modifications, surtout dans un contexte de diffusion mondiale des oeuvres audiovisuelles ne me convainc pas. Il faut aussi souligner que ce renforcement de l’indépendance est accompagné d’une exigence accrue de transparence et de bonne gestion. Les contrats passés avec les sociétés de production extérieures seront mieux contrôlés. Il en ira de même des comptes internes des groupes de l’audiovisuel public. Ces deux propositions étaient portées par le groupe écologiste du Sénat.
Notre amendement adopté en commission, qui contraint le CSA à présenter un rapport d’activité annuel au Parlement, est une garantie importante pour le respect du pluralisme politique dans les médias. La mise en place d’un audit par le CSA des résultats et des comptes des groupes au bout des quatre premières années de mandat de leurs dirigeants achève, enfin, une période de chèques en blanc signé par l’État à ces dirigeants. Le contrôle a posteriori est la moindre des choses, lorsqu’il s’agit d’argent public et de service public.
L’instauration d’une procédure de « tuilage » lors du renouvellement des équipes dirigeantes, sur le modèle de la BBC, s’inscrit dans cette même perspective. Elle garantira une plus grande continuité et un meilleur fonctionnement des groupes de l’audiovisuel public. Les passages de relais se feront dans de meilleures conditions. Les atmosphères de fin de règne et les pratiques douteuses qui les accompagnent ne seront, je l’espère, plus qu’un mauvais souvenir.
Enfin, il n’y a pas d’indépendance sans sources de financements pérennes. Cela passe naturellement par le développement des ressources budgétaires, comme la revalorisation de la contribution pour l’audiovisuel public, mais aussi par le développement de ressources propres dont le champ est ouvert par l’amendement Plancade, au travers de l’idée d’un partage des droits audiovisuels récompensant les investissements réalisés par les chaînes en matière de programmes. Le projet de loi a, par ailleurs, été enrichi par une autre proposition des écologistes accompagnés du groupe UDI. Les usagers seront désormais représentés au sein des conseils d’administration des groupes de l’audiovisuel public par le biais des associations agréées de défense des consommateurs.
Le cahier des charges actuel, qui sert de cadre à l’élaboration des projets des candidats à la présidence des sociétés nationales de programmes est très précis en termes d’objectifs de production et de diffusion des oeuvres. Il demeure en revanche plus qu’elliptique quant à l’organisation de ces sociétés et des objectifs qu’elles auront à atteindre en termes de satisfaction des attentes et des besoins du public.
La volonté de clarification des objectifs visés apparaît d’autant plus importante, aujourd’hui, compte tenu des dérives financières et de la dégradation profonde du climat social qui semble s’installer aujourd’hui à France Télévisions. Disons-le, l’indépendance ne signifie pas l’irresponsabilité, mais bien au contraire une responsabilité accrue des acteurs qui, au nom du bien commun, bénéficient de cette indépendance. Cette logique devra naturellement être confirmée, approfondie et précisée lors de la discussion de la future loi portant sur l’ensemble de l’audiovisuel.
Monsieur le président, mesdames, messieurs, je tiens à dire en guise de propos liminaire que le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste regrette, une fois de plus, de n’avoir pu que se contenter de lire les rapports des commissions mixtes paritaires. Ses membres n’ont, en effet, jamais eu l’occasion de siéger dans une CMP, fût-ce qu’en qualité de suppléants. J’espère que cette donne sera modifiée dans les temps futurs et que notre groupe pourra un jour apporter sa pierre à la construction législative dans une telle commission.
En septembre 2012, avec mes collègues radicaux de gauche, nous avions déposé une proposition de loi visant à abroger le mode de nomination des présidents des sociétés de France Télévisions, de Radio France et de la société en charge de l’audiovisuel extérieur de la France. Vous comprendrez mieux, monsieur le ministre, pourquoi vous pouvez compter, une nouvelle fois, sur notre soutien sans faille.
Nous n’avons jamais accepté la décision politique de Nicolas Sarkozy de retransférer du CSA à l’Élysée le pouvoir de nommer les présidents de l’audiovisuel public. Comme je l’ai expliqué en première lecture, ce fut un véritable retour vers le passé, un bond en arrière de trente ans, puisque nous revenions à la situation antérieure à 1982. L’argument opposé à l’époque par l’UMP, selon lequel la loi organique du 5 mars 2009 mettait fin à une hypocrisie, était totalement fallacieux et inopérant.
Souvenons-nous de l’ORTF, laquelle était sous la tutelle du ministre de l’information. Si la loi du 7 août 1974 a mis fin à l’ORTF avec la création de six organismes, dont une société de radiodiffusion – Radio France – et trois sociétés de télévision, chacun d’entre eux restait dirigé par un président nommé en conseil des ministres. La loi Fillioud du 29 juillet 1982 instituera la Haute Autorité de la communication audiovisuelle chargée de nommer les présidents des chaînes publiques et de veiller à l’indépendance de l’information.
Pour la première fois, la nomination des présidents de chaîne échappait, enfin, au pouvoir exécutif. Cela a constitué une étape très importante vers l’indépendance et cette situation aura duré pendant vingt-sept ans, de 1982 à 2009, même si, entre-temps, différentes autorités de régulation de l’audiovisuel se sont succédé. Ainsi, rappelons-nous, en 1986 – et je ne sais si M. le rapporteur siégeait déjà sur ces bancs –…
…la Commission nationale de communication et des libertés et, en 1989, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, autorité indépendante qui garantit l’impartialité du secteur public de la radio et de la télévision. Puis, et n’en déplaise à l’UMP, tout ce travail a été mis à mal par Nicolas Sarkozy qui, toujours attentif aux médias publics et privés, a eu du mal à accepter leur indépendance. Il semble que ce soit encore le cas aujourd’hui.
Ce qui s’est passé en matière d’audiovisuel sous le précédent quinquennat m’avait amené à dire : plus jamais ça ! La liberté d’information, la multiplicité des moyens d’informations à travers le numérique nous poussent à penser qu’il était vain de penser qu’on pouvait « museler » la télé par cette reprise en main de l’Élysée avec un CSA qu’on souhaitait aux ordres. Avec le présent projet de loi, nous actons un « Plus jamais ça ».
C’est pourquoi, outre le pouvoir de nommer les présidents, il convenait également de modifier le mode de désignation des membres du CSA pour le rendre encore plus autonome. Le fait que ce soit le Parlement qui les désigne à une majorité qualifiée des trois cinquièmes des commissions des affaires culturelles, tout autant que le pouvoir de conciliation attribué au CSA en cas de litige entre éditeurs de services et de producteurs d’oeuvres ou de programmes audiovisuels sont une excellente chose.
Le CSA, ainsi doté de pouvoirs nouveaux, en sort renforcé. Il aura, de plus, de nouvelles obligations. Je pense, notamment, à l’obligation essentielle de motiver ses décisions, donc d’être plus transparent. Enfin, groupe RRDP a apprécié que la commission mixte paritaire ne revienne pas sur le fameux amendement de mon collègue sénateur Jean-Pierre Plancade relatif à la détention des parts de coproduction, ce qui représente, là aussi, une véritable avancée.
Il s’agit donc d’un bon texte et non d’une petite loi. Je dirai même, au regard de ce qui s’est fait en la matière par le passé, que c’est non pas une bonne loi, mais tout simplement une loi éthique.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
La parole est à M. Michel Ménard, dernier orateur inscrit dans la discussion générale commune.
Le 5 mars 2009, Nicolas Sarkozy promulguait une des lois les plus controversées de son quinquennat, la loi portant sur la nomination par l’exécutif des présidents de l’audiovisuel public. Par là même, la majorité sortante venait détricoter un des acquis les plus significatifs de la première alternance de la Ve République, le 10 mai 198l. Alors, la majorité socialiste s’était engagée à desserrer l’emprise de l’exécutif sur l’audiovisuel public dans une période où les pratiques héritées de l’ère gaullienne ne s’étaient en rien estompées.
Par une loi du 29 juillet 1982, la procédure de nomination des présidents de l’audiovisuel public s’est vu encadrer afin que soit renforcée l’autonomie de ces derniers, donc l’impartialité des contenus proposés. Confiées aux soins d’une autorité de régulation indépendante, la compétence de nomination et la distribution des fréquences étaient ainsi affranchies de toute régulation de la part du pouvoir politique.
C’est donc bien pour renouer avec ce projet d’indépendance porté dès les premières heures par la gauche, dévoyé par la droite en 2009, que nous sommes à nouveau réunis aujourd’hui pour examiner ce texte issu de la commission mixte paritaire. Ce projet de loi a déjà été longuement débattu et a connu les différentes navettes propres à l’exercice parlementaire. À ce stade, il convient donc de saluer les avancées notables contenues dans ce texte.
En premier lieu, c’est bien la modification de la procédure de nomination qui me vient à l’esprit. Conformément à l’engagement no 51 pris devant les Français par le Président de la République, la prérogative de nomination des principaux responsables de l’audiovisuel public a été restituée à qui de droit, à savoir au Conseil supérieur de l’audiovisuel. Le projet de transparence va même plus loin. Le président du CSA et ses membres seront désormais investis de manière plus ample : les décisions prises par les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat seront suivies d’un avis conforme à la majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes, associant, de fait, les parlementaires d’opposition. Le renforcement de l’assise du président retenu répond ainsi à une exigence d’impartialité. Le Conseil sera d’ailleurs doté d’un rapporteur indépendant, ce qui marque la séparation entre les autorités de poursuite et de sanction.
Le texte renforce également les règles d’incompatibilité et de déontologie au sein du CSA dont les membres seront désormais nommés sur la base de leurs qualifications. Le principe de collégialité a été réintroduit au coeur du dispositif. L’octroi d’une personnalité morale à cette instance indépendante, par le biais d’un changement de son statut en autorité publique indépendante lui garantira, de plus, une grande liberté de gestion.
Le volet financier du projet marque enfin une rupture avec les réformes entamées sous Nicolas Sarkozy, à commencer par la suppression, en janvier 2008, de la publicité en soirée. La majorité a considéré que le maintien de ces espaces publicitaires, notamment sur les créneaux diurnes, participe du renforcement de l’indépendance de l’audiovisuel public, l’affranchissant ainsi de toute tutelle financière de la part du pouvoir politique. La viabilité économique des programmes, dans le climat de rationalisation des choix budgétaires que nous connaissons, aujourd’hui, doit être une préoccupation permanente à plus forte raison quand cela concerne le secteur public.
Ainsi, l’introduction de nouveaux services sera soumise à une étude d’impact a priori, tâche dans laquelle le CSA sera amené à jouer un rôle significatif. Voilà, dans ses grandes lignes, le projet dont nous avions la responsabilité. Les discussions que nous avons eues, au cours de ces derniers mois, ont enrichi le texte en vue, je l’espère, de son adoption définitive aujourd’hui.
L’audiovisuel public participe pleinement à la diffusion de l’information à l’échelle nationale ; à ce titre, nous ne saurions nous soustraire à l’impératif constitutionnel de liberté, de pluralisme et d’indépendance garantis aux médias. Tous les parlementaires ayant participé à l’élaboration et à l’adoption de ce texte peuvent donc se réjouir d’avoir oeuvré en faveur de l’indépendance des médias et de la transparence dans leurs relations avec le pouvoir. En conclusion, je vous confirme que le groupe socialiste, républicain et citoyen votera ce texte avec conviction.
Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.
J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public.
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
L’ensemble du projet de loi est adopté.
J’appelle maintenant le texte de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif à l’indépendance de l’audiovisuel public..
Je mets aux voix l’ensemble du projet de loi organique, compte tenu du texte de la commission mixte paritaire.
L’ensemble du projet de loi organique est adopté.
Prochaine séance, cet après-midi, à quinze heures :
Commission mixte paritaire sur les projets de loi relatifs à la Nouvelle-Calédonie et aux outre-mer ;
Projet de loi relatif à l’éligibilité au Parlement européen.
La séance est levée.
La séance est levée à treize heures.
Le Directeur du service du compte rendu de la séance
de l’Assemblée nationale
Nicolas Véron