Intervention de Christian Kert

Réunion du 30 octobre 2013 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Kert, rapporteur pour avis :

Il est judicieux d'avoir confié l'examen de ces crédits à un membre de l'opposition, qui pourra dire sereinement et honnêtement ce que des parlementaires de la majorité n'auraient pas avoué volontiers. Je le ferai avec objectivité et sans esprit de polémique.

En 2014, le programme « Patrimoines » sera soumis à une extrême rigueur budgétaire. Le dossier de presse du ministère invoque le maintien de l'effort national et la stabilisation ou la consolidation des crédits ; il serait plus juste de parler d'une gestion de la pénurie. Les crédits en faveur des patrimoines enregistrent une diminution de 4 %, qui s'ajoute à celle de 10 % intervenue l'an dernier. Sur les deux premières années de la mandature, la baisse atteint 13 %. Les crédits dévolus au patrimoine monumental chutent de 12 % entre la loi de finances pour 2012 et le projet de loi de finances pour 2014. Ceux des patrimoines des musées de France diminuent de 10,3 % et ceux destinés aux acquisitions et à l'enrichissement des collections publiques, de 49,9 %. Le programme « Patrimoines », qui concentre à lui seul les deux tiers des diminutions de crédits, est celui qui paie le plus lourd tribut à l'effort général, alors qu'il représente à peine le tiers des crédits de la mission.

Le premier axe mis en avant par le ministère est la préservation des crédits en région, que nous approuvons sans réserve. Ainsi, les crédits consacrés aux monuments historiques n'appartenant pas à l'État mais aux collectivités territoriales ou à des propriétaires privés augmentent de 5,2 millions. La hausse porte sur les crédits de restauration, les crédits d'entretien restant stables. Elle intervient alors qu'il est difficile de boucler les opérations portant sur ces monuments. Depuis 2005, leur restauration n'incombe plus aux DRAC mais aux propriétaires, qui doivent réunir les financements, sélectionner une équipe de maîtrise d'oeuvre, conduire des appels d'offre, choisir des variantes de travaux et demander des subventions. Or les capacités d'administration des maîtres d'ouvrage, surtout quand il s'agit de petites communes, sont faibles. D'où la difficulté de prévoir la consommation des crédits de paiement, ce qui pose problème tant à l'État qu'aux régions et aux départements, partenaires de financements croisés.

Ces difficultés interviennent alors que le budget des collectivités est extrêmement contraint. Si les financements qu'elles accordent à l'entretien et à la restauration des monuments historiques ne font pas l'objet d'un recensement systématique, les réponses apportées au questionnaire budgétaire montrent que la plupart d'entre elles ont choisi de se concentrer sur leur domaine de compétence obligatoire. Des partenaires habituels comme les conseils généraux ont diminué significativement leur aide à la restauration des monuments historiques n'appartenant pas à l'État, ce qui compromet l'engagement de certaines opérations. Si des financements croisés sont toujours mis en oeuvre, les collectivités aident moins systématiquement les projets auxquels l'État accorde son concours. Le désengagement de celui-ci aurait eu des conséquences dramatiques, en particulier sur la survie des entreprises de restauration.

Cela dit, la hausse des crédits de restauration sur le patrimoine qui n'appartient pas à l'État s'effectue au détriment de celui qu'il possède. En la matière, les crédits d'entretien diminuent de 7,3 millions et portent essentiellement sur les crédits déconcentrés, c'est-à-dire sur les monuments en région, notamment les cathédrales. La dotation des crédits de restauration diminue de 5 millions.

Le Centre des monuments nationaux perd 8 millions correspondant à la fraction de la taxe sur les jeux en ligne qui lui était précédemment allouée. La subvention du ministère de la culture, qu'il reçoit en contrepartie, n'atteint que 5 millions. Dans ces conditions, la préservation des crédits en région, que le ministère met en avant, ne correspond pas tout à fait à la réalité. En fin d'année, lorsque le bilan quinquennal sur l'état sanitaire des monuments historiques sera remis au Parlement, nous aurons l'occasion d'apprécier l'impact des restrictions budgétaires sur notre patrimoine.

Le deuxième axe du budget est la mise à contribution des grands opérateurs, auquel le ministère demande un effort de plus de 32 millions. Dans un contexte de rigueur budgétaire, on peut comprendre que ces opérateurs, surtout les plus solides, soient mis à contribution, mais l'effort qui leur est demandé est inégalement réparti. Le musée du quai Branly, celui d'Orsay et de l'Orangerie sont les plus touchés par la diminution des subventions, respectivement de 5 % et 16 %. La subvention de fonctionnement du château de Fontainebleau est réduite de 13 %, alors que celui-ci est en plein développement. Le Louvre et le Centre Georges-Pompidou voient les leurs diminuer respectivement de 1 % et de 3 %. On ignore sur quels critères sont décidées ces baisses, qui semblent pour le moins aléatoires.

Cette année encore, les diminutions exceptionnelles non pérennes pourront se traduire par des prélèvements sur le fond de roulement des établissements. L'an dernier, cette pratique avait pourtant été présentée comme non reconductible. Elle risque en effet d'obérer la capacité d'investissement des établissements et de faire passer le fond de roulement sous le seuil critique de trente jours de fonctionnement.

Enfin, la compensation de la gratuité d'accès aux musées et monuments nationaux pour les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans diminue d'un tiers. Cette baisse s'inscrit dans la perspective d'une sortie en sifflet, signe que les établissements devront prendre le dispositif en charge sans aucune aide du ministère. Pourtant, l'an passé, lors de l'examen en commission élargie des crédits de la mission « Culture », la ministre s'était félicitée de ce que, pour la première fois, la gratuité pour les jeunes serait compensée en loi de finances initiale, à hauteur de 18 millions.

La suppression de la mesure en 2014 pose une question de principe, car la gratuité s'inscrit dans le cadre d'une politique de démocratisation culturelle et de solidarité. Son coût n'a pas à être supporté par les autres usagers mais par les contribuables, par le biais d'une subvention.

D'autre part, si la réduction des subventions pour charges de service public joue un rôle vertueux quand elle incite les établissements à développer leurs ressources propres, la gratuité a l'effet inverse, puisqu'elle prive au contraire les établissements de leur première ressource propre, à savoir le prix du billet. Chaque année, à Fontainebleau, 200 000 visiteurs sur 452 000 entrent gratuitement. Baisser les subventions sans compenser les effets de la gratuité pose aux établissements un problème insoluble.

Les crédits d'acquisition des musées sont reconduits au même niveau que l'an dernier, alors qu'ils avaient diminué de 50 % entre 2012 et 2013. En tant que député du Sud, je me réjouis cependant de voir que ces réductions ne concernent pas le MUCEM. Les 4,4 millions d'euros qu'il conserve lui permettront d'achever le chantier de ses collections.

Un amendement du rapporteur général de la Commission des finances et de M. Muet a permis de maintenir à 5,5 % le taux de TVA applicable aux importations d'oeuvres d'art, qui devait s'élever à 10 %, à partir du 1er janvier 2014. Une telle augmentation aurait dissuadé les collectionneurs français d'acquérir des oeuvres à l'étranger, alors qu'ils sont les premiers à enrichir les collections publiques, le plus souvent par le biais de dons et de legs. Je vous renvoie sur ce point au film La Ruée vers l'art, sorti récemment.

La part de la culture dans le budget de l'État est passée de 1,08 % en 2011 à 0,87 % en 2014, chutant ainsi sous le seuil mythique de 1 %. Dès lors que la politique patrimoniale est réduite à une variable d'ajustement budgétaire, on voit mal comment le projet de loi sur les patrimoines, en cours de préparation, pourra ne pas acter le désengagement de l'État et l'abandon d'une politique ambitieuse de transmission et de valorisation du patrimoine.

À l'issue de la Commission élargie du 4 novembre, je vous inviterai à ne pas voter les crédits de la mission, afin de tirer un signal d'alarme.

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